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27 novembre 2025

Vision de la Régate de Burano

Regata di Burano, 1947, aquarelle | Coll.privée

 Sur l'aquarelle, on voit les vainqueurs, le fameux couple Albino Dei Rossi, dit  “Strighetta” et son compère, Marcello Bon dit “Ciapate”. Toujours premiers pour six années consécutives, entre 1947 et 1952. De grands messieurs acclamés par la foule à chaque régate. Le souvenir d'une grande époque pour le sport vénitien !

 
Regata Storica de 1947 | ©comune.venezia.it

22 avril 2025

La Pasquetta, la Marantega et les rois mages venus d'Orient

L'antique tradition chrétienne dit que trois rois suivirent le sillage d'une étoile et se mirent en route vers Bethléem pour adorer l'enfant Jésus. Ils lui firent trois cadeaux : l'or parce qu'il était roi des rois, l'encens parce qu'il était dieu et la myrrhe, dont on se servait dans les temps anciens pour embaumer les morts- , parce que ce dieu-roi des rois était aussi homme parmi les hommes et qu'en tant que tel, il était mortel.

Le Lundi de l'Ange est joliment appelé ici Pasquetta (littéralement la petite Pâque). Ce jour-là, chômé comme un peu partout en Occident, la tradition à Venise est de sortir de la ville. La plupart du temps, tout le monde se rend sur la lagune. Les restaurants de Murano, Burano et et de Torcello sont pris d'assaut par les familles. On va aussi au Lido pour une journée à la plage. Ceux qui ont leur barque choisissent souvent d'aller bivouaquer sur une des îles plus ou moins abandonnées de la lagune. A Venise, on aime pique-niquer. 

La Pasquetta, c'est le prétexte des premières promenades sur la lagune ou vers la mer qui annoncent le retour de la belle saison. L'atmosphère détendue des îles, ou des plages du littoral, au Lido ou plus loin permettent de laisser la foule des touristes qui ne diminue presque jamais désormais. Un bol d'oxygène, un moment entre soi.

C'est aussi le jour d'une autre antique tradition à Venise, appréciée des touristes qui sont souvent surpris par l'évènement. Il s'agit de la très rare procession des rois mages, du moins le défilé de leur version automate de la tour de l'horloge sur la Piazza, que l'on va admirer en famille.

Cette tour de l'Horloge construite sous la houlette de l'architecte Mauro Colussi en 1496 (en quatre ans !) complétée au XVIIIe siècle par les deux ailes latérales, est un des hauts-lieux de la Piazza, la Place Saint-Marc. Très (trop ?) appréciée des touristes, le monument mérite le déplacement. Voir ses automates défiler est un évènement et ce depuis leur installation en 1499. Bien qu'ils aient été remplacés à l'identique lors de l'extension du bâtiment, ils fascinent toujours autant les petits et les grands.

L'horloge est un monument dans le monument. Aucun mécanisme de cette qualité n'existait ailleurs. avant elle, seules les horloges hydrauliques connues dans l'Antiquité puis à l'époque byzantine. Umberto Eco évoque dans son «Histoire des Terres et des Lieux Légendaires», la fameuse horloge de Gaza qui servit de modèle et d'inspirations à d'autres horloges monumentales aujourd'hui disparues  :
« De Byzance, on se souvient d'une horloge monumentale du marché de Gaza, décrite au VIIe siècle par Procope, décorée sur le pignon d'une tête de Gorgone roulant des yeux à l'heure. En dessous se trouvaient douze fenêtres qui marquaient les heures de la nuit ; et douze portes qui s'ouvraient toutes les heures au passage d'une statue d'Hélios et à la sortie d'Héraclès couronné par un aigle en plein vol. »

Cette horloge de Gaza qui datait des années 500, est antérieure aux horloges arabes, mais nul doute qu'un lien étroit relie cette horloge à ses héritières. L'écrivain Procope la décrit en détail dans l'un de ses exercices de rhétorique, «L'éthopé» intitulée «Description de l'Horloge» si bien qu'on a pu en donner une image assez convaincante. Elle était installée sur une place publique de la ville du temps où ces lieux n'étaient pas le repère de fondamentalistes obscurantistes, mais une ancienne colonie romaine après avoir été une cité perse. Province du royaume d'Hérode, elle était un des principaux port du royaume d'Israël, attirant négociants et armateurs du monde méditerranéen. À cause de son emplacement au carrefour de trois mondes, Gaza a depuis toujours été un enjeu des puissances régionales, des rivalités parfois à l’intérieur des mêmes dynasties. Considérée comme joyau, elle fut offerte à Cléopâtre par son époux, nouveau maître de l’Égypte, le général romain Marc-Antoine. Mais la défaite en – 31 av. J.-C. des armées de ce dernier entraîna le retour de Gaza dans le royaume d’Hérode, à la veille de l’ère chrétienne, avant qu’elle n’entre pour environ six siècles dans l’empire romain puis de Byzance. 

« Au temps d'Alexandre, elle a été un port antique hors pair, et s'appelait Anthédon. De sa rade partaient des navires vers le reste du monde : Rome, Carthage, Byzance, Athènes... tout ce que le commerce de l’Orient apportait ». Elle était célèbre aussi pour « ses magnifiques vignobles » qui produisaient un nectar très apprécié à Rome comme à Athènes et à Byzance. Sa population était formée en majorité de juifs mais aussi de descendants de colons grecs et romains. Les nomades arabes y étaient peu nombreux, souvent venus pour travailler dans les vignes et sur le port. Rien à voir avec la population actuelle dont d'aucuns sont persuadés que cette région a depuis toujours été la leur. Mais cela est un autre sujet.

Selon Procope, la fontaine était installée sur une place publique, dans un édifice ancien, certainement bâti par les grecs ou les romains) d'une hauteur de près de 6 mètres sur un peu moins de 3 mètres de large. Wikipedia montre une reconstitution de la façade de l'horloge qui devait être impressionnante. en voici le détail : 

 
Au milieu du fronton, dans la partie haute de la structure, se trouvait une tête de gorgone qui roulait les yeux à droite et à gauche à chaque heure (1). Au dessous, douze ouvertures carrées avaient été pratiquées qui servait à indiquer les heures temporaires (les douze heures de la nuit) par une lumière spéciale qui se déplaçait à chaque heure (2). Plus bas, une rangée de douze portes à double battant indiquait les heures temporaires de jour. En s'ouvrant, elles montraient chacune une statuette d'Hercule avec  un des attributs correspondant à ses douze travaux (3). Une statue d'Hélios tenant une mappemonde dans les mains, se déplaçait d'heure en heure devant les douze portes (4) Chacune des portes était ornée d'un aigle tenant dans ses serres une couronne de lauriers (5).

À la fin de la première heure de jour, Hélios se présentait devant la porte correspondante qui s'ouvrait pour laisser s'avancer une statuette d'Hercule portant l'emblème de sa première victoire, la peau du Lion de Némée; l'aigle, placé au-dessus, déploiyait alors ses ailes et présentait sa couronne de lauriers sur la tête de la statuette. Puis, Hercule se retirait, les portes se refermaient et l'aigle reployait ses ailes. Le scénario se reproduisait d'heure en heure jusqu'au coucher du Soleil.

Dans la partie inférieure de l'édifice se trouvent trois dais, sortes de portiques à colonnes abritant chacun une statue d'Hercule. Au centre la statue sonnait les heures en frappant un gong avec sa massue. Le détail de la sonnerie est connu : un coup était frappé à la fin de la première heure, puis deux, trois… jusqu'à six pour l'heure de midi. Le cycle recommençait de un à six pour les heures du soir. « Au-dessus du dais, une statuette de Pan dressait l'oreille à chaque sonnerie du gong et, le couple de satyres qui l'entourait se moquait de lui en grimaçant ».

Sous le dais de gauche, Hercule était représenté supposé en marche, surmonté d'un pâtre immobile; sous le dais de droite, Hercule s'apprêtait à décocher une flèche, surmonté d'une statuette de Diomède annonçant à son de trompette la douzième heure, fin de la journée de Soleil et de travail. Entre les dais, en retrait, deux esclaves couraient vers Hercule sonnant les heures, l'un apportant la nourriture du matin à la première heure, l'autre l'eau pour le bain du soir à la dernière heure.

Cette description imagée de Procope ne donne aucun détail concernant le qui pilotait le système, mais elle donne une idée de la grande complexité de cette « merveilleuse horloge à eau ». Selon Diels, cette horloge serait la plus ancienne installation horlogère accompagnée d'une sonnerie mécanique des heures. On ne connait ce mécanisme que par les rares écrits retrouvés. On en imagine la complexité qui permettait à une époque aussi retirée de marquer avec précision l'heure, les jours, les phases lunaires et les périodes du zodiaque. 

Mais revenons à l'horloge de la Piazza. elle est l’œuvre d'un horloger venu d’Émilie-Romagne, Giancarlo Ranieri. Un sujet du pape donc, puisque la région faisait alors partie des possessions pontificales. On raconte que lorsque il acheva son chef-d’œuvre, on lui creva les yeux sur l'ordre des Inquisiteurs d’État, afin de l'empêcher de créer  un mécanisme identique ou encore plus perfectionné. Cela reste une légende car il n'y a aucune mention d'une telle décision dans les Archives de la République. Celle-ci était très pointilleuse quant à l'enregistrement des mesures, décisions et actions, même secrètes. La Raison d’État ne l'emportait jamais sur la loi, ce que Napoléon ne comprit pas quand il réduisit à néant la Sérénissime.

Mais, en dépit de tout, Venise continue d'exister et de vivre. Ses traditions, ses rites et ses coutumes perdurent depuis des siècles. La Pasquetta fait partie de ces moments typiques qui «font toujours sens» pour les vénitiens. Mais, place aux rois mages qui défilent pour le plus grand bonheur des petits et des grands :

 
   
Le défilé des rois mages, 2023. 
Avec la courtoisie de Local Team TV
©localteam.it /   Tous Droits Réservés

22 novembre 2024

Une fois encore, l'heureux temps de la Festa della Salute

Un grand moment pour les vénitiens, ce jour festif où toute la population traverse le Grand canal pour rendre hommage à Notre Dame de la Salute. tous empruntent le pont votif qui part du campo devant le palazzo Gritti pour aboutir à la basilique, tous recueillis plus peut-être par la solennité et la tradition que par une foi active et véritable, mais qu'importe, il se passe quelque choses entre toute cette population, tous milieux et âges confondus, qui chemine en procession derrière le patriarche et les autorités d'aujourd'hui, moins chamarrés et respectés que du temps de la République, mais tout est semblable, l'emplacement du pont flottant, la ferveur, la bonne humeur, les rites et usages. 

Et puis il y a ce sentiment d'appartenance, cette fierté de mettre nos pas dans ceux qui nous ont précédés. Vénitien de sang, je ne suis pas né à Venise - peu s'en est fallu - et si les deux générations d'avant moi étaient davantage liées à Constantinople, Milan et Florence, cette fierté, ce sentiment d'être chez soi, al posto giusto, dans un moment tel que cette fête rituelle, je l'ai toujours ressenti avec force en moi.

Je me souviens de la toute première fois où, étudiant, je décidais de me joindre à la procession. Une grande émotion s'était soudain emparée de moi. Dans mon journal, j'ai retrouvé ces notes :

«J'ai senti vraiment comme une présence invisible. Joyeuse elle m'accompagnait... En fait, je sentais quil s'agissait de l'âme des miens, mes anges comme disait ma grand-mère, tous ceux qui vécurent ici avant moi et qui ont fait que je vive là à mon tour, mettant à mon tour mes pas dans les leurs...»

Ce jour-là, je vous assure que la sensation était très forte, presque palpable physiquement, comme un souffle, une présence... 

«ils marchaient tous avec moi, le long de l'étroite calle del Traghetto où débouche le pont votif. Ils m'ont transmis leur foi et leur enthousiasme, tous ceux dont le sang coule dans mes veines, marchands, soldats, marins, médecins, celui qui fut drogman du sultan, l'aïeule qui refusa de quitter Venise quand l'attendait un mariage princier à Candie, [illisible],diplomates, interprètes, poètes, musiciens...  D'eux aussi, cette passion pour tout ce qui touche à Venise. Et puis cette impression depuis mes premiers pas sur les "masegni" de la Sérénissime, celle d'être ici depuis toujours, de n'appartenir qu'à ces lieux, ces monuments, ces canaux, ces îles, cette lagune, ma patrie !»

Ces propos maladroits pleins d'emphase, je les ai écrit dans mon journal à dix-sept ans. Je ne m'exprimerai guère différemment aujourd'hui, les lecteurs de Tramezzinimag ne peuvent que le confirmer... Cette Solanità della Madonna della salute ravive à chaque fois ma passion, mon amour pour la cité des doges.

J'ai perdu hélas, une photo qui était rangée dans ce cahier retrouvé. c'est l'amie qui m'accompagnait ce jour-là qui l'avait prise. Elle donnait à voir une figure d'adolescent extatique, la tête un peu penchée comme j'apparais toujours sur les clichés de cette époque. Quand je savais l'objectif pointé sur moi, le regard que j'avais souvent joyeux, se faisait soudain taciturne. Timidité d'adolescent ou coquetterie de celui qui se sait séduisant ? On pouvait croire à mes sourcils froncés qu'être pris en photo me gênait. Il y avait des deux, je pense.  

« Tu es encore absent ! » me disait-elle souvent, agacée mais bienveillante. Je devais la rassurer à chaque fois : « Non, non, je suis là avec toi, ce n'est rien. Je pensais». Absent, oui je l'étais, et je le suis resté, surtout au milieu du monde, au milieu des autres. Absorbé en réalité par mille pensées, j'avais du mal à être vraiment là où mon corps se trouvait, avec les gens qui m'entouraient. 

Difficile à expliquer, je n'étais plus un jeune garçon que la vie et le monde effarouchaient et pourtant... La mèche en désordre sous le bonnet de laine, ce bonnet aux couleurs vives unies que nous portions tous, selon la mode d'alors, roulé sur le haut du crâne sur nos cheveux longs, imitant sans le savoir les garçons de Carpaccio (ignorions-nous vraiment cette ressemblance après tout ?), je m'étais accoudé à une barrière. L'évasion de mes sens et de mes pensées ne traduisaient ni l'ennui ni la tristesse. Juste la contemplation d'un ailleurs qui pourtant avait tout à voir avec l'endroit précis où nous trouvions.

 
Ma foi, très active à cette époque, avait trouvé son équilibre dans le culte réformé, j'étais de tout cœur calviniste avec les calvinistes du temple des Chartrons à Bordeaux, puis naturellement vaudois avec la Comunità valdese qui m'avaient ouvert ses portes quand je m'installais à Venise. Pourtant la proximité avec Taizé restait très forte et là - comme chez mes chères diaconesses du Brillac - les rites inspirés des communautés monastiques dominicaines et bénédictines mais aussi de l'église orthodoxe me transportaient. 

