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09 juin 2017

Ils étaient 200 à courir vers le petit-déjeuner ce matin !


Levés avant l'aube, deux bonnes centaines de vénitiens participaient aujourd'hui au Breakfast Run. Une course sur cinq kilomètres à travers la ville de la Strada Nova, à la piazza San Marco, en passant par le  pont de l’Accademia et, dulcis in fundo, même par celui de Calatrava, réputé terriblement glissant. Le départ était donné à 5h45, au moment où le soleil commençait paresseusement d'étirer ses rayons à l'horizon. Les runners, tous vêtus d'un rutilant maillot jaune marqué du logo de la manifestation se sont retrouvés sur le parvis de la stazione pour cette première édition vénitienne de la RDS Breakfast Run Levissima, qu'organise pendant l'été Rcs Sport



Après la ville de Trente puis Rome en mai, et avant Milan (16/06), Turin (23/06) et Vérone (30/06) et enfin Bormio (08/07), la cité lagunaire était la troisième étape. Le principe de la manifestation est plutôt sympathique : une course matutinale de cinq kilomètres à travers l'espace urbain puis à l'arrivée, un plantureux petit-déjeuner all'aperto, pris en commun pour bien commencer la journée. Il ne s'agit aucunement d'une course. La philosophie ? Une manière intelligente de faire de la communication pour des marques, mais aussi parce que l'été arrivant, redécouvrir l'espace urbain dans lequel on évolue chaque jour sans y penser le plus souvent par le biais d'un jogging organisé et rappeler l'importance nutritionnelle, physique et psychique du petit-déjeuner que les italiens, comme souvent aussi les français, ont tendance à bâcler. Détente, contemplation, socialisation et diététique. Que pourrait-on trouver à redire ? Qu'il est dommage qu'il faille organiser ce genre de manifestation pour que les gens se sentent bien, redécouvrent leur ville au lever du soleil, se rencontrent et réapprennent les vertus de ce repas sur lequel nos mères étaient intraitables. "Finis ton chocolat", "Mange tes tartines", "Prends un fruit", "Ne pars pas sans manger"... Ces mots ne résonnent-ils pas dans vos oreilles ?

On peut davantage parler de parcours de santé, d'une promenade sportive à travers les rues et les campi de la Sérénissime, une passeggiata de bon matin dans une Venise tranquille, tellement différente de celle qui quelques heures plus tard s'est remplie de touristes. "C'était important de le faire ici, parce que Venise est unique - expliquait à la presse Andrea Trabuio, le directeur des Grandes manifestations de Rcs Sport, milanais d'adoption mais vénitien de naissance - cette manifestation prendra de l'ampleur et attirera non seulement les vénitiens passionnés par leur ville mais aussi ceux parmi les touristes qui recherchent l'authenticité de la ville."  


Joyeux moment donc, sans ampoules ni essoufflement, sans perdant et tous gagnants, mais moment qui a tout de même coûté à chaque participant la somme de 14€, comprenant le droit de participer, le t-shirt et le petit-déjeuner. Après tout, on n'a rien sans rien et la colazione fut très appréciée et le plaisir d'arpenter au petit matin les rues encore vides et silencieuses de la Cité des Doges est un bonheur sans prix !



30 mars 2017

Délice de saison à Venise : c'est le temps des moeche

© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.

Il est à Venise un délice gastronomique rarissime qui demeure fort heureusement suffisamment rare pour ne pas devenir lieu commun et risquait de disparaître si la presque trentaine de millions de visiteurs en réclamaient lorsqu'ils débarquent à Venise. Il s'agit des moeche.

 "Dis Monsieur, c'est quoi les moeche ?" m'a demandé un jour un petit garçon en visite au marché du Rialto. Le petit bonhomme dont j'ai oublié le prénom habillé comme un collégien anglais accompagnait ses parents avec sa grande sœur. J'avais sympathisé avec eux lors d' un des concerts hebdomadaires que donnait à l'époque le propriétaire de l'Albergo Métropole. Ce devait être en 1982 ou 83. Cette famille suisse me demanda de leur montrer Venise différemment. Ce que nous fîmes en commençant par le marché qui était beaucoup plus authentique et florissant qu'aujourd'hui. 

© Catherine Hédouin
Chers lecteurs, laissez-moi reprendre l'explication que je lui donnais : les moeche (pluriel de Moeca en dialecte vénitien), sont des crabes verts mâles (crabes communs à cinq pattes thoraciques, dits aussi crabes enragés qu'on retrouve un peu partout dans les estrans d'Europe occidentale. Mais ce vocable ne désigne ces petits crustacés qu'à un moment bien précis de leur croissance. Ceux qui sont pêchés et dont nous parlons aujourd'hui sont les jeunes mâles arrivés au dernier stade avant la mue, où ils sont le plus vulnérables mais aussi où leur chair est la meilleure. Cette pêche spécifique aux eaux de la lagune de Venise est aussi une culture au même titre que les huitres ou les moules ailleurs. On en trouve la trace dès le XVIème siècle et savants et naturalistes ont commencé de s'y intéresser scientifiquement dans les années 1750. 

Les vénitiens ne prononçant pas les l, le féminin pluriel moleche est devenu moeche (prononcez [mo'èké]). Les femelles sont appelées masanete (Tramezzinimag du 15/11/2007 ICI). Connue depuis des siècles, cette culture spécifique à la lagune à laquelle se sont intéressés savants et naturalistes dès le XVIIIe siècle est reconnue officiellement : mâles et femelles sont inscrits au répertoire italien des Produits Alimentaires Traditionnels (PAI) bénéficiant d'une protection légale. 

Ces petits crabes communs en phase de mue sont pêchés au moment où ils perdent leur carapace devenue trop petite pour leur corps qui s'étoffe et juste avant que la nouvelle soit assez formée. C'est ce qu'en terme savant, on nomme l'exuvie (1). L'enveloppe du jeune mâle n'est toute molle que pendant un temps très bref, car la mue se fait en quelques heures au contact de l'eau saumâtre de la lagune. Le crabe est alors suffisamment tendre pour être cuisiné et mangé facilement.
© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.
Cette pêche qui se pratique exclusivement dans la lagune de Venise, et plus précisément dans les environs de Burano, Chioggia et de la Giudecca, a lieu deux fois par an, entre la fin janvier et le mois de mai, puis de la fin septembre à la fin novembre. Bien sur, tout cela dépend des conditions météorologiques et les années se suivent sans que les quantités soient les mêmes. On dit ici que les meilleures moeche sont celles récoltées au printemps. C'est donc le moment encore pour quelques semaines si vous êtes à Venise (vois plus loin les restaurants recommandés par Tramezzinimag où vous en trouverez à coup sûr). 

© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.
Sur le marché, selon les années, les prix oscillent entre 50 et 80€ le kilo. Produit rare et donc coûteux mais qui met à la bouche des gourmets. On raconte souvent la requête poignante faite il y a quelques années par un homme gravement malade. En phase terminale, il appela de Rome pour demander qu'on lui expédie des moeche qu'il voulait goûter une fois encore avant de mourir. Comme l'expédition était impossible, ce sont ses fils qui sont venus jusqu'à Chioggia récupérer de quoi en préparer assez pour un ultime repas familial. Les pêcheurs offrirent des bouteilles du meilleur prosecco. 

Pour être certain de pouvoir en obtenir, à moins de connaître le poissonnier le mieux est d'avoir dans ses relations un pêcheur spécialiste. Celui que je connais à la Giudecca est maintenant assez âgé et annonce chaque année qu'il va se retirer. Plaise à Dieu qu'il hésite encore longtemps et nous ramène longtemps encore ces délicieux dons de la lagune ! 

© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.
En réalité, il ne s'agit pas tout à fait d'une pêche comme celle des poissons. C'est aussi un élevage. En résumé, les moeche ne sont que des crabes dépouillés de leur ancienne carapace et pas encore recouverts par la nouvelle. Cette période de mue ne durant que quelques heures, cette courte phase pendant laquelle le crabe devient moeca, où il est quelque sorte tout nu, sa chair sans protection, qu'il doit être pêché. Mais ils ne s'organisent pas pour être tous au même moment prêts à fournir le marché. Il faut donc s'assurer d'en avoir le plus grand nombre car tous ne sont pas arrivés au même stade de mutation quand ils se retrouvent enferrés dans les nasses des Moecanti.


L'art des moecanti. 
Ainsi, aussitôt pêchés, les crabes sont triés. Ceux proches de la mue seront immédiatement acheminés au marché et ceux pour qui il faudra attendre un peu vont être mis dans des viviers d'où ils seront sortis au fur et à mesure. Ce travail n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire. Il faut des dizaines d'années d'expérience aux moecanti (ou molecanti, nom donné à Venise aux pêcheurs et éleveurs de moeche) et sinon l'assistance de collègues plus expérimentés pour sélectionner les pièces et faire rapidement ce tri. Car il faut faire vite et ne pas laisser les crabes mourir. 

En quoi consiste exactement ce tri ? Il s'agit de sélectionner les crabes spiantani (ceux qui sont presque à l'état de moeche) et les boni (ceux qui deviendront spiantani à leur tour dans quelques jours). Ainsi triés, les crabes sont transférés dans des viviers, sortes de caisses ajourées, les vieri, qu'on accroche à des pieux (pali) fixés sur le fond de la lagune. Ces pépinières permettront de suivre les phases du développement des moeche. Véritables nurseries, elles font l'objet d'une attention quasi constante. Les caisses qui contiennent les spiantani sont ouvertes chaque jour, parfois même plusieurs fois par jour, pour récolter au juste moment les pièces arrivées au stade de moeca. Les molecanti savent d'un coup d'œil reconnaître les moeche à point.

Il faut voir la surprenante vélocité des pêcheurs au moment du tri. A suivre leurs gestes, on pourrait croire que tout cela est machinal mais leur regard concentré montre bien la difficulté de la chose. C'est un métier ! Le travail des molecanti est une activité extrêmement complexe qui est inscrite dans la tradition vénitienne.

C'est ainsi que les techniques et les secrets jalousement préservés de cet élevage, se transmettent dans les familles de génération en génération. Pour confirmer le lien profond qui lie cette activité à la culture vénitienne, il suffit de voir le nombre de coopératives et d'associations qui permettent aux touristes comme aux passionnés de la nature, de découvrir cette pêche lors d'excursions passionnantes. Suivre avec il moecante le parcours qui se déploie le long de la route de pêcheurs est une expérience unique (3)



Mais quelle différence avec les crabes habituels me direz-vous ? Tout. Leur goût n'a vraiment rien à voir. Les moeche ont une légère saveur de crustacés à la fois bien plus fine et plus prononcée que celle du crabe habituellement consommée. La chair est vraiment d'une finesse incomparable et le fait que ces crustacés ne soient disponibles en l'état seulement quelques semaines par an, en font depuis toujours un mets rare et recherché ; un peu comme les pibales de Gironde. 

Cuisiner les moeche. 
Si certains cuisiniers en quête d'innovation se sont essayés à de nouvelles recettes, il n'est dé véritable manière de les consommer que la traditionnelle friture. Ainsi est leur destin, tant physique que métaphysique : finir frits pour notre plus grand plaisir. L'usage est de les laisser mariner vivants toute une nuit dans une préparation d'œufs battus (tels quels ou assaisonnée différemment selon les goûts de chaque cuisinière), afin qu'ils en soient gavés, puis de les passer dans la farine et de les faire frire dans de l'huile bouillante. Même sans la phase marinade aux œufs le résultat est excellent. La chair est extrêmement tendre, le goût très fin. Pattes et pinces sont croquantes. Les moeche doivent être mangées bouillantes et bien salées. 

Il est primordial que les crabes soient vivants et en tout cas très frais car sans leur carapace ils pourrissent très vite. Il faut toujours les sentir avant de les acheter en ne se laissant pas tromper par leur parfum qui est très prononcé. Il faut les voir cavaler sur la table quand on les ramène à la maison, pendant qu'on enfarine leurs petits camarades ! Même tous blancs ils continuent de se mouvoir. On pourrait penser que leur sort est cruel. Mais ne vous inquiétez-pas, leur mort est très rapide une fois jetés dans la friteuse. Certaines cuisinières disent parfois qu'elles refusent d'en manger car elles les ont vu vivants quelques secondes plus tôt... Respectons leur refus, mais elles ne savent pas ce qu'elles perdent. Tant mieux pour les autres qui en ont ainsi davantage. Général une fois qu'on en a goûté on a vraiment envie d'y revenir ! Les enfants apprécient beaucoup en général cette légèreté et ce côté croquant. 

