29 juin 2012

Pour une fois qu'une guerre ne tuera personne !

Beaucoup de mes lecteurs s'insurgent parfois du caractère négatif de certains des billets de TraMeZziniMag. Le constat quotidien de la perte d'âme est douloureux pour ceux qui, vivant à Venise ou la considérant comme leur patrie de cœur. cependant, il ne fait pas de nous des réactionnaires aigris. Au contraire. Seulement, lorsque la plupart des médias - cela dure depuis des siècles - tendent à véhiculer une vision orientée des événements où tout n'est pas bon à dire, j'estime que nous devons dire la vérité. C'est une chose vitale pour la liberté. La phrase de monsieur de Beaumarchais, "Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres" devrait être le serment prononcé par tous ceux qui font profession d'informer. 
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Dire que les tagueurs sont des iconoclastes dangereux fait ricaner. Avoir dépassé le demi-siècle et dire cela de jeunes gens vigoureux qui inventent le monde de demain est pour beaucoup un crime de lèse-majesté. Surtout ne critiquons pas notre belle jeunesse. Pourtant ces writers comme on les a baptisé, commettent par la laideur de leurs graffitis un crime contre la beauté. Leurs graffitis n'ont rien à voir avec l'Art Urbain, le street art, qui s'il investit les mêmes supports dans les villes, est avant tout une démarche esthétique, une posture artistique qui le plus souvent s'intègre bien aux lieux où il est apposé, ne les défigure ni les endommage et constitue une forme reconnue d'activité artistique. Ces pochoirs et autres collages ont une durée de vie volontairement limitée. Ils expriment, souvent avec beaucoup d'humour, un message, personnel ou générique, où l'humour et la beauté sont toujours présents. Ce n'est hélas jamais le cas de ces tags sauvages. Rien à voir avec le sympathique collage ci-dessous qui ne nuit en rien à l'harmonie des lieux. .
Photographie : © Eric Ségelle - Tous Droits Réservés.
Je suis un esprit simple. Pour moi, avant toute autre chose, il y a l'amour et la beauté. Les merveilles que plus de vingt millions d'êtres humains viennent admirer en troupeau chaque année ont été érigées par des hommes qu'emplissait l'amour du beau. C'est la certitude de sa transcendance qui leur dicta ces réalisations, permettant la contemplation de merveilles qui sont autant de représentations imparfaites du Royaume de Dieu. En souillant les murs de Venise, les jeunes barbares font le travail du diable. Ils nous habituent à l'immonde, à la pestilence, au dégoût. Ils illustrent la désespérance, le désamour. La haine. Le mépris des autres aussi. Il est de bon ton chez certains de voir dans cette débauche d'immondices la désorientation de cette pauvre jeunesse à qui la société a offert la paix, le confort, la sécurité, satisfaisant à tous leurs instincts même les plus bas, au lieu de les contraindre à la guerre, à la peur, au manque. Les tagueurs des nuits de Venise ne sont pas des révolutionnaires en révolte contre le système. Ce sont de sales enfants pourris qui crachent sur la beauté, qui renient l'esthétique des temps passés, en refusent le modèle et gueulent la vacuité de leur vie dans le tumulte infect d'une musique enivrante et la fumée de leurs pétards. Nous en sommes responsables. "Pas assez de coups de pied au cul" me disait un vieil instituteur l'autre jour. De quoi être pessimiste, vous l'avouerez, car aucune punition n'est possible. Aucune rééducation à l'art et à la beauté, à la transcendance et au respect du bien commun ne pourrait fonctionner. Les bien-pensants crieraient aussitôt à la répression et nous passerions pour des ayatollahs... . ..
En attendant, le Gazzettino s'en faisait l'écho hier ou avant-hier : la guerre aux murs souillés est déclarée et Tout l'arsenal répressif est en route, mais s'il est satisfaisant de savoir que l'autorité publique a enfin pris la mesure du défi, ce n'est pas le plus important. Ce qui compte c'est qu'on permette enfin aux visiteurs comme aux quelques vénitiens qui restent de ne pas être partout et à tout moment, confrontés à ces tags hideux, signatures hiéroglyphiques bizarroïdes qui servent à marquer le territoire de ces ersatz de révoltés comme en usent les canidés avec leur urine. Retrouver une ville certes décatie dans bien trop d'endroits, mais qui demeure le vivant manifeste de l'amour des hommes pour la beauté, leur participation à la transcendance.
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L'annonce de cette guerre ouverte officiellement a été accueillie avec joie par les vénitiens. (un vieux gondolier connu pour ses saillies, s'est écrié dans son bar favori en lisant le journal "Tiens, ça y est enfin, la chasse est ouverte !"). Les contrevenants pris sur le fait seront traduits devant les tribunaux pour dégradation récidivante et les peines seront lourdes. En attendant, tous à nos éponges, nos brosses et nos pinceaux pour nettoyer les façades et faire oublier cette laideur !

28 juin 2012

San Gregorio au temps des Habsbourg

Le cloître de San Gregorio par Antonietta Brandeis (1849-1920)

Originaire de Erdmannsdorf-Zillerthal, en Bohème (aujourd'hui Myslakowice en Tchéquie), elle fut élève de l'école des Beaux-Arts de Prague avant de suivre à Venise, les cours de Michelangelo Grigoletti alors directeur de l'Accademia. Elle a produit une grande quantité de peintures sur Venise dans l'esprit des védutistes que TraMeZziniMag aime particulièrement.

25 juin 2012

Touristes...

Venise. Une journée ordinaire près de San Marco.

Mes lieux secrets : les bibliothèques de Venise


Ils n'ont rien de bien original, ces lieux où j'aime m'installer à Venise pour travailler, enrichir ma connaissance de la ville et de son histoire, écrire aussi. Les lecteurs de Tramezzinimag ont compris depuis longtemps que lire et écrire sont le moteur de mes jours. Si j'écris n'importe où, j'ai besoin pour lire et réfléchir  à ce que je lis, de lieux spécifiques. La Querini le soir, la Fondation Cini, les Archives d’État aux Frari, la petite bibliothèque de l'institut d'études orientales de l'Université... Autant de lieux qui ne seront jamais envahis par les foules et demeurent des endroits merveilleux, tant par leur cadre, que leur emplacement, leur histoire et... leur odeur, faite de poussière et de ce mélange d'huile de lin et de térébenthine qu'on utilise ici pour faire briller les sols en terrazzo comme les boiseries des murs.
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Ceux qui me lisent savent combien les salles de la Querini Stampalia ont compté pour moi. Les longues soirées studieuses quand la nuit tombée sur la ville recouvrait tout d'une chape de mystère et de rêve, avec par les fenêtres grandes ouvertes le parfum de l'herbe coupée du jardin, le clapotis de l'eau de la fontaine, une cloche au loin... A l'étage des Archives, on respire une odeur particulière de poussière et d'herbes rares, certainement le parfum des poudres utilisées pour chasser les insectes et prévenir la moisissure des vélins anciens. C'est pour moi l'odeur du passé glorieux de Venise.
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Dans les belles salles de la Fondation Cini, la lumière pénètre par de grandes baies vitrées et joue avec chaque forme, égayant le silence recueilli qu'elle anime soudain d'une farandole muette où des milliers de grains de poussière dansent joyeusement... Il y a aussi les salles de l'Ateneo Veneto, et bien sur la Marciana...
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Autant de sanctuaires du livre, remplis de trésors passionnants à découvrir. Une vie entière ne suffirait pas pour tout lire, tout humer, tout feuilleter... Fort heureusement, d'autres après nous en découvriront les joies. Aucune tablette numérique, même la plus sophistiquée, ne remplacera jamais le bonheur qu'il y a à prendre un livre dans des rayonnages anciens, à le poser sur la table sous la lampe, à l'ouvrir respectueusement puis à en tourner les pages, humant tous les parfums qui s'en exhalent, vapeurs odoriférantes venues des temps anciens, particules de l'air qu'on respirait autrefois.

