26 avril 2021

Un bien joli dimanche

Il faisait beau, la ville était joyeuse, tranquille aussi, loin des hordes qui l'ont abandonnée pour la joie des vénitiens (hormis les sempiternels grincheux qui s'inquiètent de ne plus ramasser autant de schei  qu'avant avec les millions de touristes pendulaires qui déambuleaient autrefois dans les rues. Nous avons le plaisir de vous faire partager cette atmosphère avec les clichés de Catherine Hédouin qui fait partie des heureux élus qui ont pu revenir avant les nouvelles restrictions que nous imposent cette saloperie de crise sanitaire. Bonne promenade.

 
 


 
 
 
En fin de journée, une fois les cérémonies achevées que conclurent les vêpres, des ouvriers municipaux descendent le grand drapeau de Saint Marc qui flotte sur la Piazza. Il y a quelques années encore, les trois pavillons, le vénitien, l'italien et l'européen étaient hissés et amenés par un détachement militaire et non pas par de simpes employés. Le cérémonial avait un sens qui apparemment semble s'être perdu.

Clichés reproduits avec l'aimable autorisation de © Catherine Hédouin - Venise, 25/04/2021



25 avril 2021

25 avril : Bonne Fête, Venise !


Vous les savez bien, vous les fidèles lecteurs de Tramezzinimag, et vous les amoureux de venise, c'est aujourd'hui la Saint Marc, date particulière pour la Sérénissime et ses habitants. Jusqu'à la chute de la République, le 25 avril donnait lieu à de grandes et belles réjouissances. Nous en avons souvent parlé dans ces pages depuis 2005. C'est aussi une journée dédiée aux vénitiennes, nos mères tout d'abord, les épouses, les fiancées et toutes celles qui sont aimées. L'usage est d'offrir une rose rouge. Liée à une légende bien connue dont on ne sait si elle est née d'une situation véritable ou bien n'est que pure invention. 

Le dimanche du Bocolo
L'idée en tout cas est belle. Voir les garçons juste adolescents, leurs grands frères fiancés, comme leurs pères et grands-pères tenir une rose à la main destinée à dire à l'élue de leur coeur ou simplement leur mère ou grand-mère. Il existait, bien avant les roses hybrides, les polyanthas, des roses précoces spécifiques à la lagune (celle de la légende devait être une rosa alba, voire la rosa gallica dite des apothicaires, qu'on connait depuis le haut moyen-âge) Blanches à l'origine puis qui prirent des couleurs en même temps que leur nombre de pétales augmentait), elles formaient un buisson auprès duquel on étendit l'amoureux de la fille du doge Partecipazio qui plein de bravoure était parti lutter contre les arabes avec Charlemagne. Les roses tristement colorées par le sang de Tancrède - les premières roses rouges et le début du symbole pour cette reine des fleurs - couvertes du sang du héros furent remises à Maria Partecipazio. Peut-être les compagnons de Roland avaient-ils porté le rosier encore dans la motte de terre où coula le sang du jeune héros. Maria fut retrouvée morte de chagrin le lendemain, la rose sanglante encore sur son coeur... Ne souriez pas, l'image est belle et le symbole très fort. Du genre de sentiments dont notre pauvre humanité déboussolée a bien besoin derrière les masques covidiens.

Page de garde de l'édition originale de F.Eden parue en 1903

Les roses et Venise, c'est depuis une belle histoire... d'amour. Frederic Eden, dans son merveilleux récit «Un Jardin à Venise» où il raconte la naissance du fabuleux jardin qu'il fit naître à la Giudecca en 1884, parle joliment de cette fleur parfumée et colorée qui enchante beaucoup de jardins sur la lagune.

« [....] Durant les quinze premiers jours de mai le grand spectacle des roses se met en place. Nous en comptons un grand nombre de variétés, mais nous aimons surtout celles qui nous aiment. Il nous plaît tout particulièrement de regrouper en un seul massif toutes sortes de variétés parmi celles qui fleurissent le plus librement, tâchant de choisir un emplacement qui convienne à chacune. [...] Ici toutes les roses, sans doute comme partout, se portent mieux en pleine lumière, bien que certaines ne puissent supporter le soleil vénitien. Au fond, elles ne désirent qu'une chose : le grand air ; même s'il faut les protéger du vent. L'autre attrait de Venise tient à la couleur des roses qui, mal définie en Angleterre, est des plus pures sous cette latitude...»

