Je vous
parlais le 6 juin des vendeurs abusifs comme les nomment la presse
italienne. Ils font partie du paysage du centre historique et amusent
les touristes tant ils sont entassés les uns à côté des autres, file
presque ininterrompue de la gare à l'accademia en pensant par le Rialto
et Saint Marc. Ils sont la face sombre de ce que le continent africain
est devenu. Derrière l'outrance de ces déballages de camelote à trois
sous et de mauvaises répliques de maroquinerie de luxe pour gogos, il y a
toute la misère d'un peuple qui continue d'envoyer ses enfants se
brûler aux lumières de l'occident trop riche. Mais à Venise en ces
premiers jours de la 52e Biennale d'art contemporain, une autre Afrique
est aussi présente à Venise.
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Déjà la polémique (la légende ?) est en route : leur manifestation devant
les bureaux de Massimo Cacciari qui
a mal tourné attire déjà le regard des journalistes et de certains
intellectuels qui ont vite fait de crier à la ségrégation. le sujet est
sensible mais Venise n'est pas Milan. Le racisme n'est pas une
composante naturelle de l'âme vénitienne, bien que certains autonomistes
nostalgiques d'un passé bien sombre aimeraient en faire un réflexe. Harry Bellet, l'envoyé du Monde à Venise cite la réaction épidermique du critique d'art Lino Polegato,
commissaire du pavillon nomade de Tahiti qui s'inquiétait de leur
condition et de la répression dont ils font l'objet. Je le dis à
nouveau, cette profusion exponentielle de vendeurs ambulants sans
autorisation, clandestins pour la plupart, vendant les uns à côté des
autres la même marchandise contrefaite et de mauvaise qualité,
ravitaillés par la Camorra qui revient ainsi en force à Venise et qui
encombrent les abords des sites les plus fréquentés par les touristes,
devient chaque jour de plus en plus difficilement supportable. Les
commerçants se plaignent, les ambulants officiels déjà concurrencés par
les vendeurs de gadgets et de roses congelées de la Place Saint Marc,
venus d'Albanie ou de l'ex-Yougoslavie, n'en veulent plus.
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(1) : Avant que ce terme ne se répande et devienne une assertion commune, il faut savoir que "vucumprà"
n'est pas né du dialecte vénitien. Il est la traduction sur le mode
napolitain de la phrase la plus souvent prononcée par ses africains"vuoi comprare", ("voulez vous acheter" devenu "vous acheter"), dans
un italien approximatif appris dans la baie de Naples, où ils
débarquent en général avant de remonter vers le nord de l'Italie. Ce
vocable devenu en une dizaine d'années un nom commun, est à rapprocher
du mot "sciuscia" qui désignait dans les années d'après-guerre
ces gamins napolitains qui gagnaient leur vie en cirant les chaussures
des soldats américains. Ils attiraient le chaland en criant dans leur
anglais approximatif "shoeshine" devenu "sciuscia". Ce terme a été rendu célèbre par le magnifique mélo de Vittorio de Sica,
récemment diffusé dans la collection des DVD du Monde. Il faut noter
qu'en Italie, les mots à connotation péjorative sont souvent choisis
avec une consonance napolitaine ou sicilienne par les italiens du nord,
marquant ainsi l'idée que rien de bon ne vient jamais des méridionaux
surnommés depuis toujours i terroni, ou africani par les romains, les milanais ou les vénitiens...