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11 mars 2020

Le Coronavirus : L'incroyable initiative de la marque Dan John en Italie


Peu à peu, la réflexion se répand dans les esprits, l'idée que rien ne saurait être comme avant avec cette épidémie surgie sans qu'on s'y attende et qui bouleverse déjà le quotidien de millions de personnes rien qu'en Italie. Selon la sensibilité de chacun, l'analyse est différente bien sûr mais dans l'ensemble, semble voir le jour une prise de conscience inattendue sur les erreurs, les abus et les suites à donner à cette incroyable situation, inédite ou trop longtemps absente de nos vies et donc oubliée par tous. Ce virus qui bouscule et bouleverse l'organisation des États, le quotidien des populations et change, bien malgré nous, le regard que nous portons sur nos vies, notre quotidien, nos relations aux autres, nos priorités. Les bourses s'effondrent, des modes de fonctionnement devenus courants et obligés sont remis en question, les comportements sociaux sont redéfinis. Les mesures prises par les gouvernements semblent, comme en Italie, totalement exagérées, les interdits nouveaux exorbitants et tout semble céder devant ce nouvelles règles et obligations. Pourtant, la pandémie est là, l'OMS ne devrait pas tarder à l'annoncer et il est peut-être plus prudent, au moins pour quelques temps, de rester chez soi, surtout pour les personnes à risque...

© Catherine Hédouin - 11/03/2020
En Italie, le label de prêt-à-porter Dan John qui gère 80 magasins à travers la péninsule et se positionne depuis quelques années en concurrent de Zara, la marque espagnole, vient d'informer ses clients que l'ensemble de ses magasins demeurerait fermé jusqu'à la levée des mesures de confinement. Des adeptes du mouvement favorisé par les autorités sur les réseaux sociaux, Io Resto a Casa...

Pour rappel à ceux qui pourraient ne pas être au courant - si, si, cela est possible -  des mesures très strictes ont été prises par le gouvernement qui isolent l'Italie du reste du monde pour motif que le COVID-19 en a fait le second pays le plus touché par l'épidémie après la Chine et qu'une étude internationale a montré qu'il était à la traîne des démocraties occidentales pour ses capacités à prévenir, surmonter et résoudre des problématiques graves de santé publique (voir notre billet du 27/02/2020).
Panneau apposé sur la vitrine du magasin Dan John de San Lucà, à Venise. © Catherine Hédouin, 11/03/2020.
Tramezzinimag livre à ses lecteurs le message publié ce matin en italien et en anglais, sans autre commentaire que les lignes ci-dessus. Non pas pour hurler avec les loups et clamer que l'heure est grave. Non pas pour tourner en dérision ce qui semble pour une majorité de vénitiens une grande mascarade, modèle jamais égalé depuis la seconde guerre mondiale de l'exagération et de l'incapacité de ses élites politiques, mais pour informer de ce qui se passe au-delà des Alpes. Pour que chacun se fasse son opinion sur cette démarche en particulier, sur la situation en général. En voici la traduction en français :
Chers membres de la famille Dan John,
Ces dernières semaines, nous vivons une période très particulière et difficile. Nous avons rapidement et radicalement changé nos habitudes et notre façon de nous rapporter au travail et à la société.
En ce moment, nous devons nous engager conjointement à suivre, bien qu'avec des difficultés, les indications fournies par le gouvernement et les organismes de santé afin de répartir à plein rythme le plus rapidement possible.
Ce message est pour nous l'occasion de vous montrer notre proximité en cette période d'incertitudes, parce qu'ensemble, et seulement ensemble, nous y arriverons !
Nous avons beaucoup réfléchi à quelle contribution nous pouvions apporter à la société et comment faire au mieux notre part.
C'est pourquoi nous avons décidé de fermer tous les magasins Dan John en Italie jusqu'à la cessation de l'urgence, car nous ne vendons pas de biens de première nécessité, afin de garantir à nos clients et à notre personnel de préserver leur santé en ce moment.
Nous ouvrirons dès que possible et plus fort qu'avant, la nôtre est une famille forte et indivisible !
En outre, nous avons décidé d'offrir à tous nos clients l'expédition et le rendu gratuit pour toutes les commandes en ligne en Italie.
Notre site sera toujours mis à jour et continuera son activité en envoyant les articles Dan John à la maison, en suivant les règles d'hygiène les plus strictes.
Parce que de cette façon aussi, nous voulons être proche de vous.
Merci à tous,
Dan John

