
Les
nombreuses salles de la vieille demeure avaient toutes leur secret. il y
avait le grand salon avec le piano de Wagner,
la rotonde avec le placard secret qui me faisait un peu peur, recoin
camouflé derrière les boiseries qui avait dû abriter un escalier vers
les communs. La bibliothèque, elle aussi en rotonde avait un vieux
coffre-fort caché par plusieurs rangées de faux livres, en fait les dos
des cent dix volumes de l"Histoire Universelle parue au milieu du XVIIIe
dont on n'avait conservé que les cartes qui me servirent quand je
jouais aux pirates ou à la conquête des Indes... Un couloir plein de
placards datant d'avant la révolution contenait mille paperasses.
Ailleurs, c'était une armoire creusée dans un mur qu'on découvrit en refaisant les plâtres et qui contenait jouets et livres d'enfants, rangés là après la mort de leur jeune propriétaire... Une chambre me parlait de l'infortunée reine Marie-Antoinette parce qu'on y conservait dans une vitrine une panière de vannerie qui aurait été utilisée par les infortunées princesses dans leur prison du temple et un bonnet de dentelle et de linon entouré d'un ruban de velours noir qui avait appartenu à la reine et qu'elle portait après la mort du roi... De vieux soldats de plomb et des boîtes de jeux anglais, allemands ou italiens, un gramophone avec ses aiguilles comme neuves et de vieux disques 78 tours dont le premier enregistrement de Yehudi Menuhin enfant avec sa dédicace maladroite au crayon blanc sur l'étiquette circulaire imprimée en lettres dorées...
Ailleurs, c'était une armoire creusée dans un mur qu'on découvrit en refaisant les plâtres et qui contenait jouets et livres d'enfants, rangés là après la mort de leur jeune propriétaire... Une chambre me parlait de l'infortunée reine Marie-Antoinette parce qu'on y conservait dans une vitrine une panière de vannerie qui aurait été utilisée par les infortunées princesses dans leur prison du temple et un bonnet de dentelle et de linon entouré d'un ruban de velours noir qui avait appartenu à la reine et qu'elle portait après la mort du roi... De vieux soldats de plomb et des boîtes de jeux anglais, allemands ou italiens, un gramophone avec ses aiguilles comme neuves et de vieux disques 78 tours dont le premier enregistrement de Yehudi Menuhin enfant avec sa dédicace maladroite au crayon blanc sur l'étiquette circulaire imprimée en lettres dorées...
Tellement de livres aussi, des dizaines d'albums de photos et de cartes postales, de scrapbooks
et d'herbiers, dont celui rempli par une de mes aïeules qui contenait
des plantes séchées prélevées dans des tas de lieux historiques dans les
années 1830, au pied de tombes de personnages célèbres, mais aussi dans
les jardins de Trianon, de Compiègne, de Vienne ou de Fröhsdorf. Une
des chambres du second était décorée de dessins anciens. L'un d'entre
eux montrait une salle du palais Loredan qu'habitait alors Don Carlos, neveu du Comte de Chambord, notre dernier roi de jure,
qui déjà me faisait rêver de la ville que je ne connaissais pas
encore...
Même la vieille cuisine avec son énorme fourneau de tôle
peinte en noir et ses cuivres rutilants, le monte-charge dans lequel je
me cachais enfant, espérant qu'un domestique me hisse jusqu'à l'office
du premier étage par inadvertance ; la fleurerie, petite pièce
construite au-dessus de l'office, où on dressait les bouquets destinés à
orner les pièces de la maison. De là, recoin secret et tranquille, on pouvait observer la grande salle-à-manger voisine par un œil
pratiqué dans les boiseries d'acajou. De là la grande tapisserie des
Flandres qui ornait un mur semblait s'animer. Je m'imaginais dans les buissons, me cachant des loups qui faisaient fuir un chasseur que protégeaient ses chiens, avec au loin
le château qu'on apercevait abritait mille trésors somptueux et une
belle princesse attendait que je vienne la délivrer... Cette grande et
belle verdure à l'odeur de poussière fut décrochée pour être vendue à la
mort de mon père, laissant sur la paroi un grand rectangle noir que
j'imaginais aussitôt être un écran de cinéma ou une ardoise géante pour une école
de géants..

Dans une autre pièce, appelée le studio,
sûrement parce que du temps de mon arrière-grand-mère on y lisait et on y
dessinait, un vieil écritoire trônait sur une table. Il était garni de
stylos et de crayons. il y en avait un en laque bleue dont le capuchon
servait aussi de flacon de sel ou de parfum. Le bouchon était en bronze
doré. un autre en métal argenté orné de feuillages gravés avait un
mécanisme ingénieux que j'aimais activer. il s'agissait en fait d'un
porte-mine anglais. Un bouton permettait de faire glisser la mine à
volonté et une gomme se cachait sous le capuchon, mais celui que je
préférais trônait dans un bel écrin en écaille dont le couvercle était
en verre. Aveclui dans la boîte, un coupe-papier en ivoire dont le
manche était orné de roses très finement sculptées. Ce crayon en or me
fascinait car on disait qu'il avait appartenu à Lord Byron.
La légende qui entourait ce crayon était pour moi un grand objet de fascination. Lié, comme beaucoup d'objets de la maison jamais déménagée, au passé de notre famille mais aussi à l'histoire, la grande comme la petite, celui-là chantait une musique un peu différente. Je ne peux m'empêcher de penser aujourd’hui que toutes ces choses inanimées, placées là par ceux qui vécurent avant moi, m'ont fait ce que je suis bien plus que les choses apprises pendant mes années d'étude ou pendant mes voyages. Ils étaient l'âme de la vieille maison que j'ai tant aimé mais aussi des témoins discrets d'un passé dont je suis rempli et qui m'a façonné.
L'histoire du crayon remonte aux années 1820. Lord Byron a quitté Venise depuis quelques mois. il s'est installé près de Livourne, à Montenero, Via dei Terrazzini (aujourd'hui
Via Lord Byron), à la Villa Dupouy. Un de nos aïeux avait un comptoir à
Livourne. Il était en affaire avec le poète et portait des lettres de
Venise pour lui. Les deux hommes se voyaient souvent, se connaissant
depuis l'époque où l'anglais séjournait chez le marquis de Brême à Turin, ou à Milan, je n'ai jamais bien su. Stendhal, quelque
part raconte les soirées à l'opéra dans la loge du marquis où tous les
jeunes gens de la société locale venaient pour rencontrer le poète
anglais.

à suivre...
2 commentaires: