05 juillet 2020

Coups de Cœur N°55

Vivaldi, Le souffle des saisons
Les Musiciens de Saint-Julien
François Lazarévitch
CD Alpha classics (281)
ISBN 3760014192814

Une découverte due au temps retrouvé du confinement. Vivaldi non pas réinventé ni même dépoussiéré. retrouvé. fasciné lors de ma première écoute, l'impression de vie et de joie qui court dans la partition du prêtre roux se révèle ici d'une manière inattendue. François Lazarevitch va encore plus loin que ces rénovateurs des années 80 qui firent joyeusement éclater la poésie et la puissance évocatrice des saisons après des années d'interprétations poussives, lentes et si peu vénitiennes parfois. C'est spectaculaire, original et jamais irrespectueux. Ceux qui connaissent Venise, sa lumière, ses parfums et ses bruits, son rythme aussi comprendront qu'on est peut-être avec cette interprétation au plus proche de l'état d'esprit du prêtre roux. Vivaldi n'a pas toujours été cet ecclésiastique davantage intéressé par la renommée de sa musique et les sequins qui allaient avec, se plaignant en permanence de maux imaginaires. Il a été jeune et joyeux, un ravi de dieu que tout enchantait et qui avait ce don de pouvoir transcrire ses émotion,de traduire ce qu'il voyait, sentait et entendait dans sa musique. "L'homme d'un seul concerto répété à l'infini" persiflé par certains, était tout simplement vénitien. Sa musique (du moins dans ses compositions profanes) est la traduction des bruits et des rythmes mêmes de Venise dans laquelle il passa presque toute sa vie. Quand on connait bien Venise au quotidien, il est impossible d'entendre du Vivaldi sans être soudain projeté dans la cité des doges ! Bref, voilà un disque qu'il faut absolument ajouter à votre discothèque. Vous n'allez pas en croire vos oreilles ! Le choc est rude mais quelle belle surprise. 
Pour y goûter, il faut évidemment faire abstraction de la version originale. L'ensemble est transposé en do majeur, au lieu du mi majeur que nos oreilles ont l'habitude d'entendre. C'est une toute autre couleur qui s'offre ainsi, mais on s'y fait vite et on aime ! La présence de la musette de cour (petite cornemuse) avec son bourdon rajoute au dépaysement et ça marche ! L’alternance spectaculaire des instruments solistes – tous joués par Lazarevitch – entraînent la première métamorphose de ces Quatre Saisons atypiques dans une version imaginée en 1739 par Chédeville. Tout cela est très frais et joyeux. Comme l'est Venise quand on s'y perd sans a priori - et loin des hordes de touristes qui semblent hélas revenir à la charge sans rien avoir appris du confinement ! 


Valerio Miedi
Dix hivers à Venise
Massot éditions, 2019
224 pages
ISBN 9782380352016
Quand le film est sorti, le roman de Valerio Miedi n'existait pas encore. Son auteur terminait sa formation de cinéaste à Rome et le scénario servait de grand oral pour l'obtention du diplôme. Ce film fascinant, drôle, poignant où Venise se montre dans son ordinaire, loin des lumières de l'été, presque laide parfois mais toujours fascinante. Elle sert d'écrin à l'amour naissant de ces deux jeunes gens à peine sortis de l'adolescence, elle a 18 ans et arrive de la terraferma un soir de novembre où elle a laissé son père. Elle a trouvé un maison isolée, sur une île tranquille, pour le temps de ses études. Lui a 20 ans. fasciné par sa première visite à Venise, il a décidé d'y faire ses études universitaires. Le long trajet en vaporetto, à la nuit tombée, va déclencher l'histoire de leur vie et accrocher le lecteur dès les premières pages, où l'auteur transcrit ce qui se passe dans la tête des deux protagonistes. Et nous voilà embarqués pour plus de deux cent pages d'émotion. Venise est omniprésente, peut-être encore davantage dans le film, à cause d'une lumière et d'une photographie très semblable habilement choisie pour rappeler que l'aventure dont nous sommes les témoins, se passe en hiver. pendant dix hivers d'affilée... Le livre et le film, nés ensemble dans l'esprit de Mieli, s'ouvrent un soir sous la pluie de novembre, avec une fille portant un lampadaire et un garçon avec une plante géante, un kaki chargé de fruits... Tout commence en fait pour ces deux-là. Lui, inscrit en droit pour plaire à ses parents, un peu dépité d'avoir loupé le dernier vaporetto qui l'aurait ramené à Venise, chez sa tante qui l'attendait avec une pizza, qui va rouler sa première cigarette lové dans le canapé de la maison humide où elle vient d'arriver ; Elle qui va partager sa chambre qu'un radiateur réchauffe et l'unique lit de la maison avec un garçon pour la première fois. Il ne va rien se passer. Juste un échange de paroles, drôle, entre eux. Ils vont partager l’unique lit de la maison. Très chaudement habillés. Entre l’humidité des murs, le courant ne passe qu’en petits échanges acerbes et délicats. Pas de coup de foudre. Dix ans du « ni avec toi, ni sans toi » s’entament sans que nous le sachions. Mais tout le mécanisme du destin s'est mis en branle ce premier jour. C'est le premier hiver. Le second débute par la description de leur nouvelle vie, chacun de leur côté. Camilla à la bibliothèque, Camilla et ses nouveaux amis, Camilla qui se promène dans Venise, fait du vélo au Lido ou à Pellestrina. Et Venise surgit au fil des pages, comme un rêvé pour ceux qui la connaissent peu, comme une réalité pour ceux qui sont familiers de ses places et de ses monuments... Et ainsi de suite au fil des pages sans qu'on ait envie de poser le livre. Lu dans babelio, la notice de l'éditeur qu'il faut remercier pour cette publication comme se doit de l'être Laurent Lombard qui a magnifiquement su rendre l'atmosphère du texte original : "Des jeunes années pas forcément perdues, où chacun des personnages tente de devenir adulte, et où chante l’imperfection de la vraie vie qui ne tombe jamais juste. Entre hésitation et rendez- vous manqués, leurs chemins se scelleront-ils enfin ? Un premier roman prometteur qui a pour but de faire connaître Valerio Mieli en France, mais qui est aussi un pari artistique. Alors que de plus en plus de livres sont adaptés au cinéma, ici, c’est le film qui a donné lieu à un roman. Dix Hivers à Venise permet de faire un lien entre la littérature et le cinéma, l’écriture scénaristique et l’écriture romanesque, et offre déjà de riches discussions interdisciplinaires."


Recette Gourmande : 
Broccoli fantasia dalla nonna
C'est une recette classique que j'ai goûté pour la première fois dans une petite trattoria aujourd'hui disparue du côté du ghetto dont les fourneaux étaient tenus par une vieille dame toujours affairée qui m'avait pris en amitié quand j'habitais calle dell'Aseo. J'ai eu la surprise de la trouver dans la bible que les lectrices connaissent sûrement, Il Cucchiao d'argento, la bible de la cuisine italienne parue pour la première fois en 1950 et sans cesse éditée depuis dans plusieurs langues. Ma recette habituelle est un peu différente puisque j'ajoute une aubergine que je fais revenir en même temps que les poireaux.
Ingrédients :  1 joli brocoli bien vert,  2 petits poireaux, 1 aubergine,  2 belles gousses d'ail  1 verre de vin blanc sec bio,  1/2 verre de crème épaisse,  fromage râpé (parmesan ou grana padano ou même Cheddar de qualité of course !) à volonté,  1 cuillère à soupe de farine, du beurre frais, huile d'olive,  sel  et poivre.
Mettre de l'eau à bouillir avec du sel ou un cube de bouillon, y blanchir les brocolis séparés en petits bouquets et laisser refroidir. 
Pendant ce temps, faire revenir l'ail, l'aubergine et les poireaux émincés dans de l'huile d'olive (deux bonnes cuillères à soupe voire plus selon la taille des légumes). 
Dès qu'ils deviennent transparents, retirer les gousses d'ail et ajoutez la farine, remuer. Laisser légèrement colorer. 
Arroser ensuite de crème fraîche épaisse, saler et poivrer et bien mélanger. 
Ajouter en dernier le brocoli, mouiller avec le vin, couvrir et laisser mijoter une dizaine de minutes. 
Mettre le tout dans un plat de cuisson beurré. Saupoudrer de parmesan fraîchement râpé, et ajouter des morceaux de beurre. Cuire au four préchauffé à 200 degrés jusqu'à ce que la préparation soit bien dorée. 
Au sortir du four, le gratin doit être doré mais pas sec. 
Servez  immédiatement sur de la polenta coupée en morceaux et recouvrir si vous aimez de l'ail préalablement haché. 
Ce savoureux gratin est parfait en plat unique avec une salade d'endives par exemple, mais aussi avec un poisson ou un rôti de viande blanche.
 

25 juin 2020

En hommage à Baptiste Marle, quelques mots, des photos et une chanson...