Communiqué original adressé par mail © Dan John - mars 2020

08 mars 2017

Les vénitiens et le racisme ordinaire




Au risque de passer une fois encore pour un réactionnaire, (au sens négatif qu'emploient les bien-pensants - quand j'y vois une qualité et un état d'esprit progressiste), les récents évènements montés en épingle presque continuellement par les médias internationaux et la tension qui se fait jour dès qu'on évoque la empêtrés dans la règne violence et la pauvreté, en servant d'enjeux politiques et de matière aux journalistes pour faire vendre leurs feuilles de chou trop souvent indigestes et cela n'est bon pour personne.

Lieux communs, pensée unique et raccourcis.
Une fois encore, on nous impose une façon juste de penser, un mode de réflexion qui s'il ne nous convient pas et que nous refusons d'y souscrire, fait de nous des ennemis du bien commun, de gros méchants nantis égoïstes. A entendre les grands-prêtres de la bien-pensance, nous autres qui nous entêtons à vouloir penser par nous-même et qui savons bien, par instinct, par expérience ou par simple bon sens, ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce qui a de l'importance ou ce qui n'en a pas. Plus que jamais, il nous est enjoint de hurler avec les loups ou de rester chez nous. Surtout ne pas déroger aux instructions subliminales que véhicule la presse et qui servent cette oligarchie qui s'offusque de nous entendre penser autrement que le préconise leur catéchisme.

C'est dit, c'est définitif et in contournable : les italiens (du Nord-Est particulièrement) et notamment les vénitiens puisque c'est d'eux dont il s'agit le plus souvent dans TraMeZziniMag, seraient de méchants racistes qui se cachent derrière leurs particularismes insulaires et voudraient bien faire croire qu'ils sont les plus gentils, les plus accueillants et les moins regardants des peuples d'Europe. Le mal est fait, quelques cris mal interprétés, des âmes trop sensibles qui prennent pour eux des mots ou des attitudes lancées sans aucun arrière-pensée et c'est l'anathème lancé contre tout un peuple. La tyrannie que le monde a connu dans un passé pas si lointain ne procédait pas autrement. Les meilleurs procès, les plus sanglants et les plus radicaux sont ceux qu'on contraint le peuple de faire après que quelques intellectuels jolis parleurs aient inoculé leur venin.

Mes amis, c'est quasiment gravé dans le marbre des nouvelles tables de la loi : les vénitiens sont de méchants racistes, rapaces à la petite semaine, méchantes personnes indifférente  aux malheurs du monde et des immigrants en particulier. Honte à eux !  Shame on them pour reprendre la langue officielle. Et comme du temps de Mussolini ou de Hitler, de Staline, de Mao ou de Fidel Castro. Suit en général une liste de reproches sanglants dressée par des journalistes, des philosophes, des sociologues et des adeptes de la politique de comptoir est soudain reprise par des membres de la population visée. Les premiers à crier au scandale sont des vénitiens. Heureusement, il s'agit d'une petite minorité mais celle-ci est écoutée sans aucun esprit critique et la maîtrise des réseaux sociaux permet à ces tristes sires de donner un écho universel à leurs cris d'orfraie.

Ils ne sont pas les premiers. On n'a plus le droit de traiter son meilleur pote de pédé ou de tata, cela pourrait amener un autre camarade de la cour de récréation à se pendre, parler des africains de couleur - il y en a qui sont blancs aussi - en employant le terme de nègre, dire bougnoul pour arabe, rital ou polac, etc. Tout cela est banni, politiquement incorrect et passible d'un attentat terroriste individualisé que pourrait concocter un pseudo-intello piquée à vif et sur-protéiné aux idées en vogue... 

La discrimination galopante.
Quelle pitié d'en arriver là. Certains, que leur médiocre talent retiendrait dans des postes largement subalternes, ont déjà tout compris et en s'emparant de ce concept fourre-tout "discrimination", se taillent reconnaissance et promotions...  Quelle hypocrisie.  Ne nous voilons pas la face : sous couvert de lutte contre la méchanceté gratuite - qu'on assimile automatiquement à de la discrimination, le business de l'éradication de l'inacceptable racisme est devenu florissant. Pour quelques purs esprits qui agissent vraiment par conviction, des milliers de faux-croisés ne se battent que pour eux. Pour se faire entendre et connaître. Ces gesticulateurs font mousser les choses. Ils se moquent bien de contribuer à faire surgir du racisme là où il n'existerait pas si on n'en parlait pas autant. 

