VENISE, UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION, MAIS CELLE DES NATIONS, DES PEUPLES, DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE, REINE DU MONDE
Aquarelle de Dürer réalisée en 1525 où il décrit son rêve,peut-être pour se souvenir de l'image d'une futur tableau qu'il aura rêvé...
La lectrice qui vient gentiment de m'écrire une vraie lettre avec des timbres et tout, ne se doutait pas combien l'enveloppe que je retirais de ma boite au milieu des infâmes prospectus dont nous sommes abreuvés quotidiennement et du magazine départemental, allait réenclencher un mécanisme que je croyais définitivement désynchronisé.
Cette amie fait partie de ceux qui n'ont jamais renoncé à écrire à la main. Artiste douée - trop discrète - elle complète souvent ses propos de petits croquis qui m'ont toujours enchanté. Recevoir un vrai courrier est devenu tellement rare. Quand je dis aux amis qui partent en voyage de ne pas oublier de m'envoyer une carte postale de leur lieu de villégiature, ils ont un instant d'hésitation... La plupart lèvent les yeux au ciel, la mine contrite. Alors je fais semblant de ne pas relever l'ironie (ou bien serait-ce de la pitié ?) que leur moue exprime et je n'insiste pas, ou bien je dis que je collectionne toujours les cartes postales... Je ne suis pas dupe, je connais leurs propos «Oh ! Ce pauvre Lorenzo, il ne grandira jamais», «un idéaliste pur et dur», «le monde change et lui demeure» ou des choses du même acabit. On est toujours sot ou imbécile quand on n'a pas les réactions communes, au mieux naïf et à plaindre, «dans ce monde devenu si difficile et si dur».
Il y a longtemps que j'ai cessé d'exprimer mon ressenti quand je suis avec d'autres adultes. Prévert avait raison, ils ne peuvent comprendre. Leur tolérance a rapidement ses limites. Difficile de réaliser un jour, soudain, par on ne sait quelle circonstance inattendue, que mes pairs n'ont aucune imagination ou bien l'ont tellement étouffée qu'ils ne savent plus. Saint-Exupéry le fait dire au Petit Prince, n'est-ce pas. La proximité des gens sérieux rendait fou furieux Rimbaud... Tout ça pour exprimer ma joie lorsque des gens, jeunes ou vieux, ne perdent jamais cette soif d'invention, de créativité. ils font le monde moins laid, moins triste. Ces adultes sont en colère sans se rendre compte que leur colère, ils se l'adressent à eux-mêmes. Conscients que la femme ou l'homme qu'ils sont devenus a trahi l'enfant pur et émerveillé qu'ils furent. A tout jamais.
Bref notre monde actuel est ainsi fait. Bien éloigné de l'amour et de l'eau fraîche. On ne jure que par la respectabilité, le sérieux, la rigueur. On ne rigole plus maintenant Messieurs-Dames. Non, non, on
n'est pas là pour ça ! Allez, au pas ! (et remettez vos masques !).
Mais les coups de cœur n'étant pas encore proscrits. en voici quelques-uns que je vous recommande. N'hésitez-pas à revenir vers moi et me donner vos avis !
Ouvrage Collectif
Au bout de nos rêves
Le Retour des Utopies
Fondation Jean Jaurès
Éditions de l'Aube, 2022
8€
Un petit livre rutilant qui fait drôlement du bien dans la morosité et les grognements de plus en plus décomplexés des fascistes de tout poils d'aujourd'hui. Le principe de ce livre est simple. Publié dans la collection, «Les Petits cahiers de Tendances», que présente Thierry Germain dans son avant-propos, regroupe les textes de quatre auteurs parmi les plus pertinents, des esprits de qualité : «Quatre entrées» dit Thierry Germain, «qui disent à chaque fois un objet, un lieu, une personne et un concept, quatre regards nourris et incisifs pour émouvoir, surprendre, interroger et débattre autour de ce qui nous attend. ». Les titres donnés aux chapitres sont appétissants : «Rêver pour suspendre le ciel » par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle enseigne en études environnementales à l’EHESS et est l’auteure d’une dizaine de livres, dont Rêves en colère (Plon, 2017)et Viviana Lipuma,agrégée de philosophie, docteure en philosophie politique et membre du Labo HAR de l’université Paris-Nanterre. Elle enseigne la philosophie dans le secondaire et l’art contemporain à l’université Gustave-Eiffel. « Devenir jardinier » par l'écrivainAlexis Jenni, prix Goncourt 2011, auteur de « Cette planète n’est pas très sûre. Histoire des six grandes extinctions» (HumenSciences, 2022) et de « Parmi les arbres. Essai de vie commune» (Actes Sud, 2021), «
Expérimenter les utopies » par Timothée Duverger, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire TerrESS. Il a notamment publié « Utopies locales. Les solutions écologiques et solidaires de demain» (Les Petits Matins, 2021)et enfin, «Proto-Habitat : une utopie construite» par l'architecte Flavien Menu,
ancien pensionnaire de la Villa Médicis, créateur avec Frédérique Barchelard de Proto-Habitat, un modèle d’habitat collectif alliant flexibilité des usages et espaces pour des modes de vie sains et durables. C'est une lecture sérieuse mais tout à fait accessible que des amis souhaiteraient traduire en italien.
Carles Diaz
C'est à ce prix que nous mangeons
du sucre
Le poème à l'épreuve du contemporain
Essai
Éditions Abordo, 2024
100 pp.
13€
En considérant le sucre comme une métaphore du monde contemporain et en établissant une analogie entre son processus historique et l'évolution des praxis liées à l'art et à
la communication, ce texte interroge les mécanismes culturels et
repense le sens, la place et la nécessité d'une parole poétique dans le
monde d'aujourd'hui. L'auteur nous propose de mettre le poème à
l'épreuve du contemporain.
