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25 décembre 2021

Petite promenade comme on rêve en guise de cadeau de Noël... (1ère partie)

Rédigées le 1er octobre 2021, je n'avais jamais trouvé encore le temps de mettre en ligne ces notes. Voilà qui est fait en cette fin d'après-midi de Noël. La maison retrouve peu à peu son aspect tranquille. Une énorme tranche de panettone et un chocolat chaud à la cannelle comme nous en préparait ma grand-mère à côté de mon bureau, et cette belle et traditionnelle version suédoise de Santa Lucia chantée par le Adolf Fredriks Kyrkas Kammarkör (un clin d'oeil à l'ami David et à sa famille), j'adresse à mes chers lecteurs mes voeux. Joyeux Noël et Bonne fin d'année à tous !
 
© Catherine hédouin 30/10/21. Tous droits Réservés.
 
« Un guide de l'Italie qui voudrait instruire à la délectation ne devrait comporter qu'un seul mot, un seul conseil : regarde ! Quelqu'un qui a un minimum de culture doit s'en tirer avec cette instruction. Sans doute n'acquerra-t-il pas un certain nombre de connaissances et saura-t-il à peine distinguer si telle oeuvre appartient à la période tardive d'un artiste ou si c'est la « grande manière » de l'artiste qui s'y manifeste. Mais il découvrira une richesse de volonté et de puissance née du désir et de l'inquiétude ; et cette révélation le rendra meilleur, plus mûr et plus reconnaissant » 
 
© Catherine hédouin. Droits Réservés
Ce texte de Rainer Maria Rilke m'était revenu à l'esprit quand, l'autre soir au débûché, un ami éditeur de passage à Bordeaux avec qui je dînais, me suggéra l'idée de travailler à un guide de Venise « autrement, différent »... Un guide papier à l'époque de twitter et d'instagram, à l'orée d'un nouvel univers de vie et de pensée que l'I.A. façonne peu à peu, dans un monde de gens pressés, aux goûts et désirs toujours changeants, à la culture de plus en plus superficielle façonnée par les modes et l'éphémère ? 
 
Des guides, on en publie certes encore. Mais à quoi bon ? Ne serait-ce pas plutôt un guide du bon voyageur, du vrai touriste qu'il faudrait écrire, pour que soit enseigné à l'école l'art du voyage et de la lenteur. Un manuel pour apprendre aux enfants  - et à leurs parents - que regarder c'est chercher à voir au-delà de ce qu'on nous montre, c'est renoncer à toujours comparer, se référer mais bien plutôt à percevoir. C'est prendre le temps de ressentir ce qui nous touche et nous rend plus grands. Ce qui nous réjouit. Cela ne peut se faire que lentement, en prenant le temps de voir vraiment. Certainement pas à travers un smartphone planté au bout d'une perche ou pas seulement, car il est bon aussi d'aiguiser sa mémoire avec son regard et garder au retour ce qui a marqué notre coeur pourrait bien contribuer à renforcer goût et sensibilité. Ce qui nous touche reste gravé en nous et nous fait avancer notre conscience du beau après tout.
 
Des guides, on en publie certes encore. Mais à quoi bon ? Ne serait-ce pas plutôt un guide du bon voyageur, du vrai touriste qu'il faudrait écrire, pour que soit enseigné à l'école l'art du voyage et de la lenteur. Un manuel pour apprendre aux enfants  - et à leurs parents - que regarder, c'est chercher à voir au-delà de ce qu'on nous montre ; c'est renoncer à toujours comparer, se référer, mais bien plutôt à percevoir. 
 
C'est prendre le temps de ressentir ce qui nous touche et nous rend plus grands. Comprendre ce qui nous réjouit et s'en imprégner. Cela ne peut se faire que lentement, en prenant le temps de voir vraiment. Certainement pas à travers un smartphone planté au bout d'une perche ou pas seulement, car il est bon aussi d'aiguiser sa mémoire avec son regard et garder au retour ce qui a marqué notre coeur pourrait bien contribuer à renforcer goût et sensibilité. Ce qui nous touche reste gravé en nous et nous fait avancer notre conscience du beau après tout.

Le canalazzo à 18h06.© Catherine hédouin. Tous Droits Réservés.

Dans son Journal Florentin (*), le jeune Rilke écrit ceci qui pourrait être inscrit en exergue de ce manuel. Il pourrait figurer en exergue de notre Tramezzinimag :
« En Italie, [les] voyageurs passent en aveugles devant mille beautés discrètes pour courir à ces merveilles officielles qui ne font pourtant, le plus souvent, que les décevoir ; c'est qu'ils remarquent seulement, faute de pouvoir établir aucune relation avec elles, l'écart en leur hâte dépitée et le jugement cérémonieux de l'historien d'art que le Baedeker respectueusement prescrit.»  
Et l'auteur qui avait alors à peine vingt-trois ans d'ajouter ces lignes brillantes comme seul un jeune esprit sait oser formuler  :
« Je préfèrerais presque, alors, ceux qui rapportent comme premier et de loin plus marquant souvenir de Venise la bonne côtelette dégustée au Bauer-Grünwald ; car ils rapportent au moins un plaisir sincère, quelque chose de vivant, de particulier, d'intime. Et c'est faire preuve, dans le cadre limité de leur culture, de goût et d'appétit.»
Si, avec tout le respect que je dois au chef du Bauer et mon admiration pour la solaire Francesca Bortolotto sa propriétaire, les côtelettes qu'on y sert ne font plus l'objet d'une admiration particulière, le principe énoncé par Rilke reste tout à fait pertinent cent trente ans plus tard. 
 
Alors, commettre un énième guide, mon cher ami l'éditeur, même en utilisant du papier recyclé pour épargner ce qu'il nous reste de forêts, à part enrichir (le mot est peut-être mal choisi) un catalogue déjà bien fourni et alourdir le sac-cabine au détriment des verroteries et colifichets qu'il faut bien ramener pour montrer qu'on y était, se rengorger qu'on a fait Venise comme on fait Athènes, Marrakech ou Ibiza, que porterait de plus ma contribution ? 

Mais tout de même, le sujet mérite qu'on y réfléchisse. Non pas pour une quelconque étude de marché, mes lecteurs connaissent ma répulsion pour tout ce qui touche au mercantilisme ; mon sang vénitien est un sang de marchand non pas de boutiquier et le négoce des miens sur l'Adriatique, Constantinople, Rhodes, Chypre ou Alexandrie, n'a rien à voir ce me semble avec le bas esprit de lucre à la chinoise. Certes il faut bien manger, mais il est des domaines où le profit ne devrait pas rentrer en ligne de compte. Peut-être faudrait-il, en matière de voyage, payer les gens pour comprendre que voyager est un art que tout être humain capable de regarder, de sentir selon son coeur et sa sensibilité peut pratiquer  et non pas consommer...  

Pendant que j'écris ces lignes, la splendide soprano Emalie Savoy qui chante le merveilleux aria «Lieberlicher Mond» (Chant à la lune) de Dvořák, une amie m'envoie des images de la Venise de la fin du jour (il fait nuit bien vite à venise dès que l'été s'éloigne) en ce samedi de Toussaint. La ville est envahie par les français qui s'ajoutent aux italiens des environs et aux vénitiens qui ne sont pas partis pour le weekend pour échapper aux hordes qui sont revenues : 
 

Promenons-nous en image...
 
L'ami éditeur est revenu à la charge ce matin. Il n'a pas tort, «Lo spirito del Viaggiatore» après tout est une rubrique de Tramezzinimag depuis des années. Alain de Botton, Charles Pépin et Cees Nooteboom en sont par leurs livres,  les initiateurs. Et puis avec bon nombre des lecteurs du blog, notre ligne de pensée - peut-on s'exprimer ainsi ? - a été très influencée par le mouvement Slow Food et tout ce qui l'accompagne... 
 
Dans un monde toujours davantage pressé, prenons le temps. Réapprenons à voyager autrement. Les quelques séjours que j'ai eu la joie d'organiser allaient dans ce sens et trouvèrent leur public. Classiques, voire classieux, mais un rien alternatifs... Laissons l'idée faire son chemin, nous verrons bien...
 
à suivre...

21 septembre 2020

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 39) : La Venise au fil des jours : les "scènes ordinaires" de Marantegram


Les vénitiens sont presque toujours un peu poètes. La promiscuité avec autant de beauté, la luminothérapie naturelle et le rythme obligé qui fait l'allure des passants bien plus belle qu'ailleurs, l'absence d'automobiles et de deux roues, tout concourt à créer chez eux une conscience des images du quotidien toujours très pertinente. 
 
Cela a donné depuis l'invention de cet art, de grands photographes professionnels. mais aussi parmi les amateurs, vrais vénitiens de Venise ou vénitiens d'adoption et de cœur, de véritables artistes au regard acéré. Marantegram dispense depuis quelques mois sur Instagram des instantanés du quotidien qui sont un régal. Du baume au cœur des absents. 
 
Tramezzinimag souhaitait rendre à ce photographe dont ne connaissant ni le sexe ni le patronyme, nous souhaitons préserver l'anonymat sauf à ce que nous soyons autorisés à en dire plus, un hommage chaleureux en présentant quelques uns des images publiées sur Instagram. 
 
© Marantegram Venezia 2020


© Marantegram Venezia 2020
 
 
© Marantegram Venezia 2020




20 septembre 2020

La Barcheta chantée par la grande Joyce di Donato

 

Je viens de retrouver sur une clé USB, un enregistrement terriblement émouvant, d'une grâce et d'une splendeur ineffables. Commovente comme on dit en italien, vraiment. La voix de cette grande cantatrice américaine se prête joliment à cette musique dédiée à Venise par Reynaldo Hahn. Penser à ces arias en vénitien que le compositeur composa sur les rives de la lagune, me renvoie à mes années vénitiennes, mes années de jeunesse. 
 
A la Dante Alighieri, en 1980 ou 81, je ne sais plus très bien, j'avais rencontré la petite nièce de Reynamdo Hahn, Annette, jeune et jolie juive rayonnante et très libre avec son amie Anna Neushafer, jeune épouse d'un pasteur luthérien. Leur italien était binen plus académique que le mien, encore truffé de gallicisme et... d'anglicismes. Nos cours dans les bâtiments dont les fenêtres ouvrent sur le rio qui longe la façade principale de l'Arsenal, les longues discussions à la terrasse du café d'en face, nos dîners chez les Gradella, dans leur ravissante maison derrière l'Accademia ou au Centro Tedesco, sur la terrasse du Barbarigo... Je ne sais pas ce qu'elles sont devenues. Nous avons correspondu quelques temps puis les liens se sont distendus et la vie nous a pris dans sa spirale infernale...
 

Et comme un souvenir ne revient jamais seul, mon amie Violaine m'a envoyé hier ce croquis retrouvé en rangeant son bureau. Réalisé en 84, à Malamocco où elle résidait alors. Nous avons évoqué nos balades à pied le long du Lido pour retourner à Venise, ou aller lire et dessiner dans le vieux cimetière juif du Lido, auquel on accédait facilement à l'époque, avant les barbares qui le saccagèrent. Un jour, en longeant une friche un peu avant l'Excelsior, qui servait plus ou moins de décharge sauvage, nous avions trouvé plusieurs malles-cabines, certainement abandonnées là par le personnel de l'un des grands hôtels du Lido. elles étaient très abîmées, mais avaient encore belle figure, avec leurs cintres et leurs tiroirs. Nous avions projeté d'en ramener une à la maison...

09 mai 2020

Des légumes sur un bateau

Federico en livraison pendant le confinement
En dépit du confinement, Venise continue de vivre. Les jeunes agriculteurs de Donna Gnora ont donc décidé de poursuivre leurs livraisons et fruits et légumes. la jeune entreprise engagée dans l'agriculture biologique et la défense de l'environnement livre ainsi depuis quelques années ses produits locavores en barque pour la plus grande satisfaction de leurs clients dont je suis. Ainsi, chaque semaine - et maintenant encore en dépit du coronavirus - la barque accoste dans différents points du centre historique. Pour ma part, c'est la plupart du temps à San Samuele, aux pieds du Palazzo Grassi, qu'avec d'autres, j'attends leur arrivée pour récupérer les fruits et légumes commandés, parfois avec un pain (il est délicieux) ou des confitures qu'ils fabriquent avec leur production de fruits.


Ils sont la preuve, ces jeunes agriculteurs déterminés et passionnés, que la tradition et la modernité peuvent se rejoindre et apporter à notre société de bien bonnes choses. La joie et la bonne humeur quand on voit approcher la barque, les échanges sur le temps, les idées de recettes, tous ces petits riens qui créent le vrai lien social, Donna Gnora y contribue. 

On est loin de l'univers anonyme et aseptisé des grandes surfaces remplies de produits manufacturés à des milliers de kilomètres, à base de légumes et de fruits issus de l'agriculture intensive et chimique, bourrés de pesticides et d'antibiotiques, qu'on fait venir au détriment de la planète des quatre coins de celle-ci.

Quel bonheur de savoir que la pêche qu'on va déguster a été cueillie tôt le matin ou peut-être la veille dans un verger entretenu dans le respect de la nature, sans produits chimiques dangereux, et que ce verger est à quelques kilomètres à peine et n'aura pas transitée par des entrepôts frigorifiques pour traverser ensuite l'Europe jusqu'à Venise... 

(Écrit le 16/02/2020)


Envie de plage et d'un monde nouveau

La quarantaine semble devoir s'éloigner et avec elle le devoir d'attendre pour revenir et retrouver la vie d'avant. Mais sera-t-elle comme avant la vie désormais ? Faut-il que nous remettions nos pas dans nos pas d'avant ? Aller en barque jusqu'au Lido, lentement, silencieusement. La lagune vide de ces horribles pachydermes flottants qui ne seront pas revenus et peut-être, grâce à Dieu, jamais ne reviendront... Il est permis de rêver. Nul besoin de remplir une attestation sur l'honneur. Rêver que tout va changer. Rêver qu'il y aura moins de monde, moins d'hystérie, moins de choses vaines et inutiles... Rêver en glissant sur les eaux vertes vers la mer... Égoïstement diront certains. Peut-être bien, mais comme il sera bon de reprendre son souffle dans une atmosphère lavée, sans plus aucun remugles du mode de vie qui nous tenait tous. De ne croiser que d'autres comme nous qui vont eux-aussi retrouver l'essentiel. Plus de pollution dans l'air, les eaux purifiées, le ciel lavé. Une invitation à reprendre le chemin de la plage, les promenades vers les murazzi et enfin retrouver cette sensation merveilleuse du premier contact la première fois de l'année du premier bain. L'Adriatique qui semble encore endormie et que nos mouvements en elle réveilleront en réveillant notre ardeur et notre joie. Puis sortir de l'eau, sentir l'eau couler le long de notre peau que le soleil caresse, marcher sur le sable lissé par le silence des jours passés, avec le cri des mouettes et le souffle d'une brise toujours parfumée se mêlant au chant des vagues comme unique bruit pour emplir nos oreilles. S'étendre sur la serviette et se laisser aller au rêve, à la douceur de l'instant. Oublier tout le reste, s'endormir un instant, sentir la lumière qui chante et se réjouir de pouvoir ensemble faire que tout change enfin... Bientôt peut-être.

26 avril 2020

Un petit film bricolé il y a douze ans par une nuit de nostalgie



J'aime le cinéma, mais ne maîtrise pas vraiment l'art de l'image animée. en triant les archives retrouvées de Tramezzinimag, cette petite viéo oubliée - et maladroite - est restée un work in progress. J'ai souvent contribué à des préparations de documentaires pour la télévision. C'était   toujours intéressant de discuter avec les journalistes et les réalisateurs, de proposer des sujets jamais encore traités parce qu'ignorés des médias, contribuer à montrer une autre Venise. empêché à l'époque d'être aussi souvent à Venise que maintenant, je n'ai jamais pu être réellement suiveur sur place. Plusieurs de mes amis qui vivent à Venise ont pris le relais admirablement, instillant dans l'esprit des journalistes des fondamentaux qui ont contribué au changement de regard des gens sur la ville. Les problématiques actuelles, les grands navires, la pollution, l'acqua alta bien sûr ont été relayés par les médias du monde entier et c'est tant mieux. Ces sujets sont très cinégéniques et choquent les téléspectateurs. Ils ont permis une prise de conscience qui finira peut-être par avoir raison de l'entêtement des édiles à laisser se déployer partout des fonctionnements mortifères pour Venise et sa lagune. Mais il y a aussi le dépeuplement, les logements vides, le tourisme de masse, le chômage, le vieillissement de la population, tout cela aussi étant lié. Les images ci-dessus sont nostalgiques. Ce n'était pas voulu, mais l'inconscient remonte parfois. Le rêve d'une Venise impollue, rendue à ses habitants, l'air purifié, les chats revenus qui chassent les rats, la propreté, le silence, tout ce qui magnifie la beauté de la ville, rend les canaux transparents, le ciel purifié... Tout ce que le confinement a ramené. Mais demain, quand tout reprendra comme avant...

25 avril 2020

In regalo a tutti miei amici di confinamento a Venezia ed altrove



L'aria "Ah mia cara", extrait du Floridante de G.F.Haendel interprété par le contre-ténor polonais,  Jakub Józef Orliński et la charmante Eva Zaïchik et leurs amis de l'ensemble The Consort, tous confinés, tous brillants et passionnés. Impossible d'entendre la voix de Jakub sans ressentir  une grande émotion. Savez-vous que ce jeune et brillant musicien est aussi un spécialiste de Break dance ? Outre une voix à l'incroyable pureté et profondeur, le monsieur est aussi un athlète. Il n'y a donc pas que les ricains pour cultiver le men sana in corpore sano. vénitien, il serait une des vedettes de la Canotiera Bucintoro, son allure aristocratique l'associerait aux jeunes patriciens de la Sérénissime, ces Foscari,  ou Bragadin d'autrefois qui n'avaient pas froid aux yeux et savaient, après le combat faire de la très belle musique pour leurs amis. 

