10 to 11
Film de Pelin Esmer
Turquie (2009).
Je ne regarde pas souvent la télévision. Mais j'étais la nuit dernière
en panne d'inspiration et mon fournisseur d'accès internet offre
plusieurs dizaines de chaînes. Mon écran étant doté d'un tuner, j'ai
tenté ma chance. Sur une chaîne dont je n'avais jamais entendu parler,
j'ai découvert un film turc réalisé par une jeune femme, Pelin Esmer, qui m'a bouleversé, au point de me laisser éveillé jusqu'au générique de fin, vers 2 heures du matin... Un film d'auteur tout en finesse, intelligent, émouvant et d'où se
dégage une impression de sérénité et de paix qui finalement devraient
toujours aider l'homme à surmonter ses déboires et ses deuils. Mithat Bey
est un vieux monsieur de 83 ans, retraité de la police, qui vit seul
dans un appartement situé au 4e étage d'un immeuble des années 50 qui a
tellement souffert des secousses sismiques qui s'emparent
régulièrement d'Istanbul, que l'ensemble des copropriétaires s'est mis
d'accord pour le démolir et reconstruire à la place un bâtiment
moderne. Le vieux monsieur ne l'entend pas de cette oreille. C'est qu'il
a élaboré tout au long de sa vie une "collection". Vieux journaux (depuis 1950, toujours achetés en double exemplaire),
jouets d'enfants, bouteilles jamais ouvertes, montres, pendules et
réveils, et mille autres objets s'entassent donc chez lui, qui constituent une sorte de musée
hétéroclite. A la suite d'un dégât des eaux, le vieil homme est obligé
de faire rentrer chez lui son voisin du dessus, instigateur du projet de
démolition.
En
pénétrant dans l'appartement, le voisin est abasourdi par ce qu'il ne
considère que comme du fouillis. Pour aller jusqu'à la fuite, il faut se
frayer un chemin entre des piles de livres et de journaux, des cartons
remplis d'affaires. Comme le voisin, le spectateur se demande un
instant si le très attachant Mithat Bey n'est
pas une sorte de maniaque un peu obsessionnel. On le voit par exemple
noter le nombre de jours qu'a mis un de ses nombreux réveils pour
avancer de quelques minutes, ou bien on assiste au soin très précis
qu'il met à découper et coller une étiquette sur un carton protégé par
un plastique où sont déjà posés de nombreuses autres étiquettes... Mais
non, Mithat Bey est seulement un passionné, amoureux des choses et très "réglo"
avec elles. C'est un gardien. Il les maintient en vie et le portent
hors du temps. Le personnage est émouvant, attendrissant mais jamais
ridicule. Il va son chemin et s'achemine vers sa fin.
Mais
le sujet n'est pas là. Le concierge de l'immeuble, un jeune père de
famille venu de la campagne, va aider le vieux monsieur à alléger son
appartement, suite à la visite des services de l'hygiène qui prétendent
que tout ce fatras pourrait faire s'écrouler les planchers. D'abord
réticent, je jeune homme va faire pour le vieux monsieur, les courses que
celui-ci ne peut plus faire, puisqu'il attend le retour de ces messieurs
de l'hygiène. Peu à peu le concierge va découvrir avec ses traversées
d'Istanbul, une indépendance nouvelle pour lui. Il va faire ce qu'on lui
demande, mais s'achemine aussi vers une vie nouvelle.
Il
veut faire revenir sa femme et sa fille, parties parce que la loge
était trop humide pour l'enfant... La question qui se pose tout au long du film, n'est pas la fuite du temps. C'est plutôt
l'envie de sauvegarder "hier, aujourd'hui et demain", comme l'explique la
réalisatrice. C'est une question de sauvegarde qui s'exprime aussi par l'excellent second rôle, Ali interprété par Nejat Esmer,
le concierge, quand le neveu du vieillard pense plutôt au profit que
tous pourraient retirer de la vente de la collection... Ali sera celui qui perpétuera "l'art"
du collectionneur, même au prix de quelques forfanteries plutôt liées
aux nécessités de la vie qu'à un désir de nuire, selon la réalisatrice. Mais ne racontons pas tout le film.
Sachez juste qu'il a connu un joli succès en Turquie. Je ne sais pas s'il a été
distribué en France, mais il le mériterait. Il a déjà été primé dans de
nombreux pays, la réalisatrice commençant doucement mais sûrement à se
faire un nom (Oyun un de ses précédents longs-métrages avait été très bien accueilli à Venise en 2008).
Elle a récemment reçu le prix spécial du jury au Festival d'Istanbul.
Elle a également été primée à San Sebastián, à Tromso (Norvège) et à Toronto, ou
encore à Abou Dhabioù elle a reçu le prix du meilleur film du
Moyen-Orient.
Quand
je compare ce petit bijou, sans aucun effet de manche, sans parti pris
d'esthétique, humble, efficace comme un documentaire, mais bourré de
poésie et d'amour, à l'inutile Palme d'Or 2010, je me pose des questions sur l'état mental de Tim Burton
et de son jury... Non, je rectifie, je n'ai jamais cru que Monsieur
Burton était tout à fait normal dans sa tête, au vu de ses films que
j'abhorre. Mais, chers lecteurs, une fois encore, il ne s'agit que d'une
opinion personnelle. Que ceux qui auront pu voir 10 to 11 me fassent part de leurs impressions. Moi en tout cas, je vais suivre de très près le travail de la jeune et jolie Pelin Esmer.