 
Le dimanche bien souvent j'assistais aux vêpres chez les Bénédictins de San Giorgio prégnante. M'installer pour un temps dans la communauté de Frère Roger pour y éprouver mon engagement et peut être  y rester dans cet engagement complet qui me tentait tellement alors. En suivant la procession des fidèles, en pénétrant dans la basilique bondée, avec les milliers de cierges dont les flammes semblaient flotter autour de nous, les volutes d'encens, avait surgi soudain dans ma tête les quatre voix qui se répondent sur le texte «Cum vix justus sit securus» du Turba mirum, dans le Requiem de Mozart. Ce fut un grand moment de ferveur dont il me semble ressentir encore la force, comme les sons et les parfums de ce jour de fête, près de cinquante ans après.
 

Mais la fête rituelle, avec sa procession, son pèlerinage et sa messe solennelle, c'est aussi un autre rituel, matériel et gourmand celui-là : le traditionnel chocolat chaud dans l'un des grands cafés historiques de la Piazza, le zabayon caldo.
 
Mais le plat traditionnel de la fête est une sorte de pot au feu typique, la Castradina.
Ce plat roboratif est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle. Il est à base de cuisse de mouton séchée salée et fumée au soleil cuite religieusement, avec du chou de Milan. Ce plat est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle et il a des origines dalmates. La Sérénissime s'approvisionnait en viande séchée - aliment parfait pour les longs voyages en mer - dans sa colonie d'Albanie  avant d'entreprendre des expéditions commerciales vers l'Orient. Il faut goûter à cette soupe riche et savoureuse, la viande est cuite avec des feuilles de chou de Milan. La préparation est tout un rituel qui obéit à des canons très anciens. Chez tous les vénitiens, le plaisir de la partager pour la Fête de la Salute se renouvelle ponctuellement chaque année.
 
Recette familiale de la Castradina 
 
Ingérdients (pour 6) :
  • 1,5 kg de viande de mouton préparée,
  • 1 beau chou de Milan frisé
  • 1 céleri-branche,
  • 250g de pommes de terre
  • 2 carottes
  • 3 beaux oignons,
  • 1 gousse d'ail
  • herbes & aromates : thym, laurier, romarin, baies de genièvre
  • Huile d'olive,
  • sel et poivre
  • Bicarbonate de soude
Faire tremper la castradina pendant une journée,d'abord dans de l'eau bouillante, puis tiède en changeant l'eau plusieurs fois. 
Le lendemain, dans une grande casserole ou marmite, faire roussir l'oignon coupé en tranches avec l'huile d'olive. Ajouter les légumes sauf le chou, pour obtenir un bouillon de légumes.
Ajouter la viande et laisser cuire pendant environ 90 mn.
Retirer la viande du feu et laisser refroidir dans un endroit frais.
Retirer la graisse du bouillon quand elle se fige sur le dessus.
Quand le bouillon est prêt, rajouter la viande refroidie découpée en morceaux. Laisser cuire le tout à petit feu pendant cinq heures  pour obtenir le ragoût.
Pendant ce temps, laver le chou, enlever les feuilles blanches et le couper en morceaux.
Faire revenir oignon et ail hachés dans une casserole. Quand l'oignon est fondu verser le chou. Laisser cuire environ six à sept minutes, assaisonner avec du sel et du poivre fraîchement moulu, en arrosant régulièrement le chou avec du bouillon de légumes si nécessaire.
Enfin, ajouter la viande au chou, laisser ce dernier finir de cuire.
Quand le chou est cuit, le mélange doit être moelleux. 
Pour parfaire le résultat, j'ajoute une cuillerée de bicarbonate de soude.
On sert à l'assiette les morceaux de castradina sur les légumes coupés en morceaux et on arrose de bouillon.
 
Bon Appétit et Bonne Fête de la Salute ! Pour conclure : Extraits du Requiem de Mozart (Rex Tremendae), dans l'interprétation de Jordi Savall.
 

« Rex tremendae majestatis, (Ô Roi de majesté redoutable), qui salvandos salvas gratis, (qui ne sauvez les élus que par la grâce), salva me, fons pietatis, (sauvez-moi force d'amour) ».  
 
 
« Cum vix justus sit securus» (Quand le juste est à peine certain)
 
 
Lire sur le sujet :  
Bonne fête de la salute (Tramezzinimag billet du 21/11/2007)


 


23 décembre 2023

En dépit de tout, que la joie de Noël illumine nos jours !

Brouillard à Venise. ©Alexandra E Rust. 2023.
 
On trouvait le mois de décembre long à démarrer et les Fêtes paraissaient encore très loin. Mais non, nous y sommes. Venise est une ville où le Temps de Noël prend vraiment sa signification, comme ailleurs en Autriche, en Suisse, dans les pays germaniques, scandinaves et bien sûr chez les britanniques.

Depuis plusieurs années le marché de Noël concurrence ceux qu'on trouve depuis des lustres dans ces pays. La lumière se fait presque monochrome et il y a dans l'air quelque chose d'encore plus magique. Babbo Natale est en bon terme avec la Befana et Saint Nicolas est aussi dans les parages...

Je n'ai pas souvent fêté Noël à Venise - la Befana oui, de nombreuses fois - Mais la messe de minuit, les cadeaux sous le sapin, le lait et les biscuits sur la cheminée pour le Père Noël, grand amateur de Digestive Mc Vities.

Un raté dans mon existence. Le rêve ancien (il date de mon adolescence) de voir naître et grandir mes enfants à Venise ne s'est pas réalisé. Dans une autre vie peut-être, mais encore faut il croire que nous en avons plusieurs... Voir grandir ses enfants dans ce lieu unique, hors du monde et pourtant au centre de tout, et donc d'y vivre ce moment magique avec eux n'a encore jamais pu se réaliser. Les enfants grandissent et s'en vont, rien de plus naturel. 

Organiser des retrouvailles pour fêter la naissance du Christ et la joie d'être ensemble, de former une famille, devient plus difficile avec les années. Il y a les conjoints et compagnons dont les familles souhaitent aussi la présence. La plupart du temps, un système d'alternance se met en place. Quand on a la chance de tous vivre non loin les uns des autres, on s'entend pour que la veille de Noël se déroule à tour de rôle chez les parents de l'un et le jour de Noël chez ceux de l'autre. Ou bien, ceux qui ne peuvent se déplacer, qui ne viennent pas, sont là pour la Saint-Sylvestre. Combien cela doit être compliqué pour les familles recomposées quand les enfants se marient, et qu'ils ont à leur tour des enfants... Nous sommes nombreux à connaître cela.


Il y aurait bien une autre solution puisque nous venons de traditions plurielles : Fêter ces moments uniques dans l'année à des dates différentes, celles les plus commodes pour chacun : pour la Saint-Nicolas, le 6 décembre, les 24 et 25 décembre comme nous le faisons depuis toujours, mais aussi le 5 janvier, pour la Befana, qui est aussi le jour des Rois... 

Trois fêtes merveilleuses, trois dates cohérentes pour les enfants qui, vivant naturellement les moments joyeux en famille n'en perçoivent pas la rareté et l'impermanence. Joie de l'enfance innocente qui ne peut concevoir que rien jamais ne dure et que tout cesse un jour. Mais pour parvenir à se réunir ainsi, il faut une volonté active de la part de tous les concernés. Et ce n'est pas évident.

Les temps changent et nous changeons aussi, parce que nous vieillissons, parce nous y sommes contraints, que les mentalités évoluent face à un noyau familial qui est activement ou passivement remis en cause. On ne voit plus que ce qu'il peut produire de terrible et de négatif.  

Mais peu importe ce que nous aimerions, il nous faut vivre sans nostalgie ni regret, dans l'espérance et la joie. Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes là, alors Carpe Diem, jouissons en simplicité de ce qui nous est offert. Le mieux étant l'ennemi du bien, réjouissons-nous devant les yeux émerveillés des enfants, devant leur plaisir, sous le regard bienveillant et ému de leurs parents, tout comme nous quand ces parents n'étaient encore que nos enfants.

Bonne Fête de Noël à tous nos lecteurs !

Éclairage du sapin 2023 sur la Piazza par le maire Brugnaro

Le Campo San Luca et ses illuminations





30 mars 2023

Orafi, argentieri, les maîtres vénitiens de Sant'Antonio


En passant l'autre jour devant l'église San Salvador, perdu dans mes rêveries
comme souvent, j'ai soudain vu, comme sur un film qui aurait été projeté dans l'air, une scène de l'ancienne Venise... A la place des hordes de touristes qui se bousculaient, les uns pour rejoindre San Marco qui est à deux pas, les autres pour regagner la Stazione avec leurs épouvantables valises à roulettes, se déroulait devant mes yeux une procession d'un tout autre ordre.

Il y avait des pages en vêtements chamarrés, des trompettes et des fifres, des provéditeurs et autres hauts fonctionnaires de rouge vêtus, qui précédaient le doge qu'un gonfalon doré protégeait du soleil déjà chaud de ce matin de mai... La foule applaudissait, tous ces personnages gonflés de leur importance passaient devant moi et l'image se mélangeait à celle du campo plein de touristes. J'ai entendu tellement de fois le récit de ces grandes cérémonies que la République prenait grand soin à organiser, que tout se mêlait dans ma tête pendant que je marchais pour rejoindre des amis qui m'attendaient non loin de là. Des hommes vêtus de couleur sombre portaient sur une civière dorée la statue de Saint Antoine, d'autres tenaient des coussins de velours sur lesquels on avait posé de splendides objets d'or et d'argent, calices, reliquaires, coupes et autres pièces incroyablement belles.