La citation d'Elisée Reclus, « Là
où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les
imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la
servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la
mort » ne pourrait-elle pas s'appliquer à la Sérénissime et à ce
qu'elle tend hélas à devenir, un gogoland pour le peuple et un repère
d'une élite nouvelle mode, happy few de plus en plus riches et de moins en moins porteurs d'idées pour sauvegarder la vie réelle à Venise.
« C’est une vérité lucide, péremptoire, cruelle. L’homogénéisation et
la standardisation des modes de vie touchent aussi aux dimensions
artistiques et intellectuelles, et c’est sur ce point que je me tourne
vers les artistes et les poètes : que pouvons-nous faire face à ce
vertige ? Que proposer dans un monde de plus en plus abîmé, essoré,
numérisé ? Comment faire société dans une communauté de plus en plus
uniformisée, radicalisée, qui vise la réduction absolue de l’homme à un
modèle unique ?»
Carles
Diaz est un ami. Je l'ai rencontré par un heureux hasard il y a
plusieurs années et j'ai tout de suite aimé sa manière de parler de
l'art et de la beauté. Le jeune homme (il est né en 1978) vient
d'Argentine et écrit en français. Il sait aussi la langue d'Oc. Sa page wikipedia parle mieux et plus en détail de son parcours universitaire et de ses livres. J'avais beaucoup aimé la Vénus encordée, journal imaginaire
de Rose Valland en 1943. Attachée de conservation au musée du Jeu de
Paume, à Paris, on lui doit le sauvetage de plus de soixante mille
œuvres d'art et objets dont les nazis souhaitaient s'emparer. Parmi ces
œuvres sauvées, il y avait la Vénus de Milo qui donne son titre au livre.
Mais
le dernier opus de Carles Diaz est loin de l'Occupation. Il emprunte son
titre au Candide de Voltaire,
« Cet essai inclassable, dont les prémisses remontent à 2019, est aussi
en bonne partie le résultat de deux conférences données par Carles
Diaz, en tant qu’écrivain : la première, “L’exigence poétique face à
l’objectivation de l’expérience sensible”, lors de la journée “Qu’est-ce
que le poétique ? ― Hommage à Jean Onimus (1909-2007)”, à l’Université
Côte d’Azur, le 10 mars 2022 ; la seconde, “Écrire le siècle : de la
conscience poétique et la nécessité d’être inactuel”, à l’Université de
Vienne, Autriche, le 9 janvier 2023. »
«
C’est un essai d’écrivain plus qu’un essai universitaire. Je tiens à le
dire parce que je ne prétends pas établir une démonstration quelconque.
J’ouvre des questions qui me semblent indispensables d’être posées
aujourd’hui.»
Le lien d'intérêt entre les propos du livre et Venise m'a paru évident.
Et l'auteur d'ajouter : «
Il ne s’agit pas de dire avec béatitude que la poésie doit sauver les
hommes, ni de demander à celle-ci de nous permettre de rêver d’un autre
monde, mais au contraire, de briser le conformisme et la complaisance,
de viser plus que l’uniformisation et l’acceptation passive d’un devenir
manifestement dangereux. Je suis très sensible à la question de
l’environnement, à la disparition annoncée des langues dites minorées.
Je le suis aussi face à l’appauvrissement des langues en général, car
dès qu’une langue se simplifie et se décomplexifie, elle perd des moyens
pour symboliser le monde, aussi bien que sa dimension de mémoire.»
Paul Eluard
L’Amour, la poésie
œuvres de Kiki Smith
Gallimard, 2024
176p.
45€.
Depuis les années 2000, l’artiste se projette dans le monde du vivant, du végétal. « Soyons attentifs à la nature » : c’est ce que Kiki Smith, artiste mondialement reconnue, exposée dans les plus grands musées et présente dans de nombreuses collections d'art contemporain, exprime dans ses œuvres les plus récentes. Pour son entrée dans la collection, Kiki Smith a choisi ce texte de Paul Éluard, paru en 1929, après un dernier hiver passé au sanatorium avec sa femme Gala qui devait le quitter, peu après pour Salvador Dali, ce « livre sans fin », retrace l’aventure d’un homme désespéré et déchiré entre l’amour et la poésie, entre le réel et l’imaginaire, d’un homme à qui la poésie redonne, avec l’amour, le goût et la passion de la vie. Ses interventions au fil des pages ponctuent ces poèmes, dans un univers où corps, nature et cosmos rencontrent l’esprit du surréalisme. Un beau livre, pas donné certes mais qui a sa place dans toute bonne bibliothèque et chez tout esthète de Venise ou d'ailleurs.
Luisa Ballin
Venise, la Vénétie est une fable
Éditions Nevicata
Coll. L'âme des peuples
90 pages. 9€
La quatrième de couverture de ce petit opus exprime parfaitement ce que porte le texte de la journaliste Luisa Ballin qui fut responsable de l'information au parlement helvétique. D'origine vénitienne, la dame est une appassionata de Venise autant que de sa région. Son regard est moderne, son approche pleine d'humanité et d'amour.