Deux autres jardins, moins secrets et donc plus accessibles possèdaient ou possèdent encore de superbes roseraies.Tous deux à la Palanca, non loin de la charmante église Sant'Eufemia. Celui de la signora Ottilia dans lacalle dell'Accademia dei Nobili qui se visitait plusieurs fois par an et celui de la veuve du compositeur Luigi Nono. Nous y reviendrons.

© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021

Mais cette fête de San Marco, avec la tradition du Bocolo, est aussi la Fête de la Libération dans toute l'Italie. Ce jour-là dont on ne se souvient que de la liesse générale, de la joie qui explosa et vit jaillir de milliers de fenêtres le drapeau américain à côté des couleurs italiennes encore frappées du blason des Savoie, fut un jour terible où les derniers rangs fascistes vendirent chère leur peau. Comme à Paris, des tireurs isolés terrorisèrent la population, les résistants fouillèrent des maisons à la recherche des vaincus, quelques demeures suspectées d'avoir cachées des allemands ou des fascistes furent saccagées et pillées... Le voile de l'oubli est tombé sur ces tristes exactions hélas trop souvent pratiquées. Venise qui accueillit triomphalement Hitler venu y rencontrer le Duce, peut-être parce que l'Anschlüss était perçu comme une lointaine revanche de l'occupation autrichienne a énormément souffert des derniers mois de guerre. Les juifs vénitiens payèrent un lourd tribut. Les «pietre d'inciampo» (Stolpersteine) qu'on voit devant de nombreux immeubles du centro storico le rappellent.

Un jour de joie et de mémoire
Il y avait foule dans la basilique pour assister à la grande messe pontificale en l'honneur de saint Marc. Moment traditionnel s'il en est où il semble aux vénitiens que les cloches sonnent encore plus fort et encore plus clairement qu'à l'accoutumée. Sous le maître-autel, la dépouille qui y est honorée depuis des siècles ne révèlera jamais s'il s'agit bien des restes de l'Evangéliste ou bien de l'emperuer alexandre. Chi lo sa ? Plus jeune, cette idée m'effleurait souvent quand nous assistions aux offices dans l'ancienne chapelle des doges... Avouez que ce serait un joli clin d'oeil mêlant dans notre mémoire collective l'histoire somptueuse de l'humanité du temps des Dieux antiques etla non moins somptueuse épopée du Christianisme. Mais les esprits d'aujourd'hui ne sont pas vraiment à la tolérance ni à l 'humour et mes propos ne sont politiquement correct et pas du tout woke...

© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021

En guise de cadeau, cette très belle photo prise par Steven Varni un gars de Brooklyn émigré à Venise avec femme (Jen) et enfant(Sandro, alors âgé de 3 ans !), depuis onze ans maintenant et qui anime VeneziaBlog, sympathique jeune cousin de Tramezzinimag dont je vous recommande la lecture comme l'on fait avant moi, la BBC, ELLE Belgique, Die Zeit ou The Smithonian Magazine. Et qui peut encore prétendre que les blogs c'est fini ?

© veneziablog.blogspot.com / Steven Varni aka Sign. Nonloso - 25/04/2021

Buona Festa a tutti !

10 avril 2021

Una città che non c'è più : Nostalgie d'un nuage de farine dans l'air parfumé d'un matin à Venise...


Un geste brusque ce matin en revenant du marché m'a fait renversé le sac de farine que jevenais d'acheter. Une partie de la farine s'est répandue sur la table et par terre produisant une brume blanche du plus bel effet. Rien de grave, le sol comme la table étaient propres et en deux coups de cuillère à pot - l'expression parfaite en l'occurrence - et j'étais plus amusé qu'énervé par l'incident. Il me rappela un autre matin, dans une autre cuisine, celle de la Toletta, où m'étant réveillé tôt pour faire des brioches aux enfants qui dormaient, j'avais renversé sur moi le pot de farine, me transformant en une sorte de pierrot décontenancé. Sans autre témoin que le chat qui s'était réfugié sous un tabouret. Rappel aussi de ces images de la Venezia sparita, scènes familières du quotidien : les Farinanti, (littéralement, les « farineux », ces livreurs qui acheminaient en barque à destination des boulangeries et des restaurants d'énormes sacs de farine en provenance des Moulins de Cavarzere, de Marghera ou d'ailleurs . Un documentaire de l'ami Pierandrea Gagliardi pour l'Ateneo Veneto. Tramezzinimag vous invite à vous replonger dans cet ordinaire des jours qui avait tant de charme dans une Venise encore inchangée, avant les hordes de touristes, avant la modernisation, la mécanisation. Finalement cette Venise dans laquelle j'ai vécu était encore identique à celle qu'après guerre, jusque dans les années 90, date des images de ce reportage :

