18 mars 2006

Mélanges...

Il y a tout au fond de Venise des endroits incroyables. Hugo Pratt en connaissait beaucoup, certains n'existent que pour les véritables amoureux de la ville. ceux qui savent voir avec leur coeur. Comme en rêve. En vrac, quelques uns de ces lieux incroyables et puis des bribes de souvenirs, esprit d'escalier...
 
Lorsque j'étais étudiant à San Sebastiano (c'était alors la faculté de Lettres, où je terminais mon cursus d'histoire des Arts, travaillant "la peinture du trecento, interprétation et réminiscence des splendeurs païennes"), j'allais souvent me promener dans un quartier retiré, loin derrière les derniers endroits habités. Il y avait une maison entourée de murs avec de hauts grillages. Là, un vieil homme au visage buriné comme un vieux loup de mer, vivait au milieu de ses chats mais aussi d'une demi douzaine de singes en semi-liberté...A Castello un vieux perroquet chantait Bella Ciao et la Marseillaise au fond d'un bar un peu sale... 
our une scène de Fellini matinée de Pasolini. c'était le milieu du jour. Il faisait beau et doux. Soudain les rues furent envahies d'une foule de gens bizarres, certains parlaient fort, d'autres chantonnaient, il y en avait des tres vieux d'autres plus jeunes. Ils semblaient sortirt d'un rêve ou d'un cauchemar. Leur visage était effrayant, souvent hilare. C'étaient les fous de l'asile de San Clemente que la loi italienne venait de libérer. Ils déambulaient pour la première fois en toute liberté dans les rues de la ville... J'étais sur la Lista di Spagna avec la femme du Consul de Grèce, une espagnole exubérante qui était venue avec moi voir les stands des marchands de livres d'occasions qu'on trouvait alors près des Santi Apostoli. On aurait dit une scène de Fellini... 

Une autre fois, un matin d'hiver, un jeune suédois, splendide athlète blond au corps trop musclé, pas très grand, fut pris d'une crise de démence. Il neigeait un peu et la température devait avoisiner les 0°. Il sortit de l'auberge complètement nu présentant son anatomie à tous les passants et délirant dans sa langue. J'ai su plus tard qu'il déclamait des vers de Shakespeare en suédois... Il lisait Castaneda toute la journée, fumait beaucoup et son sourire était bizarre... Ce jour-là, il se serait jeté dans le grand canal, pour nager comme Byron le fit, si des policiers ne l'avaient interpellé à temps. Il fit une cure de sommeil et lorsqu'il revint à l'auberge, confus et intimidé, c'était un tout autre personnage, poli, pudique, rougissant encore de ce qu'il avait fait et qu'on lui avait raconté. Il n'avait aucun souvenir de cette bouffée délirante...

Tant d'autres choses encore... 
Je me revois au Palais Clari, un 14 juillet vaporisant de l'eau d'Evian sur les canapés et les petits fours de la réception du consul, tellement il faisait chaud et je me souviens du dernier plateau aspergé d'engrais pour les plantes vertes par mégarde, celui qui fut présenté aux autorités civiles, religieuses et militaires de la ville sans que personne ne semble y trouver à redire. Foie gras et saumon fumé arrosé à l'engrais horticole... 
Je me souviens de mes razzias dans les réserves du consulat lorsque je n'avais plus d'argent pour m'acheter à manger. Je repartais, grâce à Agnès - et la bénédiction du consul son père, qui fermait les yeux - les bras remplis de conserves, de sardines à l'huile, de pâtes, de fromage, de chocolat de pâté, de saucisson et de jus de fruit sous le regard du président Mitterrand dont le portrait officiel, placé juste au-dessus du bureau du Consul, regardait avec insistance et une moue à la Mona Lisa, la porte d'entrée. Je ne voyais que lui en sortant de la grande salle pour reprendre l'ascenseur qui menait au rez-de-chaussée. C'était assis devant lui que j'appelais ma mère... Et l'Ile de France, le mostoscafo du consulat, le seul à avoir l'autorisation de battre pavillon étranger, par un vieux privilège datant de l'ancienne république. Et le terrain de foot, au milieu des ruines d'un bâtiment de l'occupation autrichienne derrière l'arsenal où de curieux personnages vous épiaient et disparaissaient aussitôt... 
Je vous raconterai cela aussi....
posted by lorenzo at 00:14

16 mars 2006

Primavera Veneziana

Le printemps s'approche. Il y a comme du renouveau dans l'air. Les parfums se font plus présents et les bruits plus intenses. Comme un bourdonnement diffus. Les matins seront moins brumeux sur la lagune. La lumière moins opaque. On verra à l'horizon, se dessiner clairement les montagnes toujours enneigées. Dans la fraîcheur de l'aube, les couleurs vont resplendir, éclairant la ville d'un halo de plus en plus clair au fur et à mesure que les pierres se réchaufferont. Ah, le parfum des briques inondées de soleil qui se mêle à celui si caractéristique de la mer. Les sirènes des bateaux, le cri des oiseaux, et les cloches qui sonnent... C'est tout cela Venise, le matin, au Printemps... 
posted by lorenzo at 00:27

13 mars 2006

Venise, précurseur du monde moderne ?

Plus je découvre l'histoire de la République de Venise, plus je me rend compte combien elle a pu, en bien comme en mal, inventer le progrès. Elle a été à elle seule l'un des piliers du monde moderne. Ce peuple de réfugiés a bâti au fil des siècles une civilisation, miroir de l'Occident contemporain. 

La cassure imposée par l'imposteur corse, si elle a effectivement brisé la nuque à un animal depuis longtemps blessé, n'a pas détruit les fondements de ce qui peut être un modèle ou du moins une référence. Le passé de la Sérénissime nous donne bien des leçons d'économie, de politique, de diplomatie. Des directions à ne pas suivre, d'autres vers lesquelles l'Europe devrait s'engouffrer. En lisant Mary McCarthy (1912-1989), j'ai glané ces quelques lignes qui illustrent parfaitement, avec quelques anecdotes, cet état unique. Non, Venise n'est pas figée dans la nostalgie de sa grandeur passée. Sa place unique parmi les élaborations humaines, ne se limite pas à quelques jolis monuments préservés par une situation géographique privilégiée ; elle est bien plus que cela. Elle a expérimenté, aussi loin que l'époque le permettait, les méthodes, les moyens et les idées les plus modernes. Certains Etats modernes n'utilisent-ils pas encore certains procédés qui font froid dans le dos et que le Sénat de la république avait érigé en méthode de gouvernement ? Notre économie a-t-elle d'autres théories que celles déjà en vigueur du temps des Doges ?
"Les vénitiens inventèrent l'impôt sur le revenu, les statistiques, le flottement des valeurs d’État, la censure sur les livres, la délation anonyme (la Bocca del Leone), le casino et le ghetto. En 1504, Venise soumettait au Sultan le projet du canal de Suez. Ils étaient à l'écoute des nouvelles inventions et découvertes, et prompts à en saisir les applications pratiques. L'information parvenant à Venise, en 1498, que l'expédition de Vasco de Gama avait doublé le cap de Bonne Espérance, la ville toute entière comprit que c'était là une mauvaise nouvelle pour son commerce : "La pire nouvelle que nous eussions jamais pu recevoir." L'invention hollandaise du télescope, en 1608, était connue de Venise avant la fin de cette même année. En 1610, on en essayait un sur le Campanile, et un escroc vénitien réussit à en revendre un autre - mais faux, fait de simple verre - au grand-duc de Toscane.
[...] En 1649, un médecin vénitien, Salamon, anticipait sur la guerre bactériologique en concoctant un sérum contenant des germes de peste, destiné à la guerre contre la Turquie. Il devait se répandre dans le camp ennemi par l'intermédiaire de vêtements, du type de ceux que les turcs achètent volontiers - des fez albanais, en l’occurrence. "Ce projet est au nom de la vertu", écrivait un provveditore vénitien de Zadar aux Inquisiteurs. "Cependant, il est... inhabituel, et peut-être contraire à la morale publique.Mais... dans le cas des Turcs, ennemis de notre foi, fourbes de nature, qui ont toujours trahi Vos Excellences, à mon humble avis, les considérations ordinaires sont de peu de poids." La proposition intéressa les Dix qui, afin d'être certains de garder pour eux seuls le médecin et sa cruche de sérum de peste, les enfermèrent tous deux en prison. En fait, il semblerait que le poison ne fut jamais utilisé, peut-être parce que les germes s'étaient éventés - constatation effectuée sur le contenu du placard à poisons du Palais des Doges lorsqu'il fut inventorié, au XVIIIe siècle. Les Dix étaient toujours prêts à écouter toute personne ingénieuse proposant un plan infaillible.
[...] Les altane, terrasses posées sur le toit, aujourd'hui essentiellement utilisées pour étendre le linge, sont une invention vénitienne en matière de beauté. Les dames vénitiennes avaient pour habitude d'imbiber leur chevelure d'une potion chimique, puis de s'installer sur leur altana, construite à cet effet, couronnées de chapeaux sans fond, et les cheveux largement étalés sur les bords, de manière à blondir en séchant au soleil. D'où les chevelures dorées de la peinture vénitienne. Un peu de cette blondeur semble subsister, car si les Vénitiennes d'aujourd'hui ne sont pas blondes pour la plupart, elles ne sont pas brunes non plus mais châtain foncé, avec des reflets blonds. Elles ont également gardé cette peau blanche que protégeait le large bord des chapeaux.
[...] Venise inaugura le commerce du miroir par l'intermédiaire des fabriques de verre de Murano, et garda le monopole de cet art pendant plus d'un siècle, au temps de la Renaissance. Tout miroitier qui transportait son savoir-faire dans un état étranger pouvait voir ses proches emprisonnés, tandis que des agents vénitiens avaient pour ordre de le tuer sans sommation. Au XVIIe siècle encore, Colbert, ministre de Louis XIV, utilisa le poison et les femmes pour retenir en France certains miroitiers vénitiens. A sa mort, un miroir de Venise mesurant un mètre sur soixante-quinze centimètres, retrouvé parmi ses effets, fut évalué à près de trois fois le prix d'un Raphaël.
[...]Les Zoccoli, ces étranges chaussures, sortes de mules sur piédestal, se développèrent à Venise. Destinées à l'origine, à protéger les pieds de la boue, elles devinrent une des merveilles vénitiennes grâce à la hauteur à laquelle le sporta la passion de la mode ; une paire, gardée au musée Correr, mesure cinquante centimètres de haut. Les femmes semblaient alors évoluer sur des échasses brochées, constellées de bijoux. On pense qu'elles ont également contribué au respect de la vertu matrimoniale jusqu'à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, car une dame ne pouvait sortir ainsi sans deux servantes pour la maintenir debout. "Des souliers ordinaires seraient certainement plus pratiques", déclara le doge au cours d'une conversation avec l'ambassadeur de France. "Oui, beaucoup, beaucoup trop pratique", intervint un de ses conseillers. C'est ainsi qu'à Venise, la mode elle-même se voyait conférer un rôle utilitaire.
[...] Mais la plus merveilleuse invention de Venise ( celle de la peinture de chevalet - n'eut d'autre objectif que le plaisir. Jusqu'à Giorgione, la peinture avait une fonction utilitaire : glorification de Dieu et des saints, glorification de l'Etat (dans les scènes historiques) ou de l'individu (dans les portraits). Giorgione fut le premier à produire des tableaux pour le simple plaisir, pour créer une ambiance agréable, ainsi que l'exprime Berenson. C'étaient là des toiles destinées aux gentilshommes, faite pour la maison, deux notions nouvelles qui reposaient sur une nouvelle donnée : les loisirs..."
posted by lorenzo at 14:43