Tout ce petit monde se rendait dans l'église. Mais quel était donc l'objet de cette cérémonie ? Sant' Antonio Abate était le patron des orfèvres, mais leur scuola était au Rialto, là-même où la plupart avaient leur boutique et leurs ateliers. J'avais souvent montré quand je guidais les hôtes illustres du Palais Clari - la légation de France - l'immeuble qui abritait l'auberge de la confrérie avec le portone où on peut toujours voir les initiales S O en fer forgé pour Schola dei Oresi. Ils avaient leur chapelle dédiée dans l'antique église S. Giacomo di Rialto, à gauche de l'autel central, avec un magnifique statue du saint entre deux anges portant sa mitre, réalisée par Girolamo Campagna
 
Je cherchais à comprendre d'où surgissait ce qui n'était qu'une vision et que j'avais pourtant si clairement devant moi. En fait, je venais de passer devant la vitrine magnifiquement surchargée de Bastianello, sur la Merceria Due Aprile. Les somptueux bijoux qui y sont exposés, les pièces d'orfèvrerie et les icônes couvertes de plaques d'argent doré ont amené mon cerveau à rouvrir des cases fermées depuis pas mal de temps, et notamment celle qui concerne le trésor de San Salvador, visité une fois il y a longtemps, et celui de la pala d'argent doré que cache la plupart du temps la magnifique Transfiguration du Titien qui lui sert de protection.

Ce trésor est composé d'une centaine d'objets de culte et de décoration d'autel réalisés du XIVe au XIXe siècles par ces talentueux orfèvres vénitiens, les orafi comme on dit en dialecte. Des objets magnifiquement ciselés, somptueuses pièces dont la pala est l'exemple le plus abouti, après celle de San Marco (à ma connaissance, il n'y en a que deux à Venise). Créés par des artistes-artisans - c'était souvent la même chose autrefois, avant que le pratique et le profit ne dominent la création - ils sont l'expression non seulement d'un savoir-faire incroyable, mais aussi d'une profonde piété, où le respect des rites se mêlait à un grand sens du beau et de l'esthétique. Une manière de rendre grâce au Créateur en lui offrant de beaux objets destinés à son culte, maigre et humble image de la beauté de sa Création. Les temps ont bien changé, vous ne trouvez pas ? 


Mais revenons à mon rêve éveillé et aux orafi. Sur la gravure de Visentini ci-dessus, détail d'une vue du campo San Salvador aux milieu du XVIIIe siècle, on voit une échoppe d'orfèvre. Était-ce celle de la riche famille Candoni qui officia sur plusieurs générations (jusqu'en 1790 !), à l'enseigne Al San Bortolomio ou bien plutôt la bottega Alla Generosità de Francesco Dolfin ou encore celle de Lunardo Cherubini dont le magasin se nommait Alla Religione et dont l'activité survécut à la chute de la République ? Nous sommes après tout dans le prolongement du Rialto. Sur le pont et bien sûr de l'autre côté, dans la ruga qui leu était dédiée, il y avait de nombreuses boutiques d'orfèvrerie. 
 

La mariegola conservée - comme toutes les autres règles des confréries vénitiennes - recense les métiers liés aux métaux précieux que les artisans vénitiens travaillaient. Tous étaient réunis dans le même quartier comme cela était courant autrefois. Ainsi, autour des orafi et des argentieri, il y avait les tailleurs de pierres précieuses et semi-précieuses, les ciseleurs, ceux qui tournaient l'ivoire, l'ambre et l'écaille, les horlogers, etc. On venait de loin pour faire exécuter bijoux et objets. Louis XIV qui aimait les métaux précieux (sa collection de mobilier en argent massif était unique au monde) avait lancé cette mode qui se répandit dans toute l'Europe. Une célèbre boutique de la Spadaria, celle du maître Antonio Conba, portait d'ailleurs le nom Al Re di Francia.


L'air et l'atmosphère de Venise favorisent ces rêves éveillés, visions d'un monde que nous connaissons par les récits, les peintures et les gravures que nous ont laissées les anciens. J'ai toujours été convaincu - croyance qui remonte à ma petite enfance et se base sur de nombreuses expériences vécues - que dans notre sang coule aussi la mémoire de ceux qui ont vécu avant nous. Comment expliquer autrement ces moments uniques où, arrivant quelque part pour la première fois, on se sent chez soi depuis toujours et on reconnait tout, l'air et la lumière nous sont familiers... Cette procession qui défilait l'autre matin devant mes yeux, mêlant des personnages de l'antique République et les hordes de touristes, ce n'était pas seulement le produit de mon imagination, mais un souvenir venu de très loin avant vous et moi.
 
 
Librement inspiré de l'ouvrage de Piero Pazzi, Dizionario aureo, orefici, argentieri, gioiellieri, diamantai, peltrai, orologiai, tornitori d’avorio nei territori della Repubblica Veneta, Edizione Piero Pazzi, 1998.

28 janvier 2022

Gourmandise hivernales

Le bar de RosaSalva défiguré par la fontaine de gel hydro-alcoolique, sacro-saint bénitier de la nouvelle religion sanitariste...