Baptiste sur le Campo Santa Maria Formosa, aux pieds de la maison
Baptiste était un jeune ami qui a quitté ce monde trop tôt, trop jeune et nous laisse un peu perdus, nous tous qui avons passé trop peu de temps avec lui. Nous nous étions rencontrés alors qu'il n'avait pas vingt ans et cherchait quelqu'un disposé à le préparer au concours de sciences po. Il se savait déjà malade. Peu à peu je suis devenu son mentor comme il aimait à dire en parlant de moi que sa famille nommait un peu péjorativement"le professeur"

Sur la Piazza, à un concert des Virtuosi et di notte devant San Marco

Puisqu'il s'agissait de faire un bout de chemin avec lui, je lui ai fait lire des livres qui me semblaient importants et n'étaient pas dans les programmes, je lui ai parlé d'art, de cinéma, de spiritualité, de petits riens. 

Je lui ai conseillé d'apprendre l'accent anglais à Cambridge, puis de faire de la philosophie à Durham ou de l'économie à la London School of Economics, où il brilla, puis il y eut Science Po Paris, un séjour en Afrique, un volontariat en Amérique du Sud... Une vie riche et complète sur un laps de temps tellement ramassé et l'inéluctable dont il mesurait la proximité et qu'il assumait avec détermination et en souriant.

dans le hall du palazzo 
Afin tenter d'apaiser les traces d'une chimiothérapie douloureuse, je lui montré Venise qu'il a tant aimé qu'il y revint tout seul l'année suivante pour suivre un cours d'été à San Servolo. Son rapport avec la Sérénissime a été très particulier et intime. En d'autres temps, il aurait été reçu citoyen car il tomba sous mes yeux dans l'eau du rio xx alors que nous venions de déjeuner dans la charmante casetta rossa du Comte Marcello, aux pieds du pont de l'Accademia. Un baptême que bénit quelques jours plus tard, le père Mancini, dominicain de Venise qui lui présenta la basilique San Giovanni e Paolo et particulièrement la chapelle où est honoré le Bienheureux frère Jacopo Salomone, né et mort à Venise (1231-1314)  et qu'on invoque pour la guérison des tumeurs et des cancers...

à Venise comme ailleurs, nous avons beaucoup échangé et nos conversations étaient toujours enrichissantes, passionnées aussi, drôles souvent. Nous abordions tous les sujets imaginables. Pourtant, la vie, la maladie, le temps, nos occupations nous ont éloigné. J'ai tellement cru à sa guérison ou à une longue rémission... La crise sanitaire m'aura empêché de me joindre à tous ceux qui ont pu venir lui rendre un dernier hommage. 

Si j'avais pu être présent à la cérémonie religieuse, j'aurai aimé chanter cette belle chanson d'Anne sylvestre qu'un authentique vénitien bien que d'adoption, le photographe Philippe Apatie a si joliment chanté sur les réseaux sociaux pendant le confinement : "J'aime les gens qui doutent", ici dans la très poétique version de Jeanne Cherhal, Philippe Delerm et Albin de la Simone...

15 juin 2020

Venise bouge : Venezia Fu-Turistica c'était samedi dernier. Reportage

Tutti a Venezia,  c'était le mot d'ordre lancé par les mouvements vénitiens de défense de la ville et de ses habitants, des associations de défense de l'environnement et des opposants (la plus grande partie de la population de la lagune) contre les Grandi Navi. 

L'idée ? Une longue chaîne humaine composée de vénitiens de tous âges, tous milieux sociaux, toutes opinions pour démontrer la détermination de la population à sauver Venise et son éco-système, à défendre un univers unique de plus en plus abimé par le tourisme de masse, la spéculation et les exactions de l'ultra-libéralisme débridé obsédé par le profit maximum d'une minorité au détriment de l'intérêt général, du bien-être des citoyens et de la santé et de l'avenir de la Planète. réjouissant et encourageant. 

C'est une lutte saine. Elle devient vitale désormais. l'avenir de Venise est en jeu, il symbolise aussi l'avenir de la planète entière et le futur qui sera construit pour les vénitiens de demain sera celui du reste de l'humanité. Le profit égoïste et destructeur de quelques uns contre le bonheur et la santé de tous. Notre choix à Tramezzinimag est clair et déterminé. Hauts les cœurs Vénitiens et amoureux de Venise !






Les sujets de polémique sont légion, comme l'indiquaient les panneaux et les banderoles que brandissaient les manifestants : "Non au Mose", "+ de logements - de B&B", "No Grandi Navi", et le sujet le plus récent, l'incinérateur voulu par le gouverneur, le potentat oriental Zaïa qui, comme son acolyte de la mairie de Venise a surfé avec malignité sur les peurs et la sidération de la population pendant la crise sanitaire. Il faudrait à ce propos relire et faire relire Tacite sur les actes et les aspirations profondes des dirigeants qui ne sont plus en phase avec les peuples depuis lurette et défendent seulement des intérêts mercantiles et financiers au détriment de tous. 

Des centaines de signature contre l'incinérateur
A Venise, comme ailleurs la colère gronde. On en est à la contestation bon enfant, on rit on s'exprime. Mais d'aucuns déjà envisagent une attitude plus dure et sont déterminés à aller jusqu'au bout pour faire gagner leur idée du monde de demain. Tramezzinimag depuis sa naissance en 2005 partage et s'engage à leurs côtés. Notre camp ? Celui de la liberté, de la paix et de l'Amour. 

Une grande foi en l'homme, une obsession pour sa dignité, la volonté de ne laisser personne sur le côté de la route et notre conscience dans la responsabilité qui est la nôtre face à la destruction organisée et systématique des valeurs fondamentales de la vie et de la fraternité, le pillage éhonté des ressources naturelles au profit de l'industrie et de ses actionnaires.


Comme à l'accoutumée, les "autorités" à la sagesse et l'honnêteté auto-proclamée parlèrent dès 19 heures d'un peu plus de mille participants. Ceux qui habitent sur les Zattere comme ceux qui participèrent à ce réjouissant happening parlent de plus de 4.000 personnes, voire davantage. Un dixième de la population officielle de la ville, et comme il n'y a plus que quelques étudiants qui soient restés depuis le début de la crise sanitaire, on imagine que le chiffre aurait plutôt atteint la dizaine de milliers (rappelons que pour le centre historique, on recense un peu plus de 53.000 habitants et qu'il y a plus de 35.000 étudiants en temps normal).

Un jour viendra ou tout ce monde sera sur la piazza et occupera le grand canal avec des milliers de barques. Il sera peut-être temps alors pour les dirigeants de changer de paradigme, retrouver le bon sens et se souvenir qu'à Venise comme ailleurs, le peuple est souverain et sa volonté toujours s'accomplit ! Rien de bien compliqué dans ce que réclament les gens ! : sauvegarder l'écosystème, permettre à tous les vénitiens de travailler, de vivre et de grandir dans une ville propre, sous un ciel impollu et non pas dans un vulgaire disneyland affolé de touristes au milieu d'une lagune morte sous un ciel sans oiseaux, où les poissons gorgés de poisons flottent le ventre en l'air !



Remerciements à Catherine H. et aux mouvements qui ont organisé la manifestation 
pour les photographies illustrant ce billet.

07 juin 2020

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38) : "Venise nous parle", par Lara Lucilli, vénitienne, guide

Lara Lucilli est vénitienne. elle est guide depuis 2017. C'est son métier mais surtout sa passion. Elle a eu l'idée pendant le confinement de faire parler la Sérénissime. Elle lui prête sa voix. C'est émouvant, profond. C'est aussi une jolie preuve d'amour de la part de l'auteur. 

Merci Lara pour ce joli moment. Sur sa page FB, la jeune femme s'explique brièvement, et remercie tous ceux qui lui ont permis d'obtenir cet entretien exclusif avec la Sérénissime :
"Venise se raconte, pendant et juste après le confinement... d'une idée née dans mes journées solitaires de quarantaine... Je remercie Andrea et Igor Pizzato, Roberto Dotto de Venice Water Limousine Service, Valeria Medici, Al Timon, l'osteria Al Cicheto, Matto le fabricant de forcole et... Venise, bien sûr."
Nous reparlerons de Lara et de ses collègues toutes et tous passionnés par leur ville et qui savent transmettre leur amour et sont les meilleurs ambassadeurs de la ville certes mais aussi de ses habitants. Qui est mieux placé qu'un guide pour expliquer aux touristes comment se comporter dans ces lieux uniques, et leur rappeler que Venise est un trésor à ciel ouvert mais pas un tombeau, ni un parc d'attraction, mais un lieu où on vit, où on travaille et pas seulement au service des touristes. Je suis convaincu que tout toujours se résout par la pédagogie et la sincérité.



© Lara Lucilli - Vidéo publiée sur FaceBook / 04/06/2020, 13h40.