Il en était de même avec le marché. Comme à Paris, Londres, Bordeaux (j'évoque les marchés et les halles que j'ai connus enfant et dont le souvenir dans la mémoire humaine est fort : le ventre de Paris immortalisé par Zola, Covent Garden à Londres décrit par Dickens, Les Capucins à Bordeaux), le marché du Rialto garda longtemps la même figure, les mêmes usages dans les mêmes lieux. Jusqu'à ce que l'obsession de la modernité, de la rationnalité, du rendement, transforment ces lieux grouillants de vie, qui s'éveillaient avant l'aube et s'animaient pour nourrir la ville. L'Erberia fut pendant mille ans le grand marché de la ville, jusqu'à ce qu'en 1997, les normes inventées par la triste bureaucratie européenne, obligent le l'installation du marché de gros et de demi-gros à s'installer dans des bâtiments modernes sur la Terrraferma. Il en fut de même quelques années après avec le départ contraint des mareyeurs à Chioggia, plus rentable avec l'accès direct des camions. Le pratique avant le beau, évidemment. mais combien la poésie y perd.. Et le joie des petits riens qui font tellement du bien... 


Images extraites du film Venezia che non c'è più : l'Erberia, présenté à l'Ateneo Veneto.           

© Pierandrea Gagliardi, Venezia. 2020.

04 avril 2021

Aimer Venise avec l'œil et l'esprit

à Baptiste Marle, in memoriam

Ces temps un peu perturbés de confinement et de couvre-feu, de paranoïa et de terreur diffuse, difficile à contrer sans prendre le risque de se fâcher avec nos proches, nous obligent à compenser la vie sociale interdite ou drôlement codifiée, par un retour sur soi. Attitude habituelle pour celui qui écrit après tout. Reprendre mes notes, chercher parmi les livres qui m'entourent, ceux qui s'avèreront d'agréables compagnons pour quelques heures.  C'est dans cet état d'esprit, studieux et apaisé que j'ai repris un carnet daté de 2014. Parmi les pages, des lettres oubliées. Un échange de correspondance avec un jeune ami récemment disparu. Sur une carte j'évoquais une question que mon correspondant m'avait posée. « Comment le mieux aimer Venise ? »

Nous nous régalions tous deux de ces échanges et de nos longues joutes dialectiques. Lectio et disputatio étaient la base de mon enseignement. C'était plutôt un partage, un échange d'idées et paradoxes et contradictions me paraissaient les meilleurs outils pour le préparer à Sciences Po mais avant pour l'aider à intégrer Durham ou Cambridge. Les joies de la dialectique nourrirent sa réflexion quant aux choix qu'il allait devoir faire mais m'apportèrent aussi énormément, ne serait-ce que par les recherches que je faisais, les livres que je lisais avant de les lui faire découvrir et analyser. Quelques mois d'un bonheur partagé qui l'aidait à reprendre confiance et à se préparer pour les prochains combats contre la maladie.

C'est ainsi que Venise avant même qu'il la découvrit, fut l'objet d'une Lectio Profana qui se transforma en une sorte de Lectio divina, tant j'y insufflais toute l'émotion qui me remplit lorsque un livre évoque des sensations identiques à celle qui élabora ma relation à la cité des doges, évoque des expériences esthétiques pareilles aux miennes, décrit des rencontres tout aussi fondatrices... Voici quelques passages de ces notes retrouvées à l'adresse de mon Télémaque :

 

« Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous, n'y sont que parce qu'elles éveillent un écho dans notre corps, qu'il leur fait accueil. » Merleau-Ponty, quand il écrit ces mots était peut-être comme moi en ce moment, assis à une table du Harry's Dolce... A-t-il seulement été à Venise ? Lorsqu'il écrit "L’œil et l'esprit", il est installé dans une maison de Provence, sous le même ciel que Cézanne des années plus tôt. Le philosophe écrit sa pensée comme un poète crée son univers, dans un jaillissement d'images et de sensations.  