« La Sérénissime n'est pas une île. On l'oublie, mais Venise est indissociable de son arrière-pays. Elle est l'enchanteresse de la Vénétie, une région aussi flamboyante que les palais longeant les canaux. La Vénétie a ses traditions, sa langue, son architecture, sa gastronomie, son identité. Souvent elle défie le reste de la péninsule et refuse, sourcilleuse et orgueilleuse, les exigences de Rome, cette lointaine capitale. Elle regorge de personnages et de lieux qui témoignent des liens indissociables entre la lagune et sa terre ferme. Ce petit livre nous transporte dans les coins les plus insolites de cette région trop méconnue. Vous êtes passionnés de Venise ? Vous allez adorer cet écrin qu'est la Vénétie. Un grand récit suivi d'entretiens avec Rodolfo Bonetto (enseignant), Tiziana Lippiello (rectrice de l'Université Ca'Foscari), Antonia Sautter (styliste) et Elia Romanelli (anthropologue).» Un autre indispensable à toute bibliothèque de Fous de Venise !
Søren Bebe Trio
Home
Label Out Here Music
2016
Avec
les musiques ancienne et baroque, le jazz a toujours accompagné mon
quotidien. le jazz classique et certaines variations liées au swing.
Mais ce qu'on nomme le free jazz hérisse toujours autant mes oreilles
comme bien des courants (sans jeu de mots) des Musiques Actuelles.
Pourtant de nombreux compositeurs de talents inventent des sons agréables et percutants, chauds et de pure musicalité. Le jazz scandinave commence d'être apprécié et reconnu par les publics français et italien. Pour France Musique, le Søren Bebe Trio - fondé en 2007 - apparait désormais comme une pierre angulaire du jazz européen. Parmi
les publications du trio danois, il y a Home, qui date de 2016, mais
montre la grande maîtrise et la qualité des musiciens de cet ensemble de
jazz scandinave. Un ami britannique que je logeais alors m'avait fait découvrir les compositions de Søren Bebe dont l'ensemble s'était produit à Londres. Dès la première écoute, leur son avait enchanté mes oreilles.
Søren Bebe Trio
Here now
Label Out Here Music
2023
«Ce disque est un ensemble d'interprétations lyriques qui mettent l'accent sur la mélodie et la beauté. L'accent est mis sur l'ambiance, l'atmosphère et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. » explique le critique anglais Ian Mann. Les pièces sont souvent construites comme des chansons, relativement courtes (une seule d'entre elles dépasse les cinq minutes). L'atmosphère générale est sereine. L'accent est mis sur l'humeur, l'ambiance et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. La musique illustre le déménagement de SBebe et de sa famille vers la tranquillité de la campagne. Il vit désormais dans un petit village entouré de bois, de lacs et de terres agricoles, et l'écriture de cet album a été inspirée par la paix et la tranquillité de cette nouvelle existence bucolique. L'ambiance générale de la musique est détendue, contemplative et résolument lente, non pressée, toute en subtilité. Un bonheur.
Ce billet d'humeur a été publié la première fois en mai 2017. L'époque était sombre mais le pire finalement était à venir... En le remettant en ligne ces derniers jours, j'ai eu envie de le présenter aux lecteurs de 2024. Sept ans après, il y a eu le COVID et l'éclatement de notre ancien monde, pas mal de dégâts, davantage dans les esprits et les cœurs qu'au niveau des victimes que d'aucuns annonçaient par anticipation à des millions de morts. Des guerres - ce n'est pas nouveau - de plus en plus de membres des élites politiques (c'est salir ce joli mot désormais) qui semblent ne s'intéresser car leurs privilèges et à l'argent qu'ils peuvent entasser, des chefs d’États puissants qui sont traduits devant la justice de leur pays, des dictatures qui refleurissent un peu partout et des gens fatigués de beaux discours et qui ont peur de l'étranger, de la différence, sont prêts à confier notre destinée à des remugles d'une époque qui pue encore. Bref, il y aurait de quoi se lamenter, mais la jeunesse d'aujourd'hui demeure joyeuse et spontanée, généreuse et turbulente, partout des associations d'entraide et de secours tendent une main généreuse à ceux qui sont dans la souffrance, la misère, le rejet.
Et Venise, qui perd chaque jour de nouveaux habitants palpite toujours sous le même ciel. La ville résiste, son peuple résiste, ses étudiants résistent. Tout n'est pas rose dans notre monde, mais à regarder les canards batifoler dans les canaux, entendre les enfants qui sortent de l'école et jouent sur les campi, les étudiants qui se retrouvent du côté de la Misericordia, ceux qui voguent comme le faisaient leurs ancêtres, les cloches qui sonnent de campanile en campanile, tout redonne à celui dont le coeur reste ouvert au monde, bienveillance et sourire. Oui nous vivons encore davantage des temps de médiocrité et d'imposture, mais comme le proclamaient les nombreux panneaux qu'on croisait dans les rues de Venise durant cette période incroyable du confinement« Andrà Tutto Bene », car la raison et la joie ne meurent jamais. Gardons espoir ! Bonne fin de semaine à vous !
04/05/2017
Pour que la tristesse du constat qu'aucun esprit éveillé et libre ne peut pas ne pas ressentir, pour que ne s'étiole pas l'envie d'écrire et ne parte en fumée l'enthousiasme qui nous conduit chaque matin à créer, construire, inventer, partager pour davantage de beauté et d'amour, rien de tel qu'un retour sur soi.
Dans le confort de la maison, les volets tirés, une tasse de thé et quelques biscuits à portée, loin de la fureur du monde et des conversations consacrées à ce second tour des élections présidentielles, votre serviteur s'est retiré. Les Lettres d'une vie de François Mauriac, Les Lettres de Gourgounel de Kenneth White et son essai, Les Cygnes sauvages, un texte de Jouve et un autre de Jacottet, voilà de quoi nourrir ma soif de pureté et d'authenticité. Pour compléter l'ensemble, le chant nostalgique mais serein du piano de Gabriel Fauré, interprétant (en 1913) sa Pavane (Opus 50) composée en même temps que son célèbre requiem et la version jazz de Bill Evans.
