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21 juillet 2024

Redentore 2024 : un joyeux millésime

Pour Anne L. dont c'est le premier Redentore

Pour les médias internationaux et les touristes, la Fête du Redentore, c'est avant tout un gigantesque feu d'artifice. Quelques uns évoquent le pont votif qui enjambe traditionnellement le canal de la Giudecca. Mais rares sont les journalistes qui soulignent l'importance de cette fête pour les vénitiens.


D'autres pays aussi, ont leur tradition de feux d'artifice, d'illuminations et de parades nautiques. Je me souviens de la première fois qu'il m'a été donné d'assister à Oxford au  May Day appelé aussi May Morning, quand juste avant l'aube le premier jour de mai, tout le monde se presse au pied du campanile de Magdalen College, pour écouter le chœur d'enfants du collège chanter en latin des madrigaux et recevoir la bénédiction solennelle. Même rituel depuis 1695... Étudiants, professeurs, visiteurs, familles, il y a foule sur le pont et sur les rives de la rivière Cherwell. Il y a plein de barques, remplies d'étudiants joyeux, et les abords du collége sont noirs de monde. Parfois certains plongent ensuite du pont, puis on assiste aux danses folkloriques avant d'aller boire et se restaurer. Les pubs et les cafés ouvrent très tôt ce jour-là. Certains existaient déjà du temps du roi Henri VIII !  Réminiscence de la Floralia, cette belle fête romaine pour célébrer le printemps revenu. Souvent à Oxford il pleut ce jour-là mais lorsque j'y assistais, le beau temps était de la partie !

A Venise, il y a lurette qu'on ne saute plus des ponts pour plonger dans les eaux de la Lagune. Quelques enfants, des adolescents provocateurs parfois, s'y baignent encore bien que cela soit interdit parce que dangereux à cause de toute la pollution invisible des eaux. Comme eux, je l'ai fait dans les années 80, depuis certains ponts de Cannaregio, du côté nord de la Giudecca, à Sacca Fisola aussi du temps où il y avait encore des semblants de plage.

Mais mon meilleur souvenir est du côté des Fondamente Nuove, au bout de la passerelle. Là on y allait la nuit, en barque le plus souvent et souvent une vedette de la police éclairait soudain nos ébats dans l'eau, nous nous faisions sermonner. C'était bon enfant, les policiers tous vénitiens, eux aussi avaient été jeunes...

Mais revenons à notre fête du Redentore. Tout commence par un pont, le pont votif,, une longue passerelle montée sur des barges, le chemin qu'emprunteront le jour J les pèlerins, avec en tête le patriarche et les autorités civiles et militaires bientôt suivis par la foule des vénitiens, tous redevenus très pieux pour ce jour-là. Les rives des deux côtés sont décorées de lampions. 


Un peu partout les riverains installent des tables, des chaises et des bancs. depuis quelques années, les emplacements sont marqués au sol et attribués en priorité aux habitants devant chez eux.

Les bateaux aussi sont décorés, fleuris, aménagés. Il y en aura sur tout le bassin de San Marco et à l'entrée du canal de la Giudecca. Le soir de la fête, on y fait ripaille entre amis, en famille. L'ambiance est joyeuse en attendant le feu d'artifice, l'un des plus beaux d'Europe dit-on ici. 

 

C'est vrai qu'il est toujours impressionnant, avec les mille reflets qui font pousser des cris d'admirations au public. Quand vient le bouquet final, tous les bateaux ou presque se précipitent vers le Lido où il est d'usage de se rendre pour continuer la fête sur les plages du Lido en attendant le lever du soleil. 

 

Une bien belle fête qui, une fois encore, montre combien les vénitiens sont attachés à leurs traditions lorsqu'elles ne sont pas dénaturées par les marchands du temple ou grossièrement déformées comme le carnaval tellement éloigné de ce qu'il fut lors de sa renaissance dans les années 78/80, une série de fêtes et d'évènements spontanés où l'esprit de la Sérénissime n'était pas encore souillé par la « disneylandisation » de la ville lagunaire... et la pollution permanente du tourisme Unesco.

24 avril 2024

Pamphlet pour rire et éviter d'avoir un jour à pleurer quand il sera trop tard...

Il n'y a peut-être pas plus de 49000 et quelques habitants permanents à Venise (chiffre qui ne prend pas en compte les étudiants qui étudient à Venise et sont beaucoup à vivre dans le centro storico, les Fous de Venise de tous pays qui y ont un logement en pleine propriété ou loués à l'année, ceux qui sont fiscalement déclarés comme résidents dans d'autres régions d'Italie et passent la plupart de l'année dans Venise sans y payer leurs impôts ou avoir des choses à leur nom, les SDF et les migrants), mais il y a toujours la vie. Et avec elle la joie de vivre à Venise. Un lieu unique, je ne vous l'apprends pas où même dans des conditions vite plus difficiles qu'ailleurs. 

Nombreux sont les témoignages quotidiens de vénitiens, de sang, ou d'adoption, sur le net : il suffit de regarder tout ce qui se publie sur Instagram ! La gabelle imposée par la junte municipale ne changera pas grand chose même si Brugnaro parvient à l'imposer définitivement - ce qui est loin d'être acquis - mais elle aura eu le mérite de faire parler de la situation et d'informer le monde de ce point de non retour qui peut se résumer ainsi : Venise se vide a vitesse grand V et parallèlement se gonfle dangereusement chaque jour avec l'afflux de milliers de visiteurs, ces fameux touriste UNESCO que d'aucuns rêvent d'enlever le droit au voyage. Si on ne peut plus vivre correctement au quotidien à Venise quand on n'est ni propriétaire ni millionnaire, quand il faut faire des kilomètres pour trouver une laverie, un épicier ou un quincailler, quand les magasins qui ferment sont automatiquement remplacés par des boutiques de pacotille pour gogos, que les bars et les restaurants passent de plus en plus sous pavillon chinois, il y a de quoi s'interroger. 

Quel avenir pour Venise de plus en plus étouffée par le tourisme de masse ? Certains à l'humour aiguisé parlent d'un Venezialas (comme à Las Vegas), il y en a qui sérieusement se demandent s'il ne faudrait pas envisager de bâtir quelque part sur la terraferma, près de la mer tout de même un vaste complexe qui reproduirait une grande partie de la Venise historique, ses monuments, son ambiance et où on pourrait loger (comme au Futuroscope ou à Disneyland), entendre parler vénitien, visiter des intérieurs recopiés, des expositions virtuelles, voire même pour les plus curieux et les moins incultes, des exposition des vrais chefs-d’œuvre que prêterait la vraie Venise... 

Il y aurait des animations, des promenades sur les canaux reconstitués, des concerts dans les rues, des fêtes à répétition, et des tas de loisirs. l'entrée serait payante, l'amplitude d'ouverture très large avec des feux d'artifice vrais ou virtuels, des bals, des concerts de rock ou les plus grands DJ viendraient se produire et de grands banquets gorgés de spécialités locales ; les cloches, copies conformes des vraies, sonneraient à l'identique, avec le même son et aux mêmes moments, les pigeons pourraient y être nourris par les gogos qui se feraient photographier avec ces bestioles sur la tête ou avec quelques plantureuses roumaines déguisées en marquises sorties des tableaux de Bellotto ou de Guardi... Place à l'imagination !

 

Le pharaonique projet du couturier Cardin à Marghera

Ce magnifique parc d'attraction serait dédié à Cardin bien sûr qui rêvait d'édifier un building géant sur la terraferma juste au bord de la lagune (Dieu qui aime Venise l'aura rappelé a posto pour éviter que les dégâts soient irrémédiables et ses héritiers ont abandonné la projet). Il créerait des tas d'emploi et seraient prioritaires pour y accéder les migrants assistés, mal traités, mal logés qui trouveraient dans cette réplique de la Sérénissime de quoi se nourrir, se loger, se vêtir et peut-être envisager avec sérénité de pouvoir faire des études, celles qu'ils ont le plus souvent dû abandonner pour quitter leurs pays en proie à la guerre ou à la famine... L'argent qui coulerait forcément à flots, servirait à restaurer la Sérénissime, à rénover un maximum de logements, à financer le retour de la population. Les Airbnb y seraient interdits ou en nombre légalement très limité et pendant quelques semaines dans l'année, mais seulement lorsque la demande de logement permanents réservés aux vénitiens et aux étudiants serait assurée (on a déjà commencé d'interdire les cadenas), les boutiques de colifichets Made in China seraient fermée et remplacées par un véritable artisanat d'art de qualité que la ville exporterait dans le monde et pourrait largement triompher de la camelote genre Temu qu'on propose désormais jusque sur la Piazza. Il n'y aurait que les vrais bons restaurants casalinghe, des tout simples comme des grand luxe, Un quota réduit et bloqué d’hôtels, de pensione et d'auberges de tous niveaux suffirait à accueillir ceux qui viennent y travailler temporairement ou y faire un stage, visiter la vraie Venise. 

Combien de palaces s'ouvrent dans des palazzi scandaleusement cédés à des fortunes privées, peu recommandables et se transforment en auberges de luxe presque toujours vides qui ne serve qu'à blanchir de l'argent pas très propre, font faillite rapidement, puis sont rapidement revendus au prix fort et ainsi de suite...

Les familles seraient soutenues pour venir se réinstaller dans la ville, les loyers encadrés, les travaux subventionnés ; La gestion courante serait supervisée par les organisations internationales qui installeraient dans le centre historique plusieurs de leurs entités, comme le tribunal international pour la protection de la nature, l'Unesco, des grandes écoles pourraient compléter le pôle universitaire. Les pays du G7 n'ont-ils pas prévu d'y tenir leurs sessions régulièrement à Venise ? Dans quelques semaines, ce seront les ministres de la justice du G7 qui siègeront pendant plusieurs jours...

Palazzo Zorzi, Siège de l'Unesco à venise
 

Ainsi l'argent affluerait du monde entier pour conserver ce joyau unique de la civilisation occidentale, cet ultime témoin du lien naturel entre l'Orient et l'Occident, gardienne du modèle culturel et artistique byzantin et chrétien. 

Comme devraient l'être Jérusalem ou Rome, Alexandrie, Athènes et d'autres hauts-lieux de notre culture, ces villes pourraient devenir des lieux d'extraterritorialité, échappant aux calculs et combinazione politiques, gérées et contrôlées par des sages, des savants et des intellectuels, représentant les Nations libres, sans parti pris, sans orientation politique, sans enjeux politiques. La reine de l'Adriatique retrouverait son statut de ville-état, son autonomie, parangon d'une qualité de vie unique où règnent la beauté et la culture, les arts, les lettres et un art de vivre qui rendent la ville de Saint Marc unique au monde.

On y conserverait les usages et les traditions tout en ouvrant grandes les portes de la cité à l'innovation, à la recherche, aux débats et aux créations. La Biennale d'art, celle d'architecture, de danse ou de théâtre comme la Mostra du cinéma seraient gérées sous surveillance de l'Unesco, du Parlement européen ou de l'ONU. 

étudiants réclamant un logement décent à San Giobbe
 

Tous auraient leur siège officiel, protocolaire à Venise. Voilà ma vision utopique de la Venise d'après nous, sauvée des eaux par la pointe de la technique qui au-delà du MOse dont on verra vite les limites catastrophiques, fera la part belle aux savoirs anciens, aux techniques éprouvées qui ont réussi jusqu'aux temps modernes à la sauver des eaux. La population sera de nouveau nombreuse, tant les opportunités de logement, de travail et le cadre de vie attireront les gens. 

Les politiques d'aménagement, de logement, de formation, de santé, d'aide sociales renoueront avec les principes éthiques de la République. Faire en sorte que le peuple de boutiquier que dénonçait Jean Lorrain je crois, redevienne ce peuple de marchands qui domina le monde par sons avoir-faire, sa détermination et la qualité de ses produits. Forte de l'enseignement de plusieurs siècles de déploiement du capitalisme, des trop longues années de déshumanisation et de la recherche pathologique de toujours plus de profit, Venise a toujours été un modèle. On y a mis au point tellement de choses dans tellement de domaines qu'il serait tout naturel que le monde lui redonne les moyens de jouer à nouveau ce rôle. 

Il est doux de rêver n'est-ce pas. Mais il serait tellement doux de savoir que les hommes de bonne volonté vont ouvrir leurs yeux et leur coeur, oublier leurs calculs égoïstes et faire mentir l'idée que les civilisations sont mortelles. Lacan s'il vivait encore aurait bien des leçons à leur - à nous - donner sur cela. Sauver Venise, ce n'est pas s'assurer que monuments et œuvres  d'art soient protégées, entretenus et assurées, c'est simplement entendre ce que disent les vénitiens, ce qu'ils attendent, ce dont ils sont besoin. Ne pas vouloir faire de Venise une ville comme les autres mais adapter les besoins d'aujourd'hui à sa structure, se fier à ce que les vénitiens ont mis en place au fil des siècles, pour la voirie, l’entretien et la protection des eaux, privilégier les besoins premiers des vénitiens : se loger, se nourrir, se soigner, se divertir, et pour les plus jeunes, apprendre, jouer... 

