VENISE, UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION, MAIS CELLE DES NATIONS, DES PEUPLES, DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE, REINE DU MONDE
Aquarelle de Dürer réalisée en 1525 où il décrit son rêve,peut-être pour se souvenir de l'image d'une futur tableau qu'il aura rêvé...
La lectrice qui vient gentiment de m'écrire une vraie lettre avec des timbres et tout, ne se doutait pas combien l'enveloppe que je retirais de ma boite au milieu des infâmes prospectus dont nous sommes abreuvés quotidiennement et du magazine départemental, allait réenclencher un mécanisme que je croyais définitivement désynchronisé.
Cette amie fait partie de ceux qui n'ont jamais renoncé à écrire à la main. Artiste douée - trop discrète - elle complète souvent ses propos de petits croquis qui m'ont toujours enchanté. Recevoir un vrai courrier est devenu tellement rare. Quand je dis aux amis qui partent en voyage de ne pas oublier de m'envoyer une carte postale de leur lieu de villégiature, ils ont un instant d'hésitation... La plupart lèvent les yeux au ciel, la mine contrite. Alors je fais semblant de ne pas relever l'ironie (ou bien serait-ce de la pitié ?) que leur moue exprime et je n'insiste pas, ou bien je dis que je collectionne toujours les cartes postales... Je ne suis pas dupe, je connais leurs propos «Oh ! Ce pauvre Lorenzo, il ne grandira jamais», «un idéaliste pur et dur», «le monde change et lui demeure» ou des choses du même acabit. On est toujours sot ou imbécile quand on n'a pas les réactions communes, au mieux naïf et à plaindre, «dans ce monde devenu si difficile et si dur».
Il y a longtemps que j'ai cessé d'exprimer mon ressenti quand je suis avec d'autres adultes. Prévert avait raison, ils ne peuvent comprendre. Leur tolérance a rapidement ses limites. Difficile de réaliser un jour, soudain, par on ne sait quelle circonstance inattendue, que mes pairs n'ont aucune imagination ou bien l'ont tellement étouffée qu'ils ne savent plus. Saint-Exupéry le fait dire au Petit Prince, n'est-ce pas. La proximité des gens sérieux rendait fou furieux Rimbaud... Tout ça pour exprimer ma joie lorsque des gens, jeunes ou vieux, ne perdent jamais cette soif d'invention, de créativité. ils font le monde moins laid, moins triste. Ces adultes sont en colère sans se rendre compte que leur colère, ils se l'adressent à eux-mêmes. Conscients que la femme ou l'homme qu'ils sont devenus a trahi l'enfant pur et émerveillé qu'ils furent. A tout jamais.
Bref notre monde actuel est ainsi fait. Bien éloigné de l'amour et de l'eau fraîche. On ne jure que par la respectabilité, le sérieux, la rigueur. On ne rigole plus maintenant Messieurs-Dames. Non, non, on
n'est pas là pour ça ! Allez, au pas ! (et remettez vos masques !).
Mais les coups de cœur n'étant pas encore proscrits. en voici quelques-uns que je vous recommande. N'hésitez-pas à revenir vers moi et me donner vos avis !
Ouvrage Collectif
Au bout de nos rêves
Le Retour des Utopies
Fondation Jean Jaurès
Éditions de l'Aube, 2022
8€
Un petit livre rutilant qui fait drôlement du bien dans la morosité et les grognements de plus en plus décomplexés des fascistes de tout poils d'aujourd'hui. Le principe de ce livre est simple. Publié dans la collection, «Les Petits cahiers de Tendances», que présente Thierry Germain dans son avant-propos, regroupe les textes de quatre auteurs parmi les plus pertinents, des esprits de qualité : «Quatre entrées» dit Thierry Germain, «qui disent à chaque fois un objet, un lieu, une personne et un concept, quatre regards nourris et incisifs pour émouvoir, surprendre, interroger et débattre autour de ce qui nous attend. ». Les titres donnés aux chapitres sont appétissants : «Rêver pour suspendre le ciel » par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle enseigne en études environnementales à l’EHESS et est l’auteure d’une dizaine de livres, dont Rêves en colère (Plon, 2017)et Viviana Lipuma,agrégée de philosophie, docteure en philosophie politique et membre du Labo HAR de l’université Paris-Nanterre. Elle enseigne la philosophie dans le secondaire et l’art contemporain à l’université Gustave-Eiffel. « Devenir jardinier » par l'écrivainAlexis Jenni, prix Goncourt 2011, auteur de « Cette planète n’est pas très sûre. Histoire des six grandes extinctions» (HumenSciences, 2022) et de « Parmi les arbres. Essai de vie commune» (Actes Sud, 2021), «
Expérimenter les utopies » par Timothée Duverger, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire TerrESS. Il a notamment publié « Utopies locales. Les solutions écologiques et solidaires de demain» (Les Petits Matins, 2021)et enfin, «Proto-Habitat : une utopie construite» par l'architecte Flavien Menu,
ancien pensionnaire de la Villa Médicis, créateur avec Frédérique Barchelard de Proto-Habitat, un modèle d’habitat collectif alliant flexibilité des usages et espaces pour des modes de vie sains et durables. C'est une lecture sérieuse mais tout à fait accessible que des amis souhaiteraient traduire en italien.
Carles Diaz
C'est à ce prix que nous mangeons
du sucre
Le poème à l'épreuve du contemporain
Essai
Éditions Abordo, 2024
100 pp.
13€
En considérant le sucre comme une métaphore du monde contemporain et en établissant une analogie entre son processus historique et l'évolution des praxis liées à l'art et à
la communication, ce texte interroge les mécanismes culturels et
repense le sens, la place et la nécessité d'une parole poétique dans le
monde d'aujourd'hui. L'auteur nous propose de mettre le poème à
l'épreuve du contemporain.
La citation d'Elisée Reclus, « Là
où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les
imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la
servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la
mort » ne pourrait-elle pas s'appliquer à la Sérénissime et à ce
qu'elle tend hélas à devenir, un gogoland pour le peuple et un repère
d'une élite nouvelle mode, happy few de plus en plus riches et de moins en moins porteurs d'idées pour sauvegarder la vie réelle à Venise.
« C’est une vérité lucide, péremptoire, cruelle. L’homogénéisation et
la standardisation des modes de vie touchent aussi aux dimensions
artistiques et intellectuelles, et c’est sur ce point que je me tourne
vers les artistes et les poètes : que pouvons-nous faire face à ce
vertige ? Que proposer dans un monde de plus en plus abîmé, essoré,
numérisé ? Comment faire société dans une communauté de plus en plus
uniformisée, radicalisée, qui vise la réduction absolue de l’homme à un
modèle unique ?»
Carles
Diaz est un ami. Je l'ai rencontré par un heureux hasard il y a
plusieurs années et j'ai tout de suite aimé sa manière de parler de
l'art et de la beauté. Le jeune homme (il est né en 1978) vient
d'Argentine et écrit en français. Il sait aussi la langue d'Oc. Sa page wikipedia parle mieux et plus en détail de son parcours universitaire et de ses livres. J'avais beaucoup aimé la Vénus encordée, journal imaginaire
de Rose Valland en 1943. Attachée de conservation au musée du Jeu de
Paume, à Paris, on lui doit le sauvetage de plus de soixante mille
œuvres d'art et objets dont les nazis souhaitaient s'emparer. Parmi ces
œuvres sauvées, il y avait la Vénus de Milo qui donne son titre au livre.
Mais
le dernier opus de Carles Diaz est loin de l'Occupation. Il emprunte son
titre au Candide de Voltaire,
« Cet essai inclassable, dont les prémisses remontent à 2019, est aussi
en bonne partie le résultat de deux conférences données par Carles
Diaz, en tant qu’écrivain : la première, “L’exigence poétique face à
l’objectivation de l’expérience sensible”, lors de la journée “Qu’est-ce
que le poétique ? ― Hommage à Jean Onimus (1909-2007)”, à l’Université
Côte d’Azur, le 10 mars 2022 ; la seconde, “Écrire le siècle : de la
conscience poétique et la nécessité d’être inactuel”, à l’Université de
Vienne, Autriche, le 9 janvier 2023. »
«
C’est un essai d’écrivain plus qu’un essai universitaire. Je tiens à le
dire parce que je ne prétends pas établir une démonstration quelconque.
J’ouvre des questions qui me semblent indispensables d’être posées
aujourd’hui.»
Le lien d'intérêt entre les propos du livre et Venise m'a paru évident.
Et l'auteur d'ajouter : «
Il ne s’agit pas de dire avec béatitude que la poésie doit sauver les
hommes, ni de demander à celle-ci de nous permettre de rêver d’un autre
monde, mais au contraire, de briser le conformisme et la complaisance,
de viser plus que l’uniformisation et l’acceptation passive d’un devenir
manifestement dangereux. Je suis très sensible à la question de
l’environnement, à la disparition annoncée des langues dites minorées.
Je le suis aussi face à l’appauvrissement des langues en général, car
dès qu’une langue se simplifie et se décomplexifie, elle perd des moyens
pour symboliser le monde, aussi bien que sa dimension de mémoire.»
Paul Eluard
L’Amour, la poésie
œuvres de Kiki Smith
Gallimard, 2024
176p.
45€.
Depuis les années 2000, l’artiste se projette dans le monde du vivant, du végétal. « Soyons attentifs à la nature » : c’est ce que Kiki Smith, artiste mondialement reconnue, exposée dans les plus grands musées et présente dans de nombreuses collections d'art contemporain, exprime dans ses œuvres les plus récentes. Pour son entrée dans la collection, Kiki Smith a choisi ce texte de Paul Éluard, paru en 1929, après un dernier hiver passé au sanatorium avec sa femme Gala qui devait le quitter, peu après pour Salvador Dali, ce « livre sans fin », retrace l’aventure d’un homme désespéré et déchiré entre l’amour et la poésie, entre le réel et l’imaginaire, d’un homme à qui la poésie redonne, avec l’amour, le goût et la passion de la vie. Ses interventions au fil des pages ponctuent ces poèmes, dans un univers où corps, nature et cosmos rencontrent l’esprit du surréalisme. Un beau livre, pas donné certes mais qui a sa place dans toute bonne bibliothèque et chez tout esthète de Venise ou d'ailleurs.
Luisa Ballin
Venise, la Vénétie est une fable
Éditions Nevicata
Coll. L'âme des peuples
90 pages. 9€
La quatrième de couverture de ce petit opus exprime parfaitement ce que porte le texte de la journaliste Luisa Ballin qui fut responsable de l'information au parlement helvétique. D'origine vénitienne, la dame est une appassionata de Venise autant que de sa région. Son regard est moderne, son approche pleine d'humanité et d'amour.
« La Sérénissime n'est pas une île. On l'oublie, mais Venise est indissociable de son arrière-pays. Elle est l'enchanteresse de la Vénétie, une région aussi flamboyante que les palais longeant les canaux. La Vénétie a ses traditions, sa langue, son architecture, sa gastronomie, son identité. Souvent elle défie le reste de la péninsule et refuse, sourcilleuse et orgueilleuse, les exigences de Rome, cette lointaine capitale. Elle regorge de personnages et de lieux qui témoignent des liens indissociables entre la lagune et sa terre ferme. Ce petit livre nous transporte dans les coins les plus insolites de cette région trop méconnue. Vous êtes passionnés de Venise ? Vous allez adorer cet écrin qu'est la Vénétie. Un grand récit suivi d'entretiens avec Rodolfo Bonetto (enseignant), Tiziana Lippiello (rectrice de l'Université Ca'Foscari), Antonia Sautter (styliste) et Elia Romanelli (anthropologue).» Un autre indispensable à toute bibliothèque de Fous de Venise !
Søren Bebe Trio
Home
Label Out Here Music
2016
Avec
les musiques ancienne et baroque, le jazz a toujours accompagné mon
quotidien. le jazz classique et certaines variations liées au swing.
Mais ce qu'on nomme le free jazz hérisse toujours autant mes oreilles
comme bien des courants (sans jeu de mots) des Musiques Actuelles.
Pourtant de nombreux compositeurs de talents inventent des sons agréables et percutants, chauds et de pure musicalité. Le jazz scandinave commence d'être apprécié et reconnu par les publics français et italien. Pour France Musique, le Søren Bebe Trio - fondé en 2007 - apparait désormais comme une pierre angulaire du jazz européen. Parmi
les publications du trio danois, il y a Home, qui date de 2016, mais
montre la grande maîtrise et la qualité des musiciens de cet ensemble de
jazz scandinave. Un ami britannique que je logeais alors m'avait fait découvrir les compositions de Søren Bebe dont l'ensemble s'était produit à Londres. Dès la première écoute, leur son avait enchanté mes oreilles.
Søren Bebe Trio
Here now
Label Out Here Music
2023
«Ce disque est un ensemble d'interprétations lyriques qui mettent l'accent sur la mélodie et la beauté. L'accent est mis sur l'ambiance, l'atmosphère et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. » explique le critique anglais Ian Mann. Les pièces sont souvent construites comme des chansons, relativement courtes (une seule d'entre elles dépasse les cinq minutes). L'atmosphère générale est sereine. L'accent est mis sur l'humeur, l'ambiance et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. La musique illustre le déménagement de SBebe et de sa famille vers la tranquillité de la campagne. Il vit désormais dans un petit village entouré de bois, de lacs et de terres agricoles, et l'écriture de cet album a été inspirée par la paix et la tranquillité de cette nouvelle existence bucolique. L'ambiance générale de la musique est détendue, contemplative et résolument lente, non pressée, toute en subtilité. Un bonheur.
« Appelez-moi Alexandre, comme Alexandre le Grand ». Ce n'est pas par mégalomanie que l'homme qui a ainsi souhaité conserver l'anonymat demande à se faire appeler du nom du grand empereur. Seuls les carabiniers de Dolo, près de Venise connaissaient sa véritable identité, depuis qu'ils l'ont interpelé un jour par hasard. Notre Alexandre n'est pas un chef de guerre, pas un espion ou un repenti de la maffia, ni un transfuge de l'Est. C'est plutôt un rat... de bibliothèque, un fanatique, un amateur de livres. Mais sa passion, il l'assouvissait d'une manière pour le moins surprenante.
La maréchaussée a découvert un jour chez lui plus d'un millier d'ouvrages dont la valeur est estimée à 80.000 euros. Essentiellement des titres scientifiques et universitaires, dont certains assez rares. Alexandre avait peu à peu constitué cette impressionnante bibliothèque en empruntant aux bibliothèques publiques de Vénétie, les livres sur lesquels il jetait son dévolu, sans jamais remplir une fiche de prêt. C'est celle de Mestre qui a lancé l'alerte. Mais cela aurait pu être aussi celle de Padoue, de Vicence ou de Mogliano, et à Venise, la Marciana, toutes ces institutions ayant vu leurs rayons s'alléger d'un grand nombre d'ouvrages.
N'est-ce pas un joli sujet de scénario ou de nouvelle ? Mais se pose tout de même un petit problème éthique. La morale est dans l'ADN de Tramezzinimag et si aimer les livres à la passion, les voler ou les subtiliser pour son plaisir personnel au détriment des autres est difficilement admissible. Cherchons cependant des circonstances atténuantes à ce bibliomane. Rester dans la bienveillance et chercher à comprendre, c'est aussi dans notre ADN...
Au-delà de la valeur marchande de cette bibliothèque, des motivations profondes de notre Alexandre, il y a le livre. La magie, la fascination pour cet objet unique. Notre homme aime les livres, il les adore même, et rien dans ses actes ne peut être associé à de la malveillance, aucune intention de nuire, pas le moindre esprit de lucre. La passion, point.
.
Le jour où la police l'a arrêté, il portait sans son sac à dos, trois livres qu’il venait de sortir clandestinement de la bibliothèque municipale de Mestre.: il n’avait pas demandé à les emprunter bien sûr. Les policiers ont constaté qu'il avait déjà retiré les antivols. Les policiers s'étant invités chez notre héros, ils ont pu découvrir dans son modeste appartement, une incroyable collection dédié à la chimie, la physique, les mathématiques,…), mais aussi des biographies et un choix très éclectique d'ouvrages d'histoire (de l’amiral Nelson aux monographies sur les Balkans et le Troisième Reich). Il y avait même plusieurs encyclopédies, toutes complètes.
L’homme avait construit une véritable bibliothèque personnelle. Les livres sont classés selon un système qui semble regrouper les volumes selon leur provenance, c’est-à-dire en indiquant la bibliothèque où l’ouvrage avait été emprunté. Les policiers ont trouvé pour chaque étagère une étiquette portant le nom d'une bibliothèque publique, "Ca Foscari", "Civica Mestre", "Marciana"...
Le voleur de livres de Alessandro Tota et Pierre Van Hove
Voleur de culture
Mais quel profil se cache derrière Alexandre s'interrogèrent les policiers ? On sait si peu de choses sur lui. Qu'il a 48 ans, qu'il est diplômé en chimie industrielle, qu'il n'a pas pu faire sa thèse, qu'il a travaillé comme assistant technique pour une université en Vénétie.Il raconte au Corriere del Veneto pourquoi il a volé tous ces livres. Il rêvait de construire une bibliothèque de qualité, pour combler un sentiment d’échec personnel, mais aussi pour l’amour de la culture : « Je n’ai rien accompli dans la vie », affirme-t-il ainsi. « Pourtant, tout d’un coup, je me suis retrouvé à construire, pièce par pièce,chez moi quelque chose d’aussi beau qu’une bibliothèque. J’aime l’odeur des livres, en feuilletant les pages. Mais par-dessus tout, j’aime apprendre. Je les ai tous lus, ces plus de mille tomes tirés des bibliothèques. »
Il le reconnaît lui-même, tout cela fait penser à du fétichisme, mais il préfère définir - justifier ? - son acte comme « un amour immense et sans limites pour tout ce que ces volumes contiennent ». C'est vraiment par amour de la connaissance qu'il se serait laissé aller à ce délit culturel. Mais aussi pour l'odeur des livres, leur masse le long des rayonnages. Tous les amoureux des livres comprendront. S'il avait été traduit en justice et que le juge, le procureur et les jurés s'avéraient des amateurs le livres, de fins bibliotphiles et de dévoreurs de pages, il ressortirait du tribunal avec un simple rappel du principe fondamental : « Tu ne voleras point ! » puis serrait applaudi pour son amour des livres. Signalons au passage qu'aucun des ouvrages n'avait été endommagé et qu'il expliquait les épousseter souvent en les manipulant avec respect...
Et pourtant, il affirme qu’il aurait voulu s’arrêter, mais qu’il n’arrivait pas.« Je ne pouvais plus m’arrêter. Mais, j’avais tout de même étudié un plan pour rendre les volumes.». Il projetait de les emmener dans une ferme abandonnée. Une fois les volumes bien alignés, il avait prévu d'appeler, depuis une des rares cabines téléphoniques encore actives. il en avait repéré une loin de toute habitation et donc des caméras de surveillance, « j’aurais passé un coup de fil anonyme pour permettre de les retrouver. » Ce qui posait problème, c'était de transporter les livres dans la vieille maison. on ne sort pas facilement un millier de livres, dont certains de grand format... Il n'aura pas eu le temps - peut-être manquait-il d'assez de volonté pour passer à l'acte - de le faire et la police locale, cette fois, est arrivée avant lui.
Le voleur de culture n’a pas pour autant abandonné son rêve : « Tôt ou tard, je pourrai construire ma propre bibliothèque — affirme-t-il — mais cette fois, sans voler ». Il vient en effet de trouver un travail et il espère dépenser son salaire dans l’acquisition de livres. «il y en a tellement à lire !»
Serge Bassenko est écrivain et photographe. Il a passé 20 ans à photographier Venise et sa lagune. Ses images, plusieurs fois exposées, montrent la Venise méconnue et émouvante des Vénitiens : ruelles tranquilles, petits canaux qu'on ne peut découvrir qu'en barque, lagune sauvage et solitaire, nuit profonde doucement illuminée par de faibles réverbères...Tramezzinimag qui suit son travail depuis plusieurs années vous invite aujourd'hui à une exposition virtuelle des œuvres de ce photographe qui est aussi un écrivain de talent avec presque une vingtaine de romans à son actif ! Notre amie du site Venetiamicio a rendu avant Tramezzinimag un hommage à cet artiste de talent. Voilà ce qu'en dit N.H. Marino Zorzi, ancien directeur de la Marciana et directeur de la revue Comprendre fondée par Umberto Campagnola :
"« La Venise de Bassenko est tout ensemble authentique et métaphysique.
Sa main experte sait saisir des instants irréels, des lumières
mystérieuses, en créant une atmosphère d’attente, de suspension, de
rêve. La beauté des lieux, pleine d’histoire, se charge d’une valeur
nouvelle, il n’est pas de forme humaine qui trouble le silence onirique
des places et des ruelles immobiles. Le sens du mystère domine aussi les
images de la lagune : Bassenko saisit l’attrait fascinant de cet espace
unique, ni vraiment terre ni vraiment mer, qui a été le berceau d’où
Venise est née et qui aujourd’hui encore l’entoure de ses bras. Moi,
vénitien, je ressens que Bassenko a su fixer dans ses images l’essence
de notre monde, dont le caractère semble se perdre dans le vacarme
moderne mais qui aujourd’hui encore se manifeste à celui qui sait le
voir. Il est impossible d’oublier les photographies de Bassenko, car
elles nous redonnent cette Venise que nous portons en nous. »"
C'était un vieux projet que cet hommage dans Tramezzinimag à un homme voué en entier au beau et dont les mots sont pareils à ses images, l'œil sait remarquer en un instant ce que les mots décrivent avec l'acuité qui sied aux poètes véritables. On devine au fil des images qu'il propose à voir une sensibilité exacerbée, une capacité d'aimer et de souffrir toujours retenues. "De la belle ouvrage" disait en me parlant de lui un vieil ami vénitien qui m'a donné l'idée de reprendre les clichés de Bassenko pour les proposer à nouveau à nos lecteurs qui comprendront mon enthousiasme pour cette manière de traduire l'âme de la Sérénissime. Il y a dans les propos de l'artiste une nostalgie certaine. Le regret d'une Venise qu'il considère comme définitivement disparue ? Allusion au temps qui passe et nous fait percevoir les choses différemment ou simple constat que Venise aussi et périssable et que l'esprit nouveau qui fait se mouvoir les gens n'entend pas Venise comme il l'entendait - comme nous l'entendons - et que les hordes qui l'envahissent de février à décembre (il nous reste encore le silence et la tranquillité de janvier...) piétinent ses rues et ses campi comme s'il s'agissait d'un vaste et vulgaire parc d'attractions qu'on ne regarde qu'à travers son smartphone fixé en haut d'une perche fluorescente ?
La cloche de Santo Stefano sonne midi. Le ciel est d'un joli bleu. Il continue de faire froid mais le soleil donne envie de traîner. Des gens bavardent sur le campo sous mes fenêtres. Derniers jours tranquilles. dans quelques semaines ce sera le carnaval et l'invasion... Je sors rejoindre une amie pour déjeuner et laisse à une amie blogueuse et lectrice fidèle, le soin d'exprimer son approche du travail de Serge Bassenko. Qu'elle soit remerciée de cet emprunt. Elle a su, bien avant Tramezzinimag, parler de cet artiste qu'elle découvrit à l'occasion d'une exposition parisienne :
Le
héros du livre " Il pleut" habite le Campo San Boldo... et c'est grâce à
lui que j'ai fait une belle rencontre il y a quelques mois.
Il y a
un an, grâce à notre petit univers des amoureux de Venise, j'apprends
qu'une exposition de photographies se déroule dans le 13e
arrondissement de Paris, et s'intitule "Par amour pour la Venise
d'hier", de Serge Bassenko.
Je consulte le site et commence quelques jours plus tard, la lecture du roman " Il pleut "... Au fil des mois, j'ai appris à connaître Serge Blassenko à travers ses photos et ses textes, mais aussi grâce à sa compagne Eléonore. Je laisse parler Serge maintenant :
Avant
d'aller à Venise, je n'en savais pratiquement rien. Je me souviens de
mon "visiting tour" de la ville - projet assez amusant, à vrai dire. J'avais
décidé d'arriver de nuit - parce que j'aime la nuit - de faire le tour
de la ville et de passer sur le Pont des Soupirs... en voiture. La
réalité a été quelque peu différente. D'abord, j'ai dû laisser la
voiture dans un endroit impossible à définir. Puis, voguer sur une eau
d'un noir d'encre, craignant à chaque instant de couler. La nuit était
noire, tout alentour était si noir, seules quelques pauvres lumières
luisaient çà et là. En descendant sur le quai, je
me suis précipité dans les ruelles et après un moment, j'ai débouché sur
la Place St Marc, sans même oser lever les yeux, tellement j'étais
effrayé. De nouveau, j'ai couru vers les ruelles et me suis finalement
arrêté auprès d'un pont. Je me rappelle le canal - si sombre, silencieux
et tendre - et la pensée qui m'est venue : "Venise est une ville où on
peut pleurer". Faire des photos exige une bonne santé et de l'entraînement. En
arrivant, courir par les rues et les ponts pour prendre le moteur de la
barque, le réservoir, les cordes et le diable ; puis courir pour
attraper le bateau de la lagune ; enfin, tirer à deux personnes tout ce
chargement, les bagages, les appareils photographiques et le trépied,
par une route pleine d'ornières et sous une pluie battante .... Ensuite,
marcher de jour, de nuit, manger debout, ramer, et à la fin, la nuit,
quand on se gèle dans le vent après une difficile mise au point, arrive
une barque inattendue qui trouble le calme du canal pour une autre
attente de vingt minutes... Pourtant, pour moi,
cela a toujours été une promenade, tranquille et sereine, seulement une
promenade. J'aimais à dire : "Allons nous promener à Venise".... ... Faire des photos exige aussi de la patience. ... Je photographie ce que je regarde et regarder ne s'apprend pas. ... Ainsi, malgré les apparences, je n'ai pas photographié Venise, mais ce qu'elle contenait, et qui n'est plus. (Extrait du Cd-Rom de Venise et sa Lagune/Histoire de mes photos)
Serge Bassenko Il pleut, Venise en 1973 Ed. Edilivre
Un roman très agréable à lire tant il nous touche par les petits riens qu'il évoque au fil des pages. L'auteur nous fait partager la vie du héros du livre et de ses jeunes amis vénitiens. On découvre les petits métiers de l'univers vénitien, et le quotidien sans histoire d'un peuple qui continue de vivre comme il l'a toujours fait en dépit du monde qui change. Apprendre à ramer à la vénitienne, accompagner un vieil homme vendre sa production de légumes au marché du Rialto, se régaler de cette cuisine casalinga qui n'a pas son pareil, et puis le lien qu'on découvre et qui passe par le dialecte, cette "si caressante langue vénitienne". "Toute une vie
ignorée des touristes pressés par le temps – si simple mais si pleine" que les lecteurs de Tramezzinimag connaissent où dont ils ont si souvent entendu parler dans nos colonnes. La vie à Venise au quotidien. Paisible, unique, normale mais pourtant tellement différente des autres lieux urbains du monde de'aujourd'hui.