La Recette: 
Ingrédients : il faut, pour 400 grammes de moeche vivantes, un œuf entier bien frais plus un jaune, un verre de lait entier, de la farine, de la bonne huile de friture, sel, citron.
- Laver et bien égoutter les moeche. 
- Battre les œufs avec le sel et le lait. 
- Deux possibilités ensuite : soit inciser le dos des crabes pour en sortir l'eau puis les plonger dans la préparation puis les rouler dans la farine avant de les frire, ou les mettre vivants à tremper dans les œufs pour qu'ils les absorbent, les fariner puis les mettre à frire. 
- L'huile doit être bouillante. Y déposer les crabes. Les retourner à mi-cuisson et les servir aussitôt afin qu'ils soient bien croquants. Ils sont prêts quand la friture fait de gros bouillons. Ils doivent être suffisamment cuits mais ne doivent pas brunir (comme se doit d'être toute bonne friture) et servis très chauds. 
- Ajouter du sel à volonté, du citron et à table ! Il est des cuisinières qui les passent quelques minutes au four à basse température pour les rendre plus friables. 

Daniele Zennaro, le très créatif cuisinier du Vecio Fritolin qui connait parfaitement le territoire lagunaire, ses secrets et ses traditions, interprète la préparation des moeche en innovant. L'idée est d'amener le goût naturel du produit à sa quintessence qu'une friture mal préparée peut complètement détruire. Valoriser ce qui est naturellement bon et améliorer les faiblesses du produit. Ce qui fait la différence entre la bonne cuisine et la Grande cuisine. Si les moeche sont mises à frire vivantes comme le veut l'usage, il ne les trempe que très brièvement dans un mélange d’œufs et de lait. De cette manière, les moeche conservent une légèreté divine. Délicatement croquantes en surface et moelleux à l'intérieur.

Que boire avec ce plat ? 
Dans l'ordre, nos préférences à Tramezzinimag vont d'un traditionnel soave de qualité, bien frappé, à du champagne en passant par du prosecco :
  • Soave : J'aime beaucoup les produits des Vini Gini, particulièrement celui le Salvarenza Vecchie Vigne 2011 des grains de garganega pour le bonheur du palais récoltés à la main qui donnent un nectar à la couleur mordorée. Une alliance parfaite avec les moeche. Vin un peu cher mais qui mérite sa réputation d'excellence. 
  • Prosecco :  mon favori, celui de l'azienda Le Colture, Valdobbiadene Docg Prosecco superiore. Les spécialistes disent que ce n'est pas un prosecco pour touristes ! Inhabituel en effet par rapport à ces prosecco vendus en France, avec ses parfums très denses de pêche et d'abricot qui se transforment ensuite en fleur d'agrumes et de pétales de roses. En plus il a un bien joli nom : Rive di Santo Stefano brut Gerardo 
  •  Champagne : Ce sont des amis vénitiens qui m'ont fait découvrir ce champagne incroyable, 100% pinot noir, le vin rare de Marie-Noëlle Ledru, grande dame champenoise. Sa cuvée 2007 de Goulté blanc de noirs brut est un vin d'appellation Grand Cru AOC, produit en viticulture raisonnée. Un trésor. Il y a aussi le champagne Terre de Vertus, Blanc de Blancs du domaine Larmandier-Bernier, parmi les plus anciens domaines travaillant en agriculture biologique. Millésimé nature, c'est un vin raffiné, minéral très expressif issu des Vieilles Vignes de Cramant qui ont entre 5 et 80 ans. Une explosion de sensations. 
Les moeche, tous ceux qui en ont goûté en raffolent. A la saison, les gourmets se précipitent. Même les journalistes du Guardian et ceux du New York Times en sont fous. Heureusement pour les crabes, cette période de totale fragilité qui leur coûte de finir dans nos assiettes est courte.En attendant de les cuisiner vous-mêmes sur place, ci-dessous un choix parmi les restaurants de Venise qui servent des moeche. Partout ailleurs, il y aura forcément erreur puisque les crabes doivent être cuits vivants et consommés très rapidement. Si vous en voyez à la carte d'un restaurant de Paris, Bruxelles, Montréal ou New York, passez votre chemin ! 

Où manger des moeche ?
1 - Vecio Fritolin, Calle Regina, Rialto.
2 - Al Gatto nero à Burano, Viale Marcello.
3 - Alle Testiere, Calle del Mondonovo.
4 - Anice Stellato, Fondamenta della Sensa, Canaregio.
5 - Osteria da Rioba, Fondamenta della Misericordia.
6 - Muro Rialto, Campo Bella Vienna, Rialto.


Mais me direz-vous, si tout le monde veut goûter à ce produit miraculeux, n'y-a-t'il pas un risque que l'on décime cette espèce ? La vraie menace pour les moeche et les masanete, comme ailleurs pour les moules, les huîtres, les œufs de poisson sauvage ou les pibales bordelaises, c'est la pollution des eaux et des sols. Longtemps l'homme a pêché et chassé non pas en prédateur égoïste mais en consommateur éclairé, conscient de la nécessité de préserver tous les dons de la nature et il savait l'incongruité imbécile de vouloir s'en emparer à tout va pour faire du profit. On en revient toujours là... 

© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.

Notes
1- L'ancienne carapace, devenue trop petite, que l'animal abandonne, s'appelle l'exuvie. On appelle plus particulièrement exuviation le rejet de l'ancienne carapace. Le terme ecdysis (repris du grec), utilisé en langue anglaise pour désigner la mue des arthropodes, est mieux traduit en français par exuviation, car il correspond strictement au moment du rejet de la cuticule, alors que l'on peut considérer que la mue (moult en anglais, molt en américain) englobe aussi des étapes préparatoires à l'exuviation (dites pré-exuviales) et des étapes qui lui font suite (dites post-exuviales). In-Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mue_des_arthropodes (18/03/2017)

2- Un arthropode est plus vulnérable durant toute la mue, non seulement pendant l'exuviation, où il n'a plus la possibilité de fuir et où les risques de blessure sont fréquents, mais aussi dans les étapes pré- et post-exuviales où la vieille cuticule se ramollit et où la nouvelle n'est pas encore suffisamment durcie. 

3-  Se renseigner auprès de la Cooperativa San Marco di Burano qui propose sur réservation des escursions de  Pescaturismo (tel. : 041 730076), avec un molecante.

17 mars 2017

Saint Patrick, paresse, gourmandises, souvenirs, fin d'hiver et autres considérations (1)

Je me demande souvent si les autres ressentent la même chose que moi lorsque le calendrier arrive à la presque fin de l'hiver. Sortir affronter la pluie et le vent, voir la nuit tomber quand la bouilloire siffle, devoir se lever avant que le coq ne se décide à chanter, tout cela a duré pendant des semaines mais bientôt ne sera plus qu'un vague souvenir.  
 
Habitué (résigné ?), notre corps fonctionne encore au ralenti et l'âme flotte dans une sorte d'entre-deux propice à l'introspection et à la mélancolie ; longs goûters plantureux - abondance de toasts beurrés, de pancakes, de confiture et de miel. Scones et biscuits à profusion, longues siestes près du feu, les nécessaires contre-poids aux frimas et aux ciels bas...

On pourrait, quand l'hiver rugit sous les portes et fait claquer les volets, se pelotonner dans sa mauvaise humeur, se remplir de regrets devant l'été perdu et attendre. Attendre en espérant vaguement qu'une lune favorable ramène pour quelques heures soleil et ciel bleu... Pourtant, se laisser porter par le rythme immuable des saisons, adapter notre quotidien au temps qu'il fait et s'en porter bien, vaut bien mieux que toutes nos lamentations. Saine réaction du corps et de l'esprit. Instinct de survie sûrement. Ah, la belle mécanique !

Il m'aura fallu laisser tout ce qu'il y avait de vain dans ma vie, ces occupations que je croyais fondamentales à la marche du monde et qui occupaient jour et nuit mon esprit, m'encombrant d'une importance que je n'avais pas, autant que d'un stress inutile, pour me rendre compte combien j'avais tort de croire que dans les causes que je défendais, les actions que je menais, les idées que je servais, se trouvaient forcément et exclusivement ma joie et mon bonheur. 
 
Billevesées. Je garde certes la satisfaction du devoir accompli, expression sujette à caution s'il en est comme beaucoup de ce qui émane de notre monde post-moderne, mais ce n'était pas du bonheur. Juste un mélange de vanité et de prétention. Une illusion. Se sentir utile et efficace est nécessaire pour se lever le matin. Mais ce n'est souvent qu'une posture. Beaucoup de prétention là-dedans. Après tout, comme beaucoup d'entre nous, n'avais-je pas été dressé à cela ? Servir. Donner. Sauver le monde...

Ayant laissé la plupart de mes engagements au vestiaire avec soulagement, je me suis soudain rendu compte que la vie véritable n'avait rien à voir avec un agenda rempli et une course effrénée contre la montre...  Toutes ces nombreuses réunions où tant d'egos s'affrontent, j'y suis toujours allé rempli de doutes et de méfiance, simple visiteur, observateur mais toujours étranger en réalité. La preuve en est qu'il ne se passait pas dix minutes avant que mon esprit se dérobe et que mon imagination m'emporte loin de la salle où les autres semblaient totalement investis. 
 
Je le savais pourtant, ma place était davantage sur le terrain, dans le silence de mon bureau et de mes nuits, pour élaborer stratégies et faire mûrir des idées, bâtir du concret. On se laisse enfermer dans d'inutiles combats avec des méchants, des ambitieux et des prétentieux, des jaloux et des sots. Certains y laissent parfois leur santé et leur équilibre... La providence m'y a fait vite étouffer. Grand merci. Je suis parti et tant pis si les mauvaises langues et les médiocres auront parlé de fuite !

La porte du vestiaire enfin refermée, la page tournée, l'air m'a soudain semblé bien plus pur et l'atmosphère enfin respirable. J'ai recommencé à vivre au rythme du temps véritable. Cela m'a pris un an. Corps et âme ont dû retrouver le rythme pour lequel nous sommes faits. Plus rien à prouver, plus aucune cause qu'on croyait pourtant vitale pour laquelle il faut se battre même quand chaque jour de nouveaux indices nous font de plus en plus douter de participer à «une juste cause». Peu à peu se font jour les intentions véritables de ses défenseurs les plus engagés, jusqu'à comprendre ce qu'ils sont vraiment finalement derrière leurs poses et leurs mots (voir plus haut)...

Bref, la mutation n'a pas été chose facile, mais combien aujourd'hui je me sens apaisé et en parfaite adéquation avec la nature, la vie, les jours. Qu'il vente, qu'il pleuve ou neige ou que le soleil brille, tout m'est joie et bonheur. Sentiment d'harmonie. On me traitera de naïf. Que les culs-de-plomb et les pisse-vinaigres que j'ai laissé sur place aillent au diable ! Pour la première fois depuis l'enfance, j'ai aimé ces longues journées froides, les ciels bas et gris, la pluie qui crépite sur les vitres de la maison, le vent qui souffle la nuit, la gelée blanche au petit matin et le brouillard que j'aime plus que tout. Sur les hauteurs de l'Entre-Deux-Mers, à Venise, au pied du pic d'Orhy ou face à l'océan. Pouvoir prendre le temps de regarder le temps passer, vivre au rythme de son corps et suivre pleinement les jours. Un délice que j'avais oublié. Un luxe. Je ne sais pas ce que ma vie sera demain et même s'il y aura un demain, mais peu m'importe en vérité. J'ai retrouvé le rythme vrai, les petits plaisirs, les joies simples et je dors comme un bébé. 

C'est aujourd'hui la Saint Patrick. Patrice ou Patrizio, du latin Patricius en fait, de son vrai nom Maewyin Succat, l'anglicisation des mœurs a répandu la version anglaise du nom du saint. Comme la saint Valentin ou Halloween, voilà encore une date-clé de nos cousins américains imposée à l'Univers entier par leur civilisation consumériste. Un jour spécial que même ici on célèbre. Un produit marketing pour faire oublier la crise... 
 
Si je peste volontiers contre la pseudo fête des amoureux (un élément du loving-package avec le pont des soupirs, la virée nocturne en gondole au son de l'aria napolitain «Sole Mio» le plus souvent massacré, du mariage en blanc et dentelle mécanique à l'église où personne de la noce ne met jamais les pieds), comme Halloween me hérisse (autre invention commerciale et si peu chrétienne que je déteste : nous avons la Toussaint, qui elle fait sens à l'aune de notre culture et de nos traditions), il faut bien reconnaître que la Saint Patrick porte une symbolique véritable. C'est le patron de la verte Irlande, pays où la nature rude, flamboyante, cruelle parfois, reste encore dominante partout dans la vie des gens. Même à Dublin. Le jour marque aussi les derniers soubresauts du bonhomme hiver. Au Québec, c'est la période attendue des dernières tempêtes de neige et sous la neige la terre bourgeonne déjà.
 
 
Il y a un poème de l'américaine Linda Gregg*, qui illustre mieux que je ne saurai le faire, cette ambiance paisible qu'il m'a été donné de retrouver. «Winter in Love» est extrait de «Chosen by the lion»**, recueil paru en 1994 et qui est venu à moi par le plus grand des hasards. J'avais trouvé le livre abandonné sur une chaise du Caffé del Paradiso, à l'entrée de la Biennale. C'était l'an dernier en juillet. Je l'ai feuilleté distraitement pour voir s'il ne contenait pas un nom, une indication. Vierge de toute indication. «Son ou sa propriétaire l'aura oublié» ai-je pensé et je l'ai remis au comptoir en partant. Perdre un livre n'est jamais agréable. 

Deux semaines plus tard, j'avais donné rendez-vous à des amis sur la même terrasse, face au Bacino. J'aime terriblement cet endroit en dépit de l'afflux de visiteurs. On y savoure de vrais instants de paix sous la plantureuse glycine quand l'été bat son plein, face au plus beau panorama qu'offre Venise. Généralement, les touristes ne restent pas. Leurs heures sont comptées, les pauvres ont mille autres choses à dévorer dans le temps imparti de leur séjour vénitien. Dommage pour eux, mais tant mieux pour nous qui ne partons pas ou plus tard.

Arrivé en avance, je me suis souvenu du livre. Une très jolie jeune femme asiatique était au comptoir, qui demandait en anglais si on n'avait pas trouvé un livre. Que le hasard me mit en présence de la lectrice de ce recueil de poèmes, près de quinze jours après me paraissait incroyable. J'imaginais déjà une rencontre romantique. Il n'en fut rien. Ce n'était pas le livre qu'elle cherchait. Le livre que j'avais trouvé n'avait pas retrouvé sa propriétaire... Au haussement d'épaule qu'elle fit quand la caissière lui tendit l'ouvrage, je compris que la demoiselle n'avait aucune attirance pour la poésie. Dommage. En fait, elle avait égaré son catalogue de la Biennale. Il aura très vite fait le bonheur de quelqu'un, mademoiselle. L'ouvrage de Mrs Gregg lui n'intéressait personne. Je m'en suis ému auprès du serveur en passant notre commande. Quelques minutes plus tard, il m'apportait le livre avec les boissons, me disant en vénitien : «la touriste ne reviendra pas. Il sera mieux avec toi qui vient toujours ici avec des livres»... 
 
Quel sens de la psychologie. Être serveur est un sacré métier où il faut être discret, observateur et perspicace. S'il avait fallu m'en persuader, la réaction du cameriere en aurait été le meilleur exemple ! Je m'empressais d'accepter le cadeau mais ne pu m'empêcher de dire à la cantonade que si la personne se manifestait il faudrait me prévenir aussitôt. Après la jeune asiatique, ce fut au serveur de hausser les épaules avec un petit sourire, du genre de celui qu'on a pour dire qu'on n'y croit vraiment pas... Ce texte fut une découverte. Linda Gregg écrit avec beaucoup de simplicité et ses vers possèdent une petite musique raffinée. C'est léger et profond en même temps. Elle parle joliment de l'hiver et de la lenteur du temps qui passe :
I would like to decorate this silence, 
but my house grows only cleaner 
and more plain. The glass chimes I hung 
over the register ring a little 
when the heat goes on. 
I waited too long to drink my tea. 
It was not hot. It was only warm.***
Mais revenons à nos moutons (irlandais). Nombreux sont ceux qui pensent que ce jour est la fête nationale irlandaise. il n'en est rien. Il n'y a pas de fête nationale en Irlande.Jusque dans les années 70, lorsque la Saint-Patrick tombait un dimanche, les pubs restaient fermés. Quand on voit la beuverie universelle qu'est devenue ce jour... Sur un site vénitien on explique depuis quelques jours que «la seule chose à faire pour la Saint Patrick c'est boire !» Prudentes, les autorités de la Sérénissime ont autorisé l'organisation d'un Festival Saint Patrick... mais à Marghera. Ouf ! le risque d'une foule internationale avinée et incontrôlable sur la Piazza a été de justesse évité...

Ce jour est avant tout la fête d'un saint que reconnaissent toutes les confessions chrétiennes. Dans le monde catholique, le jour change en fonction des dates du Carême et de Pâques. Comme toutes les solennités, elle ne peut avoir lieu en même temps que les dimanches de Carême, celui des Rameaux ou pendant la Semaine Sainte. Pour ceux qui ne le savent pas et que cela pourrait intéresser, il s'agit de la commémoration du jour où l'évangélisateur de l'Irlande prêcha pour la première fois le dogme de la Sainte Trinité Pour ce faire, il prit l'exemple du trèfle, devenu depuis le symbole du pays (non pas son emblème qui est, chacun le sait, la harpe celtique). « Chaque année, les citoyens d’Irlande mettent un trèfle à leur boutonnière pour se souvenir de cet enseignement.» explique Wikipedia
 
  
L'hiver est une musique autour de nous comme elle est en nous, le souffle glacé du vent et la nuit qui se répand trop vite, font tinter le parure de gel du bord des routes. Au début, le cœur comme une oreille entend de belles choses. Un appel au répit, le besoin de reprendre des forces. Comme le reste de la nature, il nous apprête pour le renouveau, pour quand le printemps guilleret frappera à nos portes. Hélas, l'homme oublie vite les douces harmonies du début. Passées les cantiques de Noël, la musique se fait lancinante, insupportable parfois. Toujours ce clapotis trop dense sur les vitres, toujours ce vent sous les portes. Mais un matin, l'air se fait plus léger. Les dernières mesures de la mélodie trop entendue s'éloignent, et en dépit de courtes reprises qui voudraient séduire, tout en nous sait qu'il n'y aura pas de bis. Le rideau va tomber. Déjà les lumières de la salle s'allument, dans les maisons les fenêtres s'ouvrent en grand... 
 
Bientôt la saison nouvelle et la joie du renouveau, donc. Il y aura encore de nombreuses averses, des matins brumeux, de longues nuits froides et la neige couvrira encore pour de longues semaines les sommets. A Venise, le visiteur qui se rend à San Michele ou à Murano sera tout étonné de voir comme un décor les montagnes enneigées. Certains jours, on croirait pouvoir les toucher, pareilles à la célèbre vue gravée au XVe siècle par l'allemand Bernhard von Breydenbach
 
La Piazza sera encore submergée par le caigo, cet épais brouillard dans lequel j'aime me perdre encore, comme au temps de mon adolescence, parce qu'il me rappelle les matins glacés des hivers londoniens, quand les autobus à impériale étaient précédés par un employé marchant une lanterne à la main. Je revois aussi le chemin que nous devions faire, encore engourdis par nos rêves, entre Cadogan House, la maison du collège où j'étais pensionnaire et la chapelle pour la prière du matin, après le breakfast dans le gigantesque réfectoire et avant les cours du matin... 
 
  
Notes :
 
*     Linda Gregg (1942-2019), poètesse new-yorkaise.
 
**   Chosen by the Lion : Poems
       Graywolf Press, 1995
 
**   J'aimerais décorer ce silence,
       mais ma maison n'en est que plus propre
       et plus simple. Les carillons de verre accrochés
       au-dessus de la caisse se mettent à sonner 
       quand le chauffage s'allume.
       J'ai trop attendu pour boire mon thé.
       Il n'était pas chaud. Juste tiède.   [Traduction libre]
 

à suivre

29 janvier 2017

Le Ricettario de TraMeZziniMag est de nouveau disponible

Il aura fallu de longues heures pour rechercher les billets du blog originel portant le libellé "Gourmandises" dans les archives du net et les remettre en lien dans la liste mise à mal comme le reste du premier Tramezzinimag par la décision toujours inexpliquée de Google de supprimer le blog après douze années de parutions et une notoriété évidente. Pour ceux qui ne seraient pas au courant, Google a suspendu le compte éditeur de TraMeZzinimag fin juillet 2016 sans donner aucune explication. 

Six mois après, je n'ai toujours pas eu de réponse à mes demandes et j'en suis réduit à des conjonctures : piratage de mon compte, erreur, malveillance. Google reste taisant. Tout a été passé en revue. Aucun incident qui aurait pu mettre le blog en infraction des règles de Google, mis à part l'intervention d'une jeune prétentieuse qui s'est cru plagiée et n'a accepté aucune espèce de conciliation ni explication - les temps modernes ! - L'affaire avait été rapidement réglée en son temps avec diplomatie et efficacité de la part de Google, et n'a jamais mis en cause l'intégrité du blog et de son auteur. Rien dans l'usage qui était fait de mon compte Google ne pouvait donner lieu au moindre doute ni aucun incident qui aurait pu amener à une quelconque infraction de mes obligations contractuelles. Et puis, si cela avait été le cas, il est évident que j'aurai régularisé très vite la situation et n'aurai jamais pris le risque  de voir douze années de travail effacées à tout jamais... 

Mais cet incident appartient au passé. il m'a permis de reprendre d’anciennes lectures. Celle de mon maître Jacques Ellul quand il anticipait les désagréments, les risques et le danger de la Technique quant elle se substitue trop facilement à l'homme et ne remplit plus sa mission qui est d'aider et d'accompagner l'humain en facilitant sa tâche... 

Cela m'a permis aussi de reprendre, via les archives du net, celles de lecteurs précautionneux et les quelques sauvegardes que j'avais pu faire en dehors du compte Google (car tous mes œufs étaient dans le panier Google, archivages, images, brouillons, sources, bibliographies,  contacts, etc.), tout le travail réalisé sur Venise. Bref, tout ce travail méticuleux, s'il m'empêche de produire autant que je le souhaiterai de nouveaux billets, a permis un travail de restauration et d'élagage, mais aussi de réflexion sur l'utilité ou disons plutôt le rôle de ce blog, vieille chose désormais - après avoir été précurseur - dans ce monde médiatique d'aujourd'hui où tout va très vite, se démode et s'oublie... 

A commencer par le Ricetario. En reconstituant ainsi l'ensemble des recettes publiées entre 2005 et aujourd'hui et les textes d'où elles sont issues que beaucoup de lecteurs se lamentaient de ne plus pouvoir consulter, j'ai eu de nouvelles idées de publications et je ne manquerai pas de revenir vers vous quand le projet sera plus avancé et la maison d'édition mieux "calée"...

Pour consulter l'ensemble des recettes, il suffit de vous rendre sur la colonne de gauche du blog, à la rubrique Les Recettes Gourmandes de TraMeZziniMag et de cliquer sur celle qui vous intéresse.

04 janvier 2017

Le tiramesù fait couler bien de l'encre...

Article paru le 30 octobre 2005 sur Tramezzinimag (l'original) et republié à la demande de Miguel T.

Personne n'ignore le délicieux dessert appelé Tiramisù. Peu savent son origine véritable. Présent sur toutes les tables du monde, on en perd sa trace originelle et la recette possède aujourd'hui des milliers de variantes. Comme une musique célèbre, il y a presque autant de variations sur ce dessert vénitien qu'il y a de cuisiniers de par le monde de la gastronomie. Comme en musique, il y a ses gourous, ses experts qualifiés et reconnus et se détracteurs haineux et virulents. Pour ma part, je connais deux ou trois lieux à Venise (restaurants et maisons particulières) où il est interprété stricto sensu, selon la partition d'origine. Comment savoir en fait ? Je vous livre mon critère : en prendre et en reprendre sans sentir cet écœurement qui nous vient avec les desserts mal faits ou faits avec de médiocres ingrédients. Un kilo de Tiramesù bien fait ne vous rendra jamais malade. Une cuillère de ce qui vous est servi dans certaines gargotes de Bordeaux, de Venise ou d'ailleurs, suffit à empoisonner un foie sérieusement entraîné au pire ! 

Bon, mais si je vous donnais ma recette (dérobée après maintes et maintes discussions à une charmante cuisinière vénitienne native de Sardaigne qui a servi dans les plus grandes maisons du Grand Canal dans les années 50, la Signora Enrietta, qui s'occupait de mon linge et me faisait la cuisine quand j'habitais calle del'Aseo, à Cannaregio) :

Pour le réussir selon l'authentique recette, voici les ingrédients : 200 g de mascarpone / 100 g de sucre glace / 5 jaunes et 3 blancs / 100 g de sucre semoule / un pan di spagna (remplacé en France par des biscuits à la cuillère ou des tranches de brioche) /100 ml de crème, du café expresso / du cacao amer. Comme vous le voyez, il n'y a pas d'alcool. 

Travailler ensemble le mascarpone et le sucre glace. Ajouter un à un les jaunes et battre jusqu'à obtenir une émulsion lisse. Monter la crème, puis monter les blancs en neige ferme, en ajoutant peu à peu le sucre. Mélanger le tout délicatement jusqu'à obtenir un appareil bien ferme et monté. Garnir un plat à gratin avec les tranches de pan di Spagna ou de brioche, les imbiber de café froid, recouvrir de la préparation. Laisser reposer au frigo au moins 24 heures et saupoudrer de cacao amer avant de servir. 

Une variante, ma foi assez bonne, consiste à alterner des tranches de biscuits imbibés d'un mélange de café et d'amaretto (ou de grappa), pour finir par le reste d'émulsion. Version plus adulte et plus au goût des français quand ils croient manger italien et ne pensent pizza qu'avec de la sauce piquante et donc Tiramisù avec plein d'alcool dedans ! ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? 
. .

Les photos illustrant cet article 
proviennent du net. Un grand merci à leurs auteurs.

22 décembre 2016

Gourmandises vénitiennes

Les fins d'années sont comme des fins de cycle, on ressent souvent le besoin de faire un grand nettoyage. Autour de soi, dans les placards, les tiroirs et les cartons entassés dans les armoires. Dans sa tête aussi. Cela va de pair. Votre serviteur, se retrouvant dans l'obligation de vider un magazzino où s'entassent depuis des années un fourbis de caisses et de malles, partage désormais son temps entre l'écriture et l'archéologie domestique. Parfois une trouvaille fait basculer l'âme dans un monde disparu, parmi les souvenirs enfouis qui rejaillissent soudain, frais comme s'ils naissaient entre nos mains. C'est d'un de ces petits bonheurs que m'est venue ce matin l'idée de ce billet gourmand. Dans un carton fatigué, une liasse de vieilles lettres. Millésime 1885 à 1892 - un autre monde - quelques carnets, un petit album de photographies, d'autres riens dans une boite de carton bouilli. Et dans cette boite un tout petit cahier joliment recouvert d'un papier peint à la planche. 

Je voyais soudain une chambre joliment colorée, une fenêtre en ogive, et une belle jeune femme, ses longs cheveux défaits, assise à sa table, un porte-plume à la main elle penche un peu la tête, le miroir posé à côté d'elle reflète un joli visage aux traits doux et juvéniles encore. Appelons la Marie. Elle est à Venise depuis quelques mois maintenant. Elle y a suivi son mari, jeune vice-consul de Suède et Norvège dont l'aïeul est à l'origine de l'installation de l'église luthérienne à Venise, en 1813. Elle est heureuse ici en dépit de l'inconfort des grandes salles de la vieille maison où on les a logé, juste au-dessus des appartements d'un vieux prince allemand. Elle a deux filles en bas-âge. Deux autres naîtront ensuite. Marie est française. Elle écrit à sa cousine, sa tendre amie Marguerite qui est fiancée et qui deviendra un demi siècle plus tard ma grand-mère... Elles échangent souvent cartes postales et extraits de romans. Des bribes de leurs échanges ont échappé aux ravages du temps et leur amitié ainsi ne s'est pas enfoncée dans l'oubli.

Le petit cahier que Marie remplit de son écriture régulière et maîtrisée, contient des recettes de cuisine. L'envie de vous en livrer quelques unes avant Noël, comme une invitation à partager ma rêverie par cette soirée d'hiver. La nuit est tombée sur une ville couverte de brume, répandant jusque dans le bureau où je travaille des senteurs rustiques. L'idéal pour écrire... Pour cuisiner aussi. Parmi toutes les recettes, en voici deux particulièrement goûteuses.

Rognons de veau à la vénitienne
Il s'agit pratiquement de la même recette que celle du restaurant Antico Martini, un des plus anciens de Venise puisqu'il fut ouvert en 1720). Mais pour s'adapter aux usages du XXIe, les proportions et les produits ont été revus.

Il va vous falloir (pour 4 personnes) : 250 g de beaux rognons bien frais, 4 gouttes de Tabasco, 10 gouttes de Worcester Sauce, 1 cuillère à café de moutarde, 4 centilitres de vin blanc sec et 10 centilitres de sauce demi-glace, du beurre, une belle gousse d'ail, du persil, de la sauge et du romarin (frais si possibles), 1 cuillère, à soupe de crème fraîche épaisse, un bon verre de gin sel et poivre.


Dégraisser les rognons et les tailler en morceaux assez petits. Les faire sauter quelques minutes avec un peu de beurre, ajouter la gousse d'ail finement hachée, la sauge et le romarin puis flamber au Gin. Enlever les rognons. Faire réduire dans la poêle la sauce demi-glace avec les ingrédients précédents. Quand l'appareil est bien lié, ajouter les rognon, bien mélanger et lier le tout avec une belle noix de beurre et un cuillère à soupe de crème fraîche. Ajouter le persil au dernier moment. Servir avec un riz pilaf.

Gâteau vénitien
La recette est simple et tient en  dix lignes ! Un régal qui se consomme chez nous depuis toujours, apprécié des petits comme des grands.
Il faut : 250 g. de farine, 125 g de sucre semoule, 125g de beurre, 1 œuf, un pot de marmelade d'abricot.
Garnir une tourtière avec la moitié de la pâte. Recouvrir d'une couche de confiture. Recouvrir de l'autre moitié de pâte restante. 
Faire cuire au four.

05 décembre 2016

Idées pour un repas vénitien ou Il Pranzo di Natale

Réédition du billet paru le 21 décembre 2008 
 sur le premier Tramezzinimag : 

Ecco il menù di Tramezzinimag. Voici donc le menu de Noël de Tramezzinimag, recettes de tradition familiale élaborées du temps où la famille vivait à Venise. Quand j'étais membre de la célèbre Accademia Italiana della Cucina, j'ai rencontré des homologues de Venise qui possédaient des variantes de ces plats. Une cuisine de tradition mais qui s'autorise tout de même quelques touches de goût du jour. Au menu donc de ce repas de fête (proportions pour six personnes) : 
Aumônières Balthazar 
Pintade Omar 
Crème blanche meringuée au sabayon d'orange 