Nostalgie d'un temps où les arts et la culture comptaient bien plus que les comptes bancaires ou les vulgaires calculs politiciens. Mais face à ce dépit (je ne sais pas vous, mais je ne me remettrai pas avant longtemps de ce cirque médiatique, de ces élections pilotées par des imposteurs qui prennent les citoyens pour des veaux ou des moutons, je ne sais pas ce qui est pire finalement - et de notre démocratie qui baisse la garde face à la candidate de la peste brune, l'acceptant comme n'importe quel autre candidat, et ne hurlant pas devant ses emprunts à la dialectique gaulliste à laquelle son père et elles, tous leurs sbires et leurs sicaires se sont toujours violemment opposés.), pour ne pas sombrer dans le dégoût et le pessimisme, les arts, la lecture et la musique sont le remède. Dos rond jusqu'à ce que le peuple, enfin, retrouve la raison.
En attendant, reparlons de Venise, qui sera encore longtemps après que nous soyons disparus, en dépit des efforts que font certains pour en venir à bout...
en souvenir de nos échanges, de nos idées, nos rires et nos débats,
de nos voyages d'autrefois et de ceux qu'il nous reste encore à faire.
Retrouvé ce texte de Lévi-Strauss. L'extrait m'avait été envoyé par mon ami Antoine, journaliste et grand reporter, homme de radio et de passions. Parmi tout les messages que je recevais qui, pour la plupart, concernaient Venise mes publications sur Tramezzinimag, Antoine a fait partie, avec deux ou trois autres amis très chers, de ces correspondants dont on attend toujours avec impatience le courrier. Nos échanges épistolaires, avant d'être «dématérialisés» sur Hotmail, Yahoo ou Gmail, avaient la forme tant aimée de feuillets de papiers glissés dans une enveloppe aux jolis timbres dont l'oblitération portaient la date d'envoi. Toujours une surprise, un bonheur réveillé à chaque fois, A chaque missive, c'était comme un peu de soleil qui arrivait.
Qui prend désormais le temps d'écrire à la main ? On dit que les plus jeunes ne savent pas comment remplir une adresse ni où coller le timbre sur une enveloppe. On cherche les boites à lettres et les bureaux de poste se font rares, presque tous devenus des bazars où on peut acheter tout. Propos de ringards, je sais. J'assume cette nostalgie. L'attente du facteur qui passait deux fois par jour, le regret des lettres en papier pelure et leurs enveloppes encadrées d'une bande tricolore réservés aux envois «Par Avion», les cartes postales postées tôt dès la première levée et qui parvenaient à leur destinataire le soir-même, les télégrammes qu'on recevait en mains propres, porteurs de sinistres nouvelles ou de joyeuses annonces. Je pourrais paraphraser Gainsbourg, Je me «souviens des jours anciens» et «je pleure»... mes «sanglots longs ne pourront rien y changer».
Était-ce de l'aveuglement ou un trait de mon caractère naturellement porté vers la joie et l'optimisme, mais cela me semble un vrai bonheur que d'avoir connu cette époque où notre civilisation se
déployait, les guerres n'étaient que des souvenirs,
vivre semblait ne pouvoir être que joyeux. On se moquait des postes
italiennes, espagnoles et des pays qu'on disait moins civilisés. On se
moquait aussi de leurs trains toujours en retard. Puis notre époque moderne a
laissé s'emballer la technique, le progrès est devenu une fin en soi,
l'argent aussi. On nous enseignait que ce n'étaient que des outils qui allaient faciliter la vie de tous, façonner
l'égalité et par ricochet la fraternité. On sait aujourd'hui combien
progrès, technique, communication et pognon grignotent jour après jour
nos libertés, La Liberté. Et c'est la voix de Léo Ferré que j'entends
dans ma tête en tapant ces lignes « Avec le temps, va, tout s'en va... tout s'évanouit...»
Antoine donc, dans un courriel m'avait adressé cet extrait de l'ouvrage célèbre de l'anthropologue Claude Levi-Strauss. Je ne sais plus à quel propos. C'est en le lisant que j'ai pensé à cette notion du « Spirito del Viaggiatore » qui est devenu un libellé du blog et sera bientôt je l'espère, le titre d'une collection des Éditions Deltae.
Ceux d'aujourd'hui n'ont rien connu de cette époque. C'était déjà la fin de ce monde porté par nos grands-parents, ceux qui ne voulaient plus de guerre, plus de misère, plus d'injustice. Un réalisateur disait sa surprise en tournant un film se déroulant dans les années 80, de voir ses jeunes acteurs de vingt ans ne pas savoir comment utiliser le cadran d'un téléphone pour y faire un numéro pris dans un annuaire en papier... La mélancolie ne doit pas tourner à l'aigreur ni aux regrets. Les premières automobiles étaient réservées à une élite, n'importe qui aujourd'hui possède une voiture et les voyages sont plus rapides, les distances abolies...
On peut voir les choses ainsi et penser qu'en dépit de ce que nous avons perdu, oublié ou sacrifié du passé, tout est pour le mieux ; qu'il suffit de quelques ajustements, quelques recadrages pour qu'enfin le monde vive un nouvel âge d'or... Et pourtant, combien les signaux se font de plus en plus voyants ! Partout la démocratie recule, mise en cause par ceux-là même qui devraient la défendre, partout les égoïsmes prennent le dessus sur la solidarité, l'empathie, le partage. La fraternité est devenue communautariste, les esprits ne connaissent plus les nuances, il y a ce qui est blanc et il y a ce qui est noir... C'est là-dedans que nos enfants grandissent.
Vettore Zanetti. Coll. Part.
