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02 novembre 2013

Gérard-Julien Salvy, notre représentant à Venise. suivi d'un Entretien avec Xavier Rosan

2 novembre 2013


Le document ci-dessous n'est pas très récent, sans être pour autant ancien. Il provient d'une chaîne de télévision locale en Essonne qui consacre un temps d'antenne à la culture et notamment à la littérature. L'ayant retrouvé dans mes archives,j'ai souhaité le donner à voir aux lecteurs de Tramezzinimag en espérant que que celui qui en est le sujet ne m'en voudra pas trop, tant l'homme est modeste et peu soucieux de paraître sous les feux de la rampe.

Gérard-Julien Salvy est écrivain, tout le monde le sait, éditeur aussi. On lui doit la magnifique revue L’Énergumène et les Cahiers de l’énergumène. Depuis quelques années, cet amoureux de l'art et de l'Italie, de Venise en particulier sert la République et la francophonie avec brio en dépit du peu de moyens mis à sa disposition : L'homme est aussi consul de France. Bien sûr, la mission, si elle demeure ardue, n'a hélas plus grand chose à voir avec ce que furent les fonctions de ses prédécesseurs, ceux en poste avant Schengen, ou pour être plus clair, avant la chute du mur de Berlin. Le poste consulaire des Trois Venises comme on le dénommait à la Chancellerie, couvrait la ville de Venise, mais aussi Trieste, Vérone et Padoue. Le consulat était installé sur les Zattere, au Palazzo Clari, ou se trouvait aussi la résidence du consul. Le dernier à y vivre avant la chute du mur, fut Christian Calvy dont Tramezzinimag a plusieurs fois parlé. Aujourd'hui, sans plus aucun moyen pour assurer le rayonnement de la France, de sa langue et de sa culture, le consul réside dans sa propre maison et possède des bureaux du côté de Santa Maria Formosa. Jusques à quand ?
 

Il est à Bordeaux une splendide revue, Le Festin, dirigée par un groupe d'amis très chers que j'ai un temps accompagné dans leur aventure. Le directeur de la revue, Xavier Rosan, s'est entretenu avec celui qui allait devenir quelques années plus tard notre consul à Venise. C'était pour le numéro de l'été 1992. Tramezzinimag propose ci-dessous à ses lecteurs l'intégralité du texte :
Salvy, Le voyageur littéraire
Par Xavier Rosan. Article publié à l'été 1992, dans Le Festin n°10
 
Gérard-Julien Salvy a créé en 1972 la revue L'énergumène, puis, en 1981, les Cahiers de l’Énergumène où architecture, arts plastiques et littérature étaient disposés côte-à-côte. Depuis trois ans, il anime les éditions qui portent son nom avec le désir intact de marier les différences, les hasards et les goûts selon ses propres tendances.
J'ai découvert les Cahiers de l’Énergumène en 1989, quelques mois avant de créer Le Festin. Cette rencontre m'a troublé car je trouvai dans cette revue l'affirmation brillante d'envies personnelles non encore affirmées, parmi lesquelles celle de montrer des objets, des formes, des tendances variées, pas forcément complémentaires mais, qui, mises bout à bout, ressemblaient à ce "paysage" fictif dont parle Gérard-Julien Salvy. L'éditeur fête aujourd'hui le trentième titre de sa collection avec la parution du livre de Bret Easton Ellis, American Psycho. Je crois qu'il n'est aucune de ces parutions (L’Énergumène (1972), les Cahiers de l’Énergumène (1981), L’Égoïste de luxe (1977), les Éditions de l’Énergumène...) qui ne participe à la distinction, à l'audace et à l'intelligence d'un goût personnel : le fonds le plus précieux d'un éditeur véritable.
LE FESTIN : Le commencement de votre activité de collectionneur et l'élaboration de la revue L’Énergumène ont été simultanés.
GÉRARD-J. SALVY : Oui, à peu près. Je suis né dans une famille de collectionneurs  versatiles, ce qui est une contradiction dans les termes. Des collections commençaient et étaient abandonnées au bout de six mois ou de cinquante ans. Le résultat de cette obsession familiale était une volonté de collection qui ne parvenait jamais à s'assouvir. J'ai donc ainsi vécu dans cette folie douce qui caractérise assez bien le collectionneur, une sorte d'excitation permanente et de déception irrémédiable. Le drame du collectionneur est d'être pris dans un mouvement contraire : arriver à la pièce unique ; or la pièce unique, est la destruction de l'idée même de collection.
Par goût personnel je me suis intéressé aux dessins d'architecture, essentiellement de la fin du XVIII
eet de la première moitié du XIXe siècle... Un peu par hasard aussi :  j'ai commencé vers seize ans, au milieu des années 1960, et c'était alors un domaine assez vierge, on pouvait devenir facilement collectionneur avec une volonté d'achat régulière. A l'époque, les collectionneurs agissaient dans une contrainte culturelle bien délimitée : d'abord chronologique — on n'imaginait pas de collectionner un objet qui ne soit pas antérieur à la dernière guerre —, ensuite limitée au champ artistique des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs... Finalement, j'ai accumulé des centaines de dessins. Puis, à un moment, je me suis arrêté car j'étais arrivé à toutes les permutations possibles à l'intérieur de ma collection. Ne voulant plus entretenir celle-ci, je l'ai un peu épurée de ce qui me semblait secondaire ou répétitif.
Cependant mon goût de collection ne s'est pas amoindri pour autant et comme il était  lié à un goût des livres — pas bibliophilique, un goût pour la littérature —, il s'est transformé en activité éditoriale. La revue
L’Énergumène en a donc été l'un des premiers avatars, d'autant plus que j'ai eu l'idée de faire ce métier— au moins pour les revues, maintenant pour les livres — dans un état d'esprit de collectionneur en me donnant à l'avance une limite. Dans le cas de L’Énergumène, et des Cahiers de l’Énergumène par la suite, j'ai décidé que ce serait douze numéros pour la première et sept ou huit pour la seconde qui, en définitive s'est arrêtée un peu plus tôt pour des raisons personnelles. Et n'étant pas moi-même un praticien, n'ayant aucune velléité d'écrivain - L’Énergumène était strictement littéraire -, j'ai agi purement comme un collectionneur, c'est-à-dire en m'intéressant autant au rapport entre les textes ainsi réunis qu'à eux-mêmes. Ma démarche me poussait à m'intéresser à la juxtaposition de ces textes, à une certaine configuration qui, en fait, était un paysage, et tout paysage est le fruit d'une démarche de collectionneur.
Ceci ne m'a jamais quitté et dans le cadre des
Cahiers de l’Énergumène, qui s'étaient élargis aux arts plastiques et à l'architecture, cette même démarche s'est poursuivie. La singularité de cette revue était d'être faite par quelqu'un qui n'intervenait en aucune façon dans les domaines qu'il publiait : je n'avais partie liée ni avec la littérature ni avec la peinture ni avec l'architecture, sinon en amateur. Je n'ai jamais voulu écrire de texte liminaire, je n'ai jamais donné d'interview à cette époque. Dès que l'on commente, on retire déjà une partie de ce rêve, il faut laisser les gens circuler dans le paysage que l'on a construit, c'est à eux de choisir leur chemin.
LE FESTIN : Le glissement n'est-il pas important entre le collectionneur et le directeur d'une revue, entre celui qui s'approprie les œuvres et celui qui travaille à leur diffusion ?
GÉRARD-J. SALVY : Ce n'est qu'apparence. Ceux qui collectionnent dans un même domaine sont tout aussi spectateurs de ce que chacun fait que le lecteur qui achète une revue dans une librairie — le cercle est beaucoup plus large, c'est la seule différence. Quand on collectionne, on s'intéresse à un certain nombre d'artistes, on sait qui s'y intéresse aussi, qui a tel tableau, etc. En effet, il y a appropriation personnelle mais elle est limitée par le fait que les œuvres circulent et sont prêtées si elles doivent l'être. L'audience concernée par un artiste connaît toute son œuvre bien qu'elle soit "appropriée" par des collections publiques ou privées. En fait, on ne peut s'approprier totalement qu'une chose qui n'intéresse personne. D'ailleurs, ceci se vérifie dans toute l'histoire de l'art, puisqu'il n'y a pas d'œuvre qui ait durablement disparue de la connaissance. Ensuite, je n'ai jamais réussi à savoir s'il y avait vraiment une volonté d'appropriation de la part du collectionneur.
LE FESTIN : A l'inverse, la revue représente une multiplication gigantesque à des centaines ou des milliers de lecteurs immédiats.
GÉRARD-J. SALVY : Oui. Comme l'idée de collection est parfaitement vaine et qu'elle est d'autre part une façon de conjurer la folie — pour ne pas plonger dans la démence —, le fait de publier n'y change pas grand chose. J'ai toujours vu ma revue comme une unité : c'est toujours une chose unique avec cette particularité qu'elle se répète à x exemplaires. A l'identique, elle arrive chez quelqu'un et, à ce moment-là, elle redevient autre chose, à l'intérieur d'un autre paysage physique ou mental.
LE FESTIN : Au moment de votre collection, étiez-vous autant séduit par les œuvres de prix, et donc rares, que par l'ensemble, en comparaison plus moyen, de la collection ?
GÉRARD-J. SALVY : C'est assez complexe. Ce qui crée la valeur de l'objet n'est pas un élément précis. Il ne s'agit pas d'une économie pure, mais d'une économie de jeu, la valeur n'est pas créée par la rareté ; la valeur est motivée par la singularité, l'exception, le complément à l'ensemble dont elle deviendrait une clé et ce qui est essentiel est l'amour que l'on a pour une pièce plutôt qu'une autre. La collection étant dynamique, elle ne peut jamais vraiment se définir : on en retire des éléments autant qu'on en acquiert. On reconnaît un vrai collectionneur à sa capacité d'éliminer des pièces : dans une construction, certaines ne servent plus parce que la collection prend une autre direction et leur présence en atténue la cohérence ; ce qui est retiré l'est selon le sentiment du collectionneur, et non pas selon un critère économique. C'est pourquoi le problème ne me semble pas devoir être posé de cette manière.
LE FESTIN : Qu'avez-vous gardé de votre propre collection ?
GÉRARD-J. SALVY : Je n'ai gardé que les manifestations pures du néo-classicisme, j'ai retiré tout ce qui était superfétatoire ou postérieur. Ce qui m'intéresse dans l'histoire de l'art, c'est l'histoire du goût plus que l'histoire des objets eux-mêmes, ce qui explique ma vieille passion pour Mario Praz. Je n'arrive pas à m'expliquer la pauvreté des écrits français sur l'histoire du goût à la différence des Anglo-saxons ou des Italiens. Ce qui m'intéresse, ce sont les changements de comportements dans la quête du beau ; observer, dans le sens du mouvement collectif et inconscient, ce qui fait qu'une tendance se dégage dans une petite période — ce bouleversement du néo-classicisme s'est d'ailleurs joué sur peu d'années et fut la clôture d'une esthétique qui avait régné pendant les cent années précédentes ! Ces révolutions du goût précèdent curieusement des révolutions politiques. Le sentiment esthétique anticipe le sentiment social. Cela ne m'intéresse pas, mais je l'ai observé...
LE FESTIN : Avez-vous entrepris la construction de ces numéros en essayant de rendre quelques unes des tendances de l'époque ?
GÉRARD-J. SALVY : Non, il n'y avait aucune volonté de rendre compte de l'époque, je n'en ai jamais éprouvé l'intérêt. Ce qui m'intéressait, était le spectacle de mes goûts dans une époque. Je n'ai pas l'obsession de me dire que je dois absolument savoir, observer les tendances de mon temps. Mes revues n'ont jamais été réalisées dans cet esprit : je ne sais pas si elles sont anachroniques mais elles sont, en tout cas, intemporelles, puisque dans les Cahiers de l’Énergumène, vous pouviez avoir dans un même numéro Cy Twombly pour la peinture et Schinkel pour l'architecture. Donc, à moins de tenir un discours spécieux, je ne vois pas en quoi cela pouvait rejoindre les préoccupations de l'époque. Ce sont des préoccupations privées manifestées en public. Le corrélat, d'ailleurs, de cette attitude est qu'il n'y a aucune part critique. Je n'ai fait que publier sans jamais proposer la moindre analyse. Il faut aussi tenir compte de l'époque : elle était diablement saturée de discours en tous genres et sur tous les domaines, on était en pleine folie des sciences humaines ; il y avait donc, bien que j'y fus mêlé — j'ai suivi les cours de Roland Barthes —, une réaction contre ce phénomène. J'étais exaspéré par toute cette logomachie et cela a accusé un trait de mon tempérament.
LE FESTIN : La meilleure façon d'être dans une époque, n'est-elle pas d'en être l'observateur situé entre le conservatisme et les avant-gardes qui l'animent inévitablement mais ne suffisent pas, chacun de son côté à la constituer entièrement ?
GÉRARD-J. SALVY : Je ne me voyais pas comme un observateur, mais plutôt comme un voyageur qui s'arrête quand il croise quelque chose qui l'intéresse et reprend son chemin quand il a épuisé son plaisir. J'ai voyagé dans un certain nombre de domaines en essayant de ne pas être tenté par la hiérarchie. Je suis voyageur par tempérament, au sens classique du terme. J'aime rester longtemps dans les mêmes endroits et j'ai agis de même en tant qu'éditeur : j'ai déambulé selon mes envies et mes intérêts. On peut aimer l'architecture industrielle du Nord de la France et les villes de Toscane, il n'y a pas d'incompatibilité ni de hiérarchie à établir entre les deux. D'ailleurs — et ce doit être encore de l'égoïsme —, les querelles ne m'intéressent pas : elles ridiculisent généralement les gens qui y prennent part et anéantissent souvent les meilleures causes ; enfin ce n'est pas dans mon tempérament.
LE FESTIN : A quelles personnes avez-vous fait appel pour intervenir dans ces deux revues ?
GÉRARD-J. SALVY : Je suis allé dans toutes les directions. Très jeune, j'ai connu Henri Michaux, parce qu'il était lié aux parents de mon meilleur ami : il fut donc un parrain lointain de la revue, nous en avions parlé et il me confia des textes. En réalité, il arrive très souvent que l'on connaisse des gens et, tout à coup, l'on découvre au hasard d'une phrase une part d'eux qu'on ignorait et qui peut s'avérer sinon centrale en tout cas très importante dans leurs émotions. Une revue a ce grand mérite, pour les agréments de la vie quotidienne, de vous amener à ce genre de découvertes et de rencontres. Il me semble que c'est l'un des éléments moteurs pour lesquels on puisse mener une revue. Ou alors, ce sont des raisons de pouvoir, ce qui me paraît dérisoire.
Pour répondre plus précisément à votre question, il n'y a jamais eu de groupe permanent : par exemple, je trouvai une direction comme la littérature de la double-monarchie qui, à l'époque, n'intéressait personne. Ma découverte de l'Empire des Habsbourg, de la Vienne finissante — il n'y avait pas encore eu le numéro de
Minuit consacré à cela —, s'est faite par hasard, avec l'aide d'un ami musicien, un peu germaniste, qui avait trouvé une collection complète de Die Fackel, revue qui était le centre de ce qui se passait à Vienne, et nous avons travaillé ensemble. Il n'y a pas eu en définitive de contact privilégié et systématique, ce furent des déambulations, passant puis repassant par certains lieux privilégiés et en explorant de nouveaux...
LE FESTIN : A la lueur de ce que vous dîtes, on peut croire que l'appropriation que vous refusiez au collectionneur existe bel et bien chez le directeur de revue...
GÉRARD-J. SALVY : En effet, il y a une appropriation dans la façon dont les choses sont organisées les unes par rapport aux autres, elle se fait dans l'interprétation de ce que l'on rend public, surtout si l'on n'y ajoute aucun commentaire. Là, existe bel et bien une appropriation perverse, certainement plus forte que celle d'un objet par un collectionneur.
LE FESTIN : Entre L’Énergumène et les Cahiers de l’Énergumène, qu'avez-vous fait ?
GÉRARD-J. SALVY : J'ai fait des voyages qui se sont enchaînés et m'ont éloigné de France. J'ai arrêté les Cahiers par lassitude, j'avais l'impression de me répéter, je ne savais plus très bien que faire. J'ai réuni des collections pour des amis. Des gens très occupés ou pas très sûrs de leurs choix, qui voulaient constituer une collection dans un domaine que je connaissais ou pour lequel je pouvais avoir moi-même des conseils ou des sources d'informations. Les collectionneurs forment une société secrète, il faut "baigner" complètement dedans pour sentir certains mouvements et voir ce qui fait qu'à un moment l'un d'eux peut remonter sa collection différemment et souhaitera se défaire de telle ou telle pièce. Généralement, les collectionneurs détestent que ces transactions se passent en public. L'activité de conseiller d'un collectionneur est extrêmement difficile à mener parce que l'on est à la fois le conseiller de l'acheteur et celui du vendeur, ce qui est évidemment une position intenable. On ne peut jamais vraiment choisir son camp parce que les deux sont trop étroitement liés. L'avantage de cette situation, en même temps, c'est de constituer des collections par personne interposée. Et puis un jour, une amie m'a invité à dîner pour me dire qu'elle voulait refaire L’Énergumène, qu'elle était prête à tout pour relancer la revue, or cela était, pour moi, hors de question. Plus tard, nous avons décidé de créer une maison d'édition. Celle qui existe aujourd'hui — et publie peu, dix livres par an depuis trois ans et a fêté son trentième titre avec American Psycho de Bret Easton Ellis — a pour unique "programme", à quelques exceptions près comme Sottsass1 ou Philippe Jullian2 —, de ne publier que de la fiction.
LE FESTIN : Cela dit, l'espace est vaste entre Elizabeth von Arnim3 et Bret Easton Ellis4 qui figurent parmi les "succès"5 de vente de la maison d'édition...
GÉRARD-J. SALVY : C'est par goût que j'ai décidé de publier l'une et l'autre. Elizabeth von Arnim était absolument inconnue en France. Cette œuvre me semblait importante et je l'ai faite traduire. J'ai publié les deux dans l'esprit : "j'aime/je n'aime pas". Il n'y a pas de stratégie. Il y a certaines propensions, évidemment : je suis amené à publier beaucoup de littérature étrangère dans des langues que je connais, c'est pourquoi je n'ai publié que von Rezzori6 parmi les écrivains allemands. Tout cela est improvisé, sans plan à long terme, la seule chose qui compte est de garder le même esprit et d'être assez réceptif — mais cela reste une question de goût personnel. Dans le cas d'Américain Psycho, c'est un livre qui m'a intéressé par sa grande qualité d'écriture — ce que l'on a remarqué dans la presse française à la différence de la presse américaine qui n'a voulu développer que des polémiques idiotes —, parce que j'ai envie de publier de jeunes écrivains et parce que ce livre me semble être par ailleurs, du point de vue de la société, le portrait le plus exact des Etats-Unis. J'ai rarement vu quelqu'un refuser avec tant de sang-froid les concessions jusqu'à se mettre en danger en tant qu'écrivain : il y a dans l'écriture d'Américain Psycho une part quasi suicidaire. Enfin, je trouve ce livre immensément drôle et puis, il faut voir les choses clairement, cela participe de ma haine pour l'Amérique...
LE FESTIN : Ce n'est pas "toute l'Amérique " qui est décrite dans Américain Psycho.
GÉRARD-J. SALVY : C'est la partie la plus américaine de l'Amérique, l'Amérique blanche. Il est probable que l'Amérique sera de moins en moins anglo-saxonne. C'est donc en effet marginal, mais c'est une marge qui concerne l'Europe.
LE FESTIN : Vous avez également publié Le Voyageur passionné, de Bernard Berenson7, qui n'est donc pas un livre de fiction mais un recueil de notes qui ont pour principal objet l'art et l'histoire de l'art. N'avez-vous pas le désir de poursuivre la publication d'ouvrages d'histoire de l'art ?
GÉRARD-J. SALVY : La publication du livre de Berenson a été le fruit d'un choix personnel, en dehors de toute idée d'en faire le début d'une collection. Ceci dit, la publication d'ouvrages concernant l'histoire de l'art est en effet la seule chose que j'aimerais faire en dehors de ce que je fais déjà. Nous vivons dans un pays qui vit une tragédie ahurissante en ce domaine. C'est une matière quasiment absente des programmes scolaire et universitaire ; il n'y a pas d'école, pas de bibliothèque de qualité : pour un pays qui a été un producteur majeur en matière d'art, nous vivons dans un désintérêt impressionnant si l'on compare notre situation à celle des pays anglo-saxons ou de l'Italie. Si j'étais éditeur d'histoire de l'art, je ferais une mise à jour des connaissances en traduisant des dizaines de textes qui sont le corpus inévitable en ce domaine. Cela excède les problèmes de l'édition pour atteindre un problème de société. J'aurai aimé le réaliser, mais cela demande un travail, des moyens financiers considérables, une volonté politique de la part des institutions. En effet, ce sont des projets qui n'ont de sens que s'ils s'appuient aussi sur la volonté de créer un Institut d'Histoire de l'Art, une grande bibliothèque, une collection de peintures et d'objets, non pas dans une optique seulement muséographique mais de formation... Ce n'est hélas pas dans les goûts des gens qui nous gouvernent, ni dans ceux de leurs prédécesseurs ni, apparemment, de leurs successeurs... Je crois que nous pourrons avoir la même conversation à un âge avancé...
LE FESTIN : Pourquoi avoir "resserré" le champ éditorial aux écrivains français et du XXe siècle, puisqu'à la différence de la peinture, vous semblez être moins "conservateur" en ce domaine ?
GÉRARD-J. SALVY : Je n'ai effectivement publié que quatre auteurs français. La raison en est simple, je n'ai jamais reçu d'autre manuscrit à mon goût. Je le regrette... Quant au XXe siècle, il me semble que je dois respecter une certaine cohérence, que je casserai si je devais publier des auteurs antérieurs. Je devrais alors accroître le nombre des parutions ce que je ne veux faire en aucun cas. Je préfère en rester au XXe siècle et le visiter plus profondément, comme je préfère marcher dans les villes plutôt que les traverser en voiture.
LE FESTIN : C'est donc plutôt une collection qu'une maison d'édition...
GÉRARD-J. SALVY : Absolument. Comme je n'aime pas l'idée de collections à l'intérieur d'une même maison d'édition, c'est donc une collection devenue maison d'édition.
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Notes
1. Ettore Sottsass,
C'est pas facile la vie, 1989.
2. Angus Wilson, Philippe Jullian,
Lorsque Maisie dansait, 1990.
3. Elisabeth von Arnim,
Elisabeth et son jardin allemand, 1990, Avril enchanté, 1990, En caravane, 1991, L'Eté solitaire, 1991.
4. Bret Easton Ellis, American Psycho, 1992.
5. Les trois premiers livres d'E. von Arnim ont été réédités trois fois et le quatrième est en cours d'épuisement : avec Vita Sackville-West (Toute passion abolie, L'Héritier, Les Invités de Pâques) et Bret Easton Ellis (25.000 exemplaires au 1er mai 1992), elle fait partie des "best-sellers" qui ont contribué à créer puis assurer l'image de Salvy.
6. Gregor von Rezzori, Œdipe à Stalingrad, 1990.
7. Bernard Berenson, Le voyageur passionné.