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24 juin 2012

COUPS DE CŒUR N°47

Antoine et Marie, deux parisiens rencontrés récemment par le biais de ce blog, nous ont demandé "d'autres" adresses de restaurants. Je vous livre ici deux endroits que j'aime et où on mange bien. Ils sortent de l'ordinaire vénitien et n'ont rien en commun avec ces gargotes adeptes du "menu turistico", tout de même toujours frais mais de moins en moins inventif et s'éloignant de plus en plus de la vraie cuisine vénitienne déjà sacrément ébranlée depuis la première guerre mondiale (cf. l'excellent ouvrage d'Alvise Zorzi "la cuisine des doges" dont nous avons déjà parlé). 

ALLA ZUCCA
S.Croce, 1762
ponte del megio
tel.: 041-5241570. 
Fermé le dimanche
Située près du pittoresque campo San Giacomo dell'Orio, à l'angle d'un pont et d'un canal, 'tout près du Palais Mocenigo et de San Stae), à deux pas de l'arrêt du vaporetto, cette trattoria est née il y a vingt cinq ans. Autrefois repère d'étudiants, on pouvait y dîner de risotto à la citrouille ou aux champignons, de pizzas garnies de légumes frais, et boire un agréable vin de pays. Les temps ont changé, les clients ont vieilli et les propriétaires ont passé la main. Le décor demeure assez rustique, la clientèle faite pour l'essentiel de voisins et de gondoliers. Si on y mange toujours aussi bien, les prix sont un peu plus élevés mais restent très raisonnables. L'ambiance y est restée très chaleureuse. C'est aussi fermé le dimanche comme trop de bons endroits.
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ANTICA TRATTORIA BANDIERETTE
Castello 6671, Barbaria delle Tole
Tel. : 041 522 06 19
Quand nous logions chez la rayonnante Caroline Delahaie à sa Ca'Bragadin, le maître de maison, Gérard, nous avait recommandé une trattoria voisine, située sur la Barbaria delle Tole, cette rue très animée au nom pittoresque dont l'origine vient des anciennes scieries qui y étaient installées autrefois. Il y avait sur la Fondamenta Nuove, et tout le long des bords de lagune des chantiers navals. L'endroit où est aujourd'hui, parmi de nombreux magasins le restaurant dont nous parlons, était autrefois le lieu d'arrivée des nombreuses régates organisées par la République. Les vainqueurs recevaient - c'est encore comme cela aujourd'hui - des bannières de tissus aux couleurs des quartiers ou des corporations. D'où le nom de la trattoria. Mais dans le quartier, les vénitiens continuent de l'appeler "da Tiraca" (en dialecte vénitien le mot "Tiraca" veut dire "bretelle"), simplement parce que l'ancien propriétaire était célèbre pour ses nombreuses et originales bretelles. Lieu accueillant, où l'on continue de préparer des plats typiques essentiellement à base de poissons. Des préparations simples mais toujours à base de produits très frais et de qualité. C'est du "comme à la maison" et après y avoir goûté, plus personne n'en doute, je vous l'assure. C'est pour ça que dans la salle on entend surtout parler vénitien et que le dimanche c'est rempli de familles qui viennent passer un agréable moment "casalinga". C'est à deux pas de Zanipolo (SS. Giovanni e Paolo). Vous y serez bien accueillis et vous ne regretterez pas votre soirée ! Au passage, je signale la pâtisserie RosaSalva, aux pieds de la statue du Colleone. Dès les premiers rayons de soleil du printemps, la terrasse est très agréable. Le café y est bon et vous pourrez choisir pour l'accompagner les délicieuses pâtisseries à base d'amande de la maison (essayez donc la "torta di Mandorla" rectangle de pâte sablée garnie d'une pâte faite d'amandes hachées, de noisettes et recouvert de sucre glace, un délice vraiment). Les tramezzini y sont très bons, ainsi que le croque-monsieur ("toast" en italien). Le bar voisin est aussi très agréable. Une bonne étape après la visite de la basilique et avant d'entamer une longue promenade sur les quais du Nord, face à San Michele.


Avez vous déjà goûté les BAICOLI ?
Ces fameux biscuits très secs que les marins emportaient avec eux ?Plusieurs pâtissiers en fabriquent encore mais les plus célèbres sont ceux de Colussi. Le pâtissier Marchini en propose aussi et les expédie dans le monde entier. Un ami médecin, le docteur De Vanni, disait toujours que c'est le seul biscuit manufacturé au monde sans un seul produit chimique artificiel, naturellement sec avec 10 grammes de matière grasse pour 100 grammes de biscuit, autant de protéines et le reste en carbo-hydrates. ce qui donne un délice avec 440 calories pour 100 grammes. Voilà ce qui explique le goût des marins pour ce biscuit coupe-faim et léger en même temps. En plus la boite est jolie. les affiches publicitaires originales de Colussi datant des années 30 se vendent une fortune. Parfois, on trouve de vieux modèles de boîtes chez les brocanteurs de Venise. J'en ai trouvé une illustrée de marquises et de masques datant des années 1940, un jour sur un mercatino d'antiquités à Rome, pour trois sous. La prochaine fois que vous allez à Venise, goûtez-les. On en trouve parait-il à Paris.

Bon dimanche !




23 juin 2012

L'Amerigo Vespucci mouillait à Venise

Le fringant voilier de la marine italienne était à Venise il y a quelques semaines. C'était à l'occasion du 151e anniversaire de la Regia Marina (la Royale italienne). Ce magnifique navire-école à la coque noire rayée de blanc est très reconnaissable, avec sa luxueuse proue dorée. Sa masse élégantissime sied bien au décor unique du Bacino di San Marco ne trouvez-vous pas ? Né sous le fascisme, il est la réplique avec son sistership, le Cristoforo Colombo (cédé aux soviétiques en 1948 et devenu le Dunaj, détruit en 1971) d'une frégate du XIXe siècle. Si vous avez pris des photos du navire et de ses visiteurs, n'hésitez-pas à nous les envoyer, nous les publierons dans ces colonnes.

22 juin 2012

La Casa Zuliani


"Signor Lorenzo, signor Lorenzo, aiuto !" C'est avec ces paroles inquiétantes hurlées plutôt que prononcées par la vieille dame du second, au moment où j'allais ouvrir les volets de la galerie Ferruzzi, au 710 de la Fondamenta Venier, à San Vio, dont j'étais depuis quelques mois le responsable, que commença ma journée. 
 
C'était un matin de printemps, l'air était doux, la lumière diaphane. Le quartier étai encore silencieux. Seul le petit bar de l'autre côté du rio delle Torreselle était déjà ouvert, diffusant la délicieuse odeur du café fraîchement moulu. Les cris venaient d'une des fenêtres au-dessus de la galerie. La voisine échevelée penchait la tête et gesticulait, visiblement en prise à une certaine panique. j'imaginais déjà un incendie ou je ne sais quel horrible accident.
 