©Tramezzinimag , avril 2024 - IA by Canva   

Sans véritable rapport, cette photographie créée par l'Intelligence artificielle. A regarder de près, on voit que cette fameuse IA ne remplace pas le talent d'un vrai photographe mais l'atmosphère qui se dégage de ce cliché m'a paru convenir à ce coup de gueule un peu naïf et mal écrit. J'avais demandé à l'ordinateur de créer une photographie de jeunes vénitiens en train de manger une glace au bord d'un canal. Voilà le résultat. Ce n'est pas du grand art, il faut l'avouer. Le souvenir de la photo truquée de la Princesse de Galles nous rappelle que la technique a ses limites.

Mais pour cela comme pour le reste, gardons espoir, gardons l'humour et la foi en l'homme, in spite of.

02 mars 2024

Les années passent, l'essentiel demeure

© Yves Bauchy -2012 - Tous Droits Réservés.

Republié à sa date d'origine, «Le Gardien du pont» (30/09/2012) un billet de fantaisie comme les appelait un vieil ami vénitien aujourd'hui disparu. En relisant ce petit texte léger et sans prétention, j'ai revu la scène originale qui donna ces lignes, près de douze ans plus tôt. Encouragé par les 452 lecteurs (dix fois plus que d'habitude !)du précédent article qui évoquait la médiocrité et l'imposture, je ne résiste pas au plaisir de vous en donner le lien, car il n'est pas évident qu'en passant par nos pages, le visiteur ait l'idée, l'envie ou le temps d'aller voir dans les années passées...

Pourtant, on ne peut que constater que rien n'a vraiment changé. Les images que nous donnions à voir alors de Venise sont pour la plupart semblable à la Venise d'aujourd'hui. Un peu plus de monde, des tensions plus prégnantes qu'avant, d'autres disparues ou soignées. Venise montre qu'elle demeure bien vivante.

Sur Instagram, l'amie Ilona, pianiste et vénitienne d'adoption dans son @quiviviamobene poursuit cet état d'esprit positif que l'on retrouvait dans tous les blogs consacrés à Venise. Dans ses publications,
je retrouve depuis toujours une certaine familiarité de coeur et d'esprit. Je vous les recommande, si vous ne les connaissez pas encore.

Pou l'occasion, Tramezzinimag a invité dans ses pages un ravissant matou bordelais de  nos relations, qui a bien voulu accepter de prendre la pause et d'avoir son élégance posture publiée dans nos pages.

Bonnes lectures et bon dimanche ! 

Venezianamente

12 février 2023

Le Retour...

Mille fois pardon aux lecteurs qui m'écrivent, étonnés de mon silence, inquiets ou mécontents de ne plus retrouver régulièrement leur Tramezzinimag. Certes, entre 2005 qui vit naître le premier blog et 2023, les goûts et les habitudes ont changé. De revue en ligne on m'a conseillé de passer aux « brèves », faciles à lire, ce format ultra-court que les nouvelles générations préfèrent... Un jeune lycéen m'avouait candidement l'autre jour « J'aime beaucoup lire mais les gros livres, les longs textes, ça me fait peur » et la jeune fille qui était avec lui ajoutait « Moi, je cherche tout de suite le résumé ou un abrégé ». Ils ne lisent jamais les journaux, encore moins les revues, mais sont au courant de tout instantanément et en permanence, saturés d'images qui frappent...

Trop sollicités par les réseaux sociaux, sur le fond, nous avons pris l'habitude du drame et attendons chaque jour une nouvelle dose de tragédie universelle. Les images flash et choc ont pris le dessus. L'information immédiate plutôt que la réflexion et le commentaire... Il faut faire avec. L'humain est toujours pressé désormais. On peut dire, avec ce que nous avons fait de la planète, que cette fuite en avant, semble donner raison à ces pessimistes qui voient dans tout cela une sorte de suicide collectif ; la fin autoprogrammée de notre espèce, qui peu à peu laisserait se déliter tout ce qui fait l'humain en poursuivant d'épouvantables chimères baptisées Progrès, Croissance, dans un monde sous l'influence négative de l'information en continu, qui distille jour après jour, la peur et l'angoisse et réduit l'espoir et le bonheur à des chimères...

À Tramezzinimag, point de pessimisme ou de pensées mortifères. A l'image de Venise, - qui comme toujours, montre l'exemple - notre chère Sérénissime, qu'on dit depuis longtemps agonisante, remugle d'une civilisation moribonde, voire déjà en décomposition, regardez-la, en dépit de tout et contre attente, elle paraît plus que jamais ardente, vibrante, rayonnante, attirant toujours autant - hélas - des millions de visiteurs ébahis, mais que sa population native ou d'adoption refuse de laisser considérer comme un musée ou un parc d'attractions. Ne contredit-elle pas, un fois encore, toutes ces idées bien noires évoquées plus haut 

Pour conclure, Tramezzinimag reste ce qu'il a toujours souhaité être, une revue qui met en avant Venise et sa civilisation, la beauté de son quotidien, les merveilles de son histoire, souvent source de leçons pour le monde moderne. 

17 mai 2021

A Bigger splash par Lisa Hilton

L'écrivain L
isa Hilton vient de publier dans la revue en ligne AirMail dans son numéro 96  récemment (en anglais) un excellent article sur un conflit qui oppose la municipalité et le maire aux propriétaires de certains grands palais sur le Canalazzo ou ailleurs dans la vie et qui ont trouvé avec la Biennale le moyen d'assurer l'entretien et parfois la restauration des bâtiments historiques dont ils ont la charge et qui ont pu jusqu'à ce jour rester propriété privée au lieu de devenir d'énièmes auberges de luxe ou pseudo luxe pour nouveaux riches russes et chinois, rois du pétrole et vieilles ex-starlettes du porno. 
 
En effet, l'administration n'entend pas se laisser concurrencer par les familles patriciennes dans la compétition pour les pavillons nationaux de la Biennale. La Municipalité dispose d'un patrimoine immobillier qui coûte une fortune et comme il est impossible de tout transformer en centre commercial de luxe ou en palace. 
 
Filippo Gaggia (Dir. Views on Venice Estates), Hughes Le Gallais (Ca' Del Duca) et Mario Donati (Palazzo Quarini-Vianello) .

Voici le lien de l'article pour ceux qui lisent l'anglais :  ICI

21 février 2021

Une époque moderne. Journal, Extraits


4 février.
Qui s'en souvient ? Il y a un an encore, avant que tout ne se précipite et nous bouscule dans notre routine, il semblait possible de pouvoir affirmer que nous avions beaucoup de chance, sans qu'une masse se dresse contre nos propos. On pouvait être comme on est sans s'attirer les foudres de ceux qui ne pensaient pas comme nous. Notre vocabulaire était plus pauvre et notre esprit plus riche. La joie était facile, notre monde s'acheminait vers davantage de justice, de culture, de découvertes heureuses. Il y avait toujours quelque part autour de nous de quoi satisfaire les plus exigeants question qualité de vie, sérénité ou résilience. La nouvelle chasse aux sorcières n'empoisonnait pas encore la communication entre les hommes. Tout n'était pas parfait, il y avait encore beaucoup à faire. Mais les imperfections étaient supportables, parce qu'on les savait corrigeables. Le "bien commun" était la préoccupation majeure de nos gouvernants.

