VENISE, UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION, MAIS CELLE DES NATIONS, DES PEUPLES, DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE, REINE DU MONDE
Dans tous les pays du monde, à la ville comme à la campagne, il y a des marchés. L'atmosphère y est souvent très roborative. Les plus chagrins se dérident au milieu des étals de fruits et de légumes, parmi cette foule bon enfant le plus souvent qui traîne, regarde les marchandises, compare, discute. Nulle agressivité sur un marché, ce n'est pas comme
dans ces grandes surfaces impersonnelles ou, derrière son caddie, la ménagère énervée part en guerre contre ceux qui hésitent dans les rayons, contre la caissière trop lente ou le qui manque bien sur quand on en a besoin.
A Venise, plus encore qu'ailleurs, aller faire son marché est un réel plaisir. D'abord parce qu'on se retrouve vite hors du temps : pas de camion, d'odeur de pots d'échappement, d'embouteillages. Lorsque vous habitez de l'autre côté du grand canal, le meilleur moyen d'y arriver est de prendre le traghetto, ces gondoles avec deux gondoliers qui vous transportent d'une rive à l'autre pour quelques centimes depuis mille ans. Il y a aussi le pont du Rialto toujours gorgé de monde comme c'était déjà le cas au Moyen-âge.
Les ruelles sont remplies de monde, les marchands de fruits, de légumes, d'aromates, mais aussi les bouchers, les poissonniers, les charcutiers, tous rivalisent d'ingéniosité pour présenter leur marchandise aux vénitiennes tirant leur chariot. Jusque dans les années 90, quasiment toutes les marchandises provenaient des environs proches de la Sérénissime : Mazzorbo, Padoue, Vicenza.... les étiquettes sur les caisses le signalaient. Du locavore avant que le mot soit inventé.
Mais d'autres lieux plus paisibles abritent aussi de petits marchés. Pour ne citer que ceux-là : le campo santa Margarita, avec un des meilleurs poissonniers de la ville et un fleuriste sympathique, la barque delle erbe à deux pas, au pied du ponte dei Pugni de San Barnabà, les marchands des quatre saisons de la Lista di Spagna, ceux du campo Santa Maria Formosa, ceux encore de Castello, sur la Via Garibaldi... Un univers vivant, pittoresque où l'on trouve une marchandise qui échappe encore aux règlements imbéciles établis par les fonctionnaires obtus du Parlement européen. Hélas, comme partout ailleurs le libéralisme l'emporte et bien des étals n'existent plus.
Les plus exotiques étaient les oranges de Siçile ou les pommes de terre du Piémont. Chicorée dite de Vérone, choux et carottes de Torcello ou d'une île-jardin du nord de la lagune... Rien à voir avec ces fruits insipides et ses légumes calibrés arrivant du bout du monde, que l'on trouve dans nos supermarchés aseptisés ! Il avait de beaux œufs, énormes, provenant d'une ferme de San'Erasmo. Les deux jolies sculpture brillantes comme du fer luisent toujours de chaque côté de la devanture comme deux hiératiques gardiens. Hélas, le rideau est baissé depuis longtemps maintenant. Dans la boutique se retrouvaient chaque matin toutes les vieilles dames du quartier, les étrangers qui résidaient dans les beaux immeubles de Dorsoduro et les cuisiniers des trattorias du coin. Une grande famille en quelque sorte. Le marchand ne parlait que le vénitien et je n'étais pas peu fier quand il m'accueillait le matin me gratifiant d'un très sonore "Buon di, sior Lorenzo, cosa ti vuoi, oggi?"...
[Réédition après corrections d'un billet paru en novembre 2005 que Google n'avait pas indexé. Allez savoir pourquoi...]
Au détour d'une page du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhöff, Antoine découvrit une carte postale. Un vieux cliché jauni montrant une vue de l'église de San Giacomo del Rialto. Au verso était griffonnée au crayon une vue de l'église que quelques traits au pastel rendaient vivante. Elle portait la mention, « Pour mon ami plus vénitien que russe, de la part de son anarchiste préféré, Paul Signac, 28 avril 1908 »... Antoine n'en revenait pas, il avait entre les mains un dessin du peintre dont il avait découvert le travail en visitant le musée de l'Annonciade.
Plus il avançait dans sa découverte du journal de Nicolas, plus il s'émerveillait de la vie d'un garçon à peine plus âgé que lui aujourd'hui et qui avait déjà connu l' les grands-parents d'Antoine ne vivaient de romanesque que les expéditions dans les réserves de la maison pour voler des confitures où les baisers furtifs volés aux cousines quand la gouvernante tournait le dos. Eux passaient de la grande maison en ville au collège, de la propriété des grands-parents à la villa d'Arcachon. Il posa la carte postale sur la table et poursuivit sa lecture :
28 avril 1908.
« [texte en allemand rayé illisible, quelques mots en russe.]Aujourd'hui, visite des Miracoli en compagnie de Paul S. et de sa charmante
épouse, rencontrés récemment au Florian et avec qui j'ai sympathisé. Le peintre et sa muse aiment beaucoup la ville.Paul, avec
son regard aiguisé et sa muse à ses côtés, semble avoir trouvé en Venise
une source inépuisable d'inspiration. Pris beaucoup de plaisir à leur montrer les lieux que j'aime particulièrement et qu'on ne cite pas dans le Baedeker. Ces recoins empreints de souvenirs et de
significations personnelles.J'avais six ans quand notre mère nous amena avec elle à Venise. J'en garde l'impression d'émerveillement et de joie qui s'était emparée de moi quand nous sommes descendus du bateau.
