08 juin 2008

En passant par San Rocco

Nul ne peut se rendre à Venise sans partir un jour à la découverte des trésors de la Scuola San Rocco où sont présentés depuis leur création les chefs-d’œuvre du Tintoret, le plus grand peintre du cinquecento. On y trouve le sommet de son travail acharné.

Car le Tintoret est un monstre de travail, un hyperactif dont chacune des actions débouche sur une merveille. Il n'arrête pour ainsi dire jamais tant est grande sa soif de création, et forte son imagination. Entre 1564 et 1567, ce sont les grandes toiles de l'Albergo, entre 1576 et 1587, le cycle de la Sala Grande Superiore voit le jour et puis vient le Retable de l'Apparition de Saint Roch, qui termine la décoration de l'établissement, en 1588. Peintre du gigantisme avec ses toiles aux dimensions exceptionnelles pour l'époque, l'artiste invente d'extraordinaires compositions. Du jamais vu. Ses personnages jaillissent du néant et prennent vie à tout jamais marquant très fortement le visiteur. 
 
 
Commandes bien précises d'un cahier des charges rigoureux, ce cycle de peintures religieuses, si elles ont l'air d'exploser en une cacophonie dont l'harmonie vient du génie seul de l'artiste, n'en sont pas moins l'application rigoureuse des exigences d'un programme religieux autant que spirituel imposé par les orientations de la Contre-Réforme. Tintoret révolutionne la peinture par son inventivité et cette apparente liberté, mais il ne franchit jamais les limites imposées et c'est aussi là le génie des commanditaires : faire dire de façon ultramoderne, voire même en choquant et en bousculant, ce que Rome impose alors comme l'unique vérité. On retrouve là l'esprit vénitien pour qui tout est politique et calcul diplomatique. La Sérénissime, dans ses stratégies d'hégémonie aurait pu basculer dans le camp de la Réforme, s'en servir et l'imposer à toute une partie du monde. C'était sans compter sur la prudence des marchands qui la gouvernent. Donner au monde de l'art un témoignage puissant, indéfectible et indépassable de la Contre-Réforme était un gage offert aux puissances alliées en soutenant Rome. Tintoret, le visionnaire se fait le bras armé (d'un pinceau) de l'Église et au service des ambitions de Venise. Servi la Sainte Église Catholique, mais aussi Je suis persuadé que cela coulait de source pour lui comme pour ses commanditaires. 
 

1 commentaire:

Alexandre a dit…

Intéressant regard, sobre et cultivé. Merci.