Cela me fait penser à cet écrivain décadent qui disait à la fin du XIXe siècle, en contemplant le magnifique tableau de Bellini, à San Zaccaria, celui qui montre un ange jouant de la viole aux pieds de la Vierge et de l'Enfant, "Quelle belle musique, on n'en fait plus d'aussi belle de nos jours". Ce n'est pas le seul tableau à Venise où se fait une musique aussi divine, mais c'est celui-ci qui illustre le mieux ce me semble l'interprétation de Jakub Josef Orlinski.


Ceux qui connaissent ce tableau comprendront cette phrase. Il se dégage de cette peinture réalisée par un Giovanni Bellini âgé (il avait 75 ans) quelque chose de grandiose et familier à la fois, beaucoup de sérénité et de paix. L'ange musicien au visage visiblement dessiné d'après modèle, pourrait sortir du Conservatoire Benedetto Marcello et on pourrait tout à fait le croiser avec son instrument sur le campo Santo Stefano après sa leçon. Jean-Louis Vaudoyer, dans son "Italie retrouvée" publié dans les années 30, écrit à son sujet :
"De génération en génération, depuis près de cinq siècles, les paroissiens de l'église de San Zaccaria vivent sous la protection d'une Madone de Giovanni Bellini ; L'ineffable petit ange musicien qui, assis aux pieds de la Vierge, joue de la viole, est leur ami d'enfance."
Pour continuer dans la beauté et la sérénité, cet extrait du Stabat Mater de Vivaldi, "Eja Mater, fons amoris", enregistré en confinement encore. Enfin un tempo ralenti sans lourdeur. Est-ce la tonalité du piano, mais Jakub, même pieds nus sur sa moquette parvient à nous communiquer l'émotion de cette strophe : 

"Daigne, ô Mère, source d'amour,
me faire éprouver tes souffrances
pour que je pleure avec toi"



3 minutes 32 d'émotion ! Bon 25 avril à tous !

01 février 2020

Aimez-vous le son des cloches (suite et fin)

Des cloches, il y en a à Venise et bien plus qu'une par église. cela fait du monde. laissez-moi vous parler des plus fameuses, celles du campanile de Saint Marc. Six cloches y sont logées dont quatre ont été refaites avec les restes refondus de celles détruites lors de l’écroulement du campanile (le 14 juillet 1902). Pour s'en souvenir il faut les nommer par ordre de grandeur, de la plus grande à la plus petite : la Marangona, la Nona (ou Mezzana), la Mezzaterza (ou Pregadi), la Trottiera et la Renghera (ou del Maleficio, ou Preghiera). Il faut savoir cependant, qu'aucune d'entre elles, pas même la célèbre Marangona, n'est un des anciennes cloches de San Marco irrémédiablement perdues lors de la chute du campanile. 

Mais détaillons un peu ces vénérables dames de bronze :
La plus célèbre est le bourdon, la MARAGONA. Elle doit son nom parce qu'elle sonnait à l’origine le début et la fin de la journée de travail des charpentiers de l’Arsenal.  Marangon en vénitien est l’équivalent du mot falegname en italien. Mais il est faux de croire que cette cloche dont le son est si familier des vénitiens et apprécié aussi par les touristes, est la même que celle qu'entendaient les vénitiens jusqu'à l'invasion française. La vénérable Marangona des origines a été fondue en 1809 sous la deuxième occupation française.

 

Viennent ensuite , et dans l'ordre : 

La NONA ou MEZZANA servait à indiquer le milieur du jour. Elle rappelait aussi le dernier moment pour expédier les lettres depuis les postes du Rialto.

La MEZZA TERZA appelée aussi PREGADI sonnait l’appel des membres du Sénat qui s'appelait à l'origine le Consiglio dei Pregadin.

 
La TROTTIERA sonnait l’appel des nobles lorsqu’ils devaient se rendre au Grand Conseil (Consiglio Maggiore). Ils arrivaient au moyen-âge à dos d’âne ou à cheval et au trot, d’où le nom.


Enfin, la plus petite des cloches appelée MALEFICIO ou RENGHIERA avait une fonction sinistre puisqu’elle annonçait les éxécutions capitales. On la nommait parfois PREGHIERA aussi pour appeler à prier avec le condamné à mort qui n’avait plus que cela à faire avant son exécution. On raconte qu’après avoir sonné pour la décapitation du doge Marino Falier, il fut interdit de l’utiliser à nouveau. Elle resta longtemps sans son marteau et sans corde pour l’activer. Ce ne serait qu’après la reconstruction qu’on lui rendit la possibilité de sonner à nouveau.

Mais il en exista une autre qui sonna peu de temps mais resta dans le campanile avec les autres. Il s’agissait du CAMPANON DI CANDIA, la cloche rapportée de Candie où elle sonnait l’appel au Conseil. Elle resta longtemps au pied de ses sœurs puis le doge Alvise Contarini décida de la faire installer et sonner. Cela fut fait pour la fête de l’ascension en 1678. Dix ans plus tard, le jour de la saint Marc, elle se détacha et tomba sans aucun dommage. Personne ne la fit jamais remonter car elle n’avait plus aucune fonction précise pour la République. Elle demeura ainsi, dans un coin, oubliée. 



Les vénitiens sont familiers du son de la Marangona qui sonne à minuit chaque jour sans jamais une interruption depuis son installation. Un son qui fait taire toutes les autres cloches de la ville qui ne reprendront leur tâche que le lendemain à l’aube d'autant que, à l'aune de ce qui se passe un peu partout, l‘équipe municipale de Brugnaro a interdit de faire sonner les cloches la nuit, exception faite de la Marangona. On s'y est fait.

Du temps de la République, les cloches de Saint Marc sonnaient toutes ensemble pour les grands évènements. Le Plenum avait lieu notamment pour l’élection du doge, ou d’un nouveau pape et pour d’autres évènements importants.Une symphonie joyeuse et assourdissante comme un hymne de triomphe et de gloire.