04 mai 2013

Reflets à San Marco

Les reflets à Venise, quoi de plus banal. Voilà en effet un sujet souvent abordé et repris, peint, photographié, chanté. On ne s'en lasse pas ou on en est agacé. peu importe, ils caractérisent bien ce qu'est Venise après tout. On peut s'y épancher comme Narcisse pour y contempler sa propre image, on peut y lire l'histoire de nos vies, s'y plonger avec délice quand ils nous renvoient l'image de notre joie, nops bonheurs, nos amours... Et puis, d'un point de vue plastique, l'esthétique dont ils procèdent est un baume parfois. La lumière, les couleurs, la réalité qu'ils nous renvoient sont, comme la lecture, un très bon antalgique à nos peines, un sirop contre nos tourments. La magie de Venise là encore...
 
©Georgia Mizuleva - Tous Droits Réservés. 

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Le billet publié sur le site originel avait suscité 1 commentaire que Google n'a pas archivé... Merci Google !!!

24 décembre 2012

In media res

A Baptiste.

J'ai découvert il y a quelques années le poète new-yorkais Frank O'Hara. A l'époque, comme il n'existait pas de traduction, j'avais entrepris de transcrire quelques uns de ses textes en français. Redonner dans notre langue l'atmosphère si particulière de ces poèmes, notamment ceux de Lunch Poems, que j'avais trouvé à Venise, dans la belle édition des City Lights Books, crée en 1955 à San Francisco par Lawrence Ferlinghetti. Sacrément difficile.


Olivier Brossard, qui maîtrise parfaitement l’œuvre de l'écrivain, a sorti une traduction de cet opus. Sa version est bien meilleure que la mienne, on ne s'improvise pas bon traducteur avec seulement de la passion. Cependant, si la version publiée, augmentée d'un appareil critique tout à fait passionnant, surpasse largement mes tentatives, mes mots correspondent davantage à la perception ressentie quand j'ai lu Frank O'Hara pour la première fois. A la lecture du tout premier poème du livre (écrit en 1953), j'avais en tête des images de l'Amérique des fifties, les carrosseries rondes et solides des voitures, les jupes moulantes des filles, leurs chapeaux, les costumes droits et sombres des garçons, leurs cheveux gominés et leurs dents très blanches ; les épaules larges des gamins vendeurs de journaux et du policier d'origine irlandaise au coin de la rue. Le cinéma de Cassavettes était passé par là autant que les comédies de Frank Capra
..
Je n'étais pas assis derrière la vitrine d'un drugstore, mais à la terrasse du Paradiso, ce café perdu et comme abandonné, sous la voûte des grands arbres des Giardini, à Castello. J'aimais particulièrement ce café, d'abord parce qu'il était éloigné des lieux fréquentés par les autres étudiants tous agglutinés aux abords de la Ca'Foscari, sur le campo Santa Margherita ou à San Barnaba. Ensuite la paix qui y régnait (les groupes de touristes venaient rarement jusque-là à l'époque sauf quand il y avait la Biennale), me permettait d'écrire et de bouquiner tranquillement. J'utilisais à l'époque une petite Remington offerte par ma mère. Elle tenait dans une élégante petite mallette blanche et je la transportais avec moi quand je décidais de passer un long moment à écrire. Le joli bruit des tiges de métal sur le papier et la petite sonnette qui retentissait quand on arrivait en bout de ligne, sont associés dans ma mémoire au parfum de la glycine qui décore ce café. 

Quel meilleur endroit pour écrire ? Le bassin de Saint Marc en toile de fond, avec la basilique de San Giorgio et la Pointe de la Douane, les reflets d'argent sur l'eau verte entre les grappes de fleurs roses qui retombent vers le sol et embaument. Quand en mai il commençait de faire chaud et que nous prenions de plus en plus souvent le bateau pour les plages du Lido, la terrasse du Paradiso demeurait fraîche et ombragée. De plus, le cappuccino y a toujours été très bon. J'y déjeunais le plus souvent d'un croque-monsieur (souvenir délicieux) et d'une tarte aux amandes. Ne croyez-pas que je m'éloigne de mon propos, les poèmes de l'américain ont tous un rapport avec le repas de midi...

"Une véritable ouverture et une mise en appétit", c'est ainsi qu'est présenté le premier texte du livre. On comprend que le déjeuner est le repas préféré du poète mais qu'il n'est pas du genre à décrire des pages durant, les plats qu'il a aimé et les vins qu'il aura bu. Lunch Poems – titre que je n'aurai pas traduit tant son équivalent en français sonne plat et insipide - "n'est pas le livre d'un seul homme, mais le dessin d'une vie collective, d'un commerce incessant avec les autres", tout à fait comme on l'avait imaginé dans ce milieu intellectuel new-yorkais. Il y a du Pierre Reverdy autant qu'Appolinaire dans ce type :
.."Si je me repose un moment à côté de The Equestrian / m'arrêtant au mayflower shoppe pour un sandwich saucisse de foie / alors cet ange semble mener le cheval droit chez Bergsdorf / et je suis nu comme une nappe, mes nerfs fredonnent."
Venise n'est pas New York. On n'y vit pas de la même manière et si les liens qui unissent et rapprochent les deux villes sont nombreux, l'ambiance n'est pas la même. Pourtant à la lecture de Lunch Poems écrit par un new-yorkais, on retrouve dans la nonchalance du poète le rythme de notre vie vénitienne, du moins celle que nous vivions mes camarades et moi lorsque nous étions étudiants, absorbant avec un émerveillement et une joie sans pareille tout ce qui nous était donné de voir, d'entendre, d'apprendre et de comprendre. La poésie de Frank O'Hara a le goût de toutes nos premières fois. 

 Frank O'Hara
Poèmes déjeuner
Trad. O. Brossard et R. Padgett
Editions Joca Seria, Nantes.

25 mai 2012

A Venise, l'Infini prend peu de place

"Comme toute œuvre mémorable, et comme aucune autre ville, Venise dit sa merveille et, en même temps, qu'elle aurait pu exister." Ces par ses lignes que le sud-américain Hector Bianciotti auteur de l'affirmation qui sert de titre à ce billet, montre sa conception de cette Venise des écrivains qui s'inscrit en bonne place parmi les nombreuses Venises : celle des peintres, celle des musiciens, celle des photographes, celle des architectes et depuis quelques années, celle des écologistes.
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L'écrivain argentin, devenu français et membre de l'Académie, qui est un grand et lucide amoureux de Venise dont il a fait le décor de plusieurs de ses écrits, avait publié en 1984 dans la revue Carré Magazine un texte repris l'année d'après par le Magazine littéraire (n°219, mai 1985). Tramezzinimag en publie quelques extraits - qui selon moi forment une jolie base de réflexion - où les lecteurs retrouverons l'esprit de ce blog.
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"[...] Enfin, un jour, il y a une vingtaine d'années, j'ai débarqué à Venise. Et j'ai cessé de rêver d'autres villes, d'autres pays. je n'ai même plus envie de voir les Pyramides, Égypte ; c'est comme si je les avais déjà connues. Alors que Venise me manque d'une façon physique, et que je pense à elle à chaque moment. Non seulement je regrette de ne pas m'y trouver mais il me semble incompréhensible qu'elle soit là-bas, sous son ciel toujours intime, que les gens entendent les pas d'autres gens qui s'approchent puis s'éloignent, ou leurs voix, tandis que moi, je suis ici.

Longtemps, je n'ai pas osé faire allusion à Venise, moins encore essayé de la décrire. J'avais peur de tomber dans le plus mièvre des lieux communs ; j'avais peur de cette rêverie que dispense toute chose insolite ; je n'avais pas encore le courage d'aimer ce qui me plaît en toute simplicité[...]

[...] Venise, je le compris alors, manque aussi de syntaxe. ville où les merveilles prolifèrent jusqu'à l'absurde - comment dire l'angoisse que suscitent ces façades admirables, parfois séparées l'une de l'autre par quelques centimètres, que nul regard ne peut entièrement saisir ? - Venise est une ville fermée, ou, plutôt qui se ferme à chaque pas, avec des profondeurs étroites où il y a comme un perpétuel engendrement de menaces, une distribution chaotique des attributions ; une ville qui se répète, se confirme et s'échappe à chaque coin de rue, et qui aboutirait à l'asphyxie s'il n'y avait pas l'eau : les canaux, la longue ondulation du Grand Canal, la lagune au-delà, la mer. Ville rebelle, dont la carte incessante cache toujours, même au connaisseur, d'autres plis et replis, et qui ne se laisse pas imaginer en entier.

A Venise, l'infini prend peu de place. Cela constitue un fait magique et aussi terrifiant que d'avoir la tête pleine de mots et de ne pas réussir à articuler une phrase. Heureusement, pour pallier la maladresse des dieux qui l'ont conçue ainsi échouée dans un lieu inconcevable, il y a les quelques architectures de Palladio, les façades blanches de ses églises, bien en vue sur la lagune, qui ponctuent le désordre somptueux, halluciné et auxquelles l'âme se raccroche. Que Venise soit mon ciel ou mon enfer, dépend uniquement de ce qu'elles se trouvent ou non dans mon champ de vision."

Hector Bianciotti
© Carré Magazine

14 juin 2011

Venise en juin avec Henry James


© Stefano Neno - Tous droits réservés

[...] Pour ce qui est de venir à Venise, si vous le pouvez, je n'ai qu'une seule réponse, enthousiaste : oui, mille fois oui. Ce serait pour moi, dans certaines circonstances (si j'étais libre, et ma vie, sur cent autres points, différente) la solution de tous mes problèmes et la consolation de mes jours déclinants. Jamais la ville entière ne m'a semblé plus délicieuse, plus chère, plus divine. elle laisse tout le reste loin derrière. Je voudrais pouvoir rêver de venir m'y mettre dans mes meubles [...], près de vous. Je caresserais cette idée avec un attendrissement bouleversé. Que vous êtes heureuse de pouvoire envisager un tel bonheur !..."
Henry James, 
Lettre à Laura Wagnière-Huttington, 
23 juin 1907

30 septembre 2009

Notre Dame des Mers Mortes


Il fut longtemps une mode, soigneusement entretenue par une pelletée de snobs précieux et souvent phtisiques,  qui consistait à ne voir de Venise que la part désolée et comme abandonnée. Cette vision maléfique d'une cité à jamais endormie, empuantie de miasmes, déliquescente et pourrie, où tous les vices pouvaient s'assouvir, est à l'origine de l'idée qu'on se fait encore parfois de Venise. Cité des amours perdues, royaume des passions interdites. Venise la morbide... 
 
Ceux qui connaissent la cité des doges, ceux qui y ont vécu, même l'hiver, même dans les années 70 ou 80, quand l'Italie était la proie de démons, noirs, rouges ou bruns, le savent bien : Venise est joie et vie ! Sa lumière à elle seule, même au plus triste des ciels de novembre, est féerie et délice pour les yeux. Les âmes tendres, celles qui ne se repaissent pas de douleur ou de viles passions, le sentent bien : Venise est un monde qui gigote et qui rit. Un bal costumé ou une romance. Pas un hymne funèbre ou un sinistre roulement de tambours...