"La marée monte et descend, l’eau clapote contre les
barques de bois, les palais se reflètent dans l’eau calme, le brouillard
vient envelopper la lagune. Peut-être, comme le jeune héros,
tomberez-vous amoureux de ce monde si attachant, mais déjà si
dangereusement menacé par la vie moderne ?"(le texte en italiques d'Eléonore Mongiat, la compagne de l'auteur a été écrit pour la revue Altritaliani, 27/XI/2017)
Friedrich Nietzsche rédige son poème 'Venise" en 1888. Il le recopie dans Ecce homo, en notant cette phrase devenue célèbre : "Quand je cherche un autre mot pour musique, je ne trouve jamais que Venise"(1)Il avait séjourné dans la cité des doges quelques années auparavant. En 1880, puis en 1884 et aussi en 1886. C'est à Venise qu'il écrivit Aurore, sous-titré Réflexions sur les préjugés moraux, avec en exergue cette belle citation du Rig Veda "Il y a tant d'aurores qui n'ont pas encore lui". dont il dicta les aphorismes sous le titre L'Ombra di Venezia, au musicien Frierich Köselitz (que Nietzsche avait rebaptisé Peter Gast). Philippe Sollers souligne, dans son Dictionnaire amoureux, combien les termes musique et silence reviennent souvent lorsque le philosophe parle de ses séjours à Venise, notamment dans ses lettres à l'ami Köselitz-Gast, "...Un seul endroit sur terre, Venise".(2)
An der Brücke stand jüngst ich in brauner Nacht. Fernher kam Gesang : goldener Tropfen quoll’s über die zitternde Fläche weg. Gondeln, Lichter, Musik - trunken schwamm’s in die Dämmrung hinaus…
Meine Selle, ein Saitenspiel, sang sich, unsichtbar berührt, heimlich ein Gondellied dazu, zitternd vor bunter Seligkeit. - Hörte Jemand ihr zu ?…
Accoudé au pont, j’étais debout dans la nuit brune De loin, un chant venait jusqu’à moi. Des gouttes d’or ruisselaient sur la face tremblante de l’eau. Des gondoles, des lumières, de la musique. Tout cela voguait vers le crépuscule.
Mon âme, l’accord d’une harpe, se chantait à elle-même, invisiblement touchée, un chant de gondolier, tremblante d’une béatitude diaprée. - Quelqu’un l’écoute-t-il ?
(Traduction de Guy de Pourtalès)
__________
1 - : "Wenn ich ein andres Wort für Musik suche, so finde ich immer nur das Wort Venedig". 2 - : In- Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, Plon éditeur, 2004., pp. 343-352.
Si Ambroise Tardieu, archéologue et généalogiste, qui fit de son long séjour à Venise un récit parue dans la revue de Lyon en 1884, puis dans un ouvrage regroupant le récit de tous ses voyages en Italie et Afrique, pourrait dire encore aujourd'hui que "A Venise la belle société parle français" et que "Les artistes, les hommes de lettres, les savants sont recherchés, fêtés."
Il ne reconnaitrait plus rien de la ville qu'il a fréquenté et aimé durant sa vie vénitienne ; "tout est d'un bon marché sans égal. A Venise, la vie coûte moitié comme en France"...
Enthousiaste, il semble n'avoir pas connu la venise aux remugles nauséabonds qui incommodèrent tant Thomas Mann et son professeur Ashenbach : "On se figure généralement que l'air de Venise est malsain ; qu'il doit y avoir une atmosphère humide aux personnes atteintes de phtisie ; on le recommande spécialement aux anémiques ; à ces derniers, le calme de la ville convient à merveille car on n'entend aucun bruit de voiture". Que dirait-il aujourd'hui du bruit des moteurs de bateau qui pétaradent sur le grand canal ?
"On ne rencontre aucun chien dans les rues de Venise. Cela tient, dit-on, à la taxe élevée qui leur est appliquée." je me suis pris à rêver en lisant cela, que remettre une taxe et revenir à l'obligation de la muselière comme il y a encore trente ans pourrait faire cesser cette invasion. Surtout quand peu à peu le chat, animal souverain à Venise, grand allié de sa salubrité, disparait des rues de la Sérénissime.
Jeudi 17 novembre, l'Institut Bernard Magrez propose aux aquitains de venir rencontrer Delphine Gachet, Marc Agostino et Alain Vircondelet, sur le thème de la fascination de Venise. Tramezzinimag y sera peut-être si votre serviteur n'est pas encore reparti pour Venise. Les protagonistes invités dans ce lieu merveilleux sont la directrice de l'ouvrage Venise, Histoire, Promenades, Anthologie & Dictionnaire paru en mai dernier chez Robert Laffont dans la collection Bouquins (cf. Tramezzinimag du 08/05/2016).
Comme le mentionne le site de l'Institut :
Venise - "l’un des secrets les plus poétiques qui aient jamais
existé sur cette terre", selon l’un de ses meilleurs connaisseurs, Dino
Buzzati – ne cesse de fasciner ses innombrables visiteurs par sa
splendeur architecturale et son mystère troublant et enchanteur. Fruit
du travail conjoint de collaborateurs français et italiens venus
d’horizons différents, le livre Venise, Histoire, promenades, anthologie
et dictionnaire plonge au cœur de cette ville mythique au fil d’une
exploration minutieuse et originale qui contredit bien des clichés sans
altérer sa légende. Une cité hors norme dont le prestige se nourrit de
l’imaginaire qu’elle suscite. La ville de l’amour, de la séduction, de
la sensualité, mais aussi le symbole de la fin d’un monde.