Venise - Tramezzinimag a toujours défendu cette idée - est un laboratoire. On peut y observer à la fois les pires choses, les choix les plus imbéciles, les comportements les plus détestables qui à un moment ou à un autre se reproduisent ailleurs. On peut y retrouver des idées, des techniques et des systèmes spécifiques qui peuvent être implantés ailleurs. C'est l'exemple de la protection des eaux que dès le Moyen-Âge la Sérénissime sut mettre en place, celui de la gestion des communications et des infrastructures qui fascina Le Corbusier et inspira l'architecture des villes nouvelles, etc. Aujourd'hui la Venise contemporaine doit affronter, comme ailleurs, la déliquescence de ses élites qui, à de rares exceptions, travaillent pour leur propre intérêt et semblent n'avoir pour devise que le triste "après nous le déluge"* qu'on attribue à tort à l'un de nos rois.
« Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.
« Aujourd'hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en
porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l'Asie tout entière prend le visage d'une zone maladive, où les bidonvilles rongent l'Afrique, où l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n'a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s'élaborent des architectures d'une complexité inconnue, l'ordre et l'harmonie de l'occident exigent l'élimination d'une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est infectée. Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité.
« Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l'illusion de ce qui n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l'accablante évidence que vingt-mille ans d'histoire sont joués. Il n'y a plus rien à faire : la civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on préservait, qu'on développait à
grand peine dans quelques coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur diversité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comporte plus que ce plat. »
Claude Levi-Strauss(**)
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Notes
(*) : « Après moi, le déluge. Ce doux et sociable proverbe est déjà le plus commun de tous parmi nous » disait en 1756 le père de Mirabeau. C'est la Pompadour qui aurait dit cette petite phrase au roi Louis XV après une bataille perdue par les armées du roi contre les prussiens. Le roi l'aurait repris au sujet de son petit-fils, le futur Louis XVI. Mais rien n'est moins sûr. Ce qui est sûr c'est que l'expression était très en vogue à la fin du XVIIIe, caractéristique de l'esprit de légèreté et d'inconscience qui régnait chez les élites de l'époque. Ne peut-on y voir une ressemblance avec notre époque ?
Visioni e strategie per une rinascimento sostenibile
Anteferma edizioni,
Venezia.2020
ISBN : 978-8832050509
17€
L'ouvrage est sorti il y a trois ans. Il demeure cependant d'actualité et permet aussi de faire connaître aux lecteurs de Tramezzinimag (qui lisent l'italien) la maison d'édition qui l'a publié dont le catalogue est plein de trésors sur lesquels nous reviendrons. L'auteur, architecte de son état, nous livre un constat très clair du vivre à Venise au XXIe siècle. Comme le dit la notice, il aborde le destin de Venise, l'urbanisation globale et le destin de la planète. «Des thèmes apparemment éloignés mais qui se rejoignent. Universellement reconnue comme l'une des plus belles villes du monde, Venise est aujourd'hui menacée par la crue des eaux et la monoculture touristique ». Elle se dépeuple, elle se meurt. Comment accepter sa disparition, voire la planifier ? «Dans le scénario mondial du 21e siècle, Venise pourrait être l'une des villes les plus attrayantes de la planète car, en raison de sa durabilité intrinsèque, elle est un exemple paradigmatique de la ville du futur.» Nous n'avons jamais tenu un autre discours dans ce blog : «Une ville compacte à taille humaine, un port d'idées, un carrefour de connaissances et de savoir-faire, un pont entre l'Orient et l'Occident, où la vie est associée à la beauté, à l'harmonie et à la durabilité.» Ce livre propose d'«imaginer et de tracer concrètement une renaissance durable, avec une large réflexion sur l'idée de la ville insérée dans une perspective globale qui concerne l'ensemble de la planète.» Passionnant et revigorant. Venise peut-être sauvée.
Duello d'Archi a Venezia
Veracini,Locatelli, Tartini,Vivaldi
Chouchane Siranossian et le Venice Baroque Orchestra dirigé par Andrea Marcon
Alpha Classics, 2023.
19€
Reçu ce flamboyant CD que j'écoute en boucle depuis quelques jours. L'idée, comme nous l'expliquent la virtuose arménienne Chouchane Siranossianet Andrea Marcon, était de lancer des « un duel imaginaire à coups d’archets à Venise entre les quatre mousquetaires du violon de la première moitié du XVIIIème siècle : Vivaldi, Veracini, Tartini et Locatelli ». Corelli meurt en 1713, cédant le flambeau à ses
héritiers. Venise devient alors le théâtre d’une rivalité sans merci… «Le violon endosse le rôle d’arme idéale pour démontrer sa virtuosité et ses prouesses. Le but ultime étant d’étonner l’auditeur et de démontrer, parfois même en exaltant certains penchants narcissiques, sa propre bravoure. » Chouchane Siranossian, dont la virtuosité a était qualifiée de « diabolique » par The Sunday Times était l’interprète idéale de ces concertos à haut risque, avec la complicité éclairée et renouvelée d’Andrea Marcon et de son pétulant ensemble vénitien. Une bonne idée pour vos étrennes vraiment ! Pour vous en convaincre, écoutez le podcast de France-Musique (01/06/2023) : ICI
Charles Simmons
Les locataires de l'été
Traduit de l'américain par Eric Chedaille
Libretto Poche, 2022
ISBN 978-2-36914-668-1
8,30€
Une belle découverte. On m'avait beaucoup parlé de l'américain Charles Simmons, romancier et journaliste récemment disparu (2017). Ce petit roman qui date de 1997 est un pur régal. Texte court (152 pages), à l’écriture vive et légère. L'histoire est assez simple : été 1968, un adolescent de quinze ans, fils unique, est en vacances, comme avec ses parents dans leur maison sur une presque-île de la Côte Atlantique des États-Unis. Passionnés par la navigation et par la mer, le garçon et Peter son père passent beaucoup de temps sur leur bateau, un petit voilier en bois, l'Angela. Mais les événements vont se compliquer avec l'arrivée dans le pavillon voisin de la fantasque Madame Mertz et de sa fille, Zina, âgée de vingt ans, apprentie photographe et, surtout, d'une éblouissante beauté.