 

Mon obsession de Venise, de sa lumière et de son atmosphère voudrait apprendre qu'il y passa et que cette rencontre fut un choc constitutif d'un des pans de sa pensée esthétique. J'ai découvert cet ouvrage il y a des années dans la bibliothèque paternelle, alors que je n'avais encore aucune idée de cet envoûtement qui me rendrait tout entier et ad vitam, faisant de moi un inadapté absolu à d'autres mondes que celui des bords de la lagune. Paru chez Gallimard en 1964 dans la collection L'Infini, l'ouvrage est bien défraîchi aujourd'hui. Il comporte six planches dont ce tableau de Nicolas de Staël qui m'a fait longtemps rêver, enfant. Un coin d'atelier - Bien plus tard, quand j'ai eu l'occasion de découvrir le musée Picasso à Antibes, ce fut une grande émotion que de découvrir l'atelier de Staël, avec les objets qui servirent de modèles pour le tableau... 


En relisant l'essai du philosophe cet été, parce que la lecture du Dictionnaire des couleurs de Venise d'Alain Buisine, m'avait donné envie d'aller plus avant dans ma réflexion sur les approches esthétiques dans les études et les recherches sur ce qui a fait de Venise ce qu'elle fut et demeure encore pour une large part. Le « mystère vénitien » comme l'a écrit Ferdinand Bac au début du XXéme siècle...
C'est de divagations en farfouillages que j'ai retrouvé ce petit texte de Philippe Jaccottet, l'un des plus grands poètes contemporains, intitulé « Promenade à Venise » et daté de décembre 1976 (paru dans La Semaison, carnets de 1954-1979) :


"Rêve. Nous sommes retournés à Venise, A.-M. et moi. Je nous revois d’abord dans une immense et haute salle, proche de la mer, où passe beaucoup de monde, une sorte de halle aux voûtes peintes; et dans le rêve même, je me souviens avoir déjà rêvé de Venise ainsi, avec des bateaux visibles dehors dans la lumière, à travers de larges ouvertures (des portiques comme chez Claude Lorrain) ; il me semble que je trouve cela à la fois admirable et assez différent de la Venise réelle. Mais bientôt, c’est aux peintures dont sont couverts les murs et les plafonds de cette halle que je reviens, sachant que ce sont bien les fameux Tintoret, à propos desquels je note deux choses : l’éclat excessif de la restauration dans l’un d’eux et, dans l’ensemble, la fréquence des lances et des épées qui organisent la composition (comme chez Uccello plus que chez le vrai Tintoret)..."

 

"Ensuite, nous marchons au bord d’un canal. Et c’est là, peut-être, que nous apercevons le premier grand oiseau noir posé sur un poteau plongé dans l’eau, pareil à ces cormorans en qui j’ai vu naguère des oiseaux funèbres, à cause de leur couleur, de leur nom (qui sonne comme corps mourants) et de ma mère malade. Le rêve a tourné aussitôt au cauchemar. Je nous ai retrouvés dans une église, immense elle aussi, surtout très haute, mais fermée, et dont le sol s’était effondré, ou avait été fouillé; et les énormes piliers, dont quelques-uns portaient des peintures à dominante jaune, solaire, de style primitif, montaient de ces espèces de caves ou de fondrières. Là-dedans s’est mis à voler, menaçant, prêt à fondre sur nous, l’un de ces oiseaux. Ensuite, on ne pouvait plus aller où que ce soit sans en rencontrer. Sur un quai où passaient des mères avec leurs enfants, tout à coup, on a cru en distinguer un qui marchait au milieu d’autres, inoffensifs mais assez gros, du genre dindon ou paon, et la panique s’est emparée des promeneuses. Il a fallu embarquer dans le premier bateau venu pour fuir cette ville. (Ces oiseaux, dans le rêve, il me semble que je les nommais vraiment des harpies, et les jugeais tels.)"

 

"La fin de ce cauchemar, ou une scène d’un autre rêve de la même nuit, se déroule sur un versant de colline ensoleillé, portant au-dessous d’une forêt un champ de hautes plantes pareilles à du maïs. On pourrait se croire à la montagne, dans la belle lumière d’été. Or, un moissonneur est en train de moissonner ce champ, à la faux, si je vois bien; quoi qu’il en soit, les hautes plantes sont coupées; et à ce moment-là, je décolle de la pente, ainsi qu’un planeur, je suis changé en oiseau, je vole, je triomphe des harpies – et je sais (ou, l’on m’apprend) que c’est parce que l’on a coupé les plantes du champ vert que le miracle a été possible."