Mais c'était avant. Avant cette "pandémie" qui nous harcèle et occupe tous les esprits. Soudain, le monde s'est réveillé dans un autre monde. Comme s'il se voyait dans un miroir déformant. Ce qui n'était que mauvaise fiction devenait réalité. Triste réalité que d'entendre les chefs d’État et leurs ministres dirent tout et son contraire dans la même journée, des principes et des lois bafoués, le mensonge et le parjure devenus outils de communication et peu à peu le silence de tous, l'effarement, la sidération. L'impression que, sans envisager que tout cela fut pensé et orchestré en amont par des fous furieux multimilliardaires méprisants le commun des mortels comme dans les pire romans d'anticipation ou certaines bandes dessinées. C'est c'est de la vie soudain dont il s'agit et laisser entendre qu'un danger sournois et invisible nous menace tous, faire entendre que notre santé est menacée et pour les plus fragiles d'entre nous, la vie même. L'information soudain n'a plus porté que sur le sujet. Et nous avons tous pris peur. 


5 février.
Depuis près d'un an, nous vivons masqués, à bonne distance de l'autre, méfiants. Porter un bout de tissu sur le visage est devenu une habitude, tant est si bien qu'il nous arrive d'oublier que nous sommes masqués et le rester même seuls chez nous... Curieux, n'est-ce pas comme l'homme s'habitue à tout... Pourtant, notre nature ne peut être longtemps et impunément contrainte. Tous nous ressentons les mêmes besoins. La peur et le doute instrumentalisés ou pas ne peuvent éteindre en nous cette flamme qui nait avec la vie, ce besoin d'aimer et d'être aimé, d'aller vers les autres et de les savoir semblables, avec les mêmes doutes et parfois des peurs semblables. 

Le diable a tellement de tours dans son sac. Bien qu'il ne gagne jamais, que les ténèbres ne l'emportant jamais sur la lumière, il semble plus que jamais à l’œuvre, croyant à chaque fois son triomphe imminent. Il faut dire que nous l'y aidons avec nos prétentions, notre bêtise, notre propension à l'égoïsme et à la jalousie. Le plus souvent, ce manque d'amour n'es rien d'autre qu'un réflexe de défiance envers l'autre, l'étranger, l'inconnu, surtout quand il frappe à nos portes sans arme et sans ornements, nu, fatigué, blessé. Là où l'enfant, l'innocent, le ravi tendent leur main, spontanément, sans crainte ni mépris, trop souvent nous fermons notre cœur. S'ils arrivaient, ces étrangers mal mis, couverts d'oripeaux somptueux, déclamant de beaux discours et les bras chargés d'offrandes, ce ne serait pas pareil. A deux battants, nous ouvririons les portes de nos cœurs et de nos maisons et l'étranger serait présenté à nos enfants et à nos voisins, accueilli, choyé.

Drôle d'époque donc où l'individu ne finit par ne plus vraiment retrouver ses marques, où les images, les paroles sont dures et parfois violentes, où nos routines volent en éclat, laissant les plus fragiles encore plus démunis. J'avoue être de ceux qui sont naturellement portés vers l'idée que ce qu'on ne voit ni n'entend n'existe pas vraiment. Mon métier, mes goûts, ma nature me portent naturellement vers la solitude et l'isolement organisé. Non que je sois un misanthrope, j'aime les gens, j'aime la vie autour de moi mais celle qu'on nous impose depuis un an ne me convient en rien - à qui peut-elle convenir finalement ? - Cette crise inattendue, jamais vécue en temps de paix, nous rapprochent tous de l'essentiel dans nos vies : notre famille et nos amis véritables, ces «Huckleberry friends»(*) qui accompagnent nos rires et nos joies depuis toujours nous sont plus que jamais nécessaires et les savoir au même diapason n'est que joie et félicité. même l'exil forcé loin de Venise semble moins douloureux. J'ai toujours été ébahi par la manière dont ces jeunes africains débarqués par miracle de ces bateaux devenus trop de fois des tombeaux quand ils auraient dû être berceaux. combien d'anonymes leur ont ouverts leurs bras, les ont pris chez eux et les ont installés dans leur vie et dans le paysage. 

L'italien sait bien ce qu'est l'exil, l'émigration contrainte, ce qu'abandonner sa terre, ses frères, ses usages pour l'inconnu, la douleur de l'errance et l'angoisse du vide qui se déploie davantage à chaque pas. Cet accueil spontané, joyeux ou silencieux selon les caractères des lieux de débarquement de ces réfugiés en loque, affamés, fatigués et terrorisés, souvent presqu'encore des enfants, des jeunes gens partis avec l'espoir de revenir un jour, enrichis des savoirs et des rencontres dont ils se seront nourris tout au long de leur chemin. A Venise, sinon quelques esprits chagrins, rances et aigris, adeptes d'un nationalisme si peu italien, ces migrants n'ont jamais été mal traités. La toponymie de la cité des doges a certainement quelque chose à y voir. Les «Vu cumpra» des années 2000, alignés le long des rues passantes et présentant la même camelote Made in China, moqués par les berlusconiens et les néo-fascistes, regardaient la vie se dérouler autour d'eux avec un incroyable sourire et quand ils le pouvaient, ils s'affairaient avec une extrême gentillesse, aidant de vieilles dames à tirer leu caddie ou ramassant le journal qu'un vieillard presque impotent laissait tomber. Ceux qui sont restés, s'expriment en dialecte désormais et beaucoup ont trouvé des petits boulots. Rien de mirifique, trop souvent à la limite de l'acceptable certes. Mais ce qui rend leur quotidien vivable, empêche l'enfer, ce sont les mains tendus des vénitiens, individuellement ou par le biais des associations qui se sont créées ces dernières années. Le discours officiel et l'immobilisme de l'administration contraste avec la réalité du terrain. Je ne sais pas ce qu'il en est à Rome, à Turin ou à Milan. L'italien n'est pas naturellement raciste. Souhaitons qu'il ne le devienne pas...

10 février
Le temps du carnaval est arrivé. Après le brouillard, la froidure, les précipitations et les grandes marées de ces dernières semaines, la neige viendra-t-elle comme elle nous y avait habitué longtemps ? Que de souvenirs, la neve di febbraio... Une année, j'avais invité ma mère à passer quelques jours avec moi à Venise. Je n'y vivais pas encore mais ma décision était prise de quitter Bordeaux et de m'y installer à l'année. L'inviter à voir Venise en hiver, faire avec elle mes promenades préférées m'aiderait à la convaincre de me laisser partir. De la laisser. Lui parler ainsi librement de mon amour pour la cité des doges, sur les lieux mêmes de ma passion me permettrait sûrement de la convaincre plus facilement.

Venise, Lista di Spagna, années 80
Le touriste se faisait rare l'hiver  à cette époque. L'assessorat au tourisme et le syndicat hôtelier venaient de lancer une opération Venezia d'Inverno (Venise en hiver). J'ai retrouvé récemment la brochure de l'Office du Tourisme. L'offre était intéressante. Des palaces de la CIGA, la compagnie qui appartenait à l'Aga Khan qui possédait entre autres le Danieli et le Gritti) aux auberges plus modestes, les hôtels ouverts en hiver proposaient leurs chambres et les services attenants entre 30 et 50% moins chers que pendant la haute-saison. Venezia d'Inverno prévoyait un thé-concert au Palazzo Mocenigo, des entrées dans les principaux musées, et plein de réductions dans les restaurants et les magasins de luxe. Bref, l'idéal pour permettre à un étudiant peu fortuné d'inviter sa mère dans des conditions décentes. 

Quelques années auparavant, nous avions logé au Londra, sur les Schiavoni. Mais les chambres situées face à San Giorgio étaient en rénovation. J'avais choisi le Concordia, parce que quelques unes de leurs chambres avec balcon donnant directement sur la Piazza. L'hôtel était lui aussi en travaux mais on m'avait garanti que tout serait terminé pour son arrivée. Il n'en fut rien et je l'appris en arrivant... L'hôtel était encore fermé et le directeur qui nous attendait, se confondit en excuses et nous expliqua qu'une suite nous était réservée à l'Antica Panada. J'ai retrouvé mes notes dans mon journal de l'époque : 

Coup de théâtre comme accueil. A peine descendus du taxi, la surprise : l'hôtel est fermé pour travaux. Un employé empressé nous présente ses excuses dans un français de comédie. Très goldonien. Deux complices, un type à la peau grise avec une moustache et un garçon de mon âge ou un peu plus jeune s'emparent de nos valises. Nous sommes relogés à deux pas nous dit-il. « Aussi confortable et tranquille, mais sans la vue ». Nous sommes partagés entre l'envie de rire et la la colère. j'avais pensé sauf à tout sauf à ça. L'aléa qui fera l'anecdote. Maman cache sa lassitude par un sourire poli. 

Il s'agit en fait du directeur de l'établissement, très obséquieux, comme dans un film de Visconti. Il aurait ajouté « pour vos excellences » et nous étions dans Mort à Venise. Ce qui, à l'époque, n'était pas pour me déplaire en fait... 

« Les petits-déjeuners vous seront offerts en compensation... et puis il y a Prosecco, panier de fruits et fleurs qui attendent tout pareil à l'Antica Panada »...« Venezia d'inverno, tout pareil, tout pareil !» 

Les deux garçons portant la livrée de l'hôtel nous ont accompagnés jusqu'à la « solution de remplacement qui s'est imposée et qui vous donnera la meilleure satisfaction pour votre séjour ! ». L'Antica Panada est situé une centaine de mètres plus loin sur la Calle dei specchieri. En face du do Forni. Chambres confortables, décoration un peu toc de luxe. Nous passons une agréable nuit. Venise de nouveau et maman contente. 

Je me souviendrai de cette arrivée. Froid intense le matin en ouvrant ma fenêtre, mais froid vénitien.


Petite mésaventure somme toute bien sympathique, Je n'ai jamais pu faire de comparaison entre le Concordia et l'Antica Panada, mais ce fut confortable et les chambres formaient un petit appartement au deuxième étage du palazzo. Les notes de mon journal précisent qu'une fois changés, nos affaires installées, nous sommes allés déjeuner en face, au Do Forni. Une promenade autour de la Piazza, visite de San Marco puis un chocolat chaud au Florian où travaillait certainement mon cousin Sandro dont je ferai quelques mois plus tard la connaissance par le plus grand des hasards, mais y en a-t-il vraiment à Venise ou du moins dans ma vie à Venise ? Mon journal indique que nous sommes ensuite rentrés à l'hôtel pour nous préparer à la passeggiata et nous changer pour dîner. C'était la veille du carnaval balbutiant. Dîner dans une trattoria derrière l'église San Fantin, un restaurant où, quelques années plus tard, je me rendrais souvent, avec le galeriste Giuliano Graziussi, Arbit Blatas, Ludovico de Luigi et d'autres. En sortant, un brouillard très dense avait recouvert la ville. C'était magique. Tout semblait s'atténuer et se fondre dans l'air. Il faisait froid mais nous ne pouvions pas rentrer sans faire une promenade. Je voulais aller jusqu'à la Pointe de la Douane et voir ce que nous pouvions voir malgré cette nebbia intense. La Piazza semblait flotter sur des nuages bas. Le vent était tombé quand nous arrivions au môle, devant les colonnes de la Piazzetta. Il y avait dans l'air des senteurs étrangement envoûtantes. Magiques. La promenade qui longe les jardins royaux était presque vide, quelques couples qui se rendaient au Harry's Bar ou en venaient. Les vitrines donnaient à la rue une éclairage de fête. on aurait dirt qu'entre la lumière et le brouillard, une sorte de lutte était en train de se dérouler. Bien couverts, nous avions les mêmes impressions qui nous gagnent en montagne quand la lumière semble rendre le froid plus intense et que le confort des vêtements chauds et ouatés nous permet de garder à distance. nous avons ainsi marché jusque sur les Zattere. 
 
On marche beaucoup à Venise. J'en avais l'habitude. Pas ma pauvre mère. Après cette longue promenade, elle souffrait terriblement. Son amour pour les élégants escarpins de chez Fendi l'avait empêchée de chausser ses souliers de marche, légers et souples. J'avais insisté pour qu'elle se change après le dîner. « Non non, une autre fois. Nous sommes à Venise tout de même pas dans le Kent. Ces chaussures me rappellent trop ma mère. J'aurai l'air d'une vieille méthodiste anglaise » avait-elle répliqué. Le brouillard était tellement dense que plus un seul vaporetto ne circulait, plus un taxi, encore moins une gondole. Il allait falloir refaire tout le chemin à pied. Nous voilà repartis, après une pause en haut du pont de l'Accademia. Le brouillard était parfois moins dense mais une brise survenait soudain qui le rendait de nouveau très dense. Quand il se dégageait le ciel apparaissait couvert d'étoiles. Le grand canal était silencieux. Partout autour de nous des lumières et leurs reflets. Se promener ainsi dans Venise sous le brouillard et dans la nuit est une expérience unique. J'étais content de la faire partager à ma mère. Une cloche sonna, puis une autre. 
 