Michael, foudroyé par cette belle jeune femme, découvre l'amour, ses rêves, sa réalité, ses douleurs.
Sous l'apparente gaieté de ce roman solaire coulent en filigrane une note mélancolique et une certaine amertume.Charles Simmons aborde dans la plus grande des libertés les grands thèmes qui composent la vie : l'amour, le désir, le mariage, la recherche de soi, le temps qui passe et les illusions qui tombent... Il traite son sujet en y apportant toutes les nuances et la profondeur qu'exigent ses personnages et leurs sentiments.À lire ce roman, on songe inévitablement à Tourgueniev et à son Premier Amour, dont ce livre se veut une réécriture, mais le lecteur pensera aussi aux nouvelles de Francis Scott Fitzgerald et bien entendu à
L'Attrape-Cœur de Salinger ou encore à Carson McCullers par la grande liberté de ton.
La préface de Jérôme Chantreau, le traducteur met l'eau à la bouche dès la première page. Je m'y retrouve quand il explique que :« Depuis que j'avais lu "Le Bonheur des tristes" de Luc Dietrich et que j'avais appris qu'un grabd roman peut[aussi] tenir en peu de mots, je savais qu'il en existait, je les cherchais partout» Il écrit plus haut que « le roman de Simmons est un grand livre de chevet, un chef-d'œuvre de poche. Pourquoi grand ? Parce qu'il dit l'essentiel, et même un peu plus. pourquoi petit ? Parce qu'on pourrait passer devant sans le voir. Une esquisse. Un pastel. Il y a peu de livres aussi épurés [...] Et voici entre mes mains Les Locataires de l'été qui semblaient avoir été écrits avec de l'eau, sur du sable. Un récit scintillant comme le bord de la vague, à la tombée du soir. Une aquarelle qui peint l'été radieux, les premières amours et les errements du coeur. Rien de très original, avouons-le. Mais le coup de génie de Simmons, c'est d'avoir ouvert l'été en deux, et d'avoir regardé à l'intérieur. Qu'à-t-il vu ? Que personne ne prend la jeunesse au sérieux. Que la nonchalance est un crime. Que l'été finit mal.» Que dire de plus sur ce roman pour vous donner envie de le lire séance tenante ? Vous dire avec le traducteur que l'auteur avec ce livre nous parle du danger permanent de vivre et d'aimer et que les jours heureux filent à la vitesse des nuages...C'est Michael qui raconte cet été-là, celui de ses quinze ans et de son passage précipité et douloureux vers l'âge adulte. Les deux derniers paragraphes - et surtout les deux dernières lignes - pourraient s'entendre comme un constat d'échec, une grande désolation. Il n'en est rien, le constat fait par Michael parvenu à l'âge qu'avait son père cet été-là, s'il est lucide, n'en est pas moins l'évidence d'un bonheur. Celui de devenir jeune quand, vieilli, la lucidité nous confirme qu'on met longtemps, longtemps, à devenir jeune.
Les hasards du net. Mon moteur de recherche joue son rôle d'informateur-rabatteur et m'envoie parfois, parmi la foule de choses inutiles que son intelligence (tellement artificielle) pense devoir m'intéresser a eu du nez cette fois. Un lien vers un -à la belle voix de son temps, une musique qui emballerait même les plus réticents, des paroles intelligentes et pratiquement aucune information sur le type. Il se fait appeler Venezia et on trouve sur Spotify deux morceaux. Il apparait aussi, enfin sa voix, dans un titre d'un certain Marco. Pas mal aussi musicalement et tout aussi peu d'information sur l'artiste. Je n'ai guère plus à vous mettre sous la dent. Ces jeunes gens aiment ce qu'ils font mais restent discrets et visiblement loin de toute arrière-pensée commerciale. Nous ne pouvons que les en féliciter à tramezzinimag.
Si les éditions Deltæ parvenaient à avoir pignon sur rue à Venise, avec la galerie-librairie Page Blanche - dont il faudrait peut-être traduire le nom sur le principe incontournable du «when in Rome do as the romans do» inventé par les anglais qui ne respectent pas souvent cette règle (*) - nous l'inviterions pour faire connaître sa musique dans nos locaux et s'il a publié des CDs, on les commercialiserait à l'occasion d'une exposition ou d'un évènement.
Peut-être serait-il invité du coup par ces autres brillants jeunes gens, vénitiens 100% appellation d'origine, d'Indiemoon qui ont lancé il y a quelques années avec l'association Il Caicio, des sessions musicales sur le modèle des Black Cab Session américaines. Mais, au lieu de faire joue des musiciens en direct depuis une limousine dans les rues de New York ils ont eu l'idée de les faire jouer en bateau sur la lagune. Tramezzinimag en a parlé il y a quelques années, à l'époque de l'émission Détours de la RTS réalisée par mon ami Antoine Lalanne-Desmet (ICI).
A vos oreillettes et vous verrez que ces morceaux très contemporains sont de belle qualité. en tout cas ils ont un succès certains chez les jeunes, l'été sur les plages vénitiennes (et d'ailleurs) et le soir dans les bars. Vous nous donnerez votre avis.
