15 juin 2011

Bordeaux-Venise , ce qui aurait pu être une histoire d'amour (I) :

1980, la Biennale invite Bordeaux.

Le Capc (Centre d'Arts Plastiques Contemporain) est né à Bordeaux de l'impulsion d'un groupe de passionnés visionnaires qui avait à sa tête Jean-Louis Froment. Soutenu par Micheline Chaban-Delmas, l'épouse du maire d'alors, qui fut aussi président de l'Assemblée Nationale, puis premier ministre. Jacques Chaban-Delmas eut l'intuition géniale de ce que cet espace pouvait apporter à la ville.

Souvent mal compris des bordelais, méconnu par l'élite locale d'alors qui bouda longtemps les lieux, le Capc devint vite un haut-lieu de la création contemporaine, reconnu dans le monde entier. Sa dimension internationale venait s'ajouter au prestige des manifestations dont le maire, soutenu par une kyrielle de bordelais mécènes et connaisseurs, avait eu l'initiative. Le Mai musical, qui à l'imitation du Maggio di Firenze, proposait chaque année une série de concerts, d'opéras et de ballets amenant au Grand-Théâtre les plus grands artistes de l'époque et un public international, ainsi que des expositions de très haut niveau : les collections du Metropolitan de New-York, de l'Hermitage... A ces manifestations officielles s'ajoutait Sigma, une initiative privée soutenue par la ville (le maire était président de l'association qui avait son siège à la mairie) qui prit de plus en plus d'ampleur jusqu'à sa mort par asphyxie à la fin des années 90, plus ou moins provoquée par le désintérêt d'Alain Juppé, nouveau duc d'Aquitaine et lui aussi à son tour fringant premier ministre...

Le Centre d'art contemporain de la capitale de Guyenne, installé dans un magnifique entrepôt de denrées coloniales qui conserva longtemps l'odeur des produits qu'on y avait entreposé (vanille, café, cacao, épices...), avait acquis une telle réputation que les organisateurs de la Biennale de Venise firent appel aux bordelais pour intervenir sur la lagune. Froment transporta Bordeaux à Venise, avec la complicité des artistes dont la présence à Bordeaux fait rêver aujourd'hui : Anne et Patrick Poirier qui réalisèrent à l'Entrepôt Laîné leur magnifique Domus Aurea, vaste maquette de charbon de bois, fascinante ruine calcinée, Christian Boltanski qui a cette année les honneurs du Pavillon Français, Claude Viallat...

Ce fut comme un déclic. Le commencement d'une histoire d'amour - de passion même - que des maladresses, des incompréhensions mais aussi des malentendus ont laissé s'éteindre. Tout Venise se pressa dans l'église San Lorenzo dont les 1500 m² furent entièrement à la disposition du Capc. La voix de Laurie Anderson planait sur ce campo très particulier qui ressemble à une scène de théâtre.

Mais laissez-moi vous compter cette belle histoire d'amour. Le film réalisé en 1980 par Marcello Paradisi pour FR3, que je viens de retrouver dans les archives de l'INA, explique mieux que je ne pourrais le faire cette période où j'étais à Bordeaux simple spectateur et où, déjà presque vénitien à temps plein, j'allais peu à peu devenir (modeste) acteur, là-bas sur les bords de l'Adriatique.
 

Quelques années plus tard, en 1990 Jean-Louis Froment allait être nommé commissaire général du pavillon français à la Biennale, après avoir dirigé de sa création jusqu'à 1996 le Capc, il est aujourd'hui directeur de la Fondation Prince Pierre de Monaco.

Mais avant ce retour de Bordeaux à Venise, il y eut l'AJIL, cette petite association d'étudiants que j'avais fondé avec quelques amis et qui organisa, avec le soutien des Chaban-Delmas, la Semaine de Venise à Bordeaux
 
C'était en 1985. Je vivais depuis près de cinq ans à Venise et je ne supportais plus d'entendre à chaque dîner mondain les bordelais cancaner sur "la ville qui s'enfonce", "ces pigeons par milliers tous porteurs de maladie", "les délicieux verres de Murano" et "la puanteur qui envahit la ville et fait fuir les touristes"... La carte postale qu'ils avaient tous en tête - hormis quelques esprits éclairés - montrait une conception étriquée de la Sérénissime qui me révoltait. Je donnais des conférences, je racontais à qui voulait m'entendre ce que la ville était vraiment et les menaces qui pesaient sur elles depuis la grande inondation de 1966. Il fallait frapper fort. C'est ainsi que naquit l'idée d'une sorte de festival, une première édition de ce que nous souhaitions voir devenir un rendez-vous annuel ou biennal entre les deux villes.
à suivre.

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Merci pour la ballade. A suivre...
FRG