Soudain, l'incroyable. En un instant, ce fut le noir complet tout autour de nous. Plus une seule lumière dans la ville...Une gigantesque panne d'électricité priva Venise de lumière au moment où nous arrivions devant le kiosque du fleuriste, devant le Palazzo Franchetti. Quelqu'un venait d'éteindre sans prévenir. Pour un peu on aurait même cru entendre le déclic de l'interrupteur. Rapidement, nos yeux s'habituèrent à l'obscurité et les dalles de pierre d'Istrie guidèrent nos pas. Comme une ligne de veilleuses ou de fanaux indiquant la piste aux avions. Les passants s'interpelaient les uns aux autres, parfois un homme allumait un briquet, on croisait des lampes de poche. Je retrouvais l'atmosphère vécue un soir d'hiver à Londres, quand la ville était encore sujette au Smog, mélange graisseux de brume et de pollution, avec cette odeur inoubliable, mélange de grésil et de tourbe qu'on sent encore dans le métro. Peu à peu, au fur et à mesure que nous avancions vers San Marco, la lueur de bougies apparaissait aux fenêtres ou aux vitrines des restaurants et des bars encore ouverts. Quand nous avons finalement regagné l'hôtel dont le hall était éclairé par des candélabres,  la lumière revint et on entendit partout dans la ville presque endormie comme un soupir de soulagement.
 
 

Pour la petite histoire, une seconde panne eut lieu quelques heures plus tard et le lendemain encore. Les journaux parlèrent du froid qui avait amené les gens à forcer les chaudières mais Venise à l'époque était encore en grande partie chauffée au charbon ou au fuel... Une expérience unique qui nous fit regretter que les codegon n'existent plus, ces guides nocturnes qui louaient leurs services et ceux de leur lanterne - appelée codega - pour accompagner les passants. Jusqu'à la chute de la république, il n'y avait d'éclairage public qu'autour de la Piazza et du palais des doges. Les porteurs de lumière étaient donc très utiles la nuit. Même pour les personnes mal intentionnées. Combien d'histoires sont rapportées de malheureux qu'on attira avec une  de ces lanternes dans un guet-apens, surtout par les nuits sans lune quand la nebbia comme celle que nous avions traversée ma mère et moi se répandait partout dans la ville. Combien se sont noyés après qu'ils aient voulu se rapprocher d'une lanterne qu'ils imaginaient devant eux mais qu'on agitait en fait depuis une barque ou de l'autre côté d'un rio. On allait le lendemain reconnaître le cadavre des infortunés sur la piazzetta des Leoncini où ils étaient exposés. Accident ou meurtre, les enquêteurs de la Magistrature n'aboutissaient quasiment jamais à conclure...

12 février.
L'an dernier à cette date j'avais quitté Venise depuis une semaine. L'étudiant écossais que j'hébergeais dans le cadre de son Erasmus était parti retrouver sa petite amie à Hong Kong où il cherchait un stage. J'avais retrouvé Bordeaux pour quelques semaines avant de retourner sur la lagune lancer la maison d'édition. le nom avait été présenté, l'équipe formée. Je tenais à lancer l'opération de financement participatif pour les premiers titres, depuis la France. Même bilingues, les livres que nous nous apprêtions à publier le seraient toujours en français. Le projet devait être remisé puisque un mois plus tard l'Italie se confinait. Et les semaines puis les mois passèrent. Je suis toujours exilé, passant mes jours entre Bordeaux et la campagne, me rendant parfois auprès de mes enfants. 
 
Nantes, Lyon, Paris. Dans la joie de les voir et de passer du temps avec eux. Mais sans le plaisir ressenti avant à l'idée de voyager, de croiser d'autres voyageurs, d'imaginer leur vie, de partager le temps du trajet quelques réflexions. Le silence et la solitude des voyages en train - mais aussi en bus, délice vécu lors de mes voyages d'étudiant, en Turquie notamment, et depuis l'invention des bus Macron - pendant ces heures tranquilles sur les routes de France. La crise sanitaire aura insufflé dans nos esprits la méfiance voire même de la peur. Les messages répétés dans les trains, sur les affichettes au sujet de la distanciation sociale, de l'hygiène des mains, des masques, ce n'est pas anodin. Les esprits les plus positifs, les plus sereins ne peuvent pas rester étanches à force d'entendre la même propagande. réaction irrationnelle certes mais qui encombre et modifie nos comportements, nous fait hésiter et nous fait craindre quand il y a si peu de risque finalement... Mais à quoi bon lutter contre la peur du plus grand nombre, à quoi bon. Se battre contre des moulins n'a jamais rien amené. Ni pour soi ni pour les autres.
 
La réflexion remonte à loin déjà. En mai dernier, je notais :
D'aucuns dans les milieux de la pensée parlent d'une ère nouvelle. un nouvel âge en train de naître... Nous assistons apparemment au commencement d'un autre monde, « une sorte de siècle épidémiologique », disait sur France Culture il y a quelques mois un historien. Désormais, nous sommes régulièrement confrontés à l'irruption de virus qui assaillent le monde. N'est-ce pas la démonstration que nous sommes entrés dans d'une ère nouvelle, celle de l’anthropocène. Car, c'est directement l’intervention humaine qui ruine la nature, flore et faune sauvage et qui favorise ainsi, la propagation des virus. Qui oserait désormais le nier ? Cette crise inédite, de sanitaire risque de se transformer en crise financière, et cela très rapidement,que les adeptes du jargon post-moderne traduisent par le terme présentiste. 
Il y eut les grandes épidémies de peste, mais peut-on réellement puiser dans le passé des éléments de comparaison et trouver dans le passé de quoi ajuster les réponses à apporter pour conduire les projets collectifs d’avenir. Au début de la crise, au printemps dernier, on m'a plusieurs fois demander d'écrire sur l'exemple des pandémies qui touchèrent Venise et amenèrent à l'invention de la quarantaine, l'édification des lazarets, etc. L'historien a toujours le réflexe - souvent salutaire - de regarder dans le passé des sociétés des idées pour nos temps. Mais en 2021, beaucoup de questions se posent, mais peu de réponses sont évidentes. Bien qu'utile, la comparaison avec les crises précédentes n'apporte aucune véritable solution, si ce  la terrible grippe espagnole au début du XXe siècle.

La nature exceptionnelle de cette pandémie, son universalité(puisque là non plus le virus ne respecta aucune frontière, aucun peuple, aucun régime, aucune organisation sociale) fait qu’elle fut le révélateur de dysfonctionnements, d’interrogations et en même temps d’espoirs. Comme la grippe espagnole, le covid ne peut pas être qu’un moment. On voit collectivement une aspiration à quelque chose d’autre pour l’avenir. L'Histoire est là pour nous l'enseigner : Le monde d’après 1918 n’était soudain plus le même, des empires se sont écroulés, des peuples se sont réveillés, les mentalités changèrent, les aspirations aussi, y compris sur le plan psychologique, . La grippe espagnole vint achever l'ancien monde à cause des traumatismes de la guerre. De même, « au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception collective que l’on se faisait de la démocratie n’a plus été la même. On avait besoin de beaucoup plus d’intervention, de protection, d’égalité ». Étant donné l'importance et l’universalité de la crise que nous vivons aujourd’hui, il est évident qu'elle ne peut pas être qu’une transition, encore moins une parenthèse. Cet électrochoc sera peut-être salutaire. Ou pas...

Je lis déjà les commentaires de certains lecteurs : «mais et Venise sans tout cela ? Pourquoi nous rappeler ce que nous vivons tous les jours depuis près d'un an ? Ce blog est-il un forum complotiste ou sanitarien (encore le jargon actuel !)»...

C'est que tout ce qu'il nous est donné de vivre avec la crise sanitaire procède d'une mise en question de notre modèle social, politique et économique. Les gouvernants tâtonnent mais ils cherchent, les peuples murmurent mais ils se soumettent, certains se servent des évènements pour faire avancer leurs idées voire leurs ambitions, rien que de très humain là-dedans. Et bien, en partant du principe défendu dans ces colonnes depuis toujours, que Venise est, a été et peut redevenir un modèle pour la société contemporaine, tout ce qui se passe dans cette petite lagune avec ses minuscules îlots n'abritant plus qu'un dixième de sa population d'autrefois (aux alentours de 56.000 aujourd'hui, près de 500.000 dès le XVIe siècle pour la même superficie), la gestion des évènements naturels provoqués par l'ineptie des appétits humains, celle du tourisme, la résilience si particulière aux vénitiens, l'omniprésence de l'histoire et de ses trésors se mêlant à une énergie créatrice qui n'a pas son pareil dans les mégalopoles, font bien que le sujet est en adéquation avec Venise.

14/02/2021

Je découvre dans ma boîte mail le message d'un ami avec.  qui je corresponds depuis mon retour de Venise. Vénitien, il vient enfin de rentrer chez lui après un séjour forcé en Australie. Bloqué comme tant d'autres par la pandémie, il effectuait un stage de bénévolat pour une ONG australienne dans je ne sais plus quel territoire voisin de la grande île. Si le surf et la nature avaient surtout motivé son choix il y a deux ans, ce qu'il a vécu là-bas a transformé son regard d'européen. 
Par ses commentaires passionnants, il m'a éclairé dans bien des domaines où mon point de vue demeurait somme toute assez figé. Lorsque mon fils séjourna à Vancouver après une année passée à Montréal, il en fut de même. Mon ami vénitien a seulement deux ans de plus que mon fils. Est-ce alors une question de génération ? Il sait que je finirai par évoquer nos échanges et le mentionner dans ces colonnes. Aussi lui ai-je promis de ne pas citer son véritable nom. Considérons qu'il s'appelle Carlo.
 
Carlo m'a envoyé le lien vers un article paru dans Linkiesta, ce (multi)média italien publié en ligne depuis sa création en 2011.  Outre le contenu éditorial de belle tenue, de couleur gauche progressiste - si je puis m'exprimer ainsi pour traduire l'orientation générale de la rédaction dans un pays où on ne sait plus très bien qui est où et défend quoi...-, c'est sur son design qu'il voulait attirer mon attention. Car Linkiesta et ses suppléments forment un beau journal. Format, typo, couleurs, mise en page. Tout est splendide, efficace mais joli, fonctionnel mais esthétique. Couleurs et formes rafraîchissent après l'inondation des motifs et modèles Canva ! On est loin de la ringardise des studios de publicité de l'hexagone où les questions qu'on se pose encore concernant les préférences présumées du public entre le jaune et l'orangé, l'horreur absolue du violet et la puissance indétrônable du rouge royal... Chez Linkiesta, on vole plus haut. Et c'est beau. Carlo a raison ! 
 
Comme toujours, je suis aller farfouiller dans leurs archives pour vérifier que le contenu était aussi beau que le contenant, en cherchant tout ce qui a pu paraître ces derniers mois sur Venise. J'en ai trouvé plusieurs, liés à la politique nationale italienne, à la gastronomie ou au tourisme. Le plus récent en date susceptible d'intéresser les lecteurs de Tramezzinimag concerne la décision - inique - de Luigi Brugnaro, le maire réélu, de ne pas rouvrir les musées de la ville (voir l'article dans Le Figaro qui relate parfaitement la situation citée par le magazine italien : ICI). Le maire resté enfermé dans un modèle dépassé qui favorise la terre ferme parce que c'est sur la terraferma que sont la majorité de ses électeurs de Mestre et de Marghera au détriment des résidents du site historique - la seule et vraie Venise - et montre combien dans ses choix, même s'il jure le contraire, il considère le centro storico comme une sorte de parc d'attraction faisant rentrer les devises qui permettront de financer des projets de Marghera. 
 
L'électoralisme de la giunta au pouvoir n'échappe à personne. Seulement, il ne s'agit pas de n'importe quelle bourgade mais d'un des hauts-lieux culturels du monde et ce n'est pas n'est pas un Disneyland. Les vénitiens ont aussi soif de culture et les musées sont - je dirai même avant tout - pour eux. Sans oublier les milliers d'étudiants qui ont besoin de nourrir leur culture avec ces biens culturels appartenant à tous et gratuits. Un sondage avait réuni plus de 6000 signatures. Pour ceux qui lisent l'italien : le lien vers l'article cité ICI).
 
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(*) : in-Breakfast at Tiffany's avec la merveilleuse Audrey Hepburn. Expression difficile à traduire provenant de la chanson Moon River de Henri Mancini, mais qui sert à désigner, selon le Urban Dictionary de la langue anglaise, « au singulier, un très bon ami qui fait partie de notre vie depuis des années, généralement depuis notre jeunesse», quelqu'un de très spécial donc. Mes lecteurs savent combien l'amitié est un sentiment important pour l'auteur de ce blog depuis sa plus tendre enfance.