Aumônières Balthazar 
Ingrédients : 6 crêpes assez fines, 6 jolies cailles bien charnues, 200 gr. de foie gras ou de mousse de foie gras, 40 gr. de truffes noires ou blanches, une boîte de jus de truffes, 1 verre de cognac, 60 gr. de beurre, 2 gousses d'ail (dont une écrasée), 100 gr. de pignons de pins, huile d'olive, sel et poivre.  
A l'aide d'un couteau fin et coupant, désosser entièrement les cailles pour les mettre à plat. Saler et poivrer. Récupérer les foies, les hacher et les faire blondir dans la moitié du beurre avec l'ail écrasé. Les ajouter au foie gras ainsi que les truffes grossièrement hachées. Saler et poivrer légèrement. Déposer un peu de cette farce dans chaque caille. Reconstituer les oiseaux en enfermant bien la farce et en ficelant vigoureusement.
Dans une sauteuse, faire chauffer l'huile. Quand elle grésille (mais sans qu'elle fume), y faire dorer les cailles. Réduire le feu et couvrir. Laisser mijoter environ 20 minutes. Pendant ce temps, passer rapidement à la poêle les pignons de pin dans le reste de beurre. Ils doivent être dorés. Les réserver.
Quand les cailles sont cuites, les poser chacune sur une crêpe. Parsemer de pignons et refermer la crêpe en aumônière en la liant avec un ruban de papier aluminium. Tenir le tout au chaud à l'entrée du four.
Déglacer la sauteuse avec le cognac et le jus de truffes. Faire bouillir en grattant bien le fond avec une fourchette sur laquelle vous aurez piqué une gousse d'ail. Servir cette sauce bien chaude dans une saucière en même temps que les cailles. On peut servir avec un assortiment de petits légumes mêlés aux pignons restant. Variante : les légumes frits avec les pignons sont mélangés à la sauce et versés au moment de servir sur les aumônières. 
...
Pintade Omar 
Ingrédients : une belle pintade, 2 gros oignons, 1 carotte, des clous de girofle, thym, laurier, estragon, persil, sel et poivre. Pour la sauce : 1 cuillère à soupe d'huile d'olive, 3 cuillères à soupe de farine, 2 cuillères à café de paprika, 75 gr. de parmesan, 100 gr. de crème fraîche ( ou de crème soja pour faire plus léger), 2 cuillères à café de purée de tomates. Cognac (ou armagnac).
Mettre 1 litre et demi d'eau dans une grande cocotte avec les herbes, les aromates, les oignons piqués de clous de girofle. Porter doucement à ébullition puis déposer la volaille coupée en morceaux. Saler, poivrer. Laisser cuire 1 heure 30 à petit feu.
Retirer les morceaux de pintade à l'écumoire et les placer dans un plat à gratin. Garder le bouillon. 
Dans une petite casserole à fond épais, mettre à chauffer l'huile puis la purée de tomates et la farine. Travailler le mélange. Mouiller avec 1/2 litre de bouillon de cuisson. Ajouter le paprika et le cognac. Laisser bouillir quelques minutes sans cesser de remuer. Hors du feu, ajouter le fromage râpé et la crème. Napper le poulet de cette sauce qui doit être onctueuse mais pas trop épaisse, et faire dorer à four chaud.
Servir avec de la polenta grillée, coupée à l'emporte pièce en forme de sapin de Noël nappée de beurre fondu. 
Crème blanche meringuée au sabayon d'orange 
Pour le sabayon : 1,5 kg d'oranges, 100 gr. de fécule de pomme de terre, 100 gr. de sucre en poudre (cassonade ou sucre roux). zeste de citron vert et jaune. 
Pour la crème : 6 cuillères à soupe de tapioca, 8 cuillères à soupe de sucre, 2 oeufs, 4 tasses de lait, 1 pincée de sel, 1 bâton de vanille. 
Pour la sauce : 200 gr. de sucre glace, 1 citron jaune non traité, 50 gr. de pralin, 1 morceau d'angélique confite, 40 gr. de raisins de Corinthe, Grappa. 
Presser les oranges pour obtenir 1 litre de jus. Délayer le jus dans un grand bol avec le sucre et la fécule. Ajouter des petits morceaux de zeste d'orange et de citron vert et jaune. Mettre sur le feu jusqu'à ébullition sans cesser de remuer. L'appareil doit avoir une consistance de crème épaisse sans grumeaux. Verser dans les coupes de service. Mettre au frais.
Faire bouillir le lait avec le sel et la vanille préalablement écorchée dans le sens de la longueur avec un couteau pointu. Quand le lait bout, verser le tapioca en pluie. Cuire 2 à 3 minutes, ajouter le sucre et les jaunes d’œufs dilués dans un peu de lait. Faire cuire 2 minutes sans cesser de remuer. Ajouter la grappa. Battre les blancs en neige très ferme, les verser en mélangeant délicatement dans le tapioca avec le pralin. Verser dans les coupes déjà remplies à moitié de sabayon. Mettre au frigo.
Faire tremper l'angélique et les raisins dans de la grappa.
Au moment de servir, faire fondre le sucre glace avec un peu de citron et d'eau à feu très doux dans une casserole épaisse et mettre les zestes d'orange, de citrons jaune et vert dans une autre casserole en les recouvrant d'eau froide. Faire bouillir 5 minutes puis sortir les zestes et les laisser refroidir. Les hacher en julienne très fine. Réserver l'eau de cuisson. Lorsque le sucre est fondu, mouiller le caramel ainsi obtenu avec l'eau de cuisson des zeste, ajouter la julienne de zeste, les fruits confits, en remuant bien pour obtenir une certaine consistance. Ajouter le Cointreau.
Napper la crème avec cette sauce, décorer avec des raisins de Corinthe, le reste de la julienne, et de pralin. Servir avec un Malvasia dolce di Casorzo ou le délicieux Moscato d'Asti millésimé de la famille Batasiolo.
N.B. : On peut ajouter à la grappa, un 1/2 verre de Cointreau ou du vin doux choisi pour accompagner le dessert. Il existe une variante au Sauternes et c'est aussi délicieux avec du Champagne mélangé au Cointreau.

3 commentaires:

 n-talo a dit…

mieux qu'en rêve ... les aumonières balthazar me laissent réveuses mais la crème blanche au sabayon d'orange ... je vais en rêver longtemps à moins que je ne me décide à faire vite !
merci pour tous ces beaux partages
lena sous le figuier a dit…
Un festin qui me laisse également rêveuse...des noms évocateurs...
J'imaginais que le sabayon se faisait toujours avec des jaunes d'oeufs.
Lorenzo a dit…
c'est vrai mais c'est le nom de ce dessert dans notre famille. Disons que le zabayon est un cousin du sabayon...