Je relisais l'autre soir «Notre-Dame des Mers Mortes», un récit de Jacques d'Adelsward-Fersen. Publié en 1902 à Paris, c'est le premier roman du XXe siècle sur Venise. Jean Lorrain, Huysmans ne sont pas loin. On y rencontre des êtres sombres et tragiques, dans un décor de palais décrépis et de haillons. L'ouvrage est élégant, avec sa couverture dessinée par Louis Morin et le portrait du jeune auteur en frontispice. L'écrivain, rendu célèbre jusqu'à nos jours par la biographie très romancée de Roger Peyrefitte, «l'Exilé de Capri», écrivait bien. Certains de ses poèmes publiés chez Messein, l'éditeur de Verlaine, démontrent un réel talent. Une affaire de mœurs dans une période politiquement troublée l'obligea à l'exil. 
 
Si Appolinaire se moqua un jour de ce jeune homme trop esthète, ses vers eurent souvent du succès. Comme d'ailleurs ce roman - qui fut réédité quatre fois. Il est pourtant aujourd'hui terriblement démodé, parfois ampoulé et maniéré, comme on l'était à la Belle époque. Grâce à dieu, les esprits ont évolué et les goûts ont changé. Les amoureux de Venise, (je ne parle pas des hordes qui ne font que passer et ne voient ni ne sentent rien) ont compris ce qu'elle est vraiment, la ville des enfants et des chats, la ville de la lumière et des reflets, la cité de la musique et de la couleur. Non, à Venise le noir ne va pas bien. Notre Dame des mers mortes a soufflé sur les flots, et de jolies vapeurs aux reflets diaphanes projettent son image devant l'univers médusé, attirant des troupes d'esclave qui tentent à son contact de se remplir enfin d'humanité et de beauté...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Où peut-on se procurer cet ouvrage ?

Lorenzo a dit…

Hélas en bibliothèque seulement. Ou sur le catalogue d'une libraire ou dans une vente aux enchères... J'envisage depuis des années de le rééditer avec un commentaire critique.

10 juin 2008

Biblioteca venetiana (1)

Tant d'ouvrages existent qui ont pour thème Venise, sa civilisation et son histoire. Les recenser serait une tâche herculéenne à laquelle je m'étais attelé dans mon adolescence et que j'ai tout abandonné après plusieurs semaines de travail. Il faut dire qu'il n'y avait pas alors le soutien de l'informatique, des sources de données et des tableurs. Des anthologies existent cependant aujourd'hui et de nombreuses bibliographies paraissent souvent très complètes. Je ne vais donc pas en rajouter. Je voudrais plutôt citer quelques ouvrages difficiles à trouver qui m'ont paru intéressants, sympathiques ou utiles à ceux qui aiment Venise.

C'est le cas d'un ouvrage que je cherchais depuis de nombreuses années et dont j'ai fini par dénicher un exemplaire dans le catalogue d"un libraire transalpin. Il date de 1706 et vient juste d'arriver sur mon bureau. Imaginez un peu ma joie quand le facteur a sonné l'autre matin, un petit paquet à la main. Bien emballé, le livre tardait à se montrer. J'étais impatient. Un petit ouvrage qui tient dans la main, un de ces in-12 que les typographes hollandais avaient inventé au XVIIe. 
 
Mon exemplaire lui, ce petit trésor que j'ai tellement cherché, est né à Venise même, chez le maître imprimeur Battista Tramontin. Il se vendait en exclusivité à la librairie de Giuseppe Rovinetti, à l'enseigne de «la Vérité» sur le ponte de Beretarri. Il s'agit du fameux «Guida dei Forestieri per osservare il più ragguardevole nelle città di Venezia» (Guide des Etrangers pour observer les choses les plus intéressantes de la ville de Venise) écrit par le célèbre moine Vicenzo Coronelli, l'inventeur de ces globes magnifiques qu'on voit encore aujourd'hui dans la bibliothèque du roi à Versailles, à la Bibliothèque Nationale ou au Palais des doges. 
 
Mon exemplaire L'ouvrage a été souvent manipulé, le papier n'est pas d'une qualité fabuleuse et la reliure d'origine en carton, n'a pas de dos. Il est dans son jus comme disent les marchands. Mais quel jus ! Imaginer combien de personnes s'en sont servi pour cheminer dans les rues de la cité est très émouvant. 
 
A la fin, l'éditeur a placé le catalogue des œuvres de l'auteur et la liste des globes Mon exemplaire disponibles... Vicenzo Coronelli, bouillant moine franciscain, cosmographe officiel de la Sérénissime avait eu l'idée, dès 1697, de composer un plan topographique détaillé (repris en fait du plan dessiné en 1627 par Alessandro Badoer). Il le publie par l'intermédiaire de l'imprimeur Tramontin, dans ce "Guida dei Forestieri", premier guide de Venise pour les étrangers, enrichi de ce superbe plan qui devait servir "per passeggiarla in gondola e per terra" (pour se promener en gondole ou à pied). L'ouvrage eut beaucoup de succès et on le trouvera dans les meilleures bibliothèques de l'époque. 
 
L'ambassadeur de France en tenait des exemplaires à disposition des visiteurs de marque qui venaient découvrir la Sérénissime. Plus tard, même Mesdames, les filles très cultivées du roi Louis XV l'auront dans leur bibliothèque. Devant le succès de ses ouvrages, l'auteur montera dans les années suivantes la fameuse Accademia degli Argonauti, société savante et maison d'édition dont les presses seront installées dans le couvent Santa Maria Gloriosa dei Frari, devenu depuis un des bâtiments des Archives de l'Etat de Venise
 
C'est un tout petit ouvrage mais qui contient de très riches informations. S'il indique comme tous les guides d'aujourd'hui (mais très brièvement) les meilleurs endroits où loger et se nourrir, il décrit surtout la ville, ses monuments, en détaillant les endroits où voir les peintures les plus marquantes, dans quelle église rencontrer tel musicien, tel organiste. Coronelli donne de nombreux renseignements statistiques qui permettent de se faire une idée très détaillée de la vie dans la Venise de l'époque, parvenue à l'apogée de sa puissance et de sa fortune mais amorçant déjà son déclin.
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

e la pianta ce l'hai ?

Lorenzo a dit…

Sfortunatamente, no. Mais je viens d'en repérer un exemplaire dans une librairie américaine sur le net. A suivre donc ! Au passage, il faut noter qu'aucun des exemplaires répertoriés dans les grandes bibliothèques comme la BN à Paris n'ont l'ouvrage avec la carte. Seul un exemplaire de la fin du XVIIe à la Marciana en possède une...

22 mars 2007

un corps transparent d'elle...

 
Rainer Maria Rilke, sur une amie vénitienne :"C'est une âme toute vibrante dans un corps transparent d'elle, un être sensible comme une fleur et profond comme un miroir ou de loin se mire un ciel plein d'étoiles..."
 