« Les idées libertaires de Paul, bien qu'en
décalage avec l'univers dans lequel j'ai grandi, éveillent en moi une
curiosité et une réflexion stimulante. Berthe, avec son sourire
bienveillant, semble apprécier nos échanges passionnés, où l'artiste et
le jeune aristocrate russe confrontent leurs visions du monde. Il est
fascinant de constater comment des perspectives si différentes peuvent
se rencontrer et s'enrichir mutuellement.
Agréables moments donc qui m'ont inspiré quelques mauvais vers. Ma chère maman aurait voulu que je les conserve.
Le feuillet où était copié le poème manquait. On voyait nettement qu'on l'avait arraché du carnet. Mais certainement dans un repentir, Nicolas l'avait conservé. Antoine le retrouva plié en quatre, glissé entre des pages. Il était couvert de dessins et de graffitis à la plume. Le sonnet était en allemand :
Im sanften Schatten eines alten Traums, Schleicht ein Flüstern, geheim und fern, Die Schleier aus Nebel umarmen sich leise, Enthüllen Welten, wo Seelen sich malen.
Die Sterne flüstern vergessene Geschichten, Im ätherischen Himmel, ihre Lichter umschlungen, Dort, wo die Zeit ihren leichten Atem anhält, Finden verlorene Herzen endlich Frieden. (*)
Antoine poursuivit sa lecture, avide d'en savoir davantage.
[...]Cette promenade matinale m'a
rappelé une autre époque, un autre matin, où je m'étais aventuré à la
rencontre d'Edmund, cet ami anglais. Nous avions pratiquement le même âge. Je l'avais rencontré lors d'un thé chez les Giovanelli, chez qui nous résidions à l'époque. Une rencontre fortuite qui marqua un
tournant dans ma vie. Il y a un peu plus de dix ans déjà.
In flüchtiges Treffen, am Wendepunkt des Schicksals, In den Äther gemeißelt, durch göttlichen Atem, Wo Wege sich kreuzen, in geheimem Reigen, Und Seelen erwachen zum seltsamen Reiz.
Unter dem Schleier des Zufalls verweben sich Schicksale, Goldene Fäden spinnend in unendlicher Dunkelheit, Und im Schweigen legt sich ein Versprechen nieder, Das für immer das Gewebe der Dinge verändert. (*)
Bien
sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des
Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans
l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet
secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du
hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre
infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais
la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et
l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes,
n'hésitez pas à me le faire savoir !
Bien
sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des
Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans
l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet
secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du
hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre
infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais
la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et
l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes,
n'hésitez pas à me le faire savoir !
Je me rends compte qu'à travers les années, Venise a toujours été pour moi le
théâtre de rencontres significatives, de ces croisements de destin qui, à
leur manière, sculptent le cours de notre existence. Aujourd'hui, je ne
peux m'empêcher de me demander quelles nouvelles aventures et quels
nouveaux liens cette ville magique me réserve encore. [...]
Antoine était un peu perdu. Il tourna les pages du journal en espérant avoir le détail de ce à quoi Nicolas faisait référence. Soudain, il trouva. L'entrée portait la date du 14 octobre 1897 :
« Rialto ce matin. J'avais craint que le brouillard ne s'attarde, mais il était à
peine neuf heures lorsque je posai le pied sur le ponton. Le marché
battait son plein, bien que les couleurs familières me parussent
délavées, telles une aquarelle estompée. J'espérais croiser le jeune
Anglais avec lequel j'avais échangé quelques mots l'autre soir chez les Giovanelli. Il m'avait confié qu'il se rendait chaque matin dans ce
quartier animé, dans l'espoir de revoir une jeune femme dont l'allure
l'avait, selon ses propres termes, ensorcelé. Il prétendait connaître
son adresse, et la contrada San Zuane ne lui était plus étrangère. Ce
vieux quartier, partiellement insalubre dès que l'on s'éloigne des
placettes bordant le canalazzo, abrite la chiesa San Giacometo, si
vieille qu'on la croirait prête à s'effondrer, à l'instar du pauvre
campanile de San Marco. La grisaille de ce matin accentuait cette
impression de décrépitude [mots illisibles en russe].
Un mendiant s'empara
de la manche de mon manteau. Son apparence était repoussante, avec une
large bouche dévoilant deux dents jaunes. Il marmonna des paroles que je
ne compris point. Un prêtre finit par le chasser. Derrière ce triste
personnage, deux jeunes femmes avançaient, chacune la tête et les
épaules recouvertes d'un châle de cachemire. Leurs motifs si semblables
me donnèrent d'abord l'impression qu'elles partageaient une même
écharpe. le vieil accordéoniste qu'on croise souvent sur les Schiavoni, jouait au pied des marches du pont,
tandis que la messe semblait s'achever. Peu de fidèles en sortaient. Parmi eux, je
ne remarquai que ces deux jeunes femmes.
Je ne sais pourquoi, mais dès
l'instant où je posai les yeux sur elles, je compris pourquoi Edmund cherchait à revoir cette jeune fille dont il avait parlé dans le salon du prince. Il s'agissait certainement de la plus jeune. Elle se tenait droite, le visage protégé des miasmes de la rue par son châle. Il émanait d'elle une sorte de lumière. Le prince Alberto s'était gentiment moqué de notre pauvre anglais; J'avais ri avec lui sans entendre vraiment le motif de la plaisanterie. Giovanelli a notre âge. Il est drôle, impétueux et débonnaire. C'est un bergamasque. Un peu l'équivalent des cosaques chez moi.
Toutes ces pensées qui m'étaient venues en cheminant du palais jusqu'au Rialto s'évanouirent quand je vis sortir les deux jeunes femmes. Je sus
aussitôt qu'elles me plaisaient. Je m'empêchais de les dévisager davantage. Juste derrière, Edmund suivait à quelques pas
des jeunes femmes. Il ajustait son chapeau. Impossible de ne pas le
reconnaître pour un Anglais, non seulement à cause de ses cheveux roux
et bouclés, mais aussi par son manteau dont le ton tranchait avec ceux des gens qui sortaient comme lui de l'église. Ah, ses vêtements ! Je lui fis
un signe, et lorsqu'il me vit, il agita son chapeau avec un large
sourire. Des manières fort anglaises, ma foi.
Antoine connaissait bien les lieux évoqués par Nicolas. Mais ils avaient depuis longtemps été restaurés et plus aucune trace ne subsiste de l'impression misérable du bâtiment. L'église semble presque pimpante, les maisons attenantes recouvertes d'un joli torchis, les volets repeints. L'horloge qu'on voit sur la photographie trouvée dans le journal de Nicolas a été remplacée par celle du XVIIIe siècle qui avait été déposée par l'occupant autrichien. Elle occupe presque tout le fronton de l'église. Il n'y a plus de mendiants assis sur le rebord du parvis. Même par un jour de brouillard, les lieux n'évoquent en rien la tristesse et la pauvreté qui choqua tant Nicolas. Avait-il été mal à l'aise aussi en Russie, devant la misère de certaines rues de Petersbourg ou de Moscou ?
Antoine l'avait appris dès les premières pages du journal vénitien de Nicolas. Les Weyss de Weyssenhoff occupaient depuis plusieurs mois une aile du palais Donà Giovanelli que leur louait la princesse, une grande amie de la comtesse. Mais ceci fera l'objet d'un autre récit.
Plusieurs années séparent ces deux clichés. Le bureau que j'avais aménagé dans une petite colocation où j'ai habité quelques semaines le temps d'un été, est celui sur lequel j'ai déchiffré et retranscrit les pages du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhoff et pris mes premières notes sur ce texte qui n'en finit pas de grossir sans pour autant me sembler satisfaisant. J'aimais bien cette chambre aménagée dans le grenier d'un des palazzi de la Fondamenta dei Preti, à Sta Maria Formosa. Il faisait terriblement chaud cet été-là et nous faisions des courants d'air pour que l'air soit moins suffocant. Ma fenêtre donnait sur les toits et encadrait le haut du campanile. Je m'installais souvent sur le poggiolo assez large pour y disposer des coussins. La vue, la brise pleine de senteurs marines, de la musique, du thé et des biscuits, tout était réuni pour les moments heureux et solitaires qui m'aident à me concentrer avant que d'écrire.
La seconde photographie - on parle de "selfie" n'est-ce pas a été prise dans la chambre de l'appartement où j'ai eu la joie d'habiter après le départ contraint du campo sant'Angelo par la mort de la propriétaire du palazzo à l'entrée de la Calle degli Avvocati. C'est à ce petit bureau de dame que j'ai poursuivi mon travail d'écriture autour de la vie et de la fin disparition de Nicolas W. de W., personnage ô combien mystérieux dont je découvrais peu à peu sous ma plume la consistance et les émotions. C'est là que furent rédigées les notes autour de cette carte postale montrant l'église San Giacomo au Rialto.
L'antique tradition chrétienne dit que trois rois suivirent le sillage d'une étoile et
se mirent en route vers Bethléem pour adorer l'enfant Jésus. Ils lui
firent trois cadeaux : l'or parce qu'il était roi des rois, l'encens parce qu'il
était dieu et la myrrhe, dont on se servait dans les temps anciens pour embaumer les morts- , parce que ce dieu-roi des rois était aussi homme parmi les hommes et qu'en tant que tel, il était mortel.
Le Lundi de l'Ange est joliment appelé ici Pasquetta (littéralement la petite Pâque). Ce jour-là, chômé comme un peu partout en Occident, la tradition à Venise est de sortir de la ville. La plupart du temps, tout le monde se rend sur la lagune. Les restaurants de Murano, Burano et et de Torcello sont pris d'assaut par les familles. On va aussi au Lido pour une journée à la plage. Ceux qui ont leur barque choisissent souvent d'aller bivouaquer sur une des îles plus ou moins abandonnées de la lagune. A Venise, on aime pique-niquer.
La Pasquetta, c'est le prétexte des premières promenades sur la lagune ou vers la mer qui annoncent le retour de la belle saison. L'atmosphère détendue des îles, ou des plages du littoral, au Lido ou plus loin permettent de laisser la foule des touristes qui ne diminue presque jamais désormais. Un bol d'oxygène, un moment entre soi.
C'est aussi le jour d'une autre antique tradition à Venise, appréciée des touristes qui sont souvent surpris par l'évènement. Il s'agit de la très rare procession des rois mages, du moins le défilé de leur version automate de la tour de l'horloge sur la Piazza, que l'on va admirer en famille.
Cette tour de l'Horloge construite sous la houlette de l'architecte Mauro Colussi en 1496 (en quatre ans !) complétée au XVIIIe siècle par les deux ailes latérales, est un des hauts-lieux de la Piazza, la Place Saint-Marc. Très (trop ?) appréciée des touristes, le monument mérite le déplacement. Voir ses automates défiler est un évènement et ce depuis leur installation en 1499. Bien qu'ils aient été remplacés à l'identique lors de l'extension du bâtiment, ils fascinent toujours autant les petits et les grands.
L'horloge est un monument dans le monument. Aucun mécanisme de cette qualité n'existait ailleurs. avant elle, seules les horloges hydrauliques connues dans l'Antiquité puis à l'époque byzantine. Umberto Eco évoque dans son «Histoire des Terres et des Lieux Légendaires», la fameuse horloge de Gaza qui servit de modèle et d'inspirations à d'autres horloges monumentales aujourd'hui disparues :
« De Byzance, on se souvient d'une horloge monumentale du marché de Gaza, décrite au VIIe siècle par Procope, décorée sur le pignon d'une tête de Gorgone roulant des yeux à l'heure. En dessous se trouvaient douze fenêtres qui marquaient les heures de la nuit ; et douze portes qui s'ouvraient toutes les heures au passage d'une statue d'Hélios et à la sortie d'Héraclès couronné par un aigle en plein vol. »
Cette horloge de Gaza qui datait des années 500, est antérieure aux horloges arabes, mais nul doute
qu'un lien étroit relie cette horloge à ses héritières. L'écrivain Procope la décrit en détail dans l'un de ses exercices de rhétorique, «L'éthopé» intitulée «Description de l'Horloge» si bien qu'on a pu en donner
une image assez convaincante. Elle était installée sur une place publique de la ville du temps où ces lieux n'étaient pas le repère de fondamentalistes obscurantistes, mais une ancienne colonie romaine après avoir été une cité perse. Province du royaume d'Hérode, elle était un des principaux port du royaume d'Israël, attirant négociants et armateurs du monde méditerranéen. À cause de son emplacement au carrefour de trois mondes, Gaza a depuis
toujours été un enjeu des puissances régionales, des rivalités parfois à
l’intérieur des mêmes dynasties. Considérée comme joyau, elle fut
offerte à Cléopâtre par son époux, nouveau maître de l’Égypte, le
général romain Marc-Antoine. Mais la défaite en – 31 av. J.-C. des
armées de ce dernier entraîna le retour de Gaza dans le
royaume d’Hérode, à la veille de l’ère chrétienne, avant qu’elle n’entre
pour environ six siècles dans l’empire romain puis de Byzance.
« Au temps d'Alexandre, elle a été un port antique hors pair, et s'appelait Anthédon. De sa rade partaient des navires vers le reste du monde : Rome, Carthage, Byzance, Athènes... tout ce que le commerce de l’Orient apportait ». Elle était célèbre aussi pour « ses magnifiques vignobles » qui produisaient un nectar très apprécié à Rome comme à Athènes et à Byzance. Sa population était formée en majorité de juifs mais aussi de descendants de colons grecs et romains. Les nomades arabes y étaient peu nombreux, souvent venus pour travailler dans les vignes et sur le port. Rien à voir avec la population actuelle dont d'aucuns sont persuadés que cette région a depuis toujours été la leur. Mais cela est un autre sujet.
Selon Procope, la fontaine était installée sur une place publique, dans un édifice ancien, certainement bâti par les grecs ou les romains) d'une hauteur de près de 6 mètres sur un peu moins de 3 mètres de large. Wikipedia montre une reconstitution de la façade de l'horloge qui devait être impressionnante. en voici le détail :
Au milieu du fronton, dans la partie haute de la structure, se trouvait une tête de gorgone qui roulait les yeux à droite et à gauche à chaque heure (1). Au dessous, douze ouvertures carrées avaient été pratiquées qui servait à indiquer les heures temporaires (les douze heures de la nuit) par une lumière spéciale qui se déplaçait à chaque heure (2). Plus bas, une rangée de douze portes à double battant indiquait les heures temporaires de jour. En s'ouvrant, elles montraient chacune une statuette d'Hercule avec un des attributs correspondant à ses douze travaux (3). Une statue d'Hélios tenant une mappemonde dans les mains, se déplaçait d'heure en heure devant les douze portes (4) Chacune des portes était ornée d'un aigle tenant dans ses serres une couronne de lauriers (5).
À la fin de la première heure de jour, Hélios se présentait devant la
porte correspondante qui s'ouvrait pour laisser s'avancer une statuette
d'Hercule portant l'emblème de sa première victoire, la peau du Lion de Némée; l'aigle, placé au-dessus, déploiyait alors ses ailes et présentait sa couronne de lauriers sur la tête de la statuette. Puis, Hercule se retirait, les portes se refermaient et l'aigle reployait ses ailes. Le scénario se reproduisait d'heure en heure jusqu'au coucher du Soleil.
