En revenant de Venise la dernière fois, j'ai eu l'agréable surprise, en me promenant parmi les rayons de la librairie Mollat, de découvrir un joli petit livre exposé sur une table, éclairé par un rayon de soleil très joueur. Petit, peu épais, énième rejeton de l'illustre collection blanche de la Maison Gallimard, revêtu d'une jolie robe polychrome, représentant cette fresque de Tiepolo récemment restaurée et de nouveau très fraîche, qu'on peut admirer à la Ca'Rezzonico. Il s'agit du dernier roman de Philippe Delerm, "La bulle de Tiepolo". Joli cadeau pour un retour en douceur à la vie quotidienne.
Non pas que ma vie à Venise soit hors du quotidien. A part le fait d'être en chair et en os, et non plus seulement par la pensée, dans l'un des plus beaux lieux du monde, mes séjours dans la lagune sont certes autant de petits bonheurs retrouvés, mais j'y vis comme ailleurs. Le quotidien y prend seulement une autre couleur. Celle des reflets sur l'eau des canaux, des murs peints, des ciels si changeants et tellement beaux... Mais d'autres savent mieux que moi parler de tout cela.
De quoi s'agit-il donc dans ce petit livre inspiré ? Deux personnages que tout oppose – un critique d'art, la cinquantaine, qui vient de perdre sa femme et sa fille dans un accident, et une jeune romancière italienne qui connaît un succès inattendu avec un petit livre consacré à Venise – se disputent un tableau déniché dans une brocante parisienne : lui parce que le style évoque Vuillard, elle parce qu’il porte la signature de son grand-père.
Après cette rencontre inattendue, ils vont partir ensemble pour Venise, où le critique doit étudier une version peu connue d’un tableau de Tiepolo, "Le Nouveau Monde", conservé dans une villa palladienne.
Ce tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations : ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus précieux de la vie, ceux qu'il sont en train de vivre, ensemble...
Non pas que ma vie à Venise soit hors du quotidien. A part le fait d'être en chair et en os, et non plus seulement par la pensée, dans l'un des plus beaux lieux du monde, mes séjours dans la lagune sont certes autant de petits bonheurs retrouvés, mais j'y vis comme ailleurs. Le quotidien y prend seulement une autre couleur. Celle des reflets sur l'eau des canaux, des murs peints, des ciels si changeants et tellement beaux... Mais d'autres savent mieux que moi parler de tout cela.
De quoi s'agit-il donc dans ce petit livre inspiré ? Deux personnages que tout oppose – un critique d'art, la cinquantaine, qui vient de perdre sa femme et sa fille dans un accident, et une jeune romancière italienne qui connaît un succès inattendu avec un petit livre consacré à Venise – se disputent un tableau déniché dans une brocante parisienne : lui parce que le style évoque Vuillard, elle parce qu’il porte la signature de son grand-père.
Après cette rencontre inattendue, ils vont partir ensemble pour Venise, où le critique doit étudier une version peu connue d’un tableau de Tiepolo, "Le Nouveau Monde", conservé dans une villa palladienne.
Ce tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations : ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus précieux de la vie, ceux qu'il sont en train de vivre, ensemble...
Lorsqu'on visite la Ca'Rezzonico, après les salles gigantesques au mobilier imposant, les damas de soie sur les murs, les plafonds peints et sculptés, c'est un plaisir que de se retrouver dans de longs corridors aux tons pastels, donnant sur de jolies petites pièces très intimes couvertes de stuc rose, vert ou bleu ciel. C'est là, dans un parfum d'huile de lin et de cire d'abeille, que sont installées les fresques de Tiepolo. Souvent la lumière, dansant sur les miettes de marbre poli qu'on appelle ici le terrazzo, donne à ces salles un délicieux air de maison de famille. J'ai ressenti la même atmosphère un après-midi d'été au petit Trianon à l'étage des enfants, un couloir peint à tempera éclairé par le soleil, les portes ouvertes sur de petites salles presque humbles mais très belles de proportion. Une noble simplicité.
Tout ce que le XVIIIe siècle a su produire d'harmonie et de grâce est contenu dans ces minces espaces qu'un soleil joyeux éclaire dans le silence du jour, arrachés comme par faveur au luxe et à l'ostentation du reste du palais. C'était bien le meilleur écrin possible pour présenter cette série de peintures joyeuses et fantasques qui, à chaque fois que je leur rend visite, me donne l'impression d'être à une autre époque et rend l'illusion quasi parfaite : ces êtres vus de dos semblent vivants. Les polichinelles dans la pièce à côté vibrent et frémissent. On entend presque la musique de leurs instruments et le son de leurs voix.
Enfant, je rêvais de demeurer là après que le musée soit fermé. J'étais convaincu que la nuit tout ce monde s'animait pour de bon et, descendant des parois, dînait, s'amusait, dansait jusqu'au petit matin. Parfois le lendemain, une coupe de champagne renversée sur le sol, un peigne d'écaille, des miettes intriguaient les gardiens et ils maudissaient à chaque fois les femmes de ménage trop pressées qui n'avaient pas bien nettoyé ces petites salles éloignées. Il est de ces mystères à Venise...
Tout ce que le XVIIIe siècle a su produire d'harmonie et de grâce est contenu dans ces minces espaces qu'un soleil joyeux éclaire dans le silence du jour, arrachés comme par faveur au luxe et à l'ostentation du reste du palais. C'était bien le meilleur écrin possible pour présenter cette série de peintures joyeuses et fantasques qui, à chaque fois que je leur rend visite, me donne l'impression d'être à une autre époque et rend l'illusion quasi parfaite : ces êtres vus de dos semblent vivants. Les polichinelles dans la pièce à côté vibrent et frémissent. On entend presque la musique de leurs instruments et le son de leurs voix.
Enfant, je rêvais de demeurer là après que le musée soit fermé. J'étais convaincu que la nuit tout ce monde s'animait pour de bon et, descendant des parois, dînait, s'amusait, dansait jusqu'au petit matin. Parfois le lendemain, une coupe de champagne renversée sur le sol, un peigne d'écaille, des miettes intriguaient les gardiens et ils maudissaient à chaque fois les femmes de ménage trop pressées qui n'avaient pas bien nettoyé ces petites salles éloignées. Il est de ces mystères à Venise...
posted by lorenzo at 21:10
Manuel