Ce texte m'est revenu en mémoire et j'y associe depuis toujours ce beau portrait d'une jeune vénitienne inconnue peint par Dürer pendant son séjour en Italie, lorsqu'il étudiait la manière de l'atelier Bellini. On dit aujourd'hui qu'il s'agirait en fait de l'épouse du peintre. Mais là n'est pas mon propos. Je voulais seulement vous parler d'une belle exposition qui est actuellement présentée au Museo Diocesano de Venise, dans le sublime cloître de San Apollonia, jusqu'au 30 juin. Entièrement consacrée à l'oeuvre gravée du Maître de Nuremberg, le génial Albrecht Dürer dont les liens avec Venise furent très forts et se ressentent dans bon nombre de ses œuvres. Il fit à Venise deux séjours. Il existait alors dans la Sérénissime une guilde de marchands de Nuremberg qui formait une des nombreuses ramifications de la colonie allemande installée au Fondaco dei Tedeschi au Rialto. Dürer fut appelé par eux pour décorer une des chapelles de l'église San Bartolomeo qui était leur paroisse. Ce fut le polyptique de la Fête du Rosaire. Il réalisa certainement d'autres toiles pour les riches négociants allemands qui financèrent sa venue. 
En 1494, le peintre rencontra Jacopo de Barbari qui lui apprit l'art des proportions humaines et animales, notamment celles du cheval dont Dürer se servit beaucoup dans ses gravures. Ils travaillèrent ensemble, furent souvent en concurrence et on hésite beaucoup aujourd'hui dans l'attribution de la fameuse carte de Venise conservée au Musée Correr. Ne serait-elle pas de Dürer plutôt que de Barbari ?
Le travail de Dûrer sera définitivement transformé par ses séjours vénitiens. Il y travailla beaucoup la représentation des bêtes et notamment des lions et des crabes, et des "mystérieuses créatures marines", animaux réels ou mythiques très présents dans la cité des Doges. Scènes païennes ou religieuses, les gravures de Dürer sont toutes splendides, raffinées et parlantes, d'un modernisme qui n'a pas cessé d'étonner.


04 septembre 2006

Calle del vento

Dans mon précédent billet, c’est Henry de Régnier qui chantait la louange des Zattere, cette Fondamenta qui longe Dorsoduro de la Pointe de la Douane aux hangars de Santa Marta. Il mentionne à la fin de son texte l’ultime rue de ce quartier de San Trovaso, loin de tout et peu fréquentée par les touristes : la Calle del Vento.
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Eté comme hiver, la ruelle porte bien son nom, le vent y est toujours présent comme chez lui. C’est un endroit plein de poésie. Partie des Zattere, elle débouche sur le petit campo San Basegio, non loin de l'église San Sebastiano. Un des lieux les plus pittoresques de Venise. Encore préservé et peu fréquenté.
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L’écrivain vénitien Diego Valeri (l'auteur du seul vrai guide sentimental sur Venise et qui habitait à deux pas, sur la fondamenta Cereri, à côté des Carmini), a écrit à son sujet un poème que j’aime bien. Calle del vento, c’est aussi le titre d’un recueil de poésie paru l'année de sa mort, en 1976 chez Mondadori, qui mériterait d’être traduit en français pour les amoureux de Venise. Les anglais ont la chance d'avoir My Name on the wind, paru en 1989, dans une belle traduction de Michaël Palma (Princeton University press). En voici un extrait, dans une traduction personnelle que j'espère fidèle à l'esprit de ces vers inspirés :
Qui c’è sempre un po’ di vento
a tutte l’ore, di ogni stagione:
un soffio almeno, un respiro.
Qui da tanti anni sto io, ci vivo.
E giorno dopo giorno scrivo
il mio nome sul vento.
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.

Diego Valeri
Calle del Vento,
Mondadori, 1976

posted by lorenzo at 07:30

02 septembre 2006

Les Zattere

Je vous aime, ô Zattere, pour toute votre longueur lumineuse ou nocturne, de la pointe de la Dogana, où vous commencez, à la calle del Vento où finit votre quai de pierre, bordé de façades diverses ! Je vous aime dans toute votre étendue parce que, sur votre dalle, il fait bon marcher vite ou doucement ou s'arrêter, selon l'heure ou la saison, à l'ombre ou au soleil, ô Zattere !
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Souvent, je viens à vous par le rio San Trovaso. Oh ! la maison qui est au coin avec ses arcades et sa glycine, – jaunissante, cette année, quand je la revis ! Pourtant un clair soleil de novembre brillait au ciel de Venise. L'air était frais et limpide, et quel plaisir de le respirer à pleine bouche sur votre promenoir, ô Zattere, devant le canal large, en face de la Giudecca aux trois églises et aux jardins de sauge et de cyprès !
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Me voilà donc. Tournerai-je à droite ou à gauche ? Je ne sais, car je vous aime toutes, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento ! Je vous aime aux Incurabili comme aux Gesuati et au Ponte Longo et à cet endroit où il y a un vieux palais dont le marteau de porte est un Neptune de bronze qui dompte des chevaux marins. C'est là, je crois bien, que j'irai m'adosser pour fumer un de ces âcres et minces cigares que l'on coupe de l'ongle par le milieu avant d'en allumer une moitié.
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Oui, car il fait doux, ce matin, et le ciel est pur. Les bateaux que l'on décharge sur le quai gémissent sourdement à leurs amarres. Partout ailleurs qu'ici la vue d'un port et de ses navires donne des pensées de départ et de voyage. Mais qui songe à quitter Venise ? En vain, les coques enflent leurs flancs et les mâts balancent leurs cordages. Où pourrait-on être mieux que le dos à ce marteau de bronze et les semelles à votre sol, ô Zattere ?
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J'ai entendu le canon de midi. Les cloches sonnent. J'ai reconnu celles des Gesuati, de San Trovaso et de la Salute. Celles du Redentore, de Santa Eufemia et des Zitelle s'y joignent, d'au delà du canal. L'air vibre. Le temps de ma promenade est passé. Demain je ne resterai pas là, en paresseux, et je vous parcourrai tout entières, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento, tout entières, ô Zattere !
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Henry de Régnier
posted by lorenzo at 00:23

30 août 2006

Esquisses vénitiennes

J'ai dormi, cette première nuit, dans un tel silence qu'il me semble que je ne me réveillerai jamais tout à fait. Cependant l'air matinal rafraîchit mes yeux, mais les choses qu'ils voient contribuent à me maintenir, dans un demi-rêve : ces eaux muettes, ces pierres taciturnes, ce ciel lumineux, – tout le décor de la ville enchantée où la noire gondole qui me mène paraît signifier, par sa forme funéraire, qu'on est mort au reste du monde.
N'est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté? Son nom seul provoque l'esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : "Venise", et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune.... "Venise", et c'est comme une étoffe de soie qui se déchire dans un rayon de soleil... "Venise", et toutes les couleurs se confondent en une changeante transparence... N'est-ce pas un lieu de sortilège, de magie et d'illusion ?

Ce ne sont pourtant ni des ombres, ni des fantômes qui l'habitent, mais des hommes, et des hommes qui naissent et meurent, qui vivent et qui mangent, car ma gondole croise des barques chargées de légumes et de fruits, et l'eau roule des feuilles et des écorces. Sur les marches de ce petit quai, on entasse des paniers de poissons et de coquillages. Des gens marchandent ces nourritures. Ils n'ont l'air ni étonnés ni anxieux d'être là. Je voudrais leur parler et leur avouer mon angoisse. Ah ! qu'ils m'apaisent et me rassurent, qu'ils me convainquent que tu n'es pas un rêve fragile et vain, ô Ville enchantée, que tu ne vas pas, comme une vision de sommeil, te dissoudre et t'évaporer; que tu n'es pas seulement un mirage passager de ta lagune, un peu de lumière et de couleur entre le ciel et les eaux, - car j'ai peur, j'ai peur, si je fermais un instant les yeux, de ne plus, en les rouvrant, retrouver à ta place, ô Ville marine, que l'étendue des ondes désertes au-dessus desquelles planerait le vol de bronze, Venise, de ton Lion ailé !
Henry de Régnier
"Esquisses vénitiennes",
in - Revue de Paris, 1er août 1905
posted by lorenzo at 00:17

03 août 2006

Il fauno allo scoglio

Je contemplais ce soir le petit faune de Augusto Murer que j'ai acheté en 1984, ma première œuvre d'art, à Venise. Je l'avais acheté sur les conseils d'Arbit Blatas à la galerie Graziussi où quelques mois plus tard je serai embauché. Toutes mes économies y étaient passées ! Devant cet élégant petit faune de bronze tiré à quelques exemplaires, c'est "The Day between" de John William, qu'il composa pour le film Stepmom (Ma Meilleure ennemie), qui me sauta à l'esprit. La délicatesse de la lumière sur les formes de ce merveilleux bronze me rappelait l'air du film. Une grande bouffée de nostalgie et en même temps une grande tendresse. 
Un joli titre, Le Jour entre deux. Mais entre deux quoi ? Entre hier et demain bien sûr. Entre une journée de travail avec sa cohorte d'appels téléphoniques, de paperasses à trier, de lettres à signer, et la journée de demain consacrée au voyage. car demain, je quitte Bordeaux pour rejoindre mes enfants en Normandie, dans notre vieille "maison de famille". Presque une journée de train ! Alors aujourd'hui est un de ces jours différents, où rien n'est vraiment comme hier ni comme demain. Demain sera une journée de lecture et de rêverie. Mansfield Park de Jane Austen m'accompagnera. J'aurai pu choisir un lourd roman de Dickens mais c'est davantage pour les voyages d'hiver, avec un chocolat chaud ou un vieux porto dans un compartiment bien clos. Non, demain ce sera Mansfield park avec une bonne tasse de thé (j'emmène toujours mon petit thermos à thé quand je voyage) et des Digestive, ces délicieux biscuits de Mc Vities. Le temps passera très vite avec Jane Austen.
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Il passe très vite tout court ce soir. Le train part tôt. Je dois encore finir mes bagages, mettre mes blogs à jour (pour ne pas décevoir mes fidèles lecteurs dont je remercie au passage l'assiduité), le chat à cajoler - il faut le préparer psychologiquement à notre absence - et mille choses à ranger. Sur un air de guitare de John William ou un air de flûte d'un concerto guilleret de Benedetto Marcello, car Venise dans cette maison n'est jamais loin.
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Bonnes vacances à mes lecteurs. Notre maison du Cotentin est un petit paradis mais, si nous captons merveilleusement bien la BBC de Jersey - qui est en face de notre jardin - Internet n'est pas très répandu. Je vous le promets, j'irai au cyber-café de Coutances (oui, je crois qu'il y en a un !), la seule grande ville à proximité, ou à Coutainville, pour entretenir un peu TraMeZziniMag pendant ces quinze jours. 

posted by lorenzo at 23:50

28 juin 2006

Marcel Proust écrit sur Venise, genèse de la Recherche


En 1919, Marcel Proust faisait paraitre un texte sur Venise dans le quatrième numéro des Feuillets d'Art, qu'il reprendra plus tard, revu, modifié, corrigé dans A La Recherche du Temps perdu. Je vous en livre quelques lignes, telles qu'elles parurent cette année-là.
… Le soir, je sortais seul, au milieu de la ville enchantée où je me trouvais au milieu de quartiers nouveaux comme un personnage des Mille et Une Nuits. Il était bien rare que je ne découvrisse pas au hasard de mes promenades quelque place inconnue et spacieuse dont aucun guide, aucun voyageur ne m'avaient parlé. Je m'étais engagé dans un réseau de petites ruelles, de calli divisant en tous sens, de leurs rainures, le morceau de Venise découpé entre un canal et la lagune, comme s'il avait cristallisé suivant ces formes innombrables, ténues et minutieuses. Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
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Le lendemain je partais à la recherche de ma belle place nocturne, je suivais des calli qui se ressemblaient toutes et se refusaient à me donner le moindre renseignement, sauf pour m'égarer mieux. Parfois un vague indice que je croyais reconnaître me faisait supposer que j'allais voir apparaître, dans sa claustration, sa solitude et son silence, la belle place exilée. À ce moment, quelque mauvais génie qui avait pris l'apparence d'une nouvelle calle me faisait rebrousser chemin malgré moi et je me trouvais brusquement ramené au Grand Canal. Et comme il n'y a pas, entre le souvenir d'un rêve et le souvenir d'une réalité de grandes différences, je finissais par me demander si ce n'était pas pendant mon sommeil que s'était produit dans un sombre morceau de cristallisation vénitienne cet étrange flottement qui offrait une vaste place, entourée de palais romantiques à la méditation du clair de lune.
Quand j'appris, le jour même où nous allions rentrer à Paris, que Mme Putbus, et par conséquent sa femme de chambre, venaient d'arriver à Venise, je demandai à ma mère de remettre notre départ de quelques jours ; l'air qu'elle eut de ne pas prendre ma prière en considération ni même au sérieux, réveilla dans mes nerfs excités par le printemps vénitien ce vieux désir de résistance à un complot imaginaire tramé contre moi par mes parents (qui se figuraient que je serais bien forcé d'obéir), - cette volonté de lutte, désir qui me poussait jadis à imposer brusquement ma volonté à ceux que j'aimais le plus, quitte à me conformer à la leur, après que j'avais réussi à les faire céder. Je dis à ma mère que je ne partirais pas, mais elle, croyant plus habile de ne pas avoir l'air de penser que je disais cela sérieusement ne me répondit même pas. Je repris qu'elle verrait bien si c'était sérieux ou non. Et quand fut venue l'heure où, suivie de toutes mes affaires, elle partit pour la gare, je me fis apporter une consommation sur la terrasse, devant le canal, et m'y installai, regardant se coucher le soleil tandis que sur une barque arrêtée en face de l'hôtel, un musicien chantait "sole mio"…
Marcel Proust
Extraits de « à Venise »
in Feuillets d'Art , n°4, 15 décembre 1919, pp. 1-12