Dans la partie inférieure de l'édifice se trouvent trois dais, sortes de portiques à colonnes abritant chacun une statue d'Hercule. Au centre la statue sonnait les heures en frappant un gong avec
sa massue. Le détail de la sonnerie est connu : un coup était frappé à
la fin de la première heure, puis deux, trois… jusqu'à six pour l'heure
de midi. Le cycle recommençait de un à six pour les heures du soir. « Au-dessus du dais, une statuette de Pan dressait l'oreille à chaque sonnerie du gong et, le couple de satyres qui l'entourait se moquait de lui en grimaçant ».
Sous le dais de gauche, Hercule était représenté supposé en
marche, surmonté d'un pâtre immobile; sous le dais de droite,
Hercule s'apprêtait à décocher une flèche, surmonté d'une statuette
de Diomède annonçant à son de trompette la douzième heure, fin de la journée de Soleil et de travail.
Entre les dais, en retrait, deux esclaves couraient vers Hercule sonnant
les heures, l'un apportant la nourriture du matin à la première heure,
l'autre l'eau pour le bain du soir à la dernière heure.
Cette description imagée de Procope ne donne aucun détail concernant le qui pilotait le système, mais elle donne une idée de la
grande complexité de cette « merveilleuse horloge à eau ». Selon Diels,
cette horloge serait la plus ancienne installation horlogère accompagnée
d'une sonnerie mécanique des heures. On ne connait ce mécanisme que par les rares écrits retrouvés. On en imagine la complexité qui permettait à une époque aussi retirée de marquer avec précision l'heure, les jours, les phases lunaires et les périodes du zodiaque.
Mais revenons à l'horloge de la Piazza. elle est l’œuvre d'un horloger venu d’Émilie-Romagne, Giancarlo Ranieri. Un sujet du pape donc, puisque la région faisait alors partie des possessions pontificales. On raconte que lorsque il acheva son chef-d’œuvre, on lui creva les yeux sur l'ordre des Inquisiteurs d’État, afin de l'empêcher de créer un mécanisme identique ou encore plus perfectionné. Cela reste une légende car il n'y a aucune mention d'une telle décision dans les Archives de la République. Celle-ci était très pointilleuse quant à l'enregistrement des mesures, décisions et actions, même secrètes. La Raison d’État ne l'emportait jamais sur la loi, ce que Napoléon ne comprit pas quand il réduisit à néant la Sérénissime.
Mais, en dépit de tout, Venise continue d'exister et de vivre. Ses traditions, ses rites et ses coutumes perdurent depuis des siècles. La Pasquetta fait partie de ces moments typiques qui «font toujours sens» pour les vénitiens. Mais, place aux rois mages qui défilent pour le plus grand bonheur des petits et des grands :
C'est aujourd'hui l'ultime jour de Carnaval Xe morto, xe finio carnoval ! Ne versons pas de larme, il reviendra, frais et gaillard dès l'année prochaine !
Il y a deux types de personnes : celles qui aiment se travestir et celles qui détestent. parmi les adeptes du déguisement, de tout temps, on trouve ceux qui aiment paraître autres ou dis-paraître sous des accoutrements divers qui cachent aux autres qui ils sont et parfois ceux qu'ils sont. Ils aiment se sentir différents et en se donnant à voir peuvent espérer se cacher. Ainsi des gens masqués qui des semaines durant lors les carnavals d'antan de la Sérénissime (la période où l'on allait masqués duraient alors une bonne partie de l'année ) allaient au théâtre, dans les cafés et aux bals le visage couvert d'un masque. Le patricien et les plébéiens se mêlaient joyeusement La grisette pouvait passer pour être une princesse étrangère ou une grande dame en goguette, le jeune héritier proche du doge se transformait en manœuvre de l'arsenal ou en marin du nord.
Il fallait faire rêver, séduire et s'amuser avant que le Carême ramène tout le monde vers la contrition et l'abstinence. Une liberté de mœurs, le reste de l'année décriée et parfois pourchassée, dont tous profitaient sans vergogne. Un peu de cet esprit est resté. On le retrouve à certains moments pendant les carnavals d'aujourd'hui à Venise. On dit que ces moments qui pourraient jaillir du somptueux passé de la Dominante avant que l'Attila corse et son armée de soudards mettent fin à la République. C'est vrai. Rarement, mais c'est vrai. On croise encore de somptueux costumes bien portés, des masques dont on aimerait soulever le voile et un parfum de settecento qui semblerait presque authentique. Hélas, pour la grande majorité, le grossier et le vulgaire règnent en maître. C'est à qui sera le plus ridicule. Le carnaval est un outil de défoulement pour les masses abruties par les médias.
Heureux les happy few qui peuvent se rendre à des soirées privées - toutes en accès payant - ou à ces bals «comme avant» (ou presque) qui s'organisent dans certains palais. Ils remontent le temps et peu importe les télescopages du temps, la marquise poudrée toute de soie vêtue croise le maréchal d'Empire ou un cardinal romain... Mais ce n'est pas l'image représentative de ce que le carnaval est aujourd'hui. Peut-on le regretter ou faut-il se réjouir de cette dynamique de la fête et du plaisir mis aux diapason de nos temps et de leurs usages ?
Mais à tout cela, le carnaval des calle et des campi, celui des palais et des parades navales, ce que je préfère ce sont les fritoe traditionnelles qu'on déguste entre amis, en famille, avec un de ces chocolats comme on en préparait du temps de Goldoni ou bien avec un verre de Malvasia ou une vieille grappa !
Et, pour finir joliment, un peu de musique avec cet extrait du final de la pièce de Goldoni donnée en 2017 au teatro Astra de Torino. Un très beau souvenir pour ceux qui ont pu y assister ( et y participer). Certains parmi les lecteurs de Tramezzinimag doivent encore s'en souvenir !
Avec le recul, nous savons combien nous avons été pris pour des imbéciles et la peur a fait de beaucoup d'entre nous des zombies effrayés. Réduits à accepter les oukases de dirigeants tout aussi paumés que le bon peuple tétanisé foulèrent aux pieds les droits et les valeurs les plus élémentaires sous prétexte que de (faux) experts qui ne savaient rien ou pas grand chose annoncèrent un beau matin des centaines de millions de morts à venir. La peste puissance mille allait ravager la planète. Pour l'éviter, arrêt sur l'image total et absolu. Silence dans les rues et sur les places livrées aux animaux et au vide. Des citoyens déconcertés contraints de s'auto-délivrer des permissions de sortie, la trouvaille de certains (grand succès en Italie) d'adopter un chien pour pouvoir sortir sans risque de finir en prison, pardon en cellule de quarantaine.
Des policiers qui dans certains lieux, s'en donnèrent à cœur joie, pourchassant les vieilles dames sorties acheter des biscuits ou des fleurs, denrées non fondamentales. Amendes donc... Tout le monde s'est soumis comme tous - ou presque - se sont soumis ensuite au vaccin, aux tests. Heureusement des praticiens intelligents, des pharmaciens honnêtes, tous gens de savoir à qui on ne la leur fait pas, ont résisté et nous ont aidé à résister, nous les criminels, les rebelles, les assassins qui refusèrent les masques, les tests, les vaccins, qui soignèrent leur gros rhume ou leur grippe comme à l'accoutumée, à coup de thym et de quercétine, d'ail et de miel, de bon sens et de fruits et légumes frais et crus, de gestes évidents d'hygiène et qui ne sont pas morts - sinon d'effroi devant autant de bêtise - de terreur et d'effroi même chez les plus cultivés, les plus intelligents et les plus ouverts à la critique et à la réflexion.
On a payé fort cher cette escroquerie morale et on continue de la payer. Combien de familles déchirées, d'amitiés rompues parce qu'on ne partageait pas la doxa imposée par Big Brother et sa tribu de Big Pharma. Allez, mieux vaut en rire et continuer d'éviter le paracétamol, l'ibuprofène et autres chimiqueries qui ne servent qu'à engraisser d'obèses actionnaires qui ont continué de s'en mettre plein les poches. défendons les Huiles Essentielles et l'aromathérapie, l'argile et les plantes, le savoir faire ancestral et le bon sens surtout.
Profitons de cette accalmie, car demain quand les vrais médecins, fidèles au serment d'Hippocrate, qui sacrifient leur temps, leur vie parfois même pour visiter les malades, leur parler de bon sens et appliquer des thérapies naturelles et qui marchent seront tous à la retraite, remplacés par des petits soldats de l'ARS aux horaires non flexibles, ne se déplaçant plus et servant de trieurs pour une médecine de niche trieront les patients pour les envoyer chez le spécialiste qui ne saura rien de la spécialité de son voisin, il nous faudra continuer le combat - car c'est d'un combat de civilisation dont il s'agit - et défendre becs et ongles, une médecine humaine, naturelle, avec une approche holistique intelligente, avec des traitements qui ne coûtent rien ou si peu et font mieux que les bombes et autres poisons chimiques que nous concoctent les laboratoires industriels.
Le bel avantage de cette période folle, outre la preuve que l'humain est un des animaux les plus bêtes parmi les espèces animales, que les élites seront prêtes à tout pour s'enrichir sans effort, que les politiques n'ont plus aucun sens de l’État ni du bien commun, ce furent ces heures délicieuses à se promener dans des villes et villages vides, silencieux. Pouvoir rester les fenêtres ouverts en pleine ville et n'entendre que le souffle du vent dans les feuilles des arbres ou le chant des oiseaux, c'était à Venise, les retrouvailles de la ville et de ses habitants avec la nature, la propreté de la lagune, les poissons qui pullulaient, les eaux claires et l'air impollu, les touristes disparus miraculeusement.
Vous l'aurez deviné, je fais parti de ceux qui ont littéralement adoré le confinement. Seule ombre au tableau, on savait qu'un jour cela serait oublié et que le bruit, le stress, les tensions et la pollution reviendraient. A quelques jours près, j'aurai pu comme d'autres rester en clôture à Venise puisque on ne pouvait plus voyager. J'aurai adoré comme tous ceux qui sont restés, retrouvant leur âme d'enfant, l'émerveillement de sentir la ville vivre au ralenti et de l'avoir pour soi. Confiné à Bordeaux, j'ai continué à faire fonctionner la galerie - librairie (première nécessité), le café à côté fonctionnait pour ses fidèles, à guichet fermé, je sortais trois ou quatre fois par jour sans jamais avoir eu un seul contrôle. Nous avons fait de la musique, lu des livres à vois haute, joué aux cartes ou aux échecs... Je passais des heures sur un banc au soleil, j'ai fait de nombreuses balades dans les environs à bicyclette ou à pied, un casque sur les oreilles, découvrant des lieux où je n'avais jamais mis les pieds, croisant des gens heureux de vivre la même expérience, les rues propres, le silence, les oiseaux, la lumière qui semblait plus pure et joyeuse...