Notes
(*) Ces sacrés insulaires qui ont bien des points communs avec les vénitiens - des insulaires aussi qui prétendent pourtant - j'ai toujours soutenu leur position - que «si on démontait le ponte della Libertà, l'Europe deviendrait une île !»
Chronique du 2 juillet 2022, entre San Marco et Milano centrale...
Fin de ces quelques jours de juin à Venise. Bientôt les retrouvailles avec le quotidien bordelais et sa grisaille, les tensions et les incompréhensions au quotidien dans un univers dont je me sens désormais si peu solidaire... Après de belles rencontres et de jolis moments de partage, il faut rentrer et reprendre tout où je l'avais laissé. Hélas. Mais quelque chose a changé. Deux ans de crise sanitaire et la preuve irréfutable au quotidien de l'incohérence, de la bêtise généralisée et médiatisée, de l'incompétence aussi de la plupart de ceux qui dirigent le monde - ou s'imaginent le faire - ce monde qu'ils contribuent, par leur médiocrité et leur inculture, à enfoncer dans le chaos ; et puis la certitude renforcée, évidente qu'en dépit des changements qu'on sent aussi en Italie libérale et matérialiste, le peuple de la péninsule demeure un peuple heureux, joyeux, accueillant et bienveillant. C'est une évidence : on vit et continuera de vivre mieux en Italie.
Mes lectures, autant que mes rencontres avec des êtres charmants, brillants, aux idées claires et aux opinions salutaires, ont fait de ces quelques jours volés à la routine et aux préoccupations de mon quotidien en France, un moment précieux, revigorant, roboratif... le dernier article de Thierry Guinhut , sur son blog consacré aux « peintures et paysages sublimes» cite l'excellent texte sorti en 2009 de Alain Mérot (« Du paysage en peinture dans l'Occident moderne ») déjà cité dans Tramezzinimag mais avalé lors de la suppression du premier blog par Google. et l'intellectuel de pointe...
Évoquer Nico Naldini avant que j'oublie. Un lecteur discret et fidèle de Tramezzinimag, jeune universitaire rencontré par hasard (?) l'autre jour à la Querini évoquait dans notre conversation la personnalité du parent de P.P.Pasolini, disparu il y a deux ans à l'âge de 91 ans. Notre échange qui devenait trop animé pour ne pas perturber les autres lecteurs de la salle où nous étions installés, nous le poursuivîmes dans le jardin, ou plutôt sur la partie de la jardin dévolue à la brasserie du musée. Le café y est bon marché, les pâtisseries agréables. Nous avons abordé le sujet difficile de l'engagement des artistes dans la société et plus particulièrement des poètes. En référence à Pasolini bien entendu et Naldini en suivant dont on connait moins le travail. Notamment au service de la langue frioulane.
Que
le sage ou le poète intervienne dans les affaires politiques est une vieille histoire qui débute bien avant l’invention du mot « intellectuel ». Terme qui n'est pas très vieux finalement puisqu'il apparait seulement à la fin du XIXe siècle, dans le triste contexte de l’Affaire Dreyfus... Cette fin de siècle a décidément embourbé la pensée avec des mots nouveaux, des pensers (joli mot au masculin apparu la première fois chez des écrivains esthètes de la toute fin du siècle) tout sauf progressistes et innovants pour l'Humain... Tout ce qui complique la réflexion et finit par nécessiter une préparation, une formation spécifique, éloigne de la spontanéité d'où jaillissent parfois des idées neuves, vraiment inédites et vraies...
L'intellectuel donc, en Italie comme en France, ne cessera pas d’être l’enjeu de luttes de classement : organique ou universel, chien de garde ou garant de l'idéal démocratique, animal médiatique ou expert. L’élaboration par Michel Foucault de la notion d’intellectuel spécifique entre bien sûr dans ce jeu. On peut s'en servir de référent, de base pour la réflexion. Mais, à condition de ne pas la prendre trop au sérieux. Ne convient-il pas de la reprendre à une époque de forte démonétisation/désacralisation de la posture ? En la liant à une politique de la subjectivité, Foucault nous invitait à ne pas renoncer à l’exercice d’une véritable fonction critique pour toujours exprimer un rapport au vrai, medium nécessaire à la vie démocratique...
En ces temps d'élection où l'avenir d'un pays dépend de l'humeur et de l'énergie de son peuple, l'intellectuel de pointe comme disent les italiens est plus que jamais une figure nécessaire face aux politiciens à l'esprit alourdi par leur ego et les poches remplies par des influenceurs en tout genres, faussement préoccupés de leurs administrés qui les dérangent, démagogues patentés bien éloignés du quotidien des « gens ». Phénomène universel et de toujours ? Il suffit de relire Les Annales de Tacite pour se rendre compte que déjà dans sa décadence, le monde romain avait ses profiteurs habiles démagogues, menteurs patentés, profiteurs et complètement détachés du Bien Public... à Athènes avant eux... Ils n'avaient pas les écoles de commerce où se précipitent aujourd'hui toute la jeunesse aveuglée par la rutilance magnifiée du veau d'or...
Combien la jeunesse est belle. J'observais de la fenêtre de la cuisine deux garçons qui jouaient au ballon dans le cortile de la maison d'en face. Un panier de basket et les deux à tour de rôle tentaient de marquer. Mais assez vite, le plus jeune des deux se mit à dribbler avec un ballon de foot avec acharnement. Sa musculature déjà puissante - il devait avoir quinze ou seize ans - le vieillissait. Je pensais à la beauté de la jeunesse, à son côté éphémère dont on n'est conscient que bien longtemps après l'avoir perdue. Ce jeune vénitien, brun, bronzé, à l'aise dans son corps, je ne l'avais jamais vu. Dans le quartier, même en n'y vivant plus à l'année je connais la plupart des gens. J'ai vu souvent une dame d'un certain âge franchir le portail, une jeune maman aussi avec un bébé et une fillette d'une dizaine d'années. Mais jamais je n'avais croisé ces deux adolescents. J'ai su pourquoi ils m'étaient inconnus quand je les croisais quelques heures plus tard dans la ruelle...