30 janvier 2020

Aimez-vous le son des cloches ? (1)



Je ne sais pas vous, mais j'ai un penchant très marqué pour le son des cloches. Un certain nombre d'entre elles sont associées à des moments de ma vie, des évènements, des personnes. La première fois que j'ai mentionné une cloche dans mon journal, je devais avoir douze ans. Je réalisais soudain combien ce son avait quelque chose de profond, de chaleureux. J'allais faire des courses pour une vieille dame impotente dont je m'occupais. Madame Bizot habitait derrière chez nous. Mon père était son médecin. 

Je passais beaucoup de temps chez elle. Il y avait dans son salon, figé à l'époque où son mari vivait encore (il avait quitté cette terre en 1939 !) un carillon qui reproduisait toutes les trente minutes le son de BigBen, kitsch mais qui me fascinait. J'aimais cette vieille dame, sa maison qui débordait. On avait l'impression d'y vivre dans une autre époque. elle me racontait des tas d'anecdotes sur les trente premières années du siècle. Née en 1886, elle était veuve de guerre et de cheminot. Elle recevait des bons alimentaires - cela se passe dans les années 70 - que j'allais échanger contre des victuailles à l'économat de la SNCF non loin de là. Démoli aujourd'hui, le bâtiment était tout près d'une église. Un jeudi, jour béni car sans école, je longeais les grilles de l'église en rêvassant, mon filet de provisions d'une main et un bâton de l'autre que je frottais en marchant sur les grilles. Soudain les cloches se mirent à chanter à toute volée. L'air était rempli de bonnes odeurs printanières. Ce fut un tel enchantement que je l'ai aussitôt décrit (maladroitement) dans le cahier où je notais davantage ma vie d'enfant, surtout les menus qu'on servait à table et des idées de jeux pour quand mes cousins viendraient.

Puis quelques années plus tard, ce furent les cloches de Westminster Abbey et celles, plus modestes mais très distinguées de Saint John's wood à Londres. Lors d'un voyage à travers l'Europe centrale qui nous mena avec mes parents jusqu'à Istanbul en voiture, j'ai retrouvé aussi dans un autre de mes cahiers, une réflexion de l'adolescent ombrageux que j'étais devenu. Je passais mes journées au bord de la piscine de l'Hilton ou dans la chambre. Room 101 ai-je noté. Il y a avait de la musique, de l'eau glacée dans la salle de bains et un room service que j'appelais souvent, me régalant lorsque deux serveurs vêtus de blanc à peine plus âgés que moi m'amenaient le petit-déjeuner sur une table ronde à roulette couverte d'une nappe blanche. Le porridge était presque aussi bon que celui de mon collège à Watford (où la cloche qui sonnait l'appel aux repas m'a marqué aussi). 

Je ne me plaisais pas dans cet Orient que j'ai appris à connaître et donc à aimer bien plus tard, quand je voyageais avec InterRail et des amis, le sac au dos et des désirs plein la tête. Le chant du muezzin m'horripilait et j'étais incapable de ressentir le moindre attrait pour Constantinople. Peut-être parce qu'avant même Venise, c'était là le centre de vie de la famille. Galata, Péra, Makrekoy, Dolmabaçe, Eyüp... Il me manquait quelque chose. Quand nous reprîmes la route, mon père décida de passer par Thessalonique. Nous sommes arrivés dans cette ville en fin de matinée. C'était un dimanche et de partout tintaient des cloches. ce fut comme une épiphanie. Je compris enfin ce qui m'avait manqué pendant un mois loin de l'occident chrétien : les cloches !

Istanbul... Venise, le lien se fait de lui-même. Les cloches de Venise que d'iconoclastes élus, comme partout dans notre monde déspiritualisé, considèrent aujourd'hui comme bien trop bruyantes au point de les interdire la nuit. 

Heureusement, le maire n'a pas osé faire taire la Marangona qui sonne chaque jour à minuit et qu'on entend de partout. en 2015, il y eut même un pauvre imbécile qui porta plainte et obligea les autorités à se manifester, les décibels étaient trop élevés et cela posait problème. le pauvre type devait préférer le bruit des automobiles et des avions à réaction, des mobylettes et de la télévision. Cela déclencha dans toute la région et à Venise une polémique qui se termina par l'interdiction de sonner les cloches à toute volée à chaque heure de la journée sauf exceptions. 

Voilà où nous en sommes, dans cette civilisation déboussolée, individualiste et inculte. Mais rien ne sert de s'énerver, les faits sont là : l'homme moderne ne supporte plus le son des cloches. Il ne supporte pas non plus le chant du coq à l'aube dans les campagnes, se plaint de l'odeur du purin et des feuilles qui tombent des arbres et envahissent les rues, il n'aime pas non plus les arbres qui lui font trop d'ombre... Triste époque vous ne trouvez pas ? Triste aussi le fait que les dirigeants de tout poil, le regard fixé sur le baromètre de leur popularité, embrassent ce genre de causes et fasse corps avec les plaignants en distribuant amendes et arrêtés municipaux scélérats !

Mais ne soyons pas cloches, restons tolérants et parlons plutôt de l'histoire de ces magnifiques dames de bronze dans le prochain billet.
à suivre




30 novembre 2019

Un adagio, des amis et du vin

Hier soir, dans un salon improbable du vieux Bordeaux s'improvisa un moment musical chargé d'émotion et de grâce comme souvent ce qui est inattendu se charge de joie et de félicité. Imaginez un ciel bas et un vent froid qui glace les rares passants. Nous arrivions d'un autre salon, une vaste nef blanche dans une grande maison d'un quartier bourgeois de la ville. Un bonheur n'arrive jamais seul. Il y avait là une centaine de personnes venue entendre un récital autour d'Etienne Péclard, naguère premier violoncelle de l'orchestre national de Bordeaux Aquitaine, professeur émérite dont il m'a été donné d'écrire la biographie. Le maître présentait à un public choisi, attentif et connaisseur, plusieurs de ses compositions accompagné par Laurence Dufour, elle aussi enseignante au conservatoire, avec qui nous avons créé il y a plus de dix ans maintenant Tempo di Cello qui eut son heure de gloire et lança le Festival International de Violoncelle Louis Rosoor et Stéphane Rougier, violoniste à l'ONBA. Les trois talentueux musiciens nous régalèrent d'airs parfois légers et drôles, d'autres plus sérieux, toujours parfumés de citations et d'inventions, toujours virtuoses. 