Les fritelle sont revenues. A défaut de pouvoir les goûter sur place, des amis attentionnés m'ont fait la surprise de m'en faire passer par un de leurs voisins de passage en France. De vraies fritelle de chez Rosa Salva, dans une petite boîte joliment décorée de dessins et de collages, qu'accompagnaient une bouteille de prosecco de Sullaluna, des portions de torta di mandorla (le paradis des papilles), un exemplaire du Gazzettino, un énorme morceau de parmesan et un autre de pecorino, de la charcuterie de chez mon fournisseur préféré et même de la bacalà séchée... 

L'impression en recevant ce visiteur attendu, d'une visite au parloir où je serai le pauvre pensionnaire esseulé, triste d'être éloigné des siens ou le prisonnier au secret qui rêve d'évasion et aimerait retrouver sa ville, sa vraie patrie... Envie soudaine de relire Pellico voire le récit de l'évasion (rocambolesque) de Casanova quand il croupissait sous les Plombs du Palais des Doges... 

Derrière la comédie universelle et l'hystérie collective, cette crise sanitaire aura été pour moi avant tout la privation de ma vie vénitienne, la confiscation d'un quotidien bien règlé entre le macchiato matutinal de chez Rosa Salva et les salles tranquilles de la Querini Stampalia, les courses au Rialto ou à l'étal de légumes de la prison des femmes de la Giudecca, les chats de l'Ospedale, la passeggiata entre San Luca et les Zattere, les verres entre amis du côté de la Misericordia, le take away de la rosticceria San Bartolomeo, le gianduiotto de Nico et la tournée des antiquaires... Les vols directs et à bas prix n'existent plus, les exigences sanitaires l'emportent sur le bon sens et le monde n'est plus du tout celui qu'il fut il y a quelques mois encore... 

Heureusement, les fritelle existent toujours pour le plus grand bonheur des grands et des petits. Il y a deux ans encore, je m'en régalais chaque jour, à chaque moment de la journée,n pendant le temps du carnaval. je me souviens m'être disputé avec une jeune mouette et quelques moineaux dans l'orto del campanile, au pied du pêcher. Mes deux dernières fritole étaient convoitées par les volatiles. Agacé par l'insistance de l'oiseau marin qui jacassait à la fois pour éloigner les pauvres moineaux et pour me forcer à lâcher le petit beignet onctueux garni d'une crème fabuleusement douce au palais. Je fis un geste trop vif et le sac en papier qui contenait l'ultime gourmandise tomba au sol aussitôt fourreagé par le bec croche de l'enfant mouette qui s'envola triomphant. Je l'injuriais vivement et jetais aux petits oiseaux narris les dernières bouchées de la fritelle... Inutile de vous dire que je repassais par la pâtisserie du pont des Pugni pour refiare une provision de ces délicats petits beignets carnavalesques que je protégeais des prédateurs ailés du coin en passant par les ruelles qui longent la Toletta, le sac en papier bien à l'abri entre mon journal et mon blouson. On ne m'y prendrait pas deux fois.


Pour les amateurs, Tramezzinimag a publié deux recettes de Fritole. Celles de la mia nonna (en réalité celles que faisait la cuisinière de la famille quand ma grand-mère et ses soeurs étaient enfants) et celle d'une éminente et truculente vieille dame de San Gerolamo. Pour les lire c'est ICI et ICI.


04 avril 2021

Celui qui s'est levé avant l'aurore

« Celui qui s'est levé avant l'aurore », ce merveilleux verset du psaume 108, est un encouragement à l'ardeur. C'est aussi une bien belle allusion à ce qui remplit de joie les chrétiens en ce jour de Pâques. Pour la seconde année consécutive, c'est loin de Venise que j'entends les cloches sonner le renouveau, tout le bonheur du monde dans ce cri de joie qui embrase ici aussi un ciel bleu sous un fier soleil, « Christ est ressuscité ». Tandis qu'à San Giorgio dei Greci, retentira dans un mois la  même joie chez nos frères orthodoxes,  « Χριστός Ανέστη !» ... La machine à remonter le temps s'est remise en route. Je me souviens du temps de Pâques en 1982, les cérémonies chez les bénédictins de San Giorgio. le damas rouge étendu sur les bancs du premier rang où nous avions pris l'habitude de nous installer le dimanche pour la messe. 
 

La beauté de l'Office des Ténèbres du Triduum pascal, à l'aube, dans l'obscurité, la nuit d'adoration dans une église silencieuse, le parfum enivrant des vases d'encens, une joie dont je ne saurai jamais si elle était le raisonnement de la foi qui remplissait la vaste église ou une sensation venue du fonds des temps, de ce paganisme récrié par les premiers fidèles du Christ mais qui circule dans mes veines. J'étais dans l'église de San Giorgio mais aussi dans le temple d’Apollon à Epidaure, ou celui d'Arsinoé, en Cyrénaïque... Trop de lectures dans mon enfance, l'Anthologie Palatine, les récits mythologiques, et mes rêves aussi qui me transportèrent pendant des années dans ce monde disparu, anéanti par l'arrivée du christianisme qui s'en inspira pour sa plus grande gloire. 