Comme la médecine officielle sponsorisée par les laboratoires qui se contente de traiter les effets d'une maladie sans jamais se donner la peine ni les moyens d'en soigner les causes (question d'argent : faire disparaître le cancer rapportera toujours moins que les traitements et les outils employés pour tenter de le soigner)...  Il en est de même avec ce concept très in gamba (à la mode, fashionable) de discrimination. Mes quatre années d’activité dans le milieu associatif m'ont quotidiennement mis en contact avec ces professionnels de l'indignation. Bien peu étaient sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de leur combat. Beaucoup trop tenaient boutique et lorgnaient médailles et honneurs. Cela ne mériterait qu'un haussement d'épaules si leur militantisme n'empoisonnait pas jusqu'aux plus hautes sphères de l’État, persiflant partout, insufflant une sorte de mystique frelatée qui sème le doute et fait le lit des communautarismes et de la délation. Au "si tu n'es pas avec nous tu es contre nous", mon esprit réplique spontanément "Dieu reconnaîtra les siens"!

I had a nightmare.
Je force à peine mes propos et en toute connaissance de cause. S'il s'agissait vraiment - et je sais que des gens sincères et au cœur pur s'emploient jour après jour à lutter contre les ravages du vrai racisme actif, organisé et structuré (ceux-là œuvrent sans but inavouable, sans dessein caché, mais juste pour le bien, par conviction, par humanité véritable, par amour du prochain), celles-là ne sont nullement en cause - d'éviter souffrance et douleur pour les victimes présumées, il n'y aurait rien à redire. Seulement, cette religion nouvelle qu'on essaie de nous imposer dans tout l'occident n'a d'humaniste que le nom. Un jour, leur discours se fera plus clair que relaieront les médias du monde entier, du genre :
" Faites ce que je dis mes amis mais surtout pas ce que je fais... Légiférons pour que soient lavées au savon les bouches de ceux qui oseront dire ces vilains mots méchants mais laissez-nous employer - au black (!) - des migrants clandestins sous-payés et mal logés. Pourfendez les mal-parleurs mais laissez les bien-pensants s'enrichir du commerce des armes et s'empiffrer des ressources naturelles des pays sous-développés, regardez, nos lois le permettent et vous, le peuple souverain, avez mis au pouvoir ceux qui les ont votées..." 
Passez-moi ce coup de gueule, mais cela devient parfois insupportable et tellement, tellement sot. Le racisme n'est pas une chose naturelle. Les enfants vont spontanément vers les autres, tous les autres, sans prévention ni hésitation. Leurs critères de choix : l'échange, la sympathie, la gentillesse, l'échange. cela dure tant qu'à la maison on ne les a pas prévenu contre cette spontanéité, tant qu'on ne leur montre pas une vérité tronquée. Tant qu'on ne leur fait pas peur.

Ce fut longtemps le rôle de l’Église de répandre un message d'amour et de main tendue vers l'autre, notre frère. Hélas l’Église est faite d'humains et les humains se laissent souvent gagner par la soif de domination, le besoin de pouvoir, l'appât du gain,  la jalousie et la haine. Et c'est aussi l’Église qui a classifié l'humanité en purs et en impurs, en Bénis de dieu et en Gentils... De politique il s'agissait alors, pas d'amour. Rien à voir avec le message d'amour et de fraternité des prophètes...

Ascari e schiavoni.
Il y a à Venise peut-être davantage de gens prompts à employer des termes ordinaires à leurs yeux mais violents pour d'autres. C'est le cas par exemple de deux termes bien innocents du langage courant (en dialecte) dont peu à peu le sens a changé. C'est surtout la manière dont on l'emploie, la consonance qui sera appliquée, toutes ces nuances de la linguistique, qui sont autant d'armes contondantes mais aussi d'instruments d'amour et de fraternité selon l'usage qu'on veut en faire. Ainsi les termes Ascari et Schiavoni. le premier, souvent utilisé encore aujourd'hui, en dialecte, devenue une véritable expression proverbiale, et le second quasiment disparu du langage courant d'aujourd'hui. La vidéo ci-dessous, réalisée dans le cadre d'une intéressante exposition qui était présentée en début d'année à Venise, Ascari e Schiavoni, Il Razzismo coloniale a Venezia (*), à l'occasion du 80e anniversaire des lois raciales de l'Anno XV du fascisme) (nous y reviendrons) tente de démontrer que ces termes, sous des airs totalement anodins, inoffensifs, ont pu avoir une connotation raciste et que celle-ci fut lourde de conséquences. Ce fut le cas après 1937 et les lois racistes du Fascisme (**). De quoi rassurez nos lecteurs. Il y a bien des limites dans l'usage qu'on peut faire de certains mots mais diaboliser une liste de vocables sur ce seul prétexte me parait totalement disproportionné et dangereux. Tout est toujours une question de mesure, de raison et donc tout est une question d'éducation.