Simples bribes, voilà, quelques notes pour guider votre réflexion (méditation ?), comme une réponse à votre question : comment aimer Venise ? simplement, avec "l’œil et l'esprit".»

[La suite hélas semble perdue. peut-être les autres feuillets sont-ils restés dans ses dossiers à lui ou bien les ai-je rangés ailleurs...]




Celui qui s'est levé avant l'aurore

« Celui qui s'est levé avant l'aurore », ce merveilleux verset du psaume 108, est un encouragement à l'ardeur. C'est aussi une bien belle allusion à ce qui remplit de joie les chrétiens en ce jour de Pâques. Pour la seconde année consécutive, c'est loin de Venise que j'entends les cloches sonner le renouveau, tout le bonheur du monde dans ce cri de joie qui embrase ici aussi un ciel bleu sous un fier soleil, « Christ est ressuscité ». Tandis qu'à San Giorgio dei Greci, retentira dans un mois la  même joie chez nos frères orthodoxes,  « Χριστός Ανέστη !» ... La machine à remonter le temps s'est remise en route. Je me souviens du temps de Pâques en 1982, les cérémonies chez les bénédictins de San Giorgio. le damas rouge étendu sur les bancs du premier rang où nous avions pris l'habitude de nous installer le dimanche pour la messe. 
 

La beauté de l'Office des Ténèbres du Triduum pascal, à l'aube, dans l'obscurité, la nuit d'adoration dans une église silencieuse, le parfum enivrant des vases d'encens, une joie dont je ne saurai jamais si elle était le raisonnement de la foi qui remplissait la vaste église ou une sensation venue du fonds des temps, de ce paganisme récrié par les premiers fidèles du Christ mais qui circule dans mes veines. J'étais dans l'église de San Giorgio mais aussi dans le temple d’Apollon à Epidaure, ou celui d'Arsinoé, en Cyrénaïque... Trop de lectures dans mon enfance, l'Anthologie Palatine, les récits mythologiques, et mes rêves aussi qui me transportèrent pendant des années dans ce monde disparu, anéanti par l'arrivée du christianisme qui s'en inspira pour sa plus grande gloire. 

Venise a fait le lien. L'air y est rempli de croyances anciennes. Ne dit-on pas que la dépouille qui repose sous la basilique serait Alexandre plutôt que saint Marc ? Enfant, je trouvais l'idée plus seyante, plus glorieuse. Mais la République pour assurer sa prééminence et défendre son avenir parmi les nations chrétiennes et le Turc, avait bien davantage besoin d'un des piliers du christianisme. Que faire d'un brillant et splendide empereur de génie. 

La première nouvelle que j'ai osé faire lire se déroulait justement en Cyrénaïque, juste pendant l'un des derniers jours de l'Ancien Monde, quand les chrétiens, qui n'était encore pour le monde civilisé qu'une secte violente, saccageaient les lieux saints du paganisme, abattaient les statues des divinités, décapitaient les prêtres et enfermaient les  prêtresses dans les temps auxquels ils mettaient le feu... Il aura fallu de nombreuses années pour que le calme revint et que l’Église s'avère une évidence, un accomplissement. Les dieux d'avant étaient définitivement morts. Le Christ fut enfin le seul adoré par les peuples. Cela scandalisait l'enfant que j'étais, jusqu'à ce que la lumière se fit et que je comprenne que le Dieu révélé par son Fils était l'Unique. Les dieux du Parnasse avaient préparé l'homme à la modernité de sa Loi. 

Joyeuses fêtes de Pâques, amis lecteurs ! Et pour innover un peu, voici un chant qui n'a rien de pascal mais qui célèbre la joie, celle du remouveau et de l'espoir puisqu'il parle d'Amour. Mario Lanza chantant Una furtiva lagrima, dans That Midnight Kiss. Il y joue un ténor italien, Johnny Donnetti, embringué dans un triangle amoureux. C'était en 1949, le jeune ténor n'avait pas trente ans. Son immense talent est encore admiré de nos jours et reconnu comme une des plus grandes voix lyriques modernes. Il mourut très jeune, à 38 ans à Rome. Je me souviens de ma mère et de ma grand-mère parlant de sa mort comme d'une catastrophe pour la civilisation.