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La
rumeur qu'atténuent les hautes façades un peu lépreuses devient comme
une mélodie. Dans les grandes villes modernes, le tempo reste soumis au
rythme de la pétarade des moteurs à explosion. Il suffit d'une
mobylette agressive pour que l'harmonie s'effondre et heurte nos
oreilles fatiguées, mais à Venise, la mélopée ne vient jamais choquer
nos tympans. Dans le dédale des calle et des campielli où
peu d'étrangers s'aventurent, il règne un calme merveilleux que j'ai
toujours assimilé à celui de la vallée des Pyrénées où enfant je
passais mes étés. Certes il manque le choral des oiseaux, les clochettes
des troupeaux, le bruissement des feuilles dans les bois, mais l'air y
est tellement rempli de vie et je soupçonne la lumière de participer à
la symphonie.
Vous avez certainement déjà vécu cette sensation. La grande rue bruyante, écrasée par le soleil avec ses chalands affairés, la foule bigarrée qui se bouscule et ondoie parmi les étals.
Comme dans un chemin de montagnes,
au milieu des alpages avec les
hauts sommets à l'horizon. Soudain, le bruit de l'eau et le calme
frissonnement d'une barque qui glisse doucement. Des voix qui
s'éloignent d'écho en écho. La lumière plus vive, puis un tout petit campo,
avec son puits où dorment des chats. Le soleil qui semble se rappeler à
nous... Pourquoi souhaiter autre chose que ce bonheur-là ? On ressort
toujours de ces expériences intimes totalement vivifié et rédimé. Les
troupeaux de touristes pressés trouvent même grâce à nos yeux et on se
surprend parfois à les regarder avec un soupçon de joyeuse affection. Ce
quotidien comme un havre.