Les amis de TraMezZiniMag

Si vous souhaitez être informé des nouveaux billets rédigés sur TraMezZiniMag, rejoignez les amis du blog, en m'adressant un courriel à l'adresse suivante :
.
.
Si vous le souhaitez, laissez vos coordonnées postales, je vous enverrai une carte postale de Venise à chacun de mes séjours (comme cela je serai obligé d'y aller plus souvent ! Surtout si je dois un jour rédiger 4000 cartes chaque année !) et peut-être que grâce à ça serai-je contraint de m'y installer enfin définitivement. Mes enfants seraient drôlement contents ! Mais bon, faut pas trop rêver n'est-ce pas.
posted by lorenzo at 13:24

12 mars 2006

Les Funzioni di Venezia de Gabriel Bella




Gabriel Bella
La Festa del 2 Febbraio a Santa Maria Formosa 
Feste Che Si Sogliono Fare Per La Città Della Caccia Del Toro Amazzar La Gatta Col Capo Raso Pigliar L'Anadre Pigliar L'Occa Nell'Asqua Et Altro

(entre 1779 et 1792)
Ce joli tableau fait partie de la série "Funzioni di Venezia" de la collection Querini-Stampalia (presque une centaine de toiles). J'ai eu le privilège de le voir de très près quand il était en restauration chez Ferrucio et Serafino Volpin, à la fin des années 80. Il restitue avec des altérations de la réalité topographique (le palais à gauche avec les armoiries, est le Querini-Stampalia situé à 180° de son emplacement réel), une des fêtes vénitiennes les plus populaires dont l'origine remontait à ce fameux épisode du rapt des vierges par les pirates triestins dont j'ai parlé dans un billet de février. 

On voit sur le même plan des scènes qui ne se déroulaient pas en même temps : A gauche, sur des tréteaux le jeu "amazzar la gatta" (cruauté qui ferait bondir Brigitte Bardot et la S.P.A.) qui consistait à tuer une chatte à coup de tête (!), à droite, c'est le Jeu de l'Oie qui devait être attrapée par le cou au-dessus de l'eau. Au fond, il y a un mât de cocagne enduit de graisse avec en haut deux canards gras, derrière, devant le palais Priuli, une sorte de corrida et enfin, au centre, une scène de Commedia ou une furlana, cette danse très populaire que l'on a pu voir cette année au carnaval, et un conteur-montreur d'ours . 
posted by lorenzo at 23:31

11 mars 2006

Venise, fermentation sublime

Extrait du Journal d'un jeune homme rêveur... 
Printemps 1983...

