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07 juin 2020

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38) : "Venise nous parle", par Lara Lucilli, vénitienne, guide

Lara Lucilli est vénitienne. elle est guide depuis 2017. C'est son métier mais surtout sa passion. Elle a eu l'idée pendant le confinement de faire parler la Sérénissime. Elle lui prête sa voix. C'est émouvant, profond. C'est aussi une jolie preuve d'amour de la part de l'auteur. 

Merci Lara pour ce joli moment. Sur sa page FB, la jeune femme s'explique brièvement, et remercie tous ceux qui lui ont permis d'obtenir cet entretien exclusif avec la Sérénissime :
"Venise se raconte, pendant et juste après le confinement... d'une idée née dans mes journées solitaires de quarantaine... Je remercie Andrea et Igor Pizzato, Roberto Dotto de Venice Water Limousine Service, Valeria Medici, Al Timon, l'osteria Al Cicheto, Matto le fabricant de forcole et... Venise, bien sûr."
Nous reparlerons de Lara et de ses collègues toutes et tous passionnés par leur ville et qui savent transmettre leur amour et sont les meilleurs ambassadeurs de la ville certes mais aussi de ses habitants. Qui est mieux placé qu'un guide pour expliquer aux touristes comment se comporter dans ces lieux uniques, et leur rappeler que Venise est un trésor à ciel ouvert mais pas un tombeau, ni un parc d'attraction, mais un lieu où on vit, où on travaille et pas seulement au service des touristes. Je suis convaincu que tout toujours se résout par la pédagogie et la sincérité.



© Lara Lucilli - Vidéo publiée sur FaceBook / 04/06/2020, 13h40.


26 avril 2020

Un petit film bricolé il y a douze ans par une nuit de nostalgie



J'aime le cinéma, mais ne maîtrise pas vraiment l'art de l'image animée. en triant les archives retrouvées de Tramezzinimag, cette petite viéo oubliée - et maladroite - est restée un work in progress. J'ai souvent contribué à des préparations de documentaires pour la télévision. C'était   toujours intéressant de discuter avec les journalistes et les réalisateurs, de proposer des sujets jamais encore traités parce qu'ignorés des médias, contribuer à montrer une autre Venise. empêché à l'époque d'être aussi souvent à Venise que maintenant, je n'ai jamais pu être réellement suiveur sur place. Plusieurs de mes amis qui vivent à Venise ont pris le relais admirablement, instillant dans l'esprit des journalistes des fondamentaux qui ont contribué au changement de regard des gens sur la ville. Les problématiques actuelles, les grands navires, la pollution, l'acqua alta bien sûr ont été relayés par les médias du monde entier et c'est tant mieux. Ces sujets sont très cinégéniques et choquent les téléspectateurs. Ils ont permis une prise de conscience qui finira peut-être par avoir raison de l'entêtement des édiles à laisser se déployer partout des fonctionnements mortifères pour Venise et sa lagune. Mais il y a aussi le dépeuplement, les logements vides, le tourisme de masse, le chômage, le vieillissement de la population, tout cela aussi étant lié. Les images ci-dessus sont nostalgiques. Ce n'était pas voulu, mais l'inconscient remonte parfois. Le rêve d'une Venise impollue, rendue à ses habitants, l'air purifié, les chats revenus qui chassent les rats, la propreté, le silence, tout ce qui magnifie la beauté de la ville, rend les canaux transparents, le ciel purifié... Tout ce que le confinement a ramené. Mais demain, quand tout reprendra comme avant...

14 décembre 2019

René Fallet et Bonnot. En hommage à Mitsou, défunt roi des chats.


Je viens de terminer la lecture des Carnets de Jeunesse de René Fallet. Assistant à un délicieux petit concert l'autre soir chez un mien voisin, je réalisais soudain que quelque chose manquait dans cet appartement improbable et délicieusement bohème. Il y avait autour de notre hôte de jolies femmes, de jeunes musiciens talentueux et passionnés, quelques garçons un peu mauvais genre à la Pasolini, deux trois snobinards au regard arrogant, un merveilleux acteur de cinéma à la voix fascinante et sa charmante et brillante compagne. Le programme était bien monté, le Steinway remarquable et le vin délicieux. Mais il manquait quelque chose et je parvenais pas à savoir quoi... 

Etait-ce un feu dans la très belle cheminée du salon où nous écoutions des lieds ? Oui bien sûr, mais ce qui manquait, c'était un chat. De ceux qui savent naturellement montrer qu'ils sont les vrais maîtres des lieux et qui reçoivent parfois avec dédain mais toujours avec élégance. Mon esprit évoqua Baudelaire, puis Léautaud et Colette. Puis au détour d'un mouvement plus grave du morceau qui jaillissait des doigts du jeune pianiste, mon regret d'avoir perdu Mitsou, pourtant dernier épisode d'une chronique de la mort annoncée et libération pour ce vieux roi qui commençait de souffrir et n'était depuis quelques jours que l'ombre de lui-même. Il attendait son vrai maître qui devait arriver de Vancouver d'un jour à l'autre. Chaque matin, en le lavant et en le soignant, je le lui rappelais : Notre Jean sera bientôt là. Attends-le si tu le souhaites. Nous nous étions focalisés sur le jeudi - il y a à peine un mois - et Mitsou depuis la veille ne s’alimentait plus, ne ronronnait même plus comme pourtant le font tous les chats malades. 

Il restait étendu dans un cageot recouvert du plaid qu'il préférait. depuis longtemps, Mitsou ne voyait ni n'entendait plus vraiment, sauf à de rares occasions. Plusieurs épisodes ischémiques dans les dernières semaines rendaient son quotidien difficile. C'est ainsi que nous l'avions retrouvé paralysé de l'arrière-train le dimanche avant, puis après quelques heures d'un profond sommeil, il avait de nouveau sauté du canapé pour aller vers sa pitance que je venais de servir. Parfois, il se cognait aux meubles et nous ne pouvions nous empêcher d'en rire. Il restait digne. D'autres fois, après nous être persuadés qu'il n'entendait plus, nous avions eu la surprise de le voir se lever au bruit de la sonnette... J'en arrivais à penser qu'il attendait son jeune maître pourtant vivant depuis longtemps loin de Bordeaux.
 
Un autre Mitsou, le chat de Balthus conté par Rainer Maria Rilke
Mitsou est apparu  dans notre vie un jour d'été à la Moignerie, la maison de famille dans le Cotentin, où nous passions les vacances. J'étais retourné à Bordeaux. Les enfants étaient autour de la table du petit-déjeuner et, venant du jardin, un jeune chat rouquin, élégant et mince qui semblait sourire comme m'avait dit ce soir-là mon fils, s'est avancé dans la cuisine et a salué en miaulant avec beaucoup d'élégance. Ce n''était ni une prière ni une injonction. Certainement une manière de saluer. Une bolée de lait tiède plus tard, le chaton - il n'avait pas un an - s'installait définitivement dans la maison et devenait le compagnon de jeux des enfants. 

Notre famille traversait les premiers coups de vent de la tourmente qui emporta mon mariage et notre vie d'avant. Mitsou a été là, très présent. Câlinant Jean et ses sœurs plus qu'on ne le câlinait et plus tard, quand l’œil du cyclone nous rattrapa tous, je sais combien il a été précieux pour l'enfant qui le prenait souvent sur son lit. Je me souviens à plusieurs reprises de l'entendre renifler au moment où je venais lui dire bonne nuit et, à chaque fois le joli pelage roux était mouillé et Mitsou ronronnait et me regardait, ses yeux verts m'interrogeant. "Alors qu'est ce que tu attends pour arranger tout ça, regarde combien il est malheureux, regarde ce que nous sommes en train de devenir"...

Bien des fois, à mon tour, je me suis épanché sur Mitsou qui ne bougeait pas et restait lové contre moi bien après que mon désarroi se soit apaisé et que la maisonnée dorme. Dix-sept ans après son arrivée chez nous, il a rejoint ses ancêtres. Réalisant que notre Jean ne serait là que le lendemain, je lui ai annoncé. Il était allongé dans sa caisse et respirait difficilement. "Mitsou, Jean va venir mais demain". Le chat a tressailli et j'ai cru voir ses pupilles bougeaient et son regard qui se dirigeait vers moi. Il s'est mis à respirer plus lentement. Je me suis entendu dire "Tu peux partir si tu veux, je ne veux pas que tu souffres". Je l'ai caressé longuement. Il a émis un son qui ressemblait un peu au ronronnement d'avant. Je suis parti vaquer à mes occupations. 

Quand je suis rentré, le chat s'était tourné - il ne bougeait plus depuis plusieurs jours - et semblait dormir paisiblement, les yeux clos. Il n'avait pas pu attendre encore. Jean ne l'aura pas revu mais je sais qu'avec les chats il se passe des choses que nous ne pouvons imaginer mais que nous savons réelles. Le vendredi, lorsque Jean est venu et que je lui ai raconté les derniers moments de Mitsou, quelque chose voletait autour de nous, comme un souffle d'air très doux, très paisible. J'ai pensé qu'il s'agissait de l'esprit du chat qui s'envolait, apaisé et tranquille. Il repose depuis dans le petit cimetière familial où plusieurs des bêtes de la famille reposent. Voilà ce qui me passa par la tête, dans ce salon musical. 

Ma lecture du jeune Fallet (il n'avait pas vingt ans dans ces carnets que j'ai été heureux de relire) m'a rappelé son amour pour les chats. Ce petit bijou de l'INA, TraMezziniMag vous le présente comme un hommage à notre cher Mitsou, sacré il y plus de quinze ans par mes enfants et par quelques vénitiens qui ont eu la chance de le connaître, Roi des Chats.

13 décembre 2019

La Venise mineure par Pasinetti

Venezia minore (la Venise mineure) est le titre d'une documentaire réalisé en 1940 par Francesco Pasinetti, réalisateur vénitien mort prématurément et qui était le frère du romancier Pier Maria Pasinetti. Comme l'écrivain, le cinéaste était un fou de Venise, leur ville, l'endroit où il avait grandi et il a su traduire son amour de la Sérénissime dans les images du film. La vie quotidienne de la ville est simplement filmée, la mise en scène légère et spontanée comme pour éviter les effets qui plombent le plus souvent les documentaires de voyage. On retrouve ainsi une Venise au fil de l'eau, des campi et et des ruelles,la caméra poursuivant son errance tout au long des images dans Cannaregio, Castello et Dorsoduro mais aussi du côté de la Giudecca. Un monde en partie disparu, mais qui survit tout de même dans notre regard et que nous aimons. Bon voyage en images et noir et blanc ! Un régal que TrameZziniMag est heureux de faire connaître à ceux qui ne l'auraient encore jamais vu. Bonne promenade.

12 novembre 2019

Catastrophique acqua alta à Venise. Du jamais vu depuis 1966 !



Difficile de retenir son émotion devant les images qui nous sont parvenues de Venise aujourd'hui. Du jamais vu depuis 1966, le niveau de l'eau dépasse les 170 cm. Il y avait 187 cm lors de la tristement fameuse acqua grande de 1966 qui avait failli ruiner Venise. 

Pas d'école demain sur la lagune, plus de transports en commun et déjà de nombreux dégâts. la basilique San Marco submergée avec des dommages importants dans la crypte. Il est encore trop tôt pour savoir. Contrairement à une explosion ou à un tremblement de terre, les dégâts ne sont pas visible de suite avec l'acqua alta. l'eau va se retirer dès que le vent se calmera et que la marée descendra. Mais le sel lui restera. En séchant il fera éclater marbre et briques des soubassements de la basilique et les dommages peuvent être irrémédiables me disait un prêtre qui était il y a quelques heures en compagnie de Pier Paolo Campostrini, le procurateur de la basilique Une ville paralysée et des services de secours qui ne savent plus où donner de la tête. Mais comme toujours, la solidarité est active. Chacun a chaussé bottes et cuissardes pour aider ses voisins, protéger du mieux possible le rez-de-chaussée des immeubles et pomper l'eau qui se répand partout.

Toutes les personnes que nous avons eu au téléphone, choquées, en colère, tristes aussi, disaient la même chose : un spectacle épouvantable, les sirènes, un bruit inhabituel et cette masse d'eau qui se répand partout à toute vitesse, emportant tout sur son passage. De fortes bourrasques de vent qui poussent la marée vers la ville et empêchent l'eau de refluer, des coefficients élevés et l'acqua alta devient incontrôlable. Un homme est mort électrocuté dans sa maison à Pellestrina, les images sont atroces, l'émotion est grande.

Le maire Luigi Brugnaro est resté sur place toute la soirée, se rendant lui-même sur la piazza pour constater les dégâts. La voix cassée par l'émotion, il parle d'un désastre et de sa crainte des suites de cette forte marée. 
 ....


Et il se trouve des touristes pour se faire photographier comme au spectacle. C'est justement ce qu'un vénitien trempé, agacé et très triste lança à un couple d'américains rigolards "Ce n'est pas un spectacle, espèce d'idiots, mais une catastrophe !" vient de me raconter une amie qui était témoin de la scène. "Questi stronzi non capiscono niente !" ("Ces connards ne comprennent rien !") (sic) a-t-elle ajouté hors d'elle... La Commune demande que l'inondation soit classée en catastrophe naturelle. "Nous sommes en train d'affronter une marée plus qu'exceptionnelle. Tout le monde est mobilisé pour gérer l'urgence", a tweeté le maire de Venise, "Demain, nous demanderons l'état de catastrophe naturelle parce que les coûts (des dégâts) seront probablement importants et nous nous attendons toujours à ce que le niveau de l'eau remonte", a-t-il ajouté.

27 septembre 2019

L'extraordinaire et envoûtant long métrage de Lorenzo Mattotti bientôt sur les écrans français et italiens

La Fameuse Invasion des Ours en Sicile, le merveilleux roman de Dino Buzzati qu'il publia en 1945, est devenu un film, et ce film est une pure merveille, un délice d'une heure trente, réalisé par Lorenzo Mattoti dans les studios des productions Prima Linea à Angoulême. Présenté à cannes, il fait déjà le "buzz"avant même sa sortie en France le 9 octobre prochain, puis en Italie début novembre. TraMeZziniMag était à l'avant-première organisée jeudi soir à Bordeaux, dans la grande salle du cinéma Utopia, en présence du président de la Région Nouvelle-Aquitaine, financeur principal du projet, du réalisateur et du producteur Christophe Jankovic. La soirée était organisée par Delphine Gachet, Maître de conférences en et auteur avec son homologue vénitien, Alessandro Scarsella du fameux "Venise, histoire, promenades, anthologie et dictionnaire", paru chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins en 2016 (*). Delphine est la plus grande spécialiste de Dino Buzzati en France. 

A l'initiative d'une des grandes spécialistes de Dino Buzzati.
Lectrice passionnée de Buzzati, Delphine est devenue spécialiste de son œuvre à laquelle elle a consacré de nombreux travaux. Elle a ainsi traduit ses nouvelles inédites en France, publiés dans la collection Pavillons : Nouvelles inquiètes (2006), Nouvelles oubliées (2009).

C'est naturellement qu'elle en est venue, depuis plusieurs années déjà, à prendre en main l'Association des Amis de Dino Buzzati dont la vocation est de diffuser, de faire connaître et d'étudier l'œuvre de l'écrivain italien. La soirée de hier soir s'inscrivait donc naturellement dans sa démarche. Et c'est une salle pleine, composée de nombreux universitaires, d'italianistes et d'italiens francophiles, mais aussi de jeunes (parfois très jeunes) qui accueillit avec chaleur le réalisateur et se passionna pour les aventures de l'ourson Tonio, de son père le roi Léonce et d'Ermelina, la jolie et gentille jeune gitane. Samedi, c'était autour du jeune public de découvrir le film dans une séance qui leur était réservée.



Rappelons le sujet du film.
Inspiré du roman pour enfants de Dino Buzzati publié en 1945, le film se présente comme une fable remontant en des temps légendaires, où la Sicile était partagée en bonne intelligence entre les ours et les humains, les uns vivant dans les montagnes, les autres dans les plaines. Jusqu’à ce jour d’hiver où Tonio, fils de Léonce le roi des ours, est capturé par une bande de chasseurs. Son père, figé dans l’hébétude et le désarroi, entraîne son peuple affamé à l’assaut des terres habitées par les humains, à la recherche de son fils. Les ours descendent alors en colonnes rangées vers la vallée, et affrontent vaillamment les troupes du grand-duc de Sicile…

1 heure 22 minutes de plaisir !
Cela donne un  film d'animation - on disait autrefois un "dessin-animé" - d'une heure et vingt-deux minutes,  surprenant, d'une beauté incroyable, une réalisation de qualité où rien ne cloche, où tout est grandiose sans que rien ne soit en trop, où la délicatesse et l'émotion s'insinuent avec naturel et emportent les suffrages des plus rétifs. Un grand film donc, qui démontre combien les français et les italiens sont passés maîtres dans ce domaine. Ils rivalisent désormais, voire dépassent avec ce film les anciens champions de l'animation Dream Works, Pixart et Disney ! A voir l'accueil incroyable que le public bordelais (et italien, car il y avait des vénitiens et des milanais parmi le public) a fait au film dans la salle comble de l'Utopia et les applaudissements spontanés et très nourris, personne ne pouvait en douter.


Déjà la présentation du film encore inachevé au festival d'Annecy en juin de l'année dernière, puis au festival de Cannes de cette année, avait montré l'enthousiasme du public et des critiques (cf l'article de Guillemette Odicino paru dans Télérama le 15/06/2018: ICI). La critique ne s'y est pas trompée qui a vraiment apprécié le film. Partout de superbes commentaires comme celle du journal Le Monde, qui résume bien le travail obtenu par l'équipe de Lorenzo Mattoti, après une gestation de cinq longues années  :  
« Ce qui frappe d’emblée, à la découverte du film, c’est la haute ambition d’un travail d’animation qui ne se contente pas ici d’illustrer une histoire, mais invente un univers unique, joue avec les formes et les couleurs, enchante le regard à chaque instant. »

La sortie nationale est prévue le mercredi 9 octobre en France, dans les deux versions l’originale française et la version doublée en italien, puis le mois d'après en Italie et le reste du monde.  Mais on ne devrait pas parler de doublage tant les studios Prima Linea ont fait un extraordinaire travail sur les labiales. On oublie combien il est important de produire un son qui colle parfaitement au mouvement des lèvres. L'art du sous-titre est déjà quelque chose de très complexe, avec ses règles spécifiques, mais faire en sorte qu'un film soit aussi bon, qu'il semble aussi naturel, dans deux langues différentes, c'est du grand art. Ainsi, bien que réalisé entièrement dans des studios français avec des professionnels de l'hexagone (à Angoulême plus précisément, la capitale de la BD), le film français dans ce qui est officiellement la version originale, est tout autant italien. C'est bien sûr une évidence, parce que l'auteur du roman est un des plus grands écrivains de la péninsule, le réalisateur un des dessinateurs les plus inventifs et les plus en vue en Italie, l'histoire qui se situe dans une Sicile imaginaire où se mêlent des relents de Venise et d'ailleurs. Mais il ne l'est pas seulement pour cela. Ses créateurs en travaillant particulièrement sur le doublage italien (et les sous-titres français de celui-ci), ont obtenu un résultat formidable. Incroyable : Une  double version originale, française ET italienne. Le bonheur quand on est soi-même une version originale binationale, de ceux qui sont plusieurs à la fois sans l'avoir choisi mais qui en sont et s'en trouvent plus riches ! 

Mais revenons au doublage.  Le film était présenté à Bordeaux en italien. Parmi les voix choisies, toutes très belles, entendre le personnage du vieil ours s'exprimer avec la belle voix du grand Andrea Camilleri, disparu en juillet dernier, apportait une belle émotion. C'est Jean-Claude Carrière qui le remplace dans la version originale. L'idée de ce passage naturel d'une langue à l'autre est très réjouissant d'un point de vue sentimental. C'est Babel à l'envers, ours et humains parlent deux langues et par la magie de la technique le film est tout autant français qu'italien, n'est-ce pas une belle métaphore de que devraient être les relations entre des peuples frères, à travers l'art ; ne plus avoir à penser à "eux" comme différents, étrangers - aliens comme disent les britanniques - mais plutôt penser à un "nous" éclatant de chaleur et de joie, de chaque côté de la frontière, pour faire mentir et pâlir de confusion les xénophobes de tout poil. Ce film sur les ours n'est pas un simple dessin animé de qualité. Non seulement il démontre combien la passion et l'enthousiasme des hommes permet de grandes choses, mais à sa manière, il contribue à rappeler que l'on peut tout attendre de l'autre quelque soient nos différences, que ce que nous sommes les uns et les autres, peut devenir un merveilleux complément pour construire ensemble... Passer du français à l'italien est un joli symbole. Bref, le film est un bel exemple des liens naturels de cœur et d'esprit qui unissent nos deux peuples. Un hymne à la paix et à l'amour qu'il vous faut vite aller applaudir entre adultes ou en famille. La plupart des salles proposeront les deux versions.

(*) :  Venise. Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire
publié par Robert Laffont, Collection Bouquins. 2016. ISBN : 978-2221128749

25 août 2019

Il Paradiso dei Calzini

Vinicio Capossela est un chanteur-compositeur italien débordant d'amour et de poésie, membre de ce Club Tenco du nom de Luigi Tenco un autre chanteur-compositeur de grand talent mort trop jeune dans une Italie en proie à ses démons. Il a composé cette chanson très belle, mélange de comptine innocente et de chanson d'amour pleine de mélancolie. Il paradiso dei calzini nous fait  réfléchir avec humour à ce que deviennent les chaussettes quand elles se perdent, s'égarent entre la panière de linge sale et le tambour de la machine à laver...
 


Dove vanno a finire i calzini
quando perdono i loro vicini
dove vanno a finire beati
i perduti con quelli spaiati
quelli a righe mischiati con quelli a pois
dove vanno nessuno lo sa


Dove va chi rimane smarrito
in un'alba d'albergo scordato
chi è restato impigliato in un letto
chi ha trovato richiuso il cassetto
chi si butta alla cieca nel mucchio della biancheria
dove va chi ha smarrito la via
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano tutti vicini
nel paradiso dei calzini
Chi non ha mai trovato il compagno
fabbricato soltanto nel sogno
chi si è lasciato cadere sul fondo
chi non ha mai trovato il ritorno
chi ha inseguito testardo un rattoppo
chi si è fatto trovare sul fatto
chi ha abusato di Napisan o di cloritina
chi si è sfatto con la candeggina
Nel paradiso dei calzini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
Dove è andato a finire il tuo amore
quando si è perso lontano dal mio
dove è andato a finire nessuno lo sa
ma di certo si troverà là
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano uniti e vicini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
non c'è pena se non sei con me

07 août 2019

(S)comparse : une" venezianità" d'Alberto Rossi

En écho à un billet (ICI) retrouvé - qui fut publié en mai 2007 et avalé avec l'ancien Tramezzinimag en juillet 2015 - dont la vidéo n'est plus lisible en ligne (*), je viens de recevoir cette vidéo que je suis ravi de partager avec mes lecteurs :


  
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(*) Le site Kewego après avoir été racheté par Picksel a été fermé bien entendu, puisqu'il proposait un visionnage gratuit et sans publicité donc ne rapportant pas d'argent...Vous voyez de quoi je veux parler, cet insupportable état d'esprit, la débectante mentalité du tout profit/tout pognon qui s'est emparée des mentalités depuis quelques années - les années de la Finance reine et tyran ! Laissez-nous crier, tant que cela est possible sans risquer la prison ou la torture : Mort aux Tyrans ! (Un jeune ici publierait une série de smileys et de hashtags !).

08 juillet 2019

Cette fois encore, on n'est pas passé loin de la catastrophe !


Comment rester poli et mesuré devant les images publiées il y a quelques heures et qui montrent un de ces monstres marins qu'on persiste à appeler paquebots mais qui ne sont que des HLM de pseudo-luxes pour gogos incultes qui viennent "faire" Venise comme on fait caca, se répandent pour quelques heures dans la ville comme une diarrhée immonde et repartent sans avoir rien compris de la Sérénissime, sans même avoir contribué à l'économie locale puisque, hormis quelques fanfreluches fabriquées en Chine et une canette de Coca et des graines de maïs transgéniques pour nourrir les pigeons de San Marco sans comprendre pourquoi c'est interdit... 

Bref, avec le mauvais temps, un véritable déluge ce dimanche sur la lagune, et en dépit des trois remorqueurs, un monstre marin a littéralement frôlé la rive des Esclavons et des Sette Martiri, menaçant d'écraser un bateau et de démolir les quais de pierre. La tempête faisait rage, autre preuve de là où notre monde en est arrivé, toujours pour les mêmes raisons : l'appât du gain, le fric, le pèze, l'oseille et le pouvoir qui va avec. Le croisiériste Costa a de la chance. Il n'y a pas encore de morts, mais cela va venir et très vite. Pas besoin d'être devin, il suffit d'une mauvaise conjonction, non pas des astres, mais de la météo, des marées et du vent, de l'âge du capitaine et de l'humeur des vénitiens aussi. Car, se lèveront un jour des gens désespérés, déterminés qui s'en prendront aux passagers, aux marins sous-payés, aux vigiles, bref à tous et à n'importe qui. La violence se déchaînera. 

Ou bien, plus logiquement et mathématiquement plus plausible, une autre erreur de pilotage, un écran mal lu par un marin distrait, et ce sera le choc, le navire horrible, building de tôle et de verre plus haut que les palais qu'il nargue, avancera lentement vers la piazzetta, l'étrave pareille à des ciseaux, découpera le quai, les dalles de pierre et de marbre comme si elles étaient de papier, les colonnes s'écrouleront sur le pont du navire, la foule des croisiéristes, affolée hurlera sous la violence du choc, les débris de verre et les monceaux de pierres vénérables. La statue de San Todoro explosera au milieu de la salle à manger du navire, tuant des centaines de pauvres abrutis qui ne comprenaient pas l'hostilité des vénitiens quand ils passèrent devant le palais des doges. Les flots libérés pénètreront sur la piazzetta et une vague gigantesque ira se jeter contre les arcades de la Piazza, emportant tout sur leur passage, tables et chaises, touristes surpris par le raz de marée, les échafaudages s'écrouleront, la tour de l'horloge s'effondrera comme une partie de la basilique... Peut-être qu'à ce moment-là, devant les images des journaux télévisés de toute la planète, repris sur tous les médias sociaux instantanément, le monde s’émouvra de la situation et que les responsables politiques réagiront. 

Mais il sera trop tard. La Sérénissime aura reçu un coup fatal. Si l'accident reste isolé, si le temps n'est pas trop mauvais, elle sera peut être sauvée et pansera ses blessures, pleurera ses milliers de morts et se refera une beauté encore plus artificielle. Et l'exode des vénitiens reprendra de plus belle. Les touristes hésiteront à revenir, et le changement climatique achèvera de faire mourir la lagune sans laquelle la cité des doges ne saurait survivre. Les politiques à Rome et les affairistes de partout, flairant le filon, lèveront des fonds et détourneront une fois encore des milliards de dollars qui n'arriveront jamais jusqu'aux organisations qui œuvrent vraiment pour la Sauvegarde de Venise. Il ne parviendront à rien qu'à des malversations supplémentaires comme ils en ont l'habitude, mais un gigantesque complexe d'attraction verra enfin le jour face à la ville meurtrie. 

Disneyland nouveau genre qui attirera les gogos du monde entier acheminés à prix d'or... par maxi navi évidemment, et qui débarqueront au milieu d'une foule de déshérités et de migrants malades que l'Imperator Salvini aura abandonné à leur sort dans des îles abandonnées par les ultimes vénitiens, sans qu'aucun des multi-milliardaires qui tirent les ficelles du G20 ne se sentent en rien concernés ni le moins du monde responsables...  

Ironie et sourire (jaune). Colère surtout ! Qu'attendez-vous, Ragazzi, pour réagir avec détermination, force et violence s'il le faut et reprendre la destinée de la Sérénissime entre vos mains !


02 décembre 2018

Carnevale 1729, un concert à Venise est un émission présentée par Donna Leon, diffusée par ARTE le 18 novembre dernier  et qui est disponible sur le site de la chaîne jusqu'au 24 mai 2019. L'occasion pour Tramezzinimag de proposer à ses lecteurs une promenade dans la Venise de cette année 1729...

Un jour de février 1729 à Venise. 
Alvise III, troisième du nom et sixième issu de la famille Mocenigo, ancien chef de guerre, est doge depuis sept ans. Son règne est paisible et  pacifique. La République est en déclin, l'économie n'est pas très florissante mais elle demeure un lieu admiré, un état craint et respecté. Buonaparte et la révolution française n'ont pas encore été inventés ! Le doge fait paver la Piazza, rénove de nombreux bâtiments. On lui doit la piazzetta qui garde encore l'aspect qu'elle avait dès sa réorganisation en 1722 avec les deux superbes lions de marbre rouge de Cotanello réalisés par Bonazza, que Mocenigo offrit - payé de ses deniers - à la Sérénissime. 

C'est le début de la soirée. Un jeune homme de belle apparence sort du Sturion. La taverne est déjà pleine de monde. Des commerçants et des artisans pour la plupart. C'est l'une des osterie le plus à la mode de la ville, à deux pas du Rialto. L'une des plus anciennes aussi. Le jeune homme se nomme Ludovico Ughi. Il est heureux. Le Sénat vient de lui octroyer une somme rondelette pour son plan détaillé de la ville, qu'il a présenté le matin même au Palais. Venise est resplendissante. C'est le temps du carnaval, et la République s'apprête à sortir ses plus beaux atours. La Ruga di Ca Vidal est presque vide. Ughi devise joyeusement avec son ami Alvise Valvasense. Ils se connaissent depuis l'enfance. C'est grâce à lui que Ludovico a pu faire imprimer sa carte à San Giuliano, chez le plus grand graveur de la République, Giuseppe Baroni, fondateur et administrateur de la Guilde des graveurs. Le maître a accepté d'imprimer le plan dans des délais incroyables et ce matin, ils étaient tous chez le doge qui les félicita et passa commande. Joie et fortune pour Ludovico qui vient de fêter la commande avec plusieurs pichets de vin de Malvoisie. L'atmosphère est joyeuse aussi dans les rues avoisinantes. Carnaval s'immisce déjà dans les esprits, il délie les pensées les plus moroses et allègent les esprits chagrins. Pendant plusieurs semaines, les masques vont se répandre partout. Bien que tout soit en train de vaciller et que bientôt le vieux monde s'écroulera, personne encore ici ne s'en préoccupe... 


Au diable la montée des prix et les taxes qui flamboient, on ne pense qu'aux spectacles qui vont se succéder pendant les prochains mois, jusqu'au début de l'été. Le programme en cette année 1729 est impressionnant. Grandes fêtes, concerts et surtout des opéras. Ils ne seront pas moins de sept cette année. Du jamais vu et que des grands noms. Metastase en a écrit plusieurs dont des inédits et c'est la star du moment, le jeune et tonitruant Farinelli qui en sera la vedette. Le castrat déjà célèbre restera plusieurs semaines à Venise. La saison lyrique promet d'être exceptionnelle avec notamment la création de sept opéras et les débuts du célèbre castrat Farinelli. Pour fêter sa commande, Ludovico a prévu de se rendre au théâtre Grimani, à San Giovanni Crisostomo, qui deviendra plus tard le Malibran. Les jeunes gens discutent gaiment en chemin. Les filles et les garçons sont beaux, quelques masques les abordent, les rues embaument déjà. Au détour de la rue qui mène au campiello où il vit, Ludovico croise un groupe de gens pressés, il est soudain entouré d'une douce odeur, un mélange délicat de rose et de muguet. Un petit groupe de gens élégants et masqué bavarde devant l'entrée de la Corte del Leone Bianco, sorte d'antichambre all'aperto de l'auberge la plus courue de Venise, Il Leone Bianco, aménagé depuis des années Ca'da Mosto. Parmi eux, un jeune homme, assez grand et très distingué. Il émane de lui une odeur de violette musquée. A côté de lui se tient, petit et grassouillet, Adalberto, le régisseur du théâtre qui sert aussi de chambellan et de guide auprès des artistes invités. Il connait bien Ludovico et son ami  Alvise. Depuis l'école. Il fait les présentations. 
 
Portrait de Farinelli
Le jeune monsieur distingué n'est autre que Carlo Broschi dit Il Faranelli, la vedette du moment ; à peine âgé de 24 ans, le chanteur dont tout le monde parle et qui fait se pâmer les dames comme les messieurs dans toute l'Italie, du royaume de Naples aux Etats pontificaux, de Toscane au Comté de Nice, est sans aucune équivoque, le meilleur chanteur de son époque ; celui dont tout le monde parle. 

Il est là, en face de Ludovico et de ses amis. D'abord interdits, les jeunes gens se plient rapidement en deux, dans un salut comique que n'aurait pas désavoué Arlequin. Farinelli est très aimable. Il semble ne voir aucune moquerie dans cette attitude et répond aux salutations par une courbette aussi profonde. Tous éclatent de rire en même temps. La glace est rompue. Le chanteur partait souper chez son protecteur à Venise.  Qu'à cela ne tienne, tout le monde est invité à suivre le célèbre castrat. Et le lendemain, tous se retrouvèrent pour assister à la première de l'opéra Catone in Utica sur un livret de Métastase et une musique du compositeur Leonardo Leo ( diminituf de Lionardo Oronzo Salvatore de Leo ) dans lequel Carlo Broschi interprète Arbace. Ludovico et Farinelli resteront amis tout au long de leur vie. Il y a quelque part dans le monde un exemplaire du plan de Ludovico Ughi, dont le titre exact est "Iconografica Rappresentazione della Inclita Città di Venezia Consacrata al Reggio Serenissimo Dominio Veneto", qui porte le nom de Carlo Broschi detto Il Farinelli écrit en forme de dédicace par l'auteur Ludovico Ughi. Cette carte, assez rare à trouver, se négocie aujourd'hui - en dépit de l'écroulement du marché des antiquités et des livres et papiers anciens, jamais moins de 1.500 euros. Gageons que l'exemplaire ayant appartenu à Farinelli, s'il existe encore, vaudrait 100 fois plus ! Mais ne nous arrêtons pas à ce genre de considérations bassement matérielles !


Carnevale 1729, un concert à Venise.
Dans l'écrin du très rococo palazzo Zenobio, longtemps collège arménien, Dans un concert privé donné au palais Zenobio, la mezzo-soprano Ann Hallenberg, accompagnée par l’orchestre Il Pomo d’Oro, dirigé par Zefira Valova, interprète les plus grands succès lyriques de cette année éblouissante. Au début du XVIIIe siècle, le carnaval de Venise rayonne bien au-delà de la lagune. Dissimulés derrière des masques, les Vénitiens et des voyageurs venus de toute l'Europe festoient, dansent, écoutent de la musique. La saison 1729 est exceptionnelle avec notamment la création de sept opéras et les débuts du célèbre castrat Farinelli. Une page d'histoire mémorable racontée aussi, entre deux pauses d'archets, par la romancière Donna Leon, qui a fait de la cité des Doges le cadre de ses enquêtes policières. 
Pour visionner la vidéo sur ARTE : c'est ICI.

20 juin 2018

Nous ne serons jamais seuls !

Une fois n'est pas coutume, un son d'aujourd'hui destiné aux jeunes filles en fleur et aux jeunes garçons en ébullition qui seront demain à notre place, diffusé sur TraMeZziniMag. Ceux qui entendent l'anglais comprendront vite : Never be alone, n'être jamais seul... C'est ce que proclame Shawn Mendes, ce jeune chanteur canadien bourré de talent. Des paroles découvertes au moment où je rédigeais l'appel que nous venons de publier, préambule au lancement effectif, matériel, palpable de ce projet éditorial médité depuis 2010 et, timidement, initié avec la publication de Venise, l'hiver et l'été, de près et de loin... Pas de hasard, ce " tu ne seras jamais seul" : on a beau le savoir, cela fait du bien de l'entendre à la radio au moment où on décide de sortir de sa zone de confort pour démarrer, vraiment, une nouvelle aventure. Se savoir porté, sentir avec plus ou moins d'acuité, que c'est la bonne voie, le bon choix et se jeter à l'eau, parce qu'on ne sera pas seul dans l'aventure. C'est réjouissant et très encourageant. D'avance, à tous, merci !

16 juin 2018

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 37) : "Those People", un film de Joey Kunh

Dans notre panthéon cinéphilique, New York, c'est un peu le pendant de Venise : un lieu unique, magique, formidable que des réalisateurs doués ont souvent doté d'une force telle que de simples décors ils deviennent protagonistes du film à égalité avec les protagonistes qu'on verrait différemment s'ils évoluaient dans une ville quelconque du reste du monde. C'est la raison de ce Coups de Cœur spécial de Tramezzinimag.

Le cinéma new-yorkais ou plutôt le cinéma dont l'inspiration, le thème, le décor ont à voir avec la magique ville qui ne dort jamais, ont toujours quelque chose en plus. On sait dès les premières images que l'on sera transporté avec plus ou moins de bonheur dans un univers intellectuellement riche et différent de tous les autres. San Francisco mis à part, la plupart des films situés à New York présentent un petit plus (ou un grand) qui les rend uniques et rarement ratés !  

Ceci posé, on ne rentre pas dans Those People comme dans un mélodrame franchouillard ou une comédie californienne. Woody Allen est passé par là, et tant d'autres réalisateurs new-yorkais avec lui. On peut se laisser porter par l'ambiance qui se répand dès la première image - et les premiers sons - par la photographie, les décors et ne suivre les protagonistes que parce qu'ils sont jeunes, riches, beaux, doués, sensibles... Mais ce serait faire injure à l'écriture de Joey Kunh et au jeu incroyablement vivant et sensible des acteurs. De tous les acteurs. 

On peut aussi ne considérer ce film que comme un film LGBT. On n'est pas (hélas, hélas, hélas) encore guéri de cette pensée petite-bourgeoise racornie et étroite qui fait analyser, comprendre et critiquer un film en raison de l'identité sexuelle des personnages. Mais combien on s'en tape ! Ce qui compte, et c'est universel, c'est ce qui se passe dans le cœur et le mental des protagoniste. Et avec Those People, il se passe des choses très belles, très dures qui vont changer, sur quelques mois, définitivement, la vie et le devenir de Charlie, Sebastian, Tim, London, Ursula etc. C'est finement amené, ce cheminement fait, comme pour tout un chacun, de moments de grandes joies, d'extases mais aussi de larmes, de déceptions, d'erreurs ; d'échecs et de réussites. L'histoire de Charles et Sebastian est une histoire de Coming of Age, et le sujet n'est pas leur homosexualité. C'est leur difficulté à franchir ce passage douloureux qu'on ne franchit qu'une fois et qui peut influer sur tout le reste de notre vie si on ne le réussit pas ou pas totalement. 

C'est douloureux, dangereux, pénible mais c'est un passage obligé, un guet qu'il faut franchir et la meilleure sauvegarde en l'assumant, c'est de s'y jeter à corps perdus. Ce que font tous les personnages du film, chacun à son rythme, chacun à sa manière. Aucun perdant dans ce film, si ce n'est le père mis face à sa réalité, qu'avec une incroyable violence Sebastian, son fils, le force à accepter ( il faut une morale et l'immoraliste ne saurait traverser le film en toute impunité) afin de s'en libérer et s'en désolidariser. Sebastian va montrer sa véritable nature et l'attachement qu'il porte à Charlie. Charlie va oser aimer d'amour Tim plus âgé, qui remplace inconsciemment ce père qui l'a abandonné, Tim va protéger et aimer Charlie, les personnages secondaires vont recevoir aussi leur part et tirer de tous les évènements qui traversent le film des éléments pour se mieux connaître... Bref Those People, avec des grands moments d'humour (juif New-yorkais or course !), est un film émouvant, drôle et romantique à voir et à revoir. 

Dans mon panthéon personnel, il rejoint des films aussi différents que Annie Hall et Manhattan de Woody Allen, You Got Mail avec Meg Ryan et Tom Hanks, Brooklyn Boogie et Smoke de Paul Auster et Wayne Chang... Du cinéma qui lubrifie les neurones, fait sourire et pleurer. Un cinéma plein de maîtrise qui nous rend heureux, ouverts et un peu meilleurs.

(Critique de Lorenzo Cittone publiée dans Sens Critique. 16/06/2018)

24 février 2018

Un adagio pour accompagner la douce lenteur d'un dimanche...

Je ne sais pas vous, mais sauf à de rares occasions, fêtes carillonnées ou retrouvailles familiales, le dimanche reste toujours pour moi un moment privilégié, une pause dans un quotidien dont le rythme ne nous appartient pas toujours. L'Ancien Testament nous rappelle que Dieu, satisfait - et fatigué - par sa Création, se reposa la septième jour. Avec un pareil exemple, comment oser courir, s'exciter, s'éparpiller ce jour-là aussi ? Le jour du Seigneur, quelle jolie formule. Le dimanche est bien un jour spécial. 

Même sans plus aucune obligation professionnelle, sans les contraintes de temps et de résultats d'avant, il m'aura fallu des années pour oublier cette sensation terrible du dimanche soir, ce frisson de dépit et de tristesse à l'idée de devoir reprendre le collier dès le jour suivant. Tous ceux que la retraite - mais non le retrait - a délivré d'un quotidien d'obligations ont savouré ce moment où, enfin, chaque jour pouvait être comme un dimanche. la liberté totale. La disponibilité d'une page blanche... Bref, le dimanche, le vrai, celui qui arrive après le samedi, son antichambre animée, s'impose comme le plus joli jour de la semaine. Je souhaite à tous la douce torpeur qui me prend le dimanche et que j'entretiens avec gourmandise. Une sorte de ralenti sur image, une méditation continue où tout prend une ampleur nouvelle : les cloches qui appellent les fidèles, les oiseaux qui s'égayent dans les tilleuls sous mes fenêtres, le parfum des fleurs sur la table du salon, le chat qui ouvre un œil et s'étire en soupirant... 

Tout prend une autre saveur. Le petit-déjeuner apprêté, petits plats dans les grands - prendre le temps -, les fenêtres grandes ouvertes si le temps le permet, un bon livre entre les mains. le thé fumant... A tout cela, il faut une musique ample et sereine, puissante et harmonieuse. L'adagio pour hautbois, violoncelle et orgue de Domenico Zipoli, pièce composée pour l'offertoire et l'élévation de la messe, traduit à la perfection ce que je parviens bien mal à décrire avec les mots. Si vous l'entendez pour la première fois, un conseil : fermez les yeux, laissez pénétrer les harmonies et vous sentirez votre respiration se caler peu à peu sur le rythme pur et tranquille de la musique. Un morceau de paradis.
Ce prêtre toscan ne le fut jamais en réalité. Il mourut très jeune, loin de l'Italie, n'ayant pu être ordonné faute d'un évêque dans le diocèse. Au vu de ses talents musicaux, le maître de Chapelle du duc de Florence auprès de qui il étudiait la musique, l’envoya à Naples où il se perfectionna avec Alessandro Scarlatti. Il poursuivit sa formation à Rome en 1709  avec Bernardo Pasquini. Son talent et sa jeune renommée lui permirent de devenir et il devint maître de Chapelle du Gesú. C'est apparemment en fréquentant la communauté des jésuites qu'il décida d'entrer en religion. 


Il composa pendant ces années romaines plusieurs œuvres très appréciées. Ainsi en 1712 on joua ses Vespri e Mesa per la festa di San Carlo, et l’année suivante son Oratoire Sant’Antonio di Padova. Puis en 1714, l’Oratoire Santa Caterina, Vergine e Mártire fut acclamé. Sa renommée prenait une ampleur telle qu'on venait l'écouter de toute l'Italie. . Son destin de musicien semble tracé. Pourtant, il en avait décidé de prendre une autre voie en suivant la formaztion théologique auprès de la Compagnie de Jésus. Ainsi quelques mois après la parution en 1716 de ses Sonate d’intavolatura per organo e cimbalo, Domenico Zipoli, âgé seulement de 27 ans par pour Séville où il entre au noviciat de la Compagnie, le 1er juillet.  Répondant à son souhait, le Provincial envoie le jeune novice dans les colonies espagnoles d'Amérique du sud. Un an plus tard, le 13 juillet 1717, il débarque à Buenos Aires en compagnie de 54 jésuites, parmi lesquels se trouve l’historien Pedro Lozano 

En 1724, sa formation religieuse terminée au séminaire de Cordobà, il aurait dû être ordonné prêtre mais aucun évêque n'étant alors disponible, il fut nommé maître de chapelle, chef de chœur et organiste de la cathédrale.  Il continua de composer et très rapidement, ses œuvres furent célèbres dans toutes les Réductions des territoires espagnols, au Paraguay et au Pérou. Atteint de tuberculose, il mourut près de Cordobà, au monastère de Santa Caterina, le 2 janvier 1726, à l'âge de 37 ans.
Son œuvre lui a survécu et demeure l'une des plus belles du genre parmi toutes les compositions nées dans les Amériques espagnoles d'alors. Le baroque d'outre-atlantique reste assez méconnu mais recèle de véritables trésors. Les jésuites, jusqu'à leur Expulsion, bâtirent en même temps que de magnifiques églises, des orgues et des instruments de musique, des écoles de musique s'ouvrirent dans de nombreuses villes, des enfants furent formés au chant, partout des chœurs animaient les offices et illustraient les nombreuses fêtes et processions. Aujourd'hui encore, la musique de Zipoli est souvent interprétée comme cet adagio qu'on joue autant pour les mariages que pour les obsèques partout en Amérique du sud. Son ampleur et sa sérénité en font un outil de méditation qui émeut et nourrit.