Trois des collaborateurs, tous vivant et travaillant à Bordeaux, qui ont permis au livre d’exister.Delphine Gachet,
docteur en littérature comparée, est maître de conférences à
l’université Bordeaux-Montaigne, traductrice (et grande spécialiste) de Dino Buzzati et de
nombreux autres écrivains italiens. Avec le Professeur Alessandro Scarsella, elle a co-dirigé et collaboré à
l’ouvrage présenté. Marc Agostino, professeur
émérite d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne,
spécialiste de l’histoire des religions et de la papauté. Alain Vircondelet est
écrivain et universitaire. Vénitien de cœur, il a consacré plusieurs
ouvrages à Venise (dont Devenir Venise, Nulle part qu’à Venise, Le grand
guide de Venise). La table ronde - conférence aura lieu jeudi 17 novembre à 20 heures et sera suivie d'une dégustation de vinsBernard Magrez en partenariat avec la Librairie Mollat.Les réservations se font en cliquantICI
Quand elle m'est apparue, par un de ces matins d'été si particuliers à Venise, avec cette lumière un peu voilée qui annonce les grosses chaleurs alors que l'air est encore frais ; avec derrière elle, ce ciel dégagé, d'un bleu vif à faire chavirer les âmes endurcies, et l'eau frétillante, je ne me doutais pas que se dressait devant moi une grande poétess vénitienne.
Elle était vêtue d'un manteau qui avait dû être vert pomme. Un détail qu'on ne pouvait pas ne pas remarquer, ce manteau, en été, quand nous étions en bras de chemise et que très vite le souffle du sirocco fait fondre les corps alanguis... Ce ne pouvait être qu'une folle ou un être d'exception. Je détaillais cette femme sans âge, tenant un sac de cuir noir entre ses mains. Elle était rentrée en soufflant, chargée d'une grosse valise comme on en voit dans les films. Chaussée de mocassins, défraichis comme son manteau, elle portait une robe sombre. Quelque chose de vague émanait de son regard qui contrastait avec son allure décidée. Une odeur de laque mélangée aux effluves d'un parfum bon marché entourait chacun de ses mouvements.
- C'é la signora Biasin ? me demanda-t-elle avec un accent vénitien très prononcé. Non, la Signora n'était pas là. Elle avait été convoquée une fois de plus à la Questure ce matin-là. Toujours ses démêlés avec l'administration. Les chambres aménagées sans autorisation, les certificats de l'hygiène jamais validés, la comptabilité assez flottante et le registre des pensionnaires pas vraiment tenu à jour. Rien de malhonnête en vérité, juste une façon de travailler. Et pour la grande satisfaction de tous les clandestins qui passaient par l'Alloggi Biasin, des tarifs vraiment "étudiés", une grande mansuétude de la part de la maîtresse des lieux et toujours l'assurance d'un accueil convivial et d'une oreille attentive.
Souvent on retrouvait ses jeunes locataires attablés avec Federico, le fils cadet de la maison, tous en train de se régaler d'une pastasciutta à se damner que la locandiera leur servait généreusement. Combien furent-ils ces jeunes venus d'Amérique du sud qui ne pouvaient s'offrir un appartement faute de visas ou le plus souvent faute d'argent. Piégés - comme nous l'étions tous - par la beauté fascinante de la ville dont ils ne pouvaient se libérer, n'ayant jamais pu se contraindre à repartir... Anna (Matilda de son vrai prénom) Biasin gérait les chambres de l'albergo sur la Fondamenta de Cannaregio, qu'on appelait encore à l'époque Fondamenta della Pescaria, mais aussi celles installées dans son appartement de la calle dell'Aseo ainsi qu'une demie-douzaine de chambres calle del Forno, près du Ghetto, où la ville logeait ces malheureux qu'on avait baptisé en vénitien I Sfratai.
Angela Bacchini en étai. Elle n'avait plus de maison. Locataire, comme tant d'autres elle avait dû quitter l'appartement où elle vivait avec sa mère. Elle en fit un un poème. Car la dame était une poétesse. Elle faisait imprimer elle-même de petits recueils de vers toujours ornés de son portrait en noir et blanc, qu'elle tentait de vendre chaque fois que l'occasion lui était donnée. Régulièrement, elle adressait un nouvel opuscule aux journalistes. Parfois un de ses textes était publié. Tout le monde la connaissait, à Cannaregio mais aussi du côté de San Marco. Car, venezianissima comme elle se définissait, elle était toute entière dans la défense de sa ville. Sur son séjour dans une des maisons de la Signora, relogée à la hâte par les services sociaux de la municipalité, comme des centaines d'autres expulsés, elle a écrit ces lignes en vénitien, qui en disent long sur ses états d'âme d'expulsée :
La Camera dea pension (La Chambre à la pension)
"De dodese metri quadrai : Questa se la nostra stanza da sfratai. Sicome ogni camera ga el so aredamento ;
anca su sto buso ;
qualcosa ghe se dentro. I ghe ga meso la tola,
un leto per dormir e riposar ;
un scabeo, un armaron. E anca do careghe dentro sto salon. Ma una comodità atenua i nostri mali... Gavemo i servisi, per i bisogni corporai. Cossa volemo ancora !... De cossa
Se stemo lagnar. Ne resta quatro metri Anca per caminar. E quando mi e mia mama; Semo dentro quà ;
dovemo pur divider, sto spazio per metà. Ne ghe se problemi A far sta operazion. Do metri a mi... e do a ea Ne resta in conclusion. De soldi ghe ne demo anca bastanzeta Per ste poche robe e sta stanzeta. Mia mama se nervosa,
cose vole far. La ga otanta ani
e fora no la vol andar, la ghe vede poco ; le ganbe
ghe fa mal. Bisogna aver pazienza Bisogna soportar... Sentimo ste parole, de quei
che ne comanda. Ma iori ga la casa E anca co la veranda. Per pasarse el tempo, sta mia vecia mama
la furega le strasse : mama lasa perder e se quatro scoasse. Ma ea no lasa perder, qualcosa
la ga da far... intanto co la so calma
la continua a furegar. E anca la me invidia ; la me ciama fortunada. Mi so senpre quà :
ma ti ti va anca in strada ! Se vero ! Ma cossa vusto
che no fassa nianca un giro per la piazza Che no me ciapa l'aria dentro el vaporeto, e con l'ingresso libero ; no varda
el Canaletto. Che no me insemenisa davanti ae boteghete, dai vasi colorai... co statue e medagete... o su quea madona in cupola
che par che la varda le stele : ala Giudecca nel colegio dele
Zitelle ! Ognuno se consola a sto mondo
come pol. Epur no avendo niente
ringrazio anca el Signor. De cossa ! I me dirà.
De star quà a veder la mia cità. No da esser rica, o per farme
Schei : ne per far imbrogessi
al dano dei fradei. Ma per esser onesta e aspetar
la carità... Da chi ? Dal Comune. Che el se ricorda questo :
che forse no lo sa. Le case ghe va prima
a chi se nato quà. Che nostre le se lore... e nostra se la cità...
E no se veda più ste comicità
come go visto geri.
Che i se ga da el sfrato
fra foresti e stranieri.
Un poco lo go dito de queo
che go da dir.
doman el discorso lo faro finir.
Davanti l'assessor, davanti ai zuconi...
e se me fosse lecito... a tuti queiche
a Venezia fa i parono."
(Traduction personnelle ICI)
Après plusieurs mois - presque deux ans - de bons (et loyaux services) chez la Signora à faire les chambres, accueillir les touristes, faire les courses, aider aux lessives et désinfecter les pièces de la calle del Forno dévolues aux expulsés les plus démunis, je quittais mon petit appartement de la vieille maison de la calle dell'Aseo pour d'autres aventures. Ayant donné ma démission, déménagé mes meubles, je n'ai plus revu la signora Bacchini ni sa mère. Je l'ai croisé quelques fois du côté de San Alvise et un jour devant le Cucciolo où j'avais mes habitudes.
C'est seulement en 1997 et au moment d'un évènement presque passé inaperçu ailleurs qu'à Venise, que j'ai eu de ses nouvelles. J'étais depuis longtemps retourné vivre en France, pour me marier et travailler. Quatre enfants étaient nés et je venais moins souvent sur les bords de la Lagune. Ce rêve d'y construire ma vie et de voir y grandir mes enfants n'avait pu se réaliser, celle que j'avais épousé ayant catégoriquement refusé de venir y vivre (ou peut-être n'ayant pas su être assez convaincant pour l'en persuader). C'était à l'occasion d'un court séjour avec des amis. Quelques jours avant le triste anniversaire de la chute de Venise, période bien triste où le Sénat abandonna, sans aucune résistance et avec beaucoup de lâcheté, le destin de la Sérénissime à l'infâme général corse et aux pouilleux des armées de la révolution qui s'empressèrent de la mettre à genoux et la pillèrent.
La nuit était douce. Je n'avais pas sommeil. Nous repartions le lendemain. J'avais décidé de faire un dernier tour de la ville comme à mon habitude. J'arrivais par le ponte della Canonica, juste derrière le palais du patriarche. A ma grande surprise il y avait partout des policiers et même des militaires en tenue de combat. Le silence était pesant et les soldats nerveux. Si ce spectacle aujourd'hui nous parait ordinaire depuis que le mot "sécurité" sert à nos gouvernants pour égratigner en douceur les libertés fondamentales en jouant sur la terreur, cette vision d'apocalypse sur la piazzetta était alors surprenante.
Je pensais comme d'autres à une très forte acqua alta en prévision et je frissonnais à l'idée qu'on s'attende peut-être en haut-lieu à une marée catastrophique... Il faisait lourd. On m'expliqua que l'accès à la Piazza était interdit, des terroristes s'étaient enfermés dans le campanile et disposaient d'un blindé et de tout un attirail militaire... On a très vite appris qu'il ne s'agissait que d'un engin de chantier maquillé en char d'assaut et que seul deux ou trois des huit (présumés) terroristes possédaient un fusil... Je m'approchais d'un groupe de vénitiens parmi lesquels il y avait le maire de l'époque, le philosophe Cacciari et un peintre que je connaissais bien pour avoir travaillé avec lui du temps de la galerie Graziussi.
Et je la revis, un peu vieillie, le visage marqué, les cheveux moins soignés. Elle allait de groupe en groupe avec à la main ses plaquettes auto-éditées qu'elle proposait aux gens. Militante de la première heure pour une Venise libérée du joug de Rome et des banques, naturellement du côté de la population qui depuis la trahison de Buonaparte et l'impitoyable domination des Habsbourg a toujours dû s'incliner, témoin trop longtemps muet de la destruction et la confiscation de leur lieu de vie pour le profit de quelques uns. Nous ne nous sommes pas parlés. Je me contentais de l'observer de loin, puis on nous fit reculer hors de la piazza avant que l'assaut soit donné. Lorsque je tentais de m'approcher d'elle, Angela Bacchini était déjà repartie rejoindre des manifestants qui soutenaient les révoltés du campanile. La farce se termina sans trop de grabuge et je n'en sus davantage que le lendemain, en allant à la gare prendre notre train. Le Gazzettinonarrait en première page l'incroyable évènement et les commentaires allaient bon train. Un poème de la Bacchini, en page intérieure parlait des deux Venises. Celle des vénitiens et celle de l'argent...
Quelques pauvres diables naïfs et ardents y ont laissé leur liberté. Ils auraient pu y laisser leur vie et rien n'aurait vraiment changé. Pathétique... Il y a vingt ans déjà l'impéritie des élites politiques dégoulinait en les salissant sur les masegne de la cité des doges. La Sibylle hurlait sa colère et la douleur de son amour trahi pour la Sérénissime. Je ne sais si elle vit toujours mais elle doit se réjouir de voir combien la majorité des vénitiens semble vouloir bouger et prendre en main son destin...