Venise a fait le lien. L'air y est rempli de croyances anciennes. Ne dit-on pas que la dépouille qui repose sous la basilique serait Alexandre plutôt que saint Marc ? Enfant, je trouvais l'idée plus seyante, plus glorieuse. Mais la République pour assurer sa prééminence et défendre son avenir parmi les nations chrétiennes et le Turc, avait bien davantage besoin d'un des piliers du christianisme. Que faire d'un brillant et splendide empereur de génie. 

La première nouvelle que j'ai osé faire lire se déroulait justement en Cyrénaïque, juste pendant l'un des derniers jours de l'Ancien Monde, quand les chrétiens, qui n'était encore pour le monde civilisé qu'une secte violente, saccageaient les lieux saints du paganisme, abattaient les statues des divinités, décapitaient les prêtres et enfermaient les  prêtresses dans les temps auxquels ils mettaient le feu... Il aura fallu de nombreuses années pour que le calme revint et que l’Église s'avère une évidence, un accomplissement. Les dieux d'avant étaient définitivement morts. Le Christ fut enfin le seul adoré par les peuples. Cela scandalisait l'enfant que j'étais, jusqu'à ce que la lumière se fit et que je comprenne que le Dieu révélé par son Fils était l'Unique. Les dieux du Parnasse avaient préparé l'homme à la modernité de sa Loi. 

Joyeuses fêtes de Pâques, amis lecteurs ! Et pour innover un peu, voici un chant qui n'a rien de pascal mais qui célèbre la joie, celle du remouveau et de l'espoir puisqu'il parle d'Amour. Mario Lanza chantant Una furtiva lagrima, dans That Midnight Kiss. Il y joue un ténor italien, Johnny Donnetti, embringué dans un triangle amoureux. C'était en 1949, le jeune ténor n'avait pas trente ans. Son immense talent est encore admiré de nos jours et reconnu comme une des plus grandes voix lyriques modernes. Il mourut très jeune, à 38 ans à Rome. Je me souviens de ma mère et de ma grand-mère parlant de sa mort comme d'une catastrophe pour la civilisation.

12 novembre 2020

C'est aujourd'hui la Saint Martin, la fête des enfants de Venise

"E col nostro sachetin, ve cantemo el San Martin" 

Ces paroles d'une filastrocca (comptine) traditionnelle en Vénétie auront marqué des générations d'enfants depuis des lustres. Le 11 novembre à venise, on fête la San Martino d'une manière on ne peut plus bruyante. Partout sur les campi et dans les calle de la ville des bandes d'enfants se répandent munis de casseroles et de couvercles sur lesquels ils frappent avec des louches et des cuillères en bois, en répétant cette comptine que nous avons tous chanté. En dépit de la concurrence d'Halloween qu'on essaie d'imposer depuis des années en Europe pour des raisons commerciales, la San Martino continue d'être très attendue par les enfants et les familles. C'est un rite joyeux dont peu de gens, adultes ou enfants, connaissent l'origine.

 
Sur le campo San Barnaba, 11 novembre 2020 
 
Cacophonie et tintamarre, bonbons et pâtisserie traditionnelle en forme de Saint Martin sur son cheval, c'est Saint Martin qui est fêté. C'est la fin de l'année, les dernières récoltes sont rentrées, la campagne prépare son hibernation et il faut célébrer cela. Et depuis des siècles, les enfants descendent dans les rues pour semer la confusion et faire le plus de bruit possible. Tous connaissent les paroles de la comptine typique de Venise. Mais peu de gens se souviennent de ce qu'on racontait encore aux enfants de ma génération et dont personne n'a jamais pu confirmer la véracité. Il y a tant de légendes à Venise et dans les environs qui mêlent de véritables évènements à des faits inventés ou magnifiés.
 
San Martin xè andà in sofita
par trovar la so noviza;
so noviza no ghe giera,
San Martin xè andà par tera.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Su 'sta casa ghe xè do putele
tute risse e tute bele
col viseto delicato
suo papà ghe lo gà stampato.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Siora Cate xè tanto bela
in mezo al peto la gà 'na stela,
se no la gavesse maritada
so papà no ghe l'avaria dada.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Siora Lussia la fassa presto
ch'el caigo ne vien adosso,
el ne vien adosso sul scarselin,
siora Lussia xè San Martin.
 
On expliquait par exemple les surprenantes paroles du premier couplet où il est dit que San Martino va dans une soupente retrouver sa fiancée (la noviza, la promise) et que ne la trouvant pas, il en tombe  xé anda...col cul par tera (nul besoin de traduire je suppose !). Voilà ce qu'on racontait chez moi : Il y a très longtemps, dans le sestier de Castello, dans la contrada de San Francesco della Vigna, habitait un vieil homme célibataire ou veuf, appelé Martino, dont tout le monde se moquait. Il courtisait les filles jeunes. Un jour l'une d'elles attirée par la fortune du vieillard céda. Martino dès lors la considérait comme sa promise, sua noviza, à tout jamais. Un jour, il monta dans la soupente où vivait la jeune fille et ne la trouvant pas, il découvrit qu'elle était en douce compagnie. Il en fut tellement surpris, qu'il en  tomba le cul par terre...

 

Crédits Photographique Catherine Hédouin - novembre 2020