La porte du 709 était ouverte, je grimpais l'escalier quatre à quatre. Arrivé sur le palier du deuxième étage, la première porte était entrouverte. La Signora était littéralement agenouillée, la tête inclinée devant une banquette. Elle en soulevait d'une main les franges et de l'autre essayait d’attraper quelque chose. On entendait des feulements. Échevelée, la vieille dame d'habitude toujours très élégante, était méconnaissable. Vêtue d'un peignoir parme et en pantoufles, elle semblait désorientée. Sous le divan, sa chatte Melia, belle petite siamoise d'un an, était en train d'accoucher pour la première fois. Et cela ne se passait visiblement pas très bien. L'animal miaulait de terreur et la vieille dame gémissait et hurlait.


Je me penchais à mon tour. Le spectacle était assez effrayant : la petite chatte, certainement terrorisée par les douleurs de l'enfantement, coincée entre les ressorts et les lattes du sommier, ne parvenait plus se dégager. Le travail avait commencé, et un chaton pendait lamentablement, une patte accrochée à un bout de ressort métallique. La chatte miaulait désespérément, et la vieille dame se lamentait de plus belle. 
 
Ma salive ravalée, j'entrepris de soulever le divan. C'était un de ces gros meubles en bois sombre comme on en trouve beaucoup à Venise, vestige des décors très en vogue du temps des autrichiens. Il était aussi lourd qu'un bahut breton. La chatte, comprenant qu'on venait à son secours s'était mise à ronronner. Le petit, suspendu au sommier, tout dégoulinant et poisseux, remuait ses petites pattes comme s'il cherchait à se sortir de cette position, peu naturelle pour un nouveau-né. Le divan soulevé et le dosseret posé sur le sol, je réussis à écarter deux énormes ressorts, libérant la pauvre bête et son petit. La vieille dame vida une boite à ouvrage matelassée qui se trouvait à portée. elle la garnit d'un coussin et le recouvrit d'une serviette. On y déposa enfin la jeune maman. Dans les minutes qui suivirent, trois petits vinrent rejoindre leur aîné revenu de loin et qui déjà tétait goulûment. 
 
Soulagée, la Signora me proposa un café. Elle disparut quelques minutes dans sa chambre et revint coiffée et pomponnée. Son visage avait repris des couleurs, et un large sourire éclairait son regard. Le divan remis en place et les traces de l'accident effacées, le salon avait retrouvé son atmosphère paisible. Situé exactement au-dessus de l'entrée de la galerie, il était rempli de meubles en acajou. Le pavimento me sembla assez ancien, jaune et blanc, il était recouvert d'un tapis de laine. Aux murs plusieurs vues anciennes et des broderies comme on en réalisait beaucoup à la fin du XIXe. "Savez-vous que cette pièce a été occupée par Henri de Régnier, le poète français ? La maison était une pension tenue par mes tantes. Il a habité ici à plusieurs reprises. Il voulait toujours une des chambres qui donnent sur le jardin, mais mes tantes disaient qu'elles étaient trop sombres". 
 

J'avais eu l'occasion à plusieurs reprises de visiter la Ca'Dario que personne alors n'habitait vraiment. Au Palais Mocenigo, la comtesse Foscari m'avait montré un vieux livre d'or où l'écrivain avait laissé un mot et sa signature, l'antiquaire du campiello Barbaro avait essayé de me vendre un encrier en papier mâché jaune très abimé, prétendant qu'il lui avait appartenu... Mais je n'avais jamais senti sa présence avec autant d'acuité. Moi qui prétendait devenir écrivain, je me trouvais soudain, par le plus grand des hasards et l'imprudence d'une jeune chatte parturiente, dans une pièce où il avait certainement écrit ou réfléchi à ses livres à venir. Des fenêtres on dominait le rio et ses deux quais, celle de San Vio où se dresse la maison, et la Fondamenta Zorzi Bragadin où on voit le jardin cachés par de hauts murs au regard des passants et le portique de pierre qui ouvre sur le campiello Sabbion avec son joli puits. Henri de Régnier décrit la maison des Sorelle Zuliani dans le premier volume de L'Altana où la Vie vénitienne
 
Quelques jours plus tard, la vieille signora vint me voir à la galerie. Mon bureau était dans la salle du fond. Voûtée, elle donne sur les jardins du palais Venier. Un grand fauteuil club recouvert de tissu peint à larges rayures par Ferruzzi accueillit la dame un peu plantureuse. "Mes tantes n'aimaient pas ce jardin, il faisait trop d'ombre dans la maison et amenait les moustiques". Détail déjà noté par Régnier. Elle était venue me remercier, et posa un petit paquet sur mon bureau. Dans le papier de soie mauve, je découvris deux petits miroirs ovale au tain un peu passé encadrés par de jolis volutes en stuc noir à l'imitation de l'ébène. "Ils ont toujours été dans la maison et j'ai pensé que cela vous plairait de les avoir". Je les vois chaque matin quand je me lève, et je pense alors à la vieille Signora, aux sœurs Zuliani, à Henri de Régnier dont ils ont certainement réfléchi l'image, du temps où il vivait au 709 de la Fondamenta Venier.

COUPS DE COEUR (HORS-SERIE 30) : Aller écrire à Venise avec Virgine Lou-Nony

Vous aimez Venise, vous aimez écrire mais vous n'osez pas vous lancer ? Tramezzinimag ne pouvait pas ne pas signaler l'Atelier d'écriture qu'il vous faut, celui de Virginie Lou-Nony. Vénitienne de cœur et écrivain reconnu(Actes Sud, Gallimard), elle est une des fondatrices du fameux Atelier Aleph, le nec plus ultra en la matière. Virginie que nous sommes fiers de compter parmi nos lectrices assidues organise en effet un stage cet été à Venise comme elle le fait depuis plusieurs années. Et la dame connait son affaire puisqu'elle conduit des ateliers d'écriture depuis un quart de siècle !

Après avoir participé à la création de l'Aleph, elle a développé une formule d'ateliers d'écriture bien à elle, enracinée dans son propre travail d'écrivain. Avec Joseph Périgot, lui aussi écrivain et fin cuistot, comme elle amoureux de l'Italie, le stage d'écriture qu'elle propose se déroule en pension complète, un huis-clos confortable du côté de la Misericordia, quartier paisible et pittoresque, avec une cuisine all'italiana. De quoi entrer en écriture avec joie et détermination ! Le stage aura lieu du 14 au 21juillet 2012. Mais dépêchez-vous, le nombre de places est réduit. 

Je vous renvoie à sa page : http://atelier-ecriture.net/ateliers-voyage/venise

18 juin 2012

"I Writers"... de drôles d'écrivains à Venise

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Venise, trésor historique et fragile, n'est pas épargnée par les tags et les graffitis qui fleurissent depuis des années aux quatre coins du monde. Un groupe de vénitiens vient de réaliser la cartographie de ces actes gratuits de vandalisme. Tramezzinimag s'est souvent fait l'écho de cette vérole qui peu à peu défigure la Sérénissime. Monuments célèbres, colonnes antiques de marbre, margelles de puits, murs de maisons dans les coins les plus retirés de la ville, sont continuellement souillées par des écrits tracés à l'encre indélébile à l'aide de ces peintures en spray que l'on retrouve souvent par terre, vides et abandonnés par les auteurs de ces souillures. Pont du Rialto, Piazza San Marco, Santa Maria dei Miracoli, Lions de l'Arsenal, et des tas d'autres lieux symboliques de la cité des doges, pas un monument qui soit épargné.
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D'après les enquêtes effectuées par la police locale, il semblerait que ces actes de vandalisme caractérisé soient le fait de bandes venant de l'extérieur de la ville. Il s'agirait d'une sorte de défi qui pousserait ceux qu'on nomme désormais - avec un sens de la dérision qui n'appartient qu'aux vénitiens - i Writers  à se rendre à Venise pour laisser un signe dans les endroits les plus visibles possibles. A ce jour, l'administration municipale n'a pas réussi à juguler ce phénomène. Le manque de surveillance nocturne laisse toute latitude à ces voyous pour agir sans risquer de se faire prendre. Il y a encore vingt ans, les vigiles chargés de surveiller les commerces arpentaient chaque nuit la ville. Nombreux, ils n'auraient jamais permis que cette lèpre se développe. Personnellement, je ne crois pas qu'il ne s'agisse que de gens venant de la terraferma ou de l'étranger car pour circuler vite et sans être vu à Venise, même avec peu de patrouilles nocturnes, il faut parfaitement connaître le réseau de calle et de campi...
Heureusement, les vénitiens qui n'en peuvent plus, sont décidés à ne pas rester sans rien faire. Le mouvement Venessia.com auquel TraMeZziniMag est fier d'appartenir a déjà médiatisé sa réaction, non pas en couvrant de la même peinture qu'ils utilisent (je prônerai davantage le goudron et les plumes ce serait encore mieux !), mais en organisant une séance très médiatisée de restauration : de nuit, armés de brosses et de peinture blanche, ils ont nettoyé un des lieux symboliques souillés par ces imbéciles de writers, un mur du Fontego dei Tedeschi, au pied du Rialto. Il y a eu ensuite la création sur Facebook du groupe I Nostri Masegni Puliti e Splendenti (dalles nettoyés et resplendissantes), à l'initiative de Cecilia Tonon qui a réalisé un inventaire photographique très complet des graffitis dans le centre historique. Le groupe s'emploie depuis sa naissance à alerter l'opinion en attirant les médias nationaux et internationaux, afin de pousser l'administration à se positionner.

A ce jour, Allessandro Maggioni, l'adjoint chargé des Travaux Publics est le seul a avoir réagi. Dans une conférence de presse, l'assesseur a promis l'installation de caméra de vidéo-surveillance autour du pont du Rialto. On a aussi évoqué la possibilité de faire appel au mécénat pour financer le nettoyage des graffitis qui pullulent sur le pont. L'administration s'est engagée à nettoyer pendant les douze prochains mois les souillures qui ornent les parois des immeubles et des monuments de quatre itinéraires particulièrement touchés ( de la Piazzale Roma au Rialto en passant par l'Accademia, de San Polo au Rialto, du Rialto à la Piazza San Marco, de la Stazion eau Rialto en passant par la Strada Nova). Le coût de l'opération est estimé à un peu plus de 200.000 euros. Il faudra ajouter à cette somme le coût du nettoyage du pont du Rialto (12.000 euros à ce jour), 22.000 euros pour nettoyer l'Area Marciana, à San Marco et 6.000 pour le nettoyage de six lieux emblématiques choisis par le groupe Facebook.

L'invasion de ces writers iconoclastes ne représente certes pas une énorme dépense pour la ville mais ces sommes auraient pu être bien mieux employées. Tout le monde s'y met. Même l’Association des Guides Touristiques de Venise qui a récolté des fonds pour le nettoyage des deux colonnes de la Piazzetta.
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A la demande de plusieurs lecteurs de Tramezzinimag, nous venons de prendre contact avec la municipalité afin d'envisager le lancement d'une campagne de dons pour participer au nettoyage de ces souillures. Nous vous tiendrons au courant dès que quelque chose nous sera proposé.
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Remerciements à Gioia Tiozzio.









14 juin 2012

A Venise, l'infini prend peu de place... Adieu Hector Bianciotti !

 
Il venait d'Amérique du Sud, sa famille était originaire d'Italie, il était devenu l'un des écrivains français les plus importants de son temps, reconnu et couronné par ses pairs. L'académicien Hector Bianciotti vient de s'éteindre à l'âge de 82 ans, après des mois d'une terrible souffrance, peut-être la pire pour un auteur, quand il ne trouve plus les mots et en perd le sens même. Après avoir écrit en espagnol, après s'être intéressé à la littérature italienne qu'il fit traduire le plus souvent possible quand il était éditeur chez Gallimard, Bianciotti s'exprima en français. cela donna des ouvrages magnifiques, comme Sans la miséricorde du Christ qui lui valut en 1985, le prix Fémina en suivi par le prix de l'Académie Française, Le Traité des saisons, ou encore l'émouvant Seules les larmes seront comptées.

Le dernier texte que j'ai lu de lui, Le pas si lent de l'amour, m'avait remué. L'écrivain s'y montrait convaincu de n'avoir pas d'autre issue à sa vie que de "se perdre pour toujours" : 
"La vie est trop dissipée pour le pas si lent de l'amour ; il se fait tard ; et je n'ai pas d'Ithaque."   
Il avait compris que Venise, où l'infini prend si peu de place, pouvait être conçue comme un mythe et que si on a le bonheur de pouvoir s'y fondre réellement un jour - privilège somme toute assez rare - on y était enfin chez soi. 

Lieux secrets de Venise : la Corte Botera

La Venise secrète, si elle tend à être envahie aussi par les hordes de visiteurs, réserve tout de même à qui parvient à s'y aventurer de délicieuses découvertes. Venise cachée, rendue mythique par les aventures de Corto Maltese, l'inénarrable héros inventé par Hugo Pratt, faite de constructions pittoresques, le plus souvent rattachées à ce qu'on nomme, par facilité, l'architecture mineure, elle offre à nos esprits émerveillés bien des motifs de rêverie. 

Il en est ainsi de la Corte Sconta detta Arcana, plus officiellement Corte Botera, que les peintres employés ces temps derniers à la restauration des célèbres nizioloti, les panneaux de rue ont malencontreusement transformée en Corte Bottera (!). Un lieu magique dont le charme ne peut laisser personne indifférent. Une grande cour à laquelle on accède à la sortie du ponte dei Gonzafelzi par une petite fondamenta suspendue récemment rénovée. Une porte basse, une grille et le visiteur débouche après un sottoportego assez court sur une cour carrée dallée de masegni antiques, ces fameuses plaques de pierre qui couvraient tout Venise autrefois et qu'on a hélas peu à peu remplacé par des dalles modernes dans la plupart des rues de la ville. La margelle d'un puits de style gothique au milieu, un escalier extérieur couvert, des bâtiments très anciens pour la plupart et les vestiges d'un portail monumental de style byzantin, qui fut autrefois l'entrée principale d'une riche demeure, le palazzo Contarini della Zoggia. C'est peut-être de cette porte-là dont il s'agit dans le livre d'Hugo Pratt, le passage magique qui permet de quitter le monde quand on s'en est lassé pour rejoindre un ailleurs mirifique...

Fatigués d'avoir à nettoyer plusieurs fois par jour déchets et déjections, bouteilles de plastique et canettes abandonnées, les riverains ont fait fermer l'accès à la cour. Seule l'entrée d'eau reste accessible mais, n'étant pas encore restaurée, personne ne se risquerait à s'y aventurer de peur de glisser et de devoir prendre un bain forcé. Il y a bien un autre accès par la rue derrière, la calle delle carrozze, mais là aussi, la porte est la plupart du temps hermétiquement close. 

En sonnant au portail, vous aurez peut-être la chance d'avoir un interlocuteur bienveillant qui vous ouvrira etacceptera de vous faire visiter l'endroit. 
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Enfant, lors de mes vacances vénitiennes, je venais y jouer avec des amis de mon âge qui habitaient au deuxième ou au troisième étage sur la cour. Ce fut un terrain de jeu extraordinaire et, avant Corto Maltese, nous y avions notre univers. Combien de ballons sont partis dans le canal, combien de parties passionnées avec mes soldats Starlux et nos petites voitures. Sconte, salto biralto, cimbani... Autant de jeux typiques qui occupaient les gamins vénitiens pendant des heures et dont je garde plein de souvenirs... Une vieille dame se tenait souvent avec sa chaise au pied de l'escalier. Ai-je jamais su son nom ? Dans l'après-midi, quand l'air se faisait plus doux, d'autres la rejoignaient. Nous partions alors courir dans les rues adjacentes jusqu'à l'heure de la Merenda, (le goûter). Biscuits et Nutella qui s'appelait encore Supercrema...




 

La saison des artichauts à Venise

La saison des artichauts à Venise commence dès la fin du mois d'avril avec la récolte des  castraure, le premier germe de la plante que l'on taille pour permettre la croissance plus ferme et régulière de la plante. Petit et tendre, d'une forme allongée avec des épines au bout des feuilles, l'artichaut de Venise d'un très beau violet sombre qui rappelle le ton de certains velours précieux de Mariano Fortuny, d'où son nom de “carciofo violetto di sant’Erasmo”( artichauts violets de Sant'Erasmo), devenu depuis quelques années un label déposé qui en garantit la provenance et la qualité. L'île de Sant'Erasmo, le potager séculaire de Venise, est une terre parfaite pour la culture de l'artichaut avec un sous-sol sablonneux et crayeux qui permet à chaque pied de produire jusqu’à vingt artichauts chacun. D'autres îles en produisent aussi :  les Vignole, Lio Piccolo, Malamocco, Mazzorbo. Depuis 2004,  le Consorzio del Carciofo Violetto di Sant’Erasmo regroupe une dizaine de fermes qui participent ainsi au développement économique et agricole de l'île. 

La production traditionnelle réglementée des artichauts violet, appelés chez nous poivrade, permet de garantir au consommateur qualité et saveur. Les techniques employées sont les mêmes qu'autrefois et la chimie n'intervient pas. Ainsi, les artichauts de Sant'Erasmo sont garantis de nature biodynamique. La quantité étant naturellement  réduite, la qualité s'avère totalement au rendez-vous ! Les castraure sont une espèce végétale protégée qui fait l'objet de soins attentifs de la part des paysans du cru. Rien à voir avec cette production à grande échelle qui inonde le marché international avec des artichauts, certes du même aspect mais au goût insipide, qu'on fait pousser à coup d'engrais chimiques et qui sont conservés à l'azote avant de traverser l'Europe pour atterrir sur les marchés. 
La récolte se poursuit jusqu'à la fin du mois de juin. Son goût unique permet des alliances raffinées avec le risotto et le poisson. Les castraure se mangent aussi à la croque au sel ou, coupés en lamelles, avec un filet de citron et de l'huile d'olive. Chaque année, le deuxième ou troisième dimanche de mai, Sant'Erasmo fête l'artichaut. Un évènement à ne pas manquer. Pour plus d'informations: www.carciofosanterasmo.it

13 juin 2012

Nouveaux tarifs du Traghetto : le communiqué de presse

Nuovo ordinamento per il servizio pubblico di gondola “da parada”
"Entrerà presto in vigore il nuovo ordinamento per il servizio pubblico di gondola “da parada”: le novità consistono nella cessazione dei contributi erogati dal Comune di Venezia ai Bancali e la modifica delle tariffe, che passeranno, dal 1 gennaio 2013, dagli attuali 50 a 70 centesimi per i residenti e possessori di Imob e a 2 euro per tutti gli altri. Per rendere noti i dettagli della delibera, con la quale è stato approvato lo schema di accordo per l'applicazione del nuovo regolamento, questa mattina l'assessore comunale alla Mobilità e Traffico acqueo, Ugo Bergamo, e il presidente del Bancali, Aldo Reato, sono intervenuti in una conferenza stampa che si è tenuta a Ca' Farsetti.

Bergamo e Reato si sono detti soddisfatti dell'accordo raggiunto, in piena collaborazione e con grande disponibilità: “Quello dei traghetti è un servizio essenziale per la città – ha spiegato l'assessore Bergamo – in quanto si tratta a tutti gli effetti di un trasporto pubblico legato alle tradizioni di Venezia. Questo cambiamento rappresenta una svolta storica che si è potuta compiere grazie al grande senso di responsabilità dimostrato dalle categorie coinvolte.”

Il nuovo ordinamento prevede che il Comune non supporti più economicamente il servizio “da parada” a partire dal 1 luglio. Erogherà perciò soltanto metà dei contributi totali previsti ogni anno (quindi circa 300mila euro anziché 600mila) e porterà a termine entro il 31 dicembre 2012 la manutenzione di tutti gli stazi e di tutti i mezzi di lavoro e trasporto che, dal primo gennaio 2013 in poi, saranno a carico della costituenda società dei gondolieri titolari dei traghetti. Le nuove tariffe entreranno in vigore dal 1. gennaio 2013, mentre rimarranno invariati gli orari.

Infine è previsto che gli introiti pubblicitari delle installazioni sui pontili “da parada” vadano per il 50% al Comune e per il 50% all'Istituzione per la Conservazione della gondola e del gondoliere, e che quelli che derivano dal servizio pubblico non di linea di gondola siano trattenuti dai titolari dei traghetti."

C'est officiel : le Traghetto à 2 euros en janvier prochain !

Le traghetto est le plus ancien moyen de franchissement du Grand Canal. Du temps où seul le pont du Rialto relayait les deux rives, l'usage de la gondolina da parada permettait de traverser l'artère principale de la Cité des Doges. Aujourd'hui encore chaque jour les passeurs effectuent des centaines de voyages chaque jour. Il suffisait autrefois d'un simple appel depuis l'autre rive, et une barque venait vous chercher. Le cri de "Pope" retentissait et l'embarcation glissait sur les eaux pour vous faire franchir les eaux qu'encombraient déjà de nombreux navires de toutes les tailles, galères et gondoles, barges amenant fruits et légumes, ballots de tissus précieux, épices d'orient et barriques, sacs de farine et bois de chauffage. Le trafic n'est plus tout à fait le même, mais le service existe toujours et c'est un élément fondamental non seulement du paysage urbain, mais du fonctionnement de la cité. Aujourd'hui, cet usage millénaire s'apprête à être révolutionné par les impératifs économiques ou plutôt par la dictature du profit véhiculée par cette idéologie ultra-libérale qui gangrène nos sociétés et oblige les administrations à rogner sur ses missions fondamentales.
En effet, il a été décidé en haut lieu de doter prochainement les pontons de ces traghetti des mêmes bornes Imob qui permettent le contrôle des titres de transport aux arrêts de vaporetti et d'autobus. On pourrait sourire de ce carambolage entre un transport en commun venu de la nuit des temps et la technique sophistiquée inventée par l'homme moderne. Hélas l'affaire est grave et elle a deux facettes qui sont loin de réjouir les vénitiens et qui ne devraient pas non plus plaire aux touristes. Aujourd'hui, pour traverser le Canalazzo et faire cette brève mais superbe traversée d'un boulevard unique au monde, il faut débourser 50 centimes (ce fut longtemps 200 lire ou un jeton de téléphone - ce qui avait la même valeur). Ugo Bergamo, Adjoint chargé de la Mobilité et du Trafic lagunaire, l'a annoncé dans une conférence de presse : l'administration a décidé qu'il faudra désormais 70 centimes. 40% d'augmentation ! Pour les touristes et tous ceux qui ne disposent pas d'une carte Imob, ce sera... 2 euros ! Cette augmentation qui interviendra à partir du 1er janvier 2013, ne vient pas d'une demande des gondoliers, mais leur Consorzio qui gère ce service dit da parada va devoir assumer seul la charge de ce service, suite au désengagement de la municipalité qui ne versera bientôt plus les 600.000 euros annuels qui servaient au fonctionnement de ce service, ouvrant la route à une sorte de privatisation, puisque se constitue une société de gestion des traghetti heureusement entre les mains des seuls gondoliers.

L'ultra-libéralisme n'a honte de rien ! Depuis des mois, en réponse à la rumeur, les pouvoirs publics - et les gondoliers eux-mêmes - clamaient haut et fort que le tarif pour les vénitiens ne serait pas augmenté d'un centime ! Seuls les touristes seraient ponctionnés... Il a été annoncé aussi que les recettes des emplacements publicitaires sur les pontons seraient partagées entre les caisses de la ville et celles de  l'organisation qui veille à l'entretien et à la conservation des gondoles.
Autre volet de l'affaire qui attire les foudres des vénitiens : il faudra faire valider sa carte avant que de monter sur l'embarcation. Sans carte ce sera le prix fort. On peut comprendre la démarche dans une logique de rationalisation des transports urbains dans un univers aussi particulier que le centro storico mais ces bornes de validation sont un peu ce que la diabolique carte Monéo est à nos porte-monnaies : un outils de pistage, de contrôle de nos mouvements. Car les données enregistrées sont conservées par le services. On sait ainsi quels sont les horaires et les habitudes de déplacement des titulaires de la carte. Sous prétexte de statistiques utiles au maintien et à l'amélioration de la qualité des services proposés, on sert Big Brother sans que personne ne s'en rende vraiment compte. Les vénitiens l'ont bien compris qui se révoltent contre ce flicage qui correspond bien à la dureté et à la rigueur d'esprit de l'actuel président du Conseil, l'économiste Monti et de cette Europe technocrate qui semble n'avoir toujours rien compris et s'entête sur les chemins de la croissance à outrance pour créer l'illusion de richesses et nous enferme dans un matérialisme suicidaire. Des plaintes ont été déposées par des associations de vénitiens. On attend la suite.

La rogne qui est relayée par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête depuis la conférence de presse semble ne pas devoir servir à grand chose. Hors la Tesserà Imob, point de salut pour votre portefeuille, et les amis vénitiens résidents que j'ai interrogé sont assez désabusés. Pareille à la trombe d'eau qui s'est abattue l'autre jour comme une tornade de Floride sur le Nord Est de Venise, la nouvelle vient s'ajouter à tous les motifs de désenchantement qui gagnent les habitants de la Sérénissime. Les vénitiens sont bouche bée à l'idée de devoir montrer leur carte IMOB pour pouvoir monter sur le traghetto s'ils ne veulent pas être contraints de payer 2 euros comme les touristes ! Comme l'écrit Alberto Toso Fei sur sa page Facebook : " Finalement, on a compris à quoi sert la carte IMOB... à monter sur le traghetto !" Décidément, nous vivons une époque moderne comme disait Philippe Meyer chaque matin sur les ondes de France Inter !

12 juin 2012

Tornade sur Venise

 
Cela pourrait être le titre d'un livre de Donna Leon, mais la trombe d'air qui s'est abattue sur la lagune un peu avant midi n'est hélas pas de la science-fiction. En quelques minutes l'ouragan a tout balayé sur son passage comme en Floride. Pas de blessés, mais d'importants dégâts matériels. Le Sestiere de Castello, et particulièrement les environs de Sant'Elena, a été particulièrement touché, ainsi que les îles. La Certosa a perdu tous ses arbres, comme une grande partie de Castello. Mazzorbo a eu de nombreux dégâts.  Le chantier naval de Castello n'est plus qu'un amas de ruines. A Sant'Erasmo, la quasi totalité des potagers et des vergers a été décimée en un instant. Les édiles ont promptement réagi, d'autant que la tempête avait été annoncée, évitant des victimes parmi la population. Le maire adjoint s'est rendu sur les lieux et a annoncé la sollicitation des fonds spéciaux réservés aux catastrophes naturelles. .. 
 
Par solidarité ce matin les vénitiens se sont rendus en masse au marché et sur les points d'approvisionnement des Amap qui ont à Venise de plus en plus de succès pour se fournir en masse auprès des maraîchers très touchés par la tornade. Décidément, après les secousses, le spectre d'une catastrophe écologique avec les grands navires ultra-polluants et cette autre forme de pollution que sont les 30.000 visiteurs qu'ils débarquent chaque jour dans le centre historique, les herbes-algues qui ont menacé d'asphyxier les eaux de la lagune ces derniers jours, et l'augmentation du traghetto, Venise semble vivre un drame permanent. Les mauvaises langues disent qu'il faudrait peut-être que Monti reste en Ukraine ou retourne dans un des châteaux où le groupe Bidelberg travaille à régenter le monde au profit de l'argent-roi en se moquant du changement climatique comme de la première Rolex de ses membres.
 
 

08 juin 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 29) : Le Lapsang Souchong


Les lecteurs de Tramezzinimag connaissent bien mes préférences en matière de café et j'ai fourni à plusieurs reprises dans ces colonnes les adresses où, selon moi, on trouve les meilleures variétés de café à emporter chez soi. Puisque nous sommes à l'heure anglaise avec le jubilé de la Reine, ce coups de cœur spécial est consacré au thé. Je ne suis pas un expert mais, en consommant plusieurs tasses par jour depuis ma plus tendre enfance, j'ai quelques variétés que je souhaiterai vous recommander. Encore une fois il ne s'agit pas là d'un publi-rédactionnel. cependant, si les entreprises citées veulent m'envoyer quelques échantillons des variétés que j'ai omis de citer, qu'ils se sentent libres de le faire !

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Lapsang Souchong Imperial Grade
Tea Adventure Ltd
www.tea-adventure.com
10/10


Le fameux Lapsang Souchong, Cet extraordinaire thé fumé aux grandes feuilles longues délicatement repliées en séchant, accompagne très bien les mets salés mais aussi des mets sucrés. il est agréable à n'importe quelle heure de la journée. Désaltérant, ce thé noir quasi sauvage doit être parfait pour éviter de laisser en bouche un goût amer de charbon. Les Établissements Tea Adventure ont déniché le must du must dans les montagnes de Tongmu, au Nord de la Province de Fujian, plus précisément dans le district de Wuyishan vaste espace préservé sur les pentes et dans les vallées des Monts Wuyi, aujourd'hui protégé, à l'abri des déprédations qui partout désormais détruisent et polluent la nature en Chine. L'endroit où pousse le meilleur thé noir de Chine, est situé à 1.200 mètres d'altitude, dans un paysage à couper le souffle.


Les feuilles récoltées là-bas sont fumés au feu de bois. Son goût très fin provient des aiguilles de pin, de l'écorce de cerisier nain et d'autres essences de la région qui sont utilisées. Un peu âpre en entrée de bouche, il s'adoucit sur le palais pour donner une impression soyeuse, une onctuosité raffinée. Un thé de grande classe qu'on dit masculin. Son goût très fumé rappelle effectivement les volutes du tabac écossais.
La légende dit qu'un jour, à cause des intempéries, les paysans n'avaient pu faire sécher à temps leur récolte. Pour ne pas subir les foudres des négociants et parce qu'ils leur fallait à tout prix vendre leur production, ils eurent l'idée de le mettre près d'un feu de bois. Quand ils arrivèrent à la ville, les émissaires de l'Empereur qui bataillait non loin, achetèrent du thé à ces paysans. Le souverain le trouva tellement extraordinaire qu'il en commanda pour son palais. Ce serait depuis ce temps-là qu'on fait fumer le thé dans le Fujian.
 
Le thé actuellement à la vente proviennent de la récolte de l'an passé. On peut trouver des récoltes plus anciennes conservées dans de grandes jarres de faïence ou des caisses de fer hermétiques. Je conseille d'acheter ce thé en grande quantité, et de le conserver dans des jarres spéciales. Avec le temps, il se bonifie. A condition évidemment que la boîte soit hermétique et à l'abri de l'humidité et de la lumière.

Il est proposé en différents conditionnements, depuis le sachet de 50 grammes jusqu'à la boîte de 1 kilo. Le prix en est assez élevé mais il vous parviendra directement du lieu de production. On peut commander et payer en ligne sur le site.

D'autres maisons célèbres proposent leur propre variété. Chacun a son fournisseur favori. Il ne faut pas hésiter à comparer. On en trouve même en grande surface, mais je ne garantis pas la qualité, très secoué ces thés de la grande distribution arrivent chez vous avec leurs feuilles réduites en poussière, ce qui est dommage et très préjudiciable pour le goût du breuvage dans votre tasse !

Dans l'ordre de mes préférences et sur une échelle décroissante de 9,5 à 6,5/10 : 
1 Fortnum & Mason (http://www.fortnumandmason.com) : 9,5/10. 
2 Mariage Frères (http://www.mariagefreres.com) : 8/10.  
3 Dammann Frères ( http://www.dammann.fr) : 6,5/10.

A Venise, il n'existait pas vraiment de tradition en la matière et on ne trouve du thé en vrac que depuis peu chez Peter's Tea House, une franchise venue du Trentin je crois et qui a ouvert des boutiques un peu partout en Italie depuis quelques années. Vous y trouverez toutes les variétés de thé. Ils sont en général assez bon (nous n'avons pas encore tout goûté !) et les prix très raisonnables. On y trouve aussi pas mal de produits "dérivés" : boîtes à thé, passoires, théières, chopes, filtres, biscuits et bonbons. L'accueil est sympathique. C'est à Cannaregio, au 4553/a, dans la Calle dei Preti, à deux pas du campo Santi Apostoli (041.528.97.76). Pour ceux qui ont une voiture, je recommande la boutique Il signore del Té, à Montegrotto Terme, près de Padoue.

Il est bientôt 17 heures. Constance va bientôt rentrer du collège. La bouilloire siffle. Faire provision de plaisir et d'énergie avant de partir écouter dans la chapelle de l'école Saint-Genès le département d'instruments Anciens du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud, qui fête aujourd'hui l'arrivée du nouveau clavecin commandé au grand et sympathique facteur Emile Jobin. Ce sera un grand moment que présidera Alain Juppé notre maire et où l'ensemble des professeurs - Aurélien Delage, Kevin Manent, Guillaume Rebinguet-Sudre, Paul Rousseau, Cécile Orsini pour ne nommer qu'eux - joueront avec les élèves du département, les plus grands, quasi professionnels mais aussi les plus jeunes. Nous en reparlerons.

07 juin 2012

La visite.(work in progress)

Une journée comme les autres. Le temps resté maussade n'encourageait pas vraiment à la promenade. Pourtant les glycines embaumaient et parfois le soleil éclatait, transformant la grisaille de la rue en une atmosphère de fête. Mais cela ne durait guère. Il se remettait à pleuvoir puis la pluie cessait et recommençait.
 
Philippe ne parvenait pas à écrire. Il aurait pu ranger, faire un peu de ménage. Le chat semblait partager son humeur, allant et venant, grattant à la porte puis se ravisant, miaulant de dépit sur le canapé, tournant et retournant sur lui-même sans trouver la bonne position. Ni le maître ni l'animal n'avaient mis le nez dehors depuis deux jours. La pluie, le vent, cela incite davantage à se lover dans un bon fauteuil avec une tasse de thé et des biscuits. Depuis le matin, ce jour n'était qu'un grand soupir. Cette sensation de vide, rien ne venait la remplir. Pas une idée, une préoccupation, un désir. Rien. Le néant. Venise au-dehors restait muette et sombre. Parfois des voix montaient jusqu'à lui puis s'éloignaient et le silence de nouveau emplissait l'atmosphère. Philippe s'était même assoupi un long moment. Réveillé en sursaut par le chat qui venait de sauter sur ses genoux, il râla, hurlant après la pauvre bête qui ne comprit pas ce mouvement d'humeur. Lui qui avait tellement voulu quitter sa vie d'avant, laisser la grande ville tentaculaire et bruyante pour le calme et le silence des rues de Venise, il se prenait souvent à regretter Paris. 
 
Il avait longtemps rêvé d'un petit terrier à lui, immergé dans cet autre monde qu'est Venise en hiver, où il se serait installé avec ses livres et sa théière. N'ayant trouvé en arrivant qu'un minuscule rez-de-chaussée humide, il regretta soudain la grande maison de famille dans la campagne normande avec sa haute cheminée, ses boiseries cirées et ses trésors. Il aurait pu y passer l'hiver comme son oncle lui avait proposé. Un feu de cheminée, il en rêvait aujourd'hui. Il en existe peu à Venise, le risque d'incendie. Il y avait bien la maison de ce peintre où brûlait en permanence un joli feu de bois à deux pas de chez lui, mais il ne pouvait sans cesse aller s'y ressourcer. L'appartement qu'il occupait depuis quelques mois avait le mérite d'être clair et ensoleillé, mais la cheminée de la cuisine - une construction en pierre sûrement de la fin du XVIIe, n'était plus que décorative. La pluie redoublait. Ses pensées se faisaient très noires. Le mauvais temps le rendait nerveux et idiot.
 
Soudain il entendit le facteur. Le bruit des boîtes aux lettres, des pas, quelques paroles indistinctes, la sonnette. Il se leva, regarda par la fenêtre. "J'ai du courrier pour vous" criait l'homme en uniforme au bas de l'escalier. Graziella, la grosse dame du premier nettoyait les marches. Un parfum agréable parvint à ses narines quand il ouvrit la porte. Cette odeur qu'on retrouve souvent ici, mélange d'huile de lin, de cire et de térébenthine. l'idée d'avoir du courrier et la délicate odeur ravivaient par bouffées sa joie naturelle. Ce n'était pas un esprit triste. Il ne savait pas bouder, ni se mettre en colère. Tout avait toujours été du bonheur dans sa vie. : son enfance paisible, son adolescence curieuse, la tendresse de ses parents, de solides amitiés, la lecture, la musique et par-dessus tout la présence d'un petit groupe d'aïeuls chez qui il passa beaucoup de temps. Ce temps d'apprentissage qui forge une vie. Tout cela l'avait armé de joie et de certitudes heureuses.  
 
Puis vint le moment du Grand Tour. Comme les voyageurs des siècles passés dont il avait lu tous les carnets, Philippe parcourut l'Europe. Il découvrit émerveillé, l'Italie puis la Grèce. Ce fut une véritable révolution. Jamais auparavant, il n'avait ressenti une pareille émotion. Il confia ses impressions à ses parents qui eurent l'intelligence de l'encourager. C'est ainsi qu'il accosta sur les rives de la Sérénissime. Un peu par défaut, tant il aurait voulu pouvoir s'installer à Alexandrie, à Constantinople ou même à Smyrne. Venise s'avérait plus raisonnable. Mais la passion qu'il éprouva bien vite pour la cité des doges effaça tout regret. Le temps de mettre ses chaussures, il dévala l'escalier, suivi par le chat ravi de la distraction. Dehors la pluie tombait dure.
 
Le vieux facteur, pas fâché de s'abriter un instant, papotait en dialecte avec la grosse dame. "Une lettre et un paquet pour le jeune monsieur" lança l'homme à Philippe qui salua la voisine, remercia le facteur et rentra vite chez lui, son trésor serré contre sa poitrine. Il faisait toujours aussi sombre sur la ville, mais ce qu'il tenait dans les mains éclairait son chemin, comme un rayon de soleil inespéré qui se serait faufilé derrière lui dans l'escalier, sublimant la délicate odeur d'encaustique par un parfum de curiosité.
 
Le paquet arrivait d'Angleterre. Du Surrey exactement. Sa vieille amie Dachine, auteur de romans policiers à succès, chez qui il avait séjourné lorsque ses parents l'avaient consigné une longue année durant, dans un de ces collèges huppés à l'architecture improbable et qu'on dit hantés. Il y avait adoré l'échantillon de campagne anglaise qui entourait la maison et surtout le thé devenu depuis lors sa boisson favorite. En trouver du bon à Venise relevait du miraculeux. Partout de la poudre en sachets. Quelque fois un négoce de café proposait des thés aromatisés en vrac. Les grandes boites en fer dans lesquelles on les conservait avaient beau se donner des airs britanniques, il restait médiocre et trop cher. Le paquet contenait du thé justement et pas n'importe lequel. Son favori. Du Lapsang Souchong Imperial. Des larges feuilles noires et lisses au parfum de bois de hêtre et de pignes de pins brûlées. Le mot expliquait la raison de cet envoi. 
 
Noriko Kakura, qu'il avait souvent vu à Benton chez son amie romancière désirait voir Venise avant de rentrer au Japon. Philippe avait connu la jeune fille quand il était au collège. Ils avaient le même âge. Son père était diplomate et sa mère artiste. Ils vivaient à Hampstead, préférant la douceur des collines de cette douce banlieue aux appartements confinés de Kensington Grove où on cantonne les fonctionnaires des différentes légations. Philippe et Noriko se virent beaucoup dans la maison de Dachine. ils devinrent de très bons amis. Puis Philippe regagna la France et passés deux ou trois échanges de lettres, ils perdirent le contact. Noriko avait continué ses études à Oxford. Puis elle était partie aux États-Unis. Son doctorat en poche, elle retournait chez elle pour y travailler. 
 
La lettre expédiée six jours plus tôt annonçait l'arrivée de la jeune fille le jour même, par l'avion de 15 heures. Elle serait là pour le thé songea Philippe soudain affolé. La pluie dehors s'était enfin arrêtée et le ciel semblait vouloir s'éclaircir un peu. Les oiseaux s'étaient remis à chanter. Il fallait ranger un peu et préparer un peu la maison, mettre des draps dans le divan, changer les serviettes. Philippe se mit au travail sous le regard placide du chat toujours aussi ennuyé de ne pouvoir aller dormir sous le soleil. Quelques minutes plus tard tout était en ordre et la maison sentait bon le papier d'Arménie. Sur la table de la cuisine le plateau en bois et son napperon bleu, deux tasses, une assiette de biscuits, la théière. La bouilloire chauffait sur la vieille cuisinière. Douché, changé, Philippe attendait avec impatience son amie japonaise.

Il était un peu plus de 17 heures quand la sonnette retentit pour la deuxième fois de la journée. Philippe se pencha par la fenêtre. Il aperçut deux étages plus bas une jeune femme traînant une valise à roulettes. Elle portait un petit chapeau de pluie d'un joli vert. "le vert des feuilles de thé" se dit-il en allant ouvrir. Il descendit pour accueillir Noriko. Ils ne s'étaient plus revu depuis sept ans. Avaient-ils encore quelque chose à se dire ? Se retrouveraient-ils comme si de rien n'était ? Quand il ouvrit la porte il resta un instant comme tétanisé. Il avait devant lui une ravissante jeune femme au visage très doux et au sourire charmant. 
 
Comme lui, Noriko avait tout juste vingt-deux ans. "Hello Philippe my dear" lança-t-elle le regard amusé. Un peu gêné, il se pencha pour l'embrasser. Elle n'avait pas grandi mais son corps s'était épanoui et son visage était plus fin, ses yeux pétillaient comme avant et elle semblait entourée de lumière. Il prit sa valise et l'entraîna vers l'appartement. La bouilloire sifflait. La vapeur embuait les vitres de la fenêtre. Philippe enleva le couvercle de la théière, il s'approcha de la cuisinière et versa un peu d'eau chaude afin de chauffer la théière. Il vida l'eau dans l'évier puis de retour devant la cuisinière, il ajouta le filtre rempli de thé et couvrit d'eau, posa la théière sur le plateau et retourna dans le salon. Noriko caressait le chat en feuilletant une revue. Elle sourit à Philippe. Le chat se lova sur un coin du canapé et se mit à ronronner.

Ils se servirent et parlèrent longtemps. Au fur et à mesure que remontaient les souvenirs de leur adolescence londonienne, ils sentaient tous deux que quelque chose d'inhabituel se faufilait en eux en même temps que les gorgées de ce thé fumé aux senteurs délicieuses. Quand Philippe voulut se lever pour refaire chauffer de l'eau, ils s'aperçurent que la nuit était tombée. Ils avaient parlé plus de deux heures sans sentir le temps passer. Tant de choses à se dire. Ils reprirent du thé. Noriko avait apporté un disque. Ils l'écoutèrent en boucle. La pluie reprit, dense, bruyante. La nuit était noire et la ville silencieuse. Une cloche parfois résonnait dans le vide de la nuit. Et le bruit lancinant de la pluie sur les vitres. Son regard clair pénétra celui du garçon. 
 
Il eut soudain très envie de l'embrasser. La nuit fut un rêve de douceur et de joie. Ils ne se quittèrent plus. Noriko trouva un emploi de traductrice et de lectrice à la Ca'Foscari. Philippe a eu un peu de mal à faire accepter au chat leur nouvelle vie à trois. Chaque jour quand ils se retrouvent, ils boivent du thé. De l'Imperial Lapsang Souchong bien sûr, expédié tous les deux mois depuis une petite poste anglaise au fin fonds du Devon par leur amie Dachine. Sur la boite dans laquelle ils conservent ces feuilles précieuses, un poème de Kobori Enshu que Noriko a calligraphié :
Un bouquet d'arbres, l'été,
Un éclat de mer
La lune pâle du soir.