L'universitaire et musicienne Evangelina Burchard, spécialiste de la musique des jésuites a consacré au musicien toscan un article publié en 2013. Dans lequel elle explique :

[...] Son œuvre musicale américaine eut un grand retentissement et une très forte reconnaissance dans les réductions, comme le raconte Lozano, où « des heures avant que ne joue Zipoli, l’église de la Compagnie se remplissait, tous désireux d’écouter ces harmonies aussi nouvelles que supérieures ». Comme le confirme également le Père Peramás dans son livre publié en 1793 « De vita et moribus » (se trouvant en Italie suite à l’expulsion des jésuites), « certains prêtres excellents dans l’art de la musique étaient venus d’Europe, enseignèrent aux indiens des villages à chanter et à jouer des instruments. Mais personne ne fut plus illustre ni prolifique que Dominque Zipoli, autre musicien romain, dont la parfaite harmonie des plus douces et des plus travaillées pouvait s’imposer. Les vêpres qui duraient toute l’après-midi étaient particulièrement exquises. Il composait différentes œuvres pour le temple, qu’on lui demandait par courrier jusqu’à la ville même de Lima »…

Dans une lettre du père Jaime Olivier datée de 1767 (année de l’expulsion) on lit : « Tous les villages ont leur musique complète d’au moins 30 musiciens. Les sopranos son très bons, en effet ils sont choisis parmi les meilleurs voix de tout le village, les faisant participer depuis leur plus jeune âge à l’école de musique. Leurs maîtres travaillent avec une grande rigueur et attention, et méritent réellement le titre de maître ; en effet ils connaissent la musique avec perfection et la composent parfaitement ; bien qu’ils n’en aient pas besoin puisqu’ils possèdent des compositions parmi les meilleurs d’Italie et d’Allemagne, mais également des œuvres du frère Zipoli…

Les instruments sont excellents ; il y des orgues, des clavecins, des harpes, des trompes marines et trompes de chasse, beaucoup d’excellents clairons, violons, contrebasses, bassons et chimirias. Dans toutes les fêtes, il y avait dans l’après-midi des avant-vêpres solennelles avec toute la musique divisée en deux chœurs ». L’influence de Zipoli ne se limite pas seulement à Córdoba. Le vice roi du Perou sollicita depuis Lima ses compositions.
En 1959, le musicologue Robert Stevenson trouva une Messe en Fa pour chœur à trois voix, deux violons, orgue et orgue continue de Zipoli dans les Archives Capitulaire de la ville de Sucre en Bolivie. Un autre travail, publié en 1994 par le Docteur Piort Nawrot, présenta une compilation de Musique de Vêpres de Domingo Zipoli et autres maîtres jésuites anonymes correspondant aux Archives épiscopales de Concepción de Chiquitos, Santa Cruz (Bolivie). De même, Nawrot réalisa d’autres travaux de recompilation comme la Messe des Apôtres de Zipoli.

Sa musique fit de nombreux et fervents admirateurs de son vivant comme après sa mort.

21 février 2018

Projection publique : The Venetian Dilemma

Réalisé en 2004, un documentaire présentait au monde une image inédite de Venise face à un tourisme de masse dont la croissance exponentielle n'échappait déjà à personne. Il y avait les gens avisés qui mettaient face à face la diminution de plus en plus rapide de la population vivant dans le centre historique et les affairistes au pouvoir qui prétendaient moderniser la ville pour la redynamiser et la faire entrer dans le monde de demain. 

C'est l'époque où on parlait d'un métro souterrain pour permettre une liaison entre l'aéroport et l'Arsenal en 7 minutes, mettant Venise à 80 minutes de Paris par exemple. Les élus qui se frottaient d'avance les mains parlaient de 5.000 créations d'emploi dans des secteurs de pointe. L'époque où la municipalité, alors propriétaire des 2/3 du parc immobilier du centre historique, s'empressait, quand des locataires âgés quittaient leur logement, de faire briser à coup de masse les tuyauteries et les installations sanitaires pour éviter que ces appartements soient occupés. C'est l'époque où commencèrent les autorisations de transfert d'usage des bâtiments historiques, l'époque où de nombreux propriétaires cédèrent à prix d'or leur demeure familiale pour en faire des hôtels. où partout fleurissaient des échafaudages. Partout on rénovait, nettoyait, aménageait mais tous ces bâtiments restaient vides quand des centaines de famille réclamaient un logement décent pour continuer à vivre chez eux. C'est l'époque où les commerces de proximité, boulangeries, épiceries, boucheries, se transformaient les uns après les autres en bars et en restaurants, puis en commerce de masques, rarement tenus par leurs propriétaires. Pourtant les chinois et les bengalis n'étaient pas encore là... 



"Mais qui se nourrit de masque ?" disait avec humour un artisan citant Paolini... Les équipes municipales qui se succédèrent des années 80 à ces années-là eurent toutes la même vision à court terme : faire rentrer de l'argent, développer des projets grandioses pour alimenter les caisses de leurs partis quand il ne s'agissait pas simplement de se remplir les poches. Des voix s'élevaient déjà un peu partout, pleines de bon sens et argumentées qui ont pris de l'ampleur depuis. Tout ce qui se disait devant la caméra de Carole et Richard Rifkind s'est avéré vrai. Mis à part la metropolitana à laquelle nous avons échappé jusqu'ici (mais comme le dit avec un sourire diabolique Roberto d'Agostino, son plus ardent défenseur dans le film "cela se fera un jour inévitablement"). 

Il est difficile de comprendre cet acharnement qui se développe depuis les années 07 partout dans le monde pour détruire, bousculer, modifier au nom d'un mirifique sens du progrès qui serait porteur de tous les bonheurs à venir. Pourquoi l'homme moderne cherche-t-il désormais à tout détruire ? Est-ce inconsciemment pour éviter d'attendre que la nature elle-même se lance dans un grand nettoyage final et définitif ? A la base de toutes ces inepties sur le progrès et la croissance, il y a un seul mot : le profit. Qu'importent les conséquences, il faut à tout prix s'enrichir et tant pis si cela conduit à la destruction de la nature, à l'exil de milliers de gens, à la disparition d'un monde légué par nos anciens qu'ils savaient gérer avec sagesse. 

On l'entend aussi dans le film : Venise n'est pas une ville comme les autres. Construite sur l'eau, avec l'eau, elle impose un rythme urbain totalement différent du rythme des autres villes modernes. On ne peut y intégrer la notion de vitesse car la vitesse désagrège la ville avec le moto ondoso qu'on commençait à pénaliser. Les jeunes parents luttaient pour la création de crèches et de garderie, les commerçants luttaient pour conserver leurs stands sur les campi et éviter qu'ils ne soient transformés en stands de fast food pour touristes.


Le film, qui se contente de montrer sans aucun commentaire, mais visiblement avec une grande empathie pour les vénitiens et pour la ville, s'il éveille la conscience du spectateur et l'aide à se ranger du côté des habitants, se termine sur une note d'espoir. On assiste même, et c'est un bien joli symbole, à la naissance - par césarienne - d'un petit vénitien... Et puis, comme souvent à Venise, tout finit à l'heure du spritz avec une chanson reprise à la cantonade :  
Tutto è cambiato ormai,
Venezia no, Venezia no non cambia mai.  
Cambiano le città, Venezia no,
Venezia no non cambierà...