3 avril.
Nettoyage de mon petit taudis. Je lis Delteil. Sur le fleuve Amour au soleil des Zattere. Agnès n'est pas là. J'avais il est vrai plus de trente minutes de retard. Il faisait si doux déambuler dans les rues que je me suis perdu.
.
4 avril.
Longue promenade à Castello, jusqu'à San Pietro. Silence de ces lieux éloignés de la foule de veaux. Comme un autre monde. Les deux femmes sur le pas de la porte, presque au bord de l'eau qui pelaient des légumes pour la minestra, une petite fille jouant à leurs pieds avec les épluchures, le campo aux herbes hautes et le fond de ce décor, la basilique blanche et l'ancien palais épiscopal, le campanile. Une scène de théâtre pour une scène de Goldoni...
.
5 avril.
A Venise, j'ai découvert mon âme... Cette exigence désespérée, ce refus de l'opacité adulte, cet amour et cette haine de la vie, cette obsession du beau... C'est à Venise que je dois cela...
.
Deux ans déjà... Deux années passées ici, calle dell'Aseo, Cannaregio, à deux pas du ghetto. Rien ne change, tout continue... L'âge semble n'avoir pas de prise sur moi. Ce n'est pas que je sois moins vulnérable que les autres. J'ai moi aussi mes blessures. La différence est que ces plaies, je les aime, je les entretiens, je les guette pour en faire des phrases. Assurément cela me perdra un jour, mais jusqu'à présent, c'est ce qui m'a sauvé... Cela aussi je le dois à Venise...
.
Vendredi 13.
Joie de cette Venise tranquille. Loin des touristes : campo San Lorenzo. Assis sur la margelle du puits, j'écoute deux petites filles qui bavardent et refont déjà le monde. Le ciel est presque blanc. Des oiseaux chantent. Ici, on respire. Joie aussi de ce matin avec les merles dans le jardin et le rayon de soleil sur les feuilles qui viennent de naître.
.
Il y a si peu de verdure à Venise, que tout morceau de nature devient paradis à nos yeux. La charmille du café del Paradiso à Castello est un lieu unique : le bassin de Saint Marc devant les yeux, les arbres du jardin de la Biennale comme un mur, et cette glycine en fleur sous laquelle je lis Tacite en savourant un croque-monsieur et un café macchiato...
.
Joie aussi de cette promenade sur le Brentà. Visite de la villa Pisani à Strà. Le labyrinthe, les fabriques, les pêchers en fleur. Les jasmins. Comme une fête.
.
Samedi 14 avril.
Sur le campo Sta Maria Formosa, au-dessus du café de l'horloge, la maison de Sebastiano Venier, le vainqueur de Lépante. La naissance du monde moderne et de ses errements.
"Je n'ai pas une larme et mon coeur se tait" (Princesse Thurn und Taxis devant les ruines de Duino où Rilke composa ses élégies).
.
Journée vraiment printanière. Soleil de plomb.
.
La Biasin m'accapare un (long) moment. Elle s'inquiète pour son mari malade, ce qui la rend aimable. Après l'avoir aidé à l'auberge, je cours rejoindre Agnès pour déjeuner au Palais. Atmosphère tranquille du Palais Clari. Un hâvre de paix et de fraîcheur. Dehors un soleil presque trop chaud.
.
Café avec Laure de S. et son amie Mirabelle. Jeunes et délicieuses petites parisiennes. Laure m'a envoûté... Une ravissante petite nymphe à peine sortie du monde de l'enfance, blonde les yeux verts. Beauté et innocence avisée. Ah si j'étais plus jeune !
.
Après un long moment au Cucciolo en compagnie des trois filles (Laure a attrappé une insolation), conférence à l'Alliance Française. Madame Couvreux-Rouché reçoit un fâcheux prétentieux qui ose parler (mal) de Rilke et Venise. Archinul. Diapositives mal synchronisées de mauvaise qualité... Bref l'ennui. Vu le vice-consul Dillemann et le Duc Decazes. Thé au Palais avec Violaine. Agnès ravie : arrivée de Marco, jeune N.H. vénitien de pure race. Un peu fât mais joli gosse. Je crois qu'elle a le béguin pour lui. Me voilà vraiment dans la peau d'un cicerone, comme le désirait sa mère !
.
Vernissage au Palais Fortuny : Images d'Hollywood.
.
Au Musée Guggenheim : cocktail pour la réouverture de la collection. Mondanités fