24 février 2020

Un oukase du gouverneur Zaïa tord le cou au carnaval, interdit tout rassemblement et ferme les écoles...

Jules-Elie Delaunay, La Peste (1859)
Écoles fermées jusqu'au 1er mars, l'université bouclée, tout rassemblement public ou privé interdit et le carnaval arrêté deux jours avant la fin des festivités. Du jamais vu. Ces mesures draconiennes décidées par le "gouverneur" - titre ridicule copié des yankees qu'on donne ici depuis quelques années au responsable exécutif de la région, un homme connu pour son esprit réactionnaire et conservateur qui hurle avec les loups, c'est tellement politiquement correct, c'est tellement dans le sens de l'histoire que nos gouvernants partout en Occident aujourd'hui cherchent à nous imposer, véritables satrapes orientaux. 

Mais les Vénitiens en ont vu d'autres. Le coronavirus, à les entendre, serait partout véhiculé par les milliers de chinois (pour être plus juste, il faudrait écrire les milliers d'asiatiques) accourus à Venise pour le fameux Carnaval qui n'est plus depuis quelques années qu'une grosse fiesta vulgaire, en dépit de quelques beaux costumes. Ce n'est plus qu'un défilé vulgaire de pacotille, de beuveries et de mal-bouffe qui n'engraisse que quelques commerçants, remplit les hôtels - de périphérie - et empêche les habitants de vivre leur quotidien en paix. La rumeur, attisée par les journalistes comme d'habitude, parle de  25 cas dans le Veneto...  Pas un seul vraiment avéré, mais bon... A l'aéroport Marco Polo, on vous fait prend la température à l'arrivée et depuis quelques heures, c'est presque le couvre-feu permanent au nom du sacro-saint principe de sécurité. Bientôt on demandera de dénoncer son voisin s'il tousse ou crache.


Mais après tout, on peut rêver sur le sujet. Rêver que nos dirigeants, de plus en plus méprisables, réprouvés, haïs, moqués l’attrapent tous ce coronavirus, les uns après les autres ! On peut rêver que tous soient atteints et tombent comme des mouches ! 

Les peuples libérés de la folie de ces gens, de leur hystérie, de leur malhonnêteté, qui entraîneraient à leur suite dans uen gigantesque fosse commune les financiers, les politiciens véreux, et tous ceux qui leurs larbins. Ce grand ménage libérerait le monde du diable démultiplié, incarné dans les Macron, Salvini, Berlusconi, Trump, et tant d'autres à travers le monde... Qu'est-ce que cela nous soulagerait, dites-donc ! Qu'est-ce que cela ferait du bien à l'humanité ! 

Et tant pis si mes propos sont outrés, tant pis si quelques réactionnaires qui me liraient encore s'en étouffent et se désabonnent. Cela fait tellement du bien de rêver à un grand ménage. En tout cas, à Venise cela fait bien rire. Comme un bras d'honneur, une fois encore aux culs de plomb et aux pisse-vinaigres qui nous gouvernent (mais plus pour longtemps, coronavirus ou pas ! Et puis, voyons les choses d'une manière positive : imaginez la joie des enfants qui sont dispensés d'aller en classe ! La chance (et la joie) pour nos chères têtes blondes !

 Les tortues Ninja italiennes aux touristes : "allez ! Bouh ! Raus, schnell ! Du vent, via ! la fête est finie, la mort rôde !"

01 février 2020

Aimez-vous le son des cloches (suite et fin)

Des cloches, il y en a à Venise et bien plus qu'une par église. cela fait du monde. laissez-moi vous parler des plus fameuses, celles du campanile de Saint Marc. Six cloches y sont logées dont quatre ont été refaites avec les restes refondus de celles détruites lors de l’écroulement du campanile (le 14 juillet 1902). Pour s'en souvenir il faut les nommer par ordre de grandeur, de la plus grande à la plus petite : la Marangona, la Nona (ou Mezzana), la Mezzaterza (ou Pregadi), la Trottiera et la Renghera (ou del Maleficio, ou Preghiera). Il faut savoir cependant, qu'aucune d'entre elles, pas même la célèbre Marangona, n'est un des anciennes cloches de San Marco irrémédiablement perdues lors de la chute du campanile. 