L'après concert se déroula autour d'une dégustation de vins délicieux du terroir. L'un des invités invita à son tour ceux qui le souhaitaient à venir chez lui, de l'autre côté de Bordeaux, non loin de ma résidence bordelaise, afin de découvrir son magnifique piano. J'hésitais comme toujours à me rendre à cette invitation inattendue. Nous étions partis quelques uns mais tous les autres désertèrent. Je finis par me décider, avant de rentrer me coucher. Je restais indécis. il était tard, il faisait froid, mon lit m'attendait à deux pas... Je me persuadais qu'il n'y aurait plus personne. On n'entendait aucun bruit par la porte entrouverte. Une jeune femme très belle sortait avec son vélo et avant même que je lui demande quoi que ce soit elle me lança avec un joli sourire : "si c'est pour pour la musique, c'est au premier étage" . C'est ainsi que je pénétrais dans cette incroyable demeure. Je sonnais sans qu'aucun son ne sorte, je frappais. Finalement j'articulais la poignée. derrière, un couloir mal éclairé, le plancher qui craque, odeurs de cire et de poussière. L'hôte ravi de me voir m'invite à avancer et disparait aussitôt à la recherche d'une bouteille de vin et de verres. Des notes de musique se glissaient partout autour de moi et m'accompagnèrent jusqu'au salon où trône le piano. L'adagio du premier concerto pour violoncelle de Haydn emplissait l'air de sa douce mélancolie. Venu lui aussi assister au récital de son ancien professeur, le très solaire Jeremy Genet, avait comme moi accepté l'invitation à prolonger la soirée. Il était venu me saluer après le concert, souriant et plein de révérence. La dernière fois que nous nous étions vu, c'était à Malagar, la maison de François Mauriac où se déroulent chaque année les examens de fin d'année de musique de chambre. Il avait à peine vingt ans alors et son jeu déjà charmait les auditeurs. Minuit sonnait à l'église voisine et, dans la pénombre, il jouait. En guise de partition l'ami qui l'accompagnait,  avait posé sur le pupitre un ordinateur portable, seule marque des temps modernes dans ce lieu hors du temps. La voix très sensuelle du violoncelle chantait le second mouvement. Je m'installais sur un coin de canapé, totalement fasciné par l'archet qui glissait lentement sur les cordes et les mains qui s'animaient sur l'instrument. J'aimais tout de suite son interprétation de cet adagio langoureux et débordant de subtilité. La cadence de Britten ce me semble. Un peu à la manière de Rostropovitch. J'aime à la folie cet air où le violoncelle reste maître et peut exprimer toute son expressivité. Jeremy avec sa grande sensibilité servait joliment cet adagio. Un de ces petits bonheurs qui nous tombent joyeusement dessus et qu'on aimerait pouvoir faire partager.

La mélancolie qui se dégage, malgré le mode majeur de l'aria se confond fabuleusement avec les lieux. Je regarde Jeremy. La tête légèrement penchée en arrière, les yeux clos, le visage détendu et serein, les sourcils légèrement froncés, il fait corps avec l'instrument, et les lieux se fondent dans la musique. La salle est sombre et mal éclairée mais le jeune virtuose rayonne et irradie. Une bouffée d'émotion me submerge soudain et mouille un peu mes yeux. Cet air, nous l'avons tellement de fois écouté, mon père et moi, à la fin de sa vie. C'était dans le petit salon du second, à côté de ma chambre. Les 8 minutes 30 de l'adagio inlassablement répétées que nous écoutions parfois dans le noir comme dans ce salon d'une autre demeure bordelaise, où je pénétrais pour la première fois. Une belle soirée, le vin était bon et l'air rempli de bons mots, et le cœur inondé de musique. Un de ces moments inattendus et magiques qui m'aident à supporter l'exil quand mes obligations m'obligent à rester loin de Venise. Il est temps que je reparte. Jeremy et son violoncelle, Étienne, Laurence et Stéphane m'y rejoindront et les soirées seront pareillement douces et belles. 

Pour le plaisir d'entendre ce passionné parler du festival qu'il a créé à Bordeaux après avoir organisé un concert au Carnegie Hall à la mémoire des victimes du 11 septembre, cette vidéo publiée par une radio bordelaise :

Relire les anciens billets de TraMeZziniMag...


Les anciens billets du site originel, celui qui de 2005 à l'été 2016 a nourri plusieurs centaines d'abonnés et de très nombreux lecteurs réguliers ou occasionnels, ne contenaient pas que des choses de qualité. Parfois des textes rédigés en vitesse, mal relus et pas assez corrigés, des photos au mauvais format, des légendes erronées ou simplement oubliées, mais toujours la joie et l'enthousiasme que nous avions à partager nos coups de foudre, nos passions. Mais tout cela restait tourné vers Venise, en bons Fous de Venise comme nous avait baptisé un éminent journaliste de France Culture aujourd'hui disparu. Mais c'était l'heureux temps des blogs et des blogs sur Venise, à la suite de TraMeZziniMag, il y en a eu de très beaux, de très intéressants, tous créés par des ces Fous de Venise qui formons une belle communauté de passionnés et d'inconditionnels de la Sérénissime

Difficile alors de baisser la garde et, maintenant que le miracle s'est produit, que peu à peu les articles présumés perdus corps et biens dans l'immensité abyssale d'internet, refont surface, les redécouvrir, une fois nettoyés, dépoussiérés, adaptés au nouveau format, est un régal pour nous qui les avons fait naître et qui ne nous étions jamais résignés à leur disparition. Nous vous invitons à faire comme nous, à feuilleter les archives du TraMezziniMag des origines, en relisant les billets au hasard ou par thématique (il suffit de cliquer sur les noms qui vous parlent dans le nuage des libellés, ou de choisir un jour, un mois, une année et de vous laisser porter.

Laissez-nous vous conseiller quelques billets parmi nos favoris, parmi ceux qui ont attiré le plus de commentaires et de débats, ceux qui ont été repris pour servir Venise et ses habitants. Aller dans les archives, remonter le sommaire, se promener dans les jours et les saisons, dans les libellés, autant de moyens fort utiles pour la reconnaissance du blog, pour qu'il retrouve sa place dans les moteurs de recherche. Autant de clics différents sur les billets des années précédent le naufrage de 2016, qui nous permettront de redéployer notre lectorat aussi, les lecteurs attirent les lecteurs. Et enfin, la plupart des commentaires qui étaient impossible à retrouver sont aussi revenus. Pour les abonnés de toujours, vous retrouverez nos échanges, pour ceux qui ne connaissent TraMezziniMag que depuis peu, ajouter en temps réel votre avis sur les artciles ou les prises de position serait super et gratifiant pour nous ! Merci d'avance les amis !

En voici quelques échantillons (il suffit de cliquer sur l'adresse du titre de votre choix), à titre d'exemples :
  • La Bulle de Tiepolo (mars 2006) 
http://tramezzinimag2.blogspot.com/2006/03/la-bulle-de-tiepolo.html

  • Il marchait seul dans la nuit (juillet 2006)
http://tramezzinimag2.blogspot.com/2006/07/il-marchait-seul-dans-la-nuit.html

  •  Venise ne veut plus des navires géants (janvier 2012) 

29 novembre 2019

Rejetant la tristesse... Cheminer avec Franck Venaille

Le Moine au bord de la mer (Der Mönch am Meer) Caspar David Friedrich
J’ai combattu jusqu’à l’extrême. Maintenant il me reste à
rejoindre mon hôtel, palace pour fêtes légales & là, allongé
sur un lit, chaussures encore boueuses aux pieds, à regarder
l’eau du canal tressaillir, frémir, s’allonger, s’ouvrir !

Je ne fréquente pas les églises et leurs chefs-d’œuvre. La la-
gune s’en moque. Elle laisse la porte ouverte sur le tout petit
jour quand passe devant moi un remorqueur au moteur sans
âge. Debout. Droit, face au vent se tient l’homme gouvernail.
Sa silhouette attise le sentiment de beauté solitaire.

Ainsi suis-je à la fois celui qui écrit mais également cet autre
qui prend sur lui de lire des manuels militaires à l’usage du
bataillon de mouettes de l’infanterie de marine.
Ces vers de Franck Venaille, formidable et rutilant poète récompensé par le prix Goncourt en 2017, disparu en août dernier, je les récite souvent lorsque j'observe un résident de la maison de retraite dont je suis l'un des administrateurs. Voir l'inexorable glissement, ce tassement au début peu visible qui s'amplifie parfois d'un coup, la lassitude dans le regard qui semble chercher au loin une image, un souvenir auxquels se raccrocher quand monte en nous la certitude du naufrage. Cela ne peut laisser indifférent et les mots du poète m'aident un peu pour cacher mon désarroi et la souffrance qui griffe mon cœur devant l’inéluctable défaite de ces vieillards qu'on voudrait soutenir, accompagner bien mieux que nous parvenons à le faire.

© Jacques Sassier
Je n'ai jamais vraiment connu Franck Venaille si ce n'est par l'intermédiaire de Micha son épouse, fidèle, attentive et indulgente lectrice de TraMeZziniMag, mais les livres du poète ont accompagnés bien des voyages du solitaire que je suis comme il le fut aussi, lui qui a toujours « marché dans la fêlure intime du monde ». 

Son écriture mélancolique et pure sied magnifiquement aux couleurs de Venise en hiver, surtout en ces temps malheureux où la nature semble vouloir s'acharner sur la ville. Ses ciels bas, ses eaux noires, comme le sont certainement les ciels et les eaux des Flandres d'où venait ce poète qui commença son dernier livre par cette phrase très belle : 
« Ensuite je suis parti à la recherche de mon enfance.»
Jolie parentèle d'avec l'auteur de la Recherche qui me donna l'envie de tout lire d'une traite L'Enfant rouge. J'ai découvert le poète par hasard en me plongeant dans C'est à dire publié par le Mercure de France qu'un ami m'avait donné. Je cherchais ce matin le livre que je n'ai plus trouvé. Il aura été emprunté et jamais ramené hélas. J'aurai aimé relire les pages consacrée à la lagune. L'ouvrage est difficile à trouver désormais. Venaille était plus triestin que vénitien. A cause d'Umberto Saba dont il partit retrouver les marques. Mais à Venise comme à Londres ou dans le Paris de son "Moi de onze ans", sa plume emporte et accompagne comme seule la plume des grands poètes sait le faire.  
Filippo de Pisis. Collection privée.
Il y a eu dans l'excellent En attendant Nadeau, cette revue littéraire en ligne - qui devrait être lue aux enfants des écoles pour leur apprendre à comprendre, à réfléchir et à aimer les Lettres -, un hommage au poète (ICI). Norbert Czarny y conseillait, bien mieux que je ne saurai le faire, la lecture des livres laissés par Venaille, « On lira cela et le reste, et tout ce qui a fait une œuvre, dans ce petit livre bleu qui rappelle la voix mélodieuse, grave et narquoise du dandy Venaille et de l’enfant qui ne le quittait pas.» C'était l'écho qu'il fallait pour que je reprenne mes vieux projets de livres d'artistes bilingues, pour donner à lire, comme avec la galerie que j'ai tenu pendant quelques années mon objectif était de donner à voir. Traduire Venaille en italien et le publier est une idée à laquelle je pense depuis longtemps, Le publier comme je souhaiterai publier le vénitien Mario Stefani ou Sandro Penna en français... Il y a une douce harmonie dans ce lignage que rejoint La Tour du Pin dans mon panthéon personnel. La collection trouverait ainsi son fil conducteur avec évidence. L'enfance, l'amour, la beauté et la simplicité...

12 septembre 2019

Venise au quotidien : en être pour comprendre


Le touriste qui découvre Venise ressent presque toujours une grande fascination. Tout le surprend, le déroute et l'enchante. Quand il revient,la fascination demeure, comme aussi l'enchantement. Il aura pris des habitudes, saura quel bateau le mènera plus rapidement à tel endroit de la ville, le café où le café est le meilleur et l'accueil toujours bienveillant. Mais il n'aura pas forcément pénétré le quotidien des vénitiens. Il est facile de suivre celui de la ville, au rythme des cloches, des allers et venues des vaporetti, retenir les horaires d'ouverture des magasins, mais aller au même pas que les vénitiens nécessite une longue familiarité avec la vie de tous les jours. Il y a toujours beaucoup d'émotion quand on peut enfin avoir la chance de vivre avec des vénitiens, comme eux. On comprend alors tellement mieux ce qu'est vraiment cet endroit unique où l'on a appris au fil des siècles à surmonter mille difficultés et où on sait bien vivre, sous la plus belle lumière, les plus jolis reflets, les plus beaux silences urbains habités par une rumeur heureuse. On sent alors que notre cœur palpite au diapason des milliers d'autres et qu'on est en train, qu'on pourrait et donc qu'on peut, devenir et demeurer un vrai bon vénitien... Et là, c'est l'extase, l'incommensurable bonheur, la joie !

25 août 2019

Il Paradiso dei Calzini

Vinicio Capossela est un chanteur-compositeur italien débordant d'amour et de poésie, membre de ce Club Tenco du nom de Luigi Tenco un autre chanteur-compositeur de grand talent mort trop jeune dans une Italie en proie à ses démons. Il a composé cette chanson très belle, mélange de comptine innocente et de chanson d'amour pleine de mélancolie. Il paradiso dei calzini nous fait  réfléchir avec humour à ce que deviennent les chaussettes quand elles se perdent, s'égarent entre la panière de linge sale et le tambour de la machine à laver...
 


Dove vanno a finire i calzini
quando perdono i loro vicini
dove vanno a finire beati
i perduti con quelli spaiati
quelli a righe mischiati con quelli a pois
dove vanno nessuno lo sa


Dove va chi rimane smarrito
in un'alba d'albergo scordato
chi è restato impigliato in un letto
chi ha trovato richiuso il cassetto
chi si butta alla cieca nel mucchio della biancheria
dove va chi ha smarrito la via
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano tutti vicini
nel paradiso dei calzini
Chi non ha mai trovato il compagno
fabbricato soltanto nel sogno
chi si è lasciato cadere sul fondo
chi non ha mai trovato il ritorno
chi ha inseguito testardo un rattoppo
chi si è fatto trovare sul fatto
chi ha abusato di Napisan o di cloritina
chi si è sfatto con la candeggina
Nel paradiso dei calzini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
Dove è andato a finire il tuo amore
quando si è perso lontano dal mio
dove è andato a finire nessuno lo sa
ma di certo si troverà là
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano uniti e vicini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
non c'è pena se non sei con me

07 août 2019

Les vénitiens, les chats et la tendresse d'un regard : Nicolas Cytrynowicz, photographe.

Les hasards des promenades sur internet à la recherche de nouveautés, de sons, d'images qui pourraient varier un peu l'ordinaire des jours, offrir aux lecteurs de Tramezzinimag un autre regard, des idées différentes, matière à réflexion, soutien à nos états d'âme, rire ou nostalgie... La très belle voix de la splendide Lizz Wright, pleine de poésie, accompagnait mes pérégrinations hier soir à la recherche de photographies que je ne trouvais pas. Puis soudain, une trouvaille. Un site qui n'est plus alimenté depuis quelques années, avec en légende de l'image - nostalgique -  de Venise (la rambarde en fer forgé d'un pont de Venise) sur laquelle je suis tombé, cette phrase de François Mauriac que m'avait envoyé Antoine il y a fort longtemps :
"On ne quitte pas Venise, Monsieur, on s'en arrache. 
Un séjour à Venise c'est une étreinte."
Évidemment, si ça commence ainsi, il y a de fortes chances que l'auteur du site, un certain Nicolas Cytrynowicz, soit une belle personne. En phase avec l'esprit Tramezzinimag. Au fil des pages de son blog, j'ai glané quelques bijoux. Des clichés très simples, tous imprégnés d'un respect et d'une grande poésie. En voici quelques exemples (à visionner en écoutant la merveilleuse chanson de Miss Wright, «Reaching for the moon» ci-dessous). Des deux, vous me direz des nouvelles.

 

 
Vous connaissez ma fibre investigatrice. Bien que n'étant aucunement de la trempe du flamboyant Flavio Foscarini (ceux qui auront suivi mes avis et auront lu la Vestale de Venise me comprendront - et les autres qu'attendez vous pour courir le faire ?), j'ai voulu en savoir plus sur l'homme qui a ce regard aussi doux sur les gens, sur Venise. J'ai découvert des pages très belles sur les chats, des photographies de voyage à travers le monde. Je puis vous dire que le photographe vit dans l'est de la France, qu'il travaille ou a travaillé pour aider les autres à se mieux porter mentalement par de l'accompagnement personnel (comme les journalistes, voilà que je flotte dans l'à-peu-près. 


Trois photographies m'ont particulièrement ému et serviront de conclusion à l'hommage que je souhaitais adresser à ce monsieur, l'une représente un jeune garçon et un chat, quelque part en Chine, en 2010, je crois. Il s'agit de Thomas, le fils du photographe. Devenu un talentueux photographe bien engagé dans cet art aujourd'hui (voir ICI), l'autre une jeune fille au regard très beau et la dernière, Nicolas Cytrynowicz lui-même, sur la dernière page de son blog, avec pour seule légende "Au-revoir".
   
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
Mes remerciements à Nicolas Cytrynowicz pour la publication de ses photographies et à son fils Thomas.