 

18 février 2021

«O mein papà» par Nilla Pizzi

 
Souvenirs d'enfance. Une chanson que fredonnait ma mère quand j'étais enfant et que j'avais appris à chanter très jeune. L'air est un peu démodé et l'origine allemande de la mélodie rappelle l'époque à laquelle elle fut à la mode, quand l'Italie se fourvoyée dans sa funeste alliance avec l'Allemagne nazie, l'URSS de Staline et le Japon, cet axe criminel qui généra l'une des plus grandes boucheries qu'ait connue l'Humanité. Mais la chanson est belle et émouvante. Elle réveille mille souvenirs d'enfance, l'amour d'un fils pour son père et le chagrin de l'avoir perdu trop tôt et d'avoir aujourd'hui un âge qu'il n'a jamais atteint. 
« O mein papà, sei l’uomo più adorabile. / O mein papà, sei l’uomo più sincero,/ O mein papà, sei tanto caro e amabile, /e nel tuo cuor c’è solo la bontà. / Degli occhi tuoi gli sguardi m’accarezzano / perché, lo so, per te son bimbo ancora./ O mein papà, fratello e amico unico,/ O mein papà, sei tutta la mia vita. / E se l’amor potesse far miracoli, / vorrei tornar bambino insieme a te./ O mein papà, o mein papà, o mein papà.

Certaines strophes n'ont plus été reprises avec le temps. Elles marquaient une vision du monde qui n'est plus du tout politiquement correcte de nos jours. 

«Quand’ero bambino, / l’amico più caro sei stato tu solo, papà. / Tornavi piccino, per farmi giocare / e imitavamo i negri e gli indù. / Ta ta pum – Ta ta pum – Ta ta pum./ Fra tanto clamor, sembrava il Far West / la casa tra i fior… laggiù. / Se a volte guastavo i miei balocchi / e il pianto sgorgava dal cuor,/ col tuo bel sorriso, baciandomi gli occhi, / si dileguavan tristezze e dolor.»

On y parle de jouer en «imitant les nègres et les Hindous», jargon connoté qui passe aujourd'hui pour du racisme comme apparaissent racistes Tintin et le capitaine Haddock, les héros de notre enfance. C'est vrai que quand nous jouions enfants, l'indien perdait toujours, il était le méchant et le gentil cow-boy s'avérait toujours plus fort que les apaches et les sioux, que nous appelions les sauvages. Que tout cela est loin désormais. Mes propos, pourtant simple réminiscence de l'enfance et commentaire innocent d'une chanson, émouvant souvenir de mes jeunes années, vont certainement être jugés réactionnaires par les «modernes», victimes consentantes de la pensée unique et du lavage de cerveau.Mais qu'importe les pisse-vinaigres, je ne vais rien censurer de mes souvenirs et la nauséabonde cancel culture ne passera pas chez Tramezzinimag ! Nous ne portons pas la responsabilité des erreurs commises par ceux qui vinrent avant nous.

29 novembre 2020

Tramezzinimag invite l'écrivain Mustapha Dahleb :

J'ai le plaisir de livrer à votre appréciation ce petit texte qu’un ami dominicain m’avait fait connaître quelques jours après le début du premier confinement. Publié par un écrivain arabe et médecin, dans la Tribune Juive le 20 mars 2020, il nous appelle à la sagesse et à prendre du recul. Je l'avais lu avec délices. Et si, avec le temps, "le petit machin" a continué de tout bousculer, il n'a pas entamé - il ne doit pas entamer - l'Espérance et la Joie, ces deux vertus lumineuses qui aident à résister à la peur, résister à la colère et à sa fille dévoyée, la haine, à résister au désespoir. Gardons notre ardeur en ce premier jour de l'Avent !

Gustav Klimt. Hope. II. 1907-1908. Détail. MOMA. NY

L’humanité effondrée et la société ébranlée par "un petit machin"   

par Mustapha Dahleb*

Un petit machin microscopique appelé coronavirus bouleverse la planète. Quelque chose d’invisible est venu pour faire sa loi. Il remet tout en question et chamboule l’ordre établi. Tout se remet en place, autrement, différemment. 

Ce que les grandes puissances occidentales n’ont pu obtenir en Syrie, en Lybie, au Yemen, ce petit machin l’a obtenu : cessez-le-feu, trêve... Ce que l’armée algérienne n’a pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (le Hirak a pris fin). Ce que les opposants politiques n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (report des échéances électorales... Ce que les entreprises n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu : remise d’impôts, exonérations, crédits à taux zéro, fonds d’investissement, baisse des cours des matières premières stratégiques... Ce que les gilets jaunes et les syndicats n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu : baisse de prix à la pompe, protection sociale renforcée... 

Soudain, on observe dans le monde occidental le carburant a baissé, la pollution a baissé, les gens ont commencé à avoir du temps, tellement de temps qu’ils ne savent même pas quoi en faire. Les parents apprennent à connaître leurs enfants, les enfants apprennent à rester en famille, le travail n’est plus une priorité, les voyages et les loisirs ne sont plus la norme d’une vie réussie. Soudain, en silence, nous nous retournons en nous-mêmes et comprenons la valeur des mots solidarité et vulnérabilité. Soudain, nous réalisons que nous sommes tous embarqués dans le même bateau, riches et pauvres. Nous réalisons que nous avions dévalisé ensemble les étagères des magasins et constatons ensemble que les hôpitaux sont pleins et que l’argent n’a aucune importance. Que nous avons tous la même identité humaine face au coronavirus. Nous réalisons que dans les garages, les voitures haut de gamme sont arrêtées juste parce que personne ne peut sortir. Quelques jours seulement ont suffi à l’univers pour établir l’égalité sociale qui était impossible à imaginer. 

La peur a envahi tout le monde. Elle a changé de camp. Elle a quitté les pauvres pour aller habiter les riches et les puissants. Elle leur a rappelé leur humanité et leur a révélé leur humanisme. Puisse cela servir à réaliser la vulnérabilité des êtres humains qui cherchent à aller habiter sur la planète mars et qui se croient forts pour cloner des êtres humains pour espérer vivre éternellement. Puisse cela servir à réaliser la limite de l’intelligence humaine face à la force du ciel. Il a suffi de quelques jours pour que la certitude devienne incertitude, que la force devienne faiblesse, que le pouvoir devienne solidarité et concertation. Il a suffi de quelques jours pour que l’Afrique devienne un continent sûr. Que le songe devienne mensonge. Il a suffi de quelques jours pour que l’humanité prenne conscience qu’elle n’est que souffle et poussière. 

Qui sommes-nous ? Que valons-nous ? Que pouvons-nous face à ce coronavirus ? Rendons-nous à l’évidence en attendant la providence. Interrogeons notre “humanité” dans cette “mondialité” à l’épreuve du coronavirus. Restons chez nous et méditons sur cette pandémie. Aimons-nous vivants !

* Mustapha Dahleb est le nom d’auteur du Docteur Hassan Mahamat Idriss.

© Mustapha Dahleb & Lorenzo Cittone - Tramezzinimag2.blogspot.com - 29/XI/2020 – Tous Droits Réservés