Mais détaillons un peu ces vénérables dames de bronze :
La plus célèbre est le bourdon, la MARAGONA. Elle doit son nom parce qu'elle sonnait à l’origine le début et la fin de la journée de travail des charpentiers de l’Arsenal.  Marangon en vénitien est l’équivalent du mot falegname en italien. Mais il est faux de croire que cette cloche dont le son est si familier des vénitiens et apprécié aussi par les touristes, est la même que celle qu'entendaient les vénitiens jusqu'à l'invasion française. La vénérable Marangona des origines a été fondue en 1809 sous la deuxième occupation française.

 

Viennent ensuite , et dans l'ordre : 

La NONA ou MEZZANA servait à indiquer le milieur du jour. Elle rappelait aussi le dernier moment pour expédier les lettres depuis les postes du Rialto.

La MEZZA TERZA appelée aussi PREGADI sonnait l’appel des membres du Sénat qui s'appelait à l'origine le Consiglio dei Pregadin.

 
La TROTTIERA sonnait l’appel des nobles lorsqu’ils devaient se rendre au Grand Conseil (Consiglio Maggiore). Ils arrivaient au moyen-âge à dos d’âne ou à cheval et au trot, d’où le nom.


Enfin, la plus petite des cloches appelée MALEFICIO ou RENGHIERA avait une fonction sinistre puisqu’elle annonçait les éxécutions capitales. On la nommait parfois PREGHIERA aussi pour appeler à prier avec le condamné à mort qui n’avait plus que cela à faire avant son exécution. On raconte qu’après avoir sonné pour la décapitation du doge Marino Falier, il fut interdit de l’utiliser à nouveau. Elle resta longtemps sans son marteau et sans corde pour l’activer. Ce ne serait qu’après la reconstruction qu’on lui rendit la possibilité de sonner à nouveau.

Mais il en exista une autre qui sonna peu de temps mais resta dans le campanile avec les autres. Il s’agissait du CAMPANON DI CANDIA, la cloche rapportée de Candie où elle sonnait l’appel au Conseil. Elle resta longtemps au pied de ses sœurs puis le doge Alvise Contarini décida de la faire installer et sonner. Cela fut fait pour la fête de l’ascension en 1678. Dix ans plus tard, le jour de la saint Marc, elle se détacha et tomba sans aucun dommage. Personne ne la fit jamais remonter car elle n’avait plus aucune fonction précise pour la République. Elle demeura ainsi, dans un coin, oubliée. 



Les vénitiens sont familiers du son de la Marangona qui sonne à minuit chaque jour sans jamais une interruption depuis son installation. Un son qui fait taire toutes les autres cloches de la ville qui ne reprendront leur tâche que le lendemain à l’aube d'autant que, à l'aune de ce qui se passe un peu partout, l‘équipe municipale de Brugnaro a interdit de faire sonner les cloches la nuit, exception faite de la Marangona. On s'y est fait.

Du temps de la République, les cloches de Saint Marc sonnaient toutes ensemble pour les grands évènements. Le Plenum avait lieu notamment pour l’élection du doge, ou d’un nouveau pape et pour d’autres évènements importants.Une symphonie joyeuse et assourdissante comme un hymne de triomphe et de gloire.




30 janvier 2020

Aimez-vous le son des cloches ? (1)



Je ne sais pas vous, mais j'ai un penchant très marqué pour le son des cloches. Un certain nombre d'entre elles sont associées à des moments de ma vie, des évènements, des personnes. La première fois que j'ai mentionné une cloche dans mon journal, je devais avoir douze ans. Je réalisais soudain combien ce son avait quelque chose de profond, de chaleureux. J'allais faire des courses pour une vieille dame impotente dont je m'occupais. Madame Bizot habitait derrière chez nous. Mon père était son médecin. 