Notes :
(*) Ascaro : dans son premier sens est un synonyme de soldat indigène des colonies italiennes d'Erytrée et de Somalie (vient de l'arabe askari : soldat). Devenu en langage populaire un être différent, puis bon à rien (se dit des parlementaires qui ne font rien pour le peuple, d'un paresseux, etc.). Schiavoni : les slaves ou esclavons qui furent longtemps mercenaires à la solde de la République de Venise.

27 novembre 2016

Venise chantée par Nietzsche


Friedrich Nietzsche rédige son poème 'Venise" en 1888. Il le recopie dans Ecce homo, en notant cette phrase devenue célèbre : "Quand je cherche un autre mot pour musique, je ne trouve jamais que Venise"(1) Il avait séjourné dans la cité des doges quelques années auparavant. En 1880, puis en 1884 et aussi en 1886. C'est à Venise qu'il écrivit Aurore, sous-titré Réflexions sur les préjugés moraux, avec en exergue cette belle citation du Rig Veda  "Il y a tant d'aurores qui n'ont pas encore lui". dont il dicta les aphorismes sous le titre L'Ombra di Venezia, au musicien Frierich Köselitz (que Nietzsche avait rebaptisé Peter Gast). Philippe Sollers souligne, dans son Dictionnaire amoureux, combien les termes musique et silence reviennent souvent lorsque le philosophe parle de ses séjours à Venise, notamment dans ses lettres à l'ami Köselitz-Gast, "...Un seul endroit sur terre, Venise". (2) 
An der Brücke stand 
jüngst ich in brauner Nacht.
Fernher kam Gesang : 
goldener Tropfen quoll’s 
über die zitternde Fläche weg. 
Gondeln, Lichter, Musik - 
trunken schwamm’s in die Dämmrung hinaus… 

Meine Selle, ein Saitenspiel, 
sang sich, unsichtbar berührt, 
heimlich ein Gondellied dazu, 
zitternd vor bunter Seligkeit. 
- Hörte Jemand ihr zu ?…
Accoudé au pont,
j’étais debout dans la nuit brune
De loin, un chant venait jusqu’à moi.
Des gouttes d’or ruisselaient
sur la face tremblante de l’eau.
Des gondoles, des lumières, de la musique.
Tout cela voguait vers le crépuscule.     

Mon âme, l’accord d’une harpe,
se chantait à elle-même,
invisiblement touchée,
un chant de gondolier,
tremblante d’une béatitude diaprée.
- Quelqu’un l’écoute-t-il ?

(Traduction de Guy de Pourtalès)       
__________

1 - :  "Wenn ich ein andres Wort für Musik suche, so finde ich immer nur das Wort Venedig".
2 - : In- Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, Plon éditeur, 2004., pp. 343-352.

17 janvier 2016

Quand Venise accueille un jeune pape de fiction

Une curieuse effervescence sur la Piazza ces derniers jours. On s'affairait autour d'un homme en blanc, une silhouette familière entourée de prélats... Saint Marc était le décor cette semaine de la suite du tournage, commencé à Rome l'été dernier, d'une série réalisée sous la houlette de Paolo Sorrentino pour la télévision. L'histoire (une fiction évidemment) de Pie XIII, premier pape américain de l'histoire, très jeune incarné par le britannique Jude Law. La série qui devrait compter huit épisodes est coproduite par Canal Plus, Sky et HBO, The Young pope, devrait être diffusée avant la fin de l'année 2016. Avec aussi Cécile de France et Ludivine Sagnier. Pour les amateurs, plus d'informations en cliquant ICI




15 janvier 2016

Uchronie : Et si les vénitiens avaient pris Constantinople en 1453 ?

La revue en ligne NONFICTION proposait récemment à ces lecteurs le premier volet d'une Chronique Uchronique consacrée à Venise : Que ce serait-il passé si les Vénitiens, et non pas les Ottomans, s'étaient emparés de la capitale de l'empire byzantin en 1453 ? Voici cet essai que nous avons trouvé fort intéressant.

Un coup de vent : voilà tout ce qui aurait suffi pour que les Ottomans ne prennent pas Constantinople le 29 mai 1453, mettant fin à l’Empire romain d’Orient. Pas le grand vent du large, non, mais de simples vents étésiens, ces vents estivaux du nord que connaissent bien les marins italiens, catalans ou grecs qui sillonnent la Méditerranée.

Nous sommes le 15 mai 1453, dans l’ouest de la mer Égée, à six cent kilomètres de Constantinople assiégée, et la flotte vénitienne se prépare à défendre la ville en danger. Expérimentée et rapide, elle serait capables d’atteindre Constantinople en quelques jours. Parmi les rangs ottomans, le bruit court même qu’elle aurait déjà atteint Chio. Mais Jacopo Loredan, le capitaine général, ne veut pas prendre la responsabilité sur lui : il sait qu’il aura des comptes à rendre au Sénat à son retour, et il attend des ordres.

Car la capitale byzantine a été prise d’assaut par les Turcs ottomans, avec à leur tête le jeune sultan Mehmed II, avide de conquête. Une fois encore, l’empereur byzantin s’est tourné vers l’Occident pour demander une aide militaire que tous les princes lui promettent mais que personne ne veut financer. Il faut dire que c’est la troisième fois en cinquante ans que les Ottomans sont sous les murs de la ville. On a fini par s’habituer à recevoir les appels à l’aide de ces Grecs à demi-hérétiques, à grand peine réconciliés au catholicisme à Florence en 1452. Et puis personne ne se sent directement concerné par ces problèmes orientaux quand l’Europe elle-même est en pleine ébullition. Personne sauf peut-être ceux qui commercent en Orient, au premier rang desquels Venise, la République maritime, qui a même orchestré une première prise de Constantinople en 1204, avant de la perdre en 1261. Alors Venise a envoyé sa flotte, mais avant de s’engager seule dans le combat, elle attend des nouvelles.

Imaginons que les nouvelles soient parvenues à Venise, et que la flotte soit venue au secours de Constantinople. Peu s’en faut, car le 3 mai les défenseurs de la ville désespérés ont lancé un ultime appel au secours. Voyant que les Ottomans avaient pris pied sur la Corne d’Or, et se rappelant peut-être que c’est par là que les envahisseurs occidentaux avaient conquis la ville en 1204, ils ont envoyé en éclaireur un brigantin vénitien maquillé en navire ottoman. Sa mission : savoir si la flotte vénitienne que l’on attend depuis le début du printemps arrivait enfin. En effet, si la ville risque de tomber, c’est avant tout par manque d’hommes et de vivres : à peine y a-t-il assez de défenseurs pour occuper toute la longueur des murs assiégés. Mais les murs, eux, résistent solidement, à condition d’être réparés entre deux assauts.

Le navire réussit à franchir les lignes ennemies, il s’échappe de la ville, descend le Bosphore jusqu’à Gallipoli, arrive en Mer Egée et ne voit personne. Ses marins décident courageusement de retourner dans la ville assiégée. Et là l’histoire change. La fameuse bourrasque venue du nord bloque les Dardanelles : ils arrivent à court de vivres, décident finalement de ne plus lutter contre les vents, et rejoignent Négrepont, en Eubée, une place forte vénitienne où ils seront en sécurité. Ils arrivent probablement vers le 15 mai, et rencontrent donc la flotte de Loredan. Ils peuvent lui transmettre deux nouvelles importantes.
 

La première, c’est que la ville ne tiendra pas : les défenseurs sont à bout, la ville tombera, c’est une question de jours. La seconde, c’est que la communauté des marchands vénitiens bouclés dans Constantinople au début du siège s’est fermement impliquée dans la défense. Ils ont voté et choisi de rester jusqu’au bout aux côtés des Grecs, se sont fait attribuer des points stratégiques et les clés de plusieurs portes. Leur baïle est sorti de son simple rôle de consul à la tête des Vénitiens : il est désormais installé dans la demeure de l’empereur, le palais des Blachernes, au sud de la Corne d’Or, car c’est un des points les plus chauds de la bataille. Enfin, les armes vénitiennes ont été stockées dans l’arsenal impérial, ce qui rend complexe toute tentative de fuite. Tandis qu’au Nord de la Corne d’Or, à Pera, les Génois, éternels rivaux des Vénitiens, étaient habilement restés neutres, ce qui leur assurait une meilleure position dans de possibles traités à venir avec un sultan ottoman maître de Constantinople.

Dès lors Loredan réévalue la situation : il ne s’agit plus seulement de porter secours aux Grecs, mais bien à des Vénitiens, et qui plus est des patriciens, dont les familles le soutiendront sûrement au retour de sa mission. De plus, la politique ambigüe de Venise lui semble désormais inutile : à présent que des Vénitiens tiennent tête aux Ottomans depuis le palais des Blachernes, à quoi bon feindre de respecter la paix signée avec Mehmed II ? Dans l’urgence il prépare la flotte, navigue contre les vents qui soufflent la journée, use de la rame, et arrive à Constantinople le 27 mai 1453.  Il traverse les lignes maritimes ennemies, les Vénitiens s’empressent d’ouvrir la chaine qui défendait la Corne d’Or, et les deux groupes font leur jonction. Ils renforcent les remparts, se font attribuer les clés de chaque porte et ramènent l’empereur aux Blachernes sous prétexte de le protéger. L’aventurier génois Giovanni Giustiniani est blessé à la Porte Saint-Romanin, et ses hommes, craignant de rester sans solde, se rallient aux Vénitiens. L’assaut du 28 mai est brisé. Dans le camp ottoman, c’est une victoire politique pour le parti de la paix. Çandarlı Halil Pasa, ancien proche du père de Mehmed II et connu pour ses bons rapports avec les Grecs, rappelle sa méfiance face aux dépenses militaires et aux troubles politiques que génèrent les défaites. Constantinople ne menace pas l’intégrité du territoire ottoman, elle irrigue le commerce dans la région et accueille en son sein des marchands turcs : il faut arrêter cette folie. Le 29 mai au matin, les Ottomans plient bagages.

Mais dans la ville même les rapports de force sont transformés : Loredan refuse de rendre le palais et les portes, sa flotte occupe le port de Prosphorion, à l’ouest de la porte de Perama. Il contrôle les entrées et les sorties, conserve les armes stockées dans l’arsenal, marque son respect envers un Constantin XI tenu sous bonne garde et ménage également la haute aristocratie. Venise réagit rapidement : elle accepte cette conquête imprévue et fait en sorte qu’elle dure : l’Union est abandonnée, la population est libre de rester orthodoxe et personne ne touche aux biens des ecclésiastiques. L’empereur est invité à Venise qu’il ne quittera plus : on l’installe en grandes pompes dans l’île de San Erasmo où lui est construit un palais-prison, dans lequel sont également installés une série d’ouvrages en grec. Cette île deviendra un des hauts lieux de l’Humanisme européen, d’autant plus important qu’aucun afflux d’immigrés grecs ne vient pourvoir les universités européennes en maîtres compétents. Venise est le cœur battant de la Renaissance, et les Florentins s’y rendent pour puiser le savoir à la source.
 

À Constantinople, Venise en profite pour éliminer ses rivaux génois une bonne fois pour toutes : leurs marchands se voient interdire l’entrée dans les murs de Constantinople, leurs bateaux ne peuvent plus naviguer vers la Mer Noire où ils ravitaillaient leurs comptoirs, et leur séjour-même à Péra est soumis à un tribut. La politique de monopole vénitien fait disparaitre les Génois de la Méditerranée orientale. Ils investissent alors très tôt dans les ports atlantiques, dont le développement se trouve accéléré. Ce sont des Génois qui bâtissent les premiers forts de la Côte de l’Or en Guinée, s’aventurent vers le sud, et découvrent le Nouveau Monde en 1481, en cherchant à dépasser par l’ouest le creux de vent extrêmement dangereux qui caractérise le Golfe de Guinée. Principaux banquiers de la couronne de Portugal, ils arrivent à empêcher la formation d’un monopole et sont actifs dans le commerce comme dans la colonisation.

Dans le même temps, Venise devient la première puissance esclavagiste en Méditerranée. L’importation d’esclaves circassiens, tcherkesses, slaves, arméniens et grecs était déjà pratiquée, mais Venise a réussi à s’imposer comme le seul partenaire commercial du Khanat de Crimée. Dès lors, la République maritime organise ses débouchés, institutionnalise ses fournitures au sultanat mamelouk, ravitaille en esclaves la chrétienté, et bientôt trouve dans les premiers comptoirs du Nouveau Monde un inépuisable filon. Le besoin de main d’œuvre augmentant, ce sont près de dix millions d’esclaves qui sont déplacés dans des conditions violentes vers l’Europe et les Amériques. La population actuelle du nouveau continent hérite largement de ces flux d’esclaves, tandis que l’Europe orientale se dépeuple jusqu’au sud de la Russie. Venise bénéficie économiquement de sa position d’intermédiaire jusqu’au premier tiers du XVIe siècle, après quoi le relais est pris par l’Empire ottoman, qui modifie peu les chaînes de commerce déjà installées.

En effet, dès 1456, l’État ottoman s’est scindé en deux. Le jeune Mehmed II, vaincu sous les murs de Constantinople, a vu sa légitimité largement minée par cette défaite et par les difficultés à réunir la solde de ses troupes. Alors qu’il était en campagne dans le Péloponnèse, une partie des janissaires restés à Edirne entre en rébellion ouverte : ils imposent en la personne de Bayezid Osman un candidat-enfant moins indépendant et moins belliqueux. Mehmed fait immédiatement route vers Edirne, et le parti de Bayezid Osman se replie à l’est des Dardanelles vers la Bithynie. Une chronique grecque contemporaine rédigée par un certain Athanasis Dolapsoglu suggère que l’arrivée au pouvoir de ce rival aurait pu être le résultat d’un complot vénitien. Il est certain qu’un jeune prétendant au trône de ce nom était passé par certaines villes italiennes l’année précédente, mais le lien entre ces deux homonymes reste putatif. Bayezid Osman s’approprie les régions ottomanes à l’est du Bosphore, fondant un sultanat indépendant, soutenu par les Beyliks anatoliens soulagés de voir la puissance de Mehmed II ainsi affaiblie. Cet État est néanmoins de courte durée : dès la fin du XVIe siècle il est incorporé à un immense empire safavide.

Poursuivant les conquêtes entamées par Ismaïl Ier, les souverains safavides ont étendu leur domination sur l’Anatolie morcelée. Associant les souverains locaux à leur pouvoir par une série de mariages et de conversions, ils ont établi un empire chiite qui s’étend de l’actuel Irak jusqu’aux portes de Constantinople. Face à ce nouvel opposant, Venise est incapable d’assurer la sécurité de la ville, qui préfère se donner au sultan ottoman en 1589. Trois revendications universelles se font alors face en Méditerranée : un califat mamelouk, un empereur safavide chiite, et un sultan ottoman sunnite promu héritier de l’Empire romain par l’acquisition pacifique de Constantinople. Ainsi partagée, la dignité califale cesse de représenter un enjeu véritable, et ne fait pas l’objet de réactivation mémorielle au XIXe siècle.

L’Empire ottoman tel qu’il se présente au XVIIe siècle est donc fondamentalement un état balkanique. En réaction aux Safavides, l’ottoman curial qui s’élabore autour de Constantinople, Edirne, Sofia et Budapest élimine tous les termes persans, et s’enrichit d’emprunts au grec et aux langues slaves. La langue de l’administration, des madrasas et des villes est un turc dit "rumi", écrit dans un alphabet grec dont le nombre de voyelles a été réduit. Stable et simplifié, il n’est soumis à aucune ingénierie linguistique au XXe siècle. Plus tôt conquis et colonisé, le nord bénéficie par la suite d’une industrialisation supérieure au reste du pays. Seuls 30 % des 88 millions d’Ottomans résident aujourd’hui dans la moitié nord du pays, d’où de fortes velléités indépendantistes. Quant à Constantinople, elle est devenue une ville frontière, où l’urbanisation se concentre sur la rive occidentale. C’est aujourd’hui l’une des portes de l’Europe, d’où une forte militarisation du détroit.

Pour revenir au vrai :
- Donald Nicol, Byzantium and Venice, a study in diplomatic and cultural relations, Cambridge University Press, 1988.
- Dictionnaire de l’Empire ottoman, François Georgeon, Nicolas Vatin, Gilles Veinstein (dir.), Fayard, 2015.
- Charles Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale, tome 2 Italie, colonies italiennes du Levant, Levant latin, Empire byzantin, Rijksuniversiteit te Gent, 1977.