Je revenais de la plage. Le joueur de foot sortait de la cour avec sa mère. Je les saluais en italien. ils me répondirent courtoisement, en anglais... Le garçon n'est donc pas vénitien, c'est un américain et ses parents ont loué un appartement dans l'immeuble. Celui avec la terrasse et l'énorme climatiseur qui surplombe d'une des fenêtres. Les
vénitiens sont souvent musclés et à l'aise dans leurs mouvements parce
que la marche et le canotage, mais aussi la proximité de la mer les aident à dessiner leur corps très tôt. Cette vigueur, ce bronzage, cette aisance dans les mouvements, tout cela pouvait laisser croire que je voyais s'égayer sous mes yeux un vrai fanciullo d'ici, V.O.C. (Vénitien d'Origine Contrôlée) pas un de ces jeunes américains protéinés au beurre de cacahuètes et entraînés. Quant au bronzage, le nombre de jours d'ensoleillement sous le soleil vénitien, fabrique à tous un hâle parfait dès la fin du mois de mai.Pas besoin de vivre en Floride ou à San Francisco.
A Venise, mais ailleurs aussi, presque tout est sali par l'appât du gain. « Ce n'est pas nouveau » me rappelle une amie, fille et petite-fille de marchands. « Venise était au Moyen-Âge déjà était ce que New York est depuis le début du XXe siècle, la capitale du business où on venait du monde entier pour tenter de s'enrichir». Là encore, la Sérénissime a été un modèle, un exemple. Je suis tenté de souligner que cela ne devrait pas être un modèle et un exemple à suivre.Et si sa chute, l'effondrement de sa civilisation offrait l'avant-goût de ce qui attend le système économique mondial actuel, basé sur le profit, la croissance et l'exploitation ?
Schei, schei, e schei ancora... Hors le pognon point de salut ! Shakespeare a vu juste et universel quand il dépeint le juif Shylock qui ose dénoncer l'hypocrite morale chrétienne de l'époque. L'argent faisait son bonheur mais l'humain demeurait. C'est là qu'il nous faut prendre peur pour l'avenir de notre civilisation : toutes ces guerres qu'on ne pensait imaginer revenir à quelques encâblures de nos terrasses de café, depuis ce XXe siècle meurtrier, la montée des terrorismes, d’État ou religieux, la fuite en avant du toujours plus et l'ensevelissement des repères éternels, spirituels, philosophiques... L'arrivée au pouvoir de milliardaires avides, l'enrichissement de plus en plus colossale de certains et l'appauvrissement de tous les autres. L'Inquisition pourchassait le diable sans jamais l'avoir. Aujourd'hui, le diable est toujours et encore à l’œuvre.
Dans le train qui me ramène en France, un jeune moine copte égyptien, sourit en regardant deux petites filles qui jouent, adorablement spontanées mais en même temps attentives aux autres et ne dérangeant personne. Certains travaillent, d'autres dorment ou lisent. Et dans mes oreilles le Beata viscera de Perotin dit Perotinus Magnus, « discantor optimus » dans un enregistrement découvert récemment à Venise par l'ensemble Tonus Peregrinus... Un heureux mélange de genres pour effacer la tristesse d'avoir dû quitter une fois encore Venise mais aussi le regret, une fois encore, de laisser derrière moi cette atmosphère joyeuse et apaisée qu'on ressent partout en Italie - même au milieu de la foule de l'immense gare de Milano Centrale. Est-ce seulement une histoire de climat comme le suggérait Montesquieu ?
Ici aussi pourtant, la montée - qui semble irrémédiable - des partis fascistes comme un peu partout en Europe, la peur des gens, la haine de l'autre, la méfiance vis à vis de l'étranger qui reprend de la vigueur et se généralise... Mais il y a autre chose, un truc dans l'ADN de l'Italie qui dans toutes les aventures de ce peuple transforme à la fin les tragédies en comédie, les larmes en rire !
Bien plus que tout cela, bien au-delà d'une histoire de journées ensoleillées, de rires et de danse, il y a un peuple qui a du coeur, de la sagesse et beaucoup d'esprit. Ce sont les paroles de cette merveilleuse chanson de Gianmaria Testa écoutée en boucle ces derniers jours, délicieux remède sans effets secondaires et qui guérit de toutes les nostalgies et apaise toutes les tensions...
Dentro la tasca di un qualunque mattino Dentro la tasca ti porterei Nel fazzoletto di cotone e profumo Nel fazzoletto ti nasconderei
Dentro la tasca di un qualunque mattino Dentro la tasca ti nasconderei E con la mano, che non vede nessuno E con la mano ti accarezzerei
Salirà il sole del mezzogiorno Passerà alto sopra di noi Fino alla tasca del pomeriggio Ti porto ancora Se ancora mi vuoi
Salirà il sole del mezzogiorno E passerà alto, molto sopra di noi Fino alla tasca del pomeriggio Dall'altra tasca ti porto Se vuoi
Dentro la tasca di un qualunque mattino Dentro la tasca ti porterei Nel fazzoletto di cotone e profumo Nel fazzoletto ti nasconderei
Dentro la tasca di un qualunque mattino Dentro la tasca ti nasconderei E con la mano, che non vede nessuno E con la mano ti accarezzerei
E con la mano, che non vede nessuno Con questa mano ti saluterei