Je passais beaucoup de temps chez elle. Il y avait dans son salon, figé à l'époque où son mari vivait encore (il avait quitté cette terre en 1939 !) un carillon qui reproduisait toutes les trente minutes le son de BigBen, kitsch mais qui me fascinait. J'aimais cette vieille dame, sa maison qui débordait. On avait l'impression d'y vivre dans une autre époque. elle me racontait des tas d'anecdotes sur les trente premières années du siècle. Née en 1886, elle était veuve de guerre et de cheminot. Elle recevait des bons alimentaires - cela se passe dans les années 70 - que j'allais échanger contre des victuailles à l'économat de la SNCF non loin de là. Démoli aujourd'hui, le bâtiment était tout près d'une église. Un jeudi, jour béni car sans école, je longeais les grilles de l'église en rêvassant, mon filet de provisions d'une main et un bâton de l'autre que je frottais en marchant sur les grilles. Soudain les cloches se mirent à chanter à toute volée. L'air était rempli de bonnes odeurs printanières. Ce fut un tel enchantement que je l'ai aussitôt décrit (maladroitement) dans le cahier où je notais davantage ma vie d'enfant, surtout les menus qu'on servait à table et des idées de jeux pour quand mes cousins viendraient.

Puis quelques années plus tard, ce furent les cloches de Westminster Abbey et celles, plus modestes mais très distinguées de Saint John's wood à Londres. Lors d'un voyage à travers l'Europe centrale qui nous mena avec mes parents jusqu'à Istanbul en voiture, j'ai retrouvé aussi dans un autre de mes cahiers, une réflexion de l'adolescent ombrageux que j'étais devenu. Je passais mes journées au bord de la piscine de l'Hilton ou dans la chambre. Room 101 ai-je noté. Il y a avait de la musique, de l'eau glacée dans la salle de bains et un room service que j'appelais souvent, me régalant lorsque deux serveurs vêtus de blanc à peine plus âgés que moi m'amenaient le petit-déjeuner sur une table ronde à roulette couverte d'une nappe blanche. Le porridge était presque aussi bon que celui de mon collège à Watford (où la cloche qui sonnait l'appel aux repas m'a marqué aussi). 

Je ne me plaisais pas dans cet Orient que j'ai appris à connaître et donc à aimer bien plus tard, quand je voyageais avec InterRail et des amis, le sac au dos et des désirs plein la tête. Le chant du muezzin m'horripilait et j'étais incapable de ressentir le moindre attrait pour Constantinople. Peut-être parce qu'avant même Venise, c'était là le centre de vie de la famille. Galata, Péra, Makrekoy, Dolmabaçe, Eyüp... Il me manquait quelque chose. Quand nous reprîmes la route, mon père décida de passer par Thessalonique. Nous sommes arrivés dans cette ville en fin de matinée. C'était un dimanche et de partout tintaient des cloches. ce fut comme une épiphanie. Je compris enfin ce qui m'avait manqué pendant un mois loin de l'occident chrétien : les cloches !

Istanbul... Venise, le lien se fait de lui-même. Les cloches de Venise que d'iconoclastes élus, comme partout dans notre monde déspiritualisé, considèrent aujourd'hui comme bien trop bruyantes au point de les interdire la nuit. 

Heureusement, le maire n'a pas osé faire taire la Marangona qui sonne chaque jour à minuit et qu'on entend de partout. en 2015, il y eut même un pauvre imbécile qui porta plainte et obligea les autorités à se manifester, les décibels étaient trop élevés et cela posait problème. le pauvre type devait préférer le bruit des automobiles et des avions à réaction, des mobylettes et de la télévision. Cela déclencha dans toute la région et à Venise une polémique qui se termina par l'interdiction de sonner les cloches à toute volée à chaque heure de la journée sauf exceptions. 

Voilà où nous en sommes, dans cette civilisation déboussolée, individualiste et inculte. Mais rien ne sert de s'énerver, les faits sont là : l'homme moderne ne supporte plus le son des cloches. Il ne supporte pas non plus le chant du coq à l'aube dans les campagnes, se plaint de l'odeur du purin et des feuilles qui tombent des arbres et envahissent les rues, il n'aime pas non plus les arbres qui lui font trop d'ombre... Triste époque vous ne trouvez pas ? Triste aussi le fait que les dirigeants de tout poil, le regard fixé sur le baromètre de leur popularité, embrassent ce genre de causes et fasse corps avec les plaignants en distribuant amendes et arrêtés municipaux scélérats !

Mais ne soyons pas cloches, restons tolérants et parlons plutôt de l'histoire de ces magnifiques dames de bronze dans le prochain billet.
à suivre




26 janvier 2020

Nouvelles Chroniques de ma Venise en janvier (2)

lundi 20 janvier
Dialogue avec une mouette. 
Je ne l'avais pas vraiment remarquée en poussant la double porte de verre qui sépare le hall des Crociferi (1) de la terrasse du café où je m’apprêtais à passer un moment pour lire le journal. Un matin ensoleillé, idéal pour ce début de semaine, Un ciel très bleu, l'air sec gorgé de senteurs iodées et à l'horizon les montagnes enneigées qui se détachent sur l'eau de la lagune. Je me régalais d'avance du macchiato fumant et des croissants achetés au passage (un détour) chez Rosa Salva, le pâtissier du campo San Giovanni e Paolo. La température extérieure en dépit du soleil et l'heure matinale m'offraient l'opportunité de prendre mon café seul et en toute quiétude. 

La terrasse en bois, accolée à la façade de ce qui fut le couvent des Crociferi puis siège de la Compagnie de Jésus à Venise, donne directement sur le canal. Officiellement dénommé rio dei Gesuiti mais aussi, pour les vieux vénitiens, le rio di Crosiechieri, c'est ne large voie d'eau assez fréquentée qui permet l'accès au centre de Venise. C'est par là que passent les barques de marchandises destinées au marché du Rialto, les livreurs et les taxis qui font la liaison avec l'aéroport. Mais le lundi, il y a peu de livraisons et le bruit des moteurs qui parfois rappelle le fatras sonore des villes en proie à la circulation automobile, se fait plus que discret. A gauche, comme un portique d'entrée dans la ville, le ponte Donà du nom de la famille patricienne des Donà delle Rose dont l'énorme palais qui déploie sa façade sur les Zattere depuis les début du XVIIe siècle fut construit par le doge Leonardo (2).


J'étais donc décidé à passer un moment d'agréable solitude, au soleil, dans la quiétude des lieux vides de touristes (les Crociferi sont devenus depuis quelques années une agréable résidence d'étudiants ouverte aussi aux touristes, dotée d'un restaurant, d'un bar à vins et d'un café, mais aussi d'une bibliothèque et de salles d'études). En général, je m'installe à une table contre le mur qui renvoient la chaleur du soleil et réduisent les effets agaçants du vent qui souffle assez souvent sur ce canal. Quoi de plus casse-pieds que le souffle têtu de la brise qui semble vouloir nous empêcher de lire en soulevant les pages. On dirait parfois qu'un angelot joufflu comme on en voit dans certaines peintures s'amuse à souffler sur le Gazzettino ou le livre qu'on tient ouvert devant soi dont il réussit à faire tourner trente pages d'un coup. Cela doit être le but du jeu, les petits vents ici sont facétieux, cousins de celui, très urbanisé mais tout aussi blagueur, qui joue à soulever les jupons des vedettes de cinéma de l'autre côté de l'Atlantique !).

Les fantômes, le souvenir de ceux d'antan qui tous sont devant moi partout où je porte mon regard.

21 janvier.
Ma mère aurait cent ans aujourd'hui. La marquise Rapazzini de Buzzacarini aura 90 ans dans quelques jours. L'occasion pour moi - enfin je l'espère - de revoir son fils Francesco qui vit à Paris pourtant, mais que je rencontre que très peu alors que nous étions inséparables du temps de ma vie estudiantine ici. Notre dernière rencontre date de l'année dernière ! Il avait été invité à présenter son dernier livre, un roman autobiographique qui enchanta la critique et racontait les années d'apprentissage d'un Werther vénitien. Le livre se termine à peu près au moment où nous nous sommes rencontrés. Nous pourrions nous amuser à en écrire ensemble le récit. Pour cela, il faudrait nous voir plus souvent. Peut-être pourrions-nous transcrire des pages de nos journaux respectifs, nos lettres échangées pour faire revivre cette période insouciante et solaire dans une Venise bien éloignée de ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Comme un témoignage du quotidien d'alors mais aussi d'une belle amitié.