certains se la jouèrent même zorro mais on n'est pas à Venise là
Et c'est depuis ce temps-là que j'ai cessé d'écouter ou de lire les informations, refusant d'entendre tous ces politiciens empêtrés dans leurs fausses valeurs. Comme eux j'étais coupé du monde réel, mais eux appliquaient bêtement les instructions de ces vendus de l'OMS soumis à l'industrie pharmaceutique, cherchaient à ne pas déplaire aux financiers quand mes amis et moi nous redécouvrions les petits plaisirs d'une vie tranquille, poétique et délivrée des contraintes de ce monde moderne qui a entamé sa déréliction comme on se suicide. La nature a repris ses droits, jusque dans nos esprits. Les plus anciens ont été les plus ages. Pas une seconde, ils n'ont cru ces voix tonitruantes qui imposaient tout et son contraire comme les vérités absolues d'un nouveau catéchisme. A ce propos, rappelez-vous l'image terriblement triste de la cérémonie des obsèques du Duc d’Édimbourg à Windsor, un soldat tout les deux mètres et l'assistance masquée, tous à plus d'un mètre de leur voisin et l'interdiction faite au peuple de rendre sur le passage du cortège. Aberrant mais cela a vraiment été !
Un grand moment pour les vénitiens, ce jour festif où toute la population traverse le Grand canal pour rendre hommage à Notre Dame de la Salute. tous empruntent le pont votif qui part du campo devant le palazzo Gritti pour aboutir à la basilique, tous recueillis plus peut-être par la solennité et la tradition que par une foi active et véritable, mais qu'importe, il se passe quelque choses entre toute cette population, tous milieux et âges confondus, qui chemine en procession derrière le patriarche et les autorités d'aujourd'hui, moins chamarrés et respectés que du temps de la République, mais tout est semblable, l'emplacement du pont flottant, la ferveur, la bonne humeur, les rites et usages.
Et puis il y a ce sentiment d'appartenance, cette fierté de mettre nos pas dans ceux qui nous ont précédés. Vénitien de sang, je ne suis pas né à Venise - peu s'en est fallu - et si les deux générations d'avant moi étaient davantage liées à Constantinople, Milan et Florence, cette fierté, ce sentiment d'être chez soi, al posto giusto, dans un moment tel que cette fête rituelle, je l'ai toujours ressenti avec force en moi.
Je me souviens de la toute première fois où, étudiant, je décidais de me joindre à la procession. Une grande émotion s'était soudain emparée de moi. Dans mon journal, j'ai retrouvé ces notes :
«J'ai senti vraiment comme une présence invisible. Joyeuse elle m'accompagnait... En fait, je sentais quil s'agissait de l'âme des miens, mes anges comme disait ma grand-mère, tous ceux qui vécurent ici avant moi et qui ont fait que je vive là à mon tour, mettant à mon tour mes pas dans les leurs...»
Ce jour-là, je vous assure que la sensation était très forte, presque palpable physiquement, comme un souffle, une présence...
«ils marchaient tous avec moi, le long de l'étroite calle del Traghetto où débouche le pont votif. Ils m'ont transmis leur foi et leur enthousiasme, tous ceux
dont le sang coule dans mes veines, marchands, soldats, marins,
médecins, celui qui fut drogman du sultan, l'aïeule qui refusa de quitter Venise quand l'attendait un mariage princier à Candie, [illisible],diplomates, interprètes, poètes, musiciens... D'eux aussi, cette passion pour tout ce qui touche à Venise. Et puis cette impression depuis mes premiers pas sur les "masegni" de la Sérénissime, celle d'être ici depuis toujours, de n'appartenir qu'à ces lieux, ces monuments, ces canaux, ces îles, cette lagune, ma patrie !»
Ces propos maladroits pleins d'emphase, je les ai écrit dans mon journal à dix-sept ans. Je ne m'exprimerai guère différemment aujourd'hui, les lecteurs de Tramezzinimag ne peuvent que le confirmer... Cette Solanità della Madonna della salute ravive à chaque fois ma passion, mon amour pour la cité des doges.
J'ai perdu hélas, une photo qui était rangée dans ce cahier retrouvé. c'est l'amie qui m'accompagnait ce jour-là qui l'avait prise. Elle donnait à voir une figure d'adolescent extatique, la tête un peu penchée comme j'apparais toujours sur les clichés de cette époque. Quand je savais l'objectif pointé sur moi, le regard que j'avais souvent joyeux, se faisait soudain taciturne. Timidité d'adolescent ou coquetterie de celui qui se sait séduisant ? On pouvait croire à mes sourcils froncés qu'être pris en photo me gênait. Il y avait des deux, je pense.
« Tu es encore absent ! » me disait-elle souvent, agacée mais bienveillante. Je devais la rassurer à chaque fois : « Non, non, je suis là avec toi, ce n'est rien. Je pensais». Absent, oui je l'étais, et je le suis resté, surtout au milieu du monde, au milieu des autres. Absorbé en réalité par mille pensées, j'avais du mal à être vraiment là où mon corps se trouvait, avec les gens qui m'entouraient.
Difficile à expliquer, je n'étais plus un jeune garçon que la vie et le monde effarouchaient et pourtant... La mèche en désordre sous le bonnet de laine, ce bonnet aux couleurs vives unies que nous portions tous, selon la mode d'alors, roulé sur le haut du crâne sur nos cheveux longs, imitant sans le savoir les garçons de Carpaccio (ignorions-nous vraiment cette ressemblance après tout ?), je m'étais accoudé à une barrière. L'évasion de mes sens et de mes pensées ne traduisaient ni l'ennui ni la tristesse. Juste la contemplation d'un ailleurs qui pourtant avait tout à voir avec l'endroit précis où nous trouvions.
Ma foi, très active à cette époque, avait trouvé son équilibre dans le culte réformé, j'étais de tout cœur calviniste avec les calvinistes du temple des Chartrons à Bordeaux, puis naturellement vaudois avec la Comunità valdesequi m'avaient ouvert ses portes quand je m'installais à Venise. Pourtant la proximité avec Taizé restait très forte et là - comme chez mes chères diaconesses du Brillac - les rites inspirés des communautés monastiques dominicaines et bénédictines mais aussi de l'église orthodoxe me transportaient.
Le dimanche bien souvent j'assistais aux vêpres chez les Bénédictins de San Giorgio prégnante. M'installer pour un temps dans la communauté de Frère Roger pour y éprouver mon engagement et peut être y rester dans cet engagement complet qui me tentait tellement alors. En suivant la procession des fidèles, en pénétrant dans la basilique bondée, avec les milliers de cierges dont les flammes semblaient flotter autour de nous, les volutes d'encens, avait surgi soudain dans ma tête les quatre voix qui se répondent sur le texte «Cum vix justus sit securus»du Turba mirum, dans le Requiem de Mozart. Ce fut un grand moment de ferveur dont il me semble ressentir encore la force, comme les sons et les parfums de ce jour de fête, près de cinquante ans après.
Mais la fête rituelle, avec sa procession, son pèlerinage et sa messe solennelle, c'est aussi un autre rituel, matériel et gourmand celui-là : le traditionnel chocolat chaud dans l'un des grands cafés historiques de la Piazza, le zabayon caldo.
Mais le plat traditionnel de la fêteest une sorte de pot au feu typique, la Castradina.
Ce plat roboratif est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle. Il est à base de cuisse de mouton séchée salée et fumée au soleil cuite religieusement, avec du chou de Milan. Ce plat est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle et il a des origines dalmates. La Sérénissime s'approvisionnait en viande séchée - aliment parfait pour les longs voyages en mer - dans sa colonie d'Albanie avant d'entreprendre des expéditions commerciales vers l'Orient. Il faut goûter à cette soupe riche et savoureuse, la viande est cuite avec des feuilles de chou de Milan. La préparation est tout un rituel qui obéit à des canons très anciens.
Chez tous les vénitiens, le plaisir de la partager pour la Fête de la Salute se renouvelle ponctuellement chaque année.
Recette familiale de la Castradina
Ingérdients (pour 6) :
1,5 kg de viande de mouton préparée,
1 beau chou de Milan frisé
1 céleri-branche,
250g de pommes de terre
2 carottes
3 beaux oignons,
1 gousse d'ail
herbes & aromates : thym, laurier, romarin, baies de genièvre
Huile d'olive,
sel et poivre
Bicarbonate de soude
Faire tremper la castradina pendant une journée,d'abord dans de l'eau bouillante, puis tiède en changeant l'eau plusieurs fois.
Le lendemain, dans une grande casserole ou marmite, faire roussir l'oignon coupé en tranches avec l'huile d'olive. Ajouter les légumes sauf le chou, pour obtenir un bouillon de légumes.
Ajouter la viande et laisser cuire pendant environ 90 mn. Retirer la viande du feu et laisser refroidir dans un endroit frais. Retirer la graisse du bouillon quand elle se fige sur le dessus. Quand le bouillon est prêt, rajouter la viande refroidie découpée en morceaux. Laisser cuire le tout à petit feu pendant cinq heures pour obtenir le ragoût. Pendant ce temps, laver le chou, enlever les feuilles blanches et le couper en morceaux. Faire revenir oignon et ail hachés dans une casserole. Quand l'oignon est fondu verser le chou. Laisser cuire environ six à sept minutes, assaisonner avec du sel et du poivre fraîchement moulu, en arrosant régulièrement le chou avec du bouillon de légumes si nécessaire. Enfin, ajouter la viande au chou, laisser ce dernier finir de cuire. Quand le chou est cuit, le mélange doit être moelleux.
Pour parfaire le résultat, j'ajoute une cuillerée de bicarbonate de soude.
On sert à l'assiette les morceaux de castradina sur les légumes coupés en morceaux et on arrose de bouillon.
Bon Appétit et Bonne Fête de la Salute ! Pour conclure : Extraits du Requiem de Mozart(Rex Tremendae), dans l'interprétation de Jordi Savall.
« Rex tremendae majestatis, (Ô Roi de majesté redoutable), qui salvandos salvas gratis, (qui ne sauvez les élus que par la grâce), salva me, fons pietatis, (sauvez-moi force d'amour) ».
« Cum vix justus sit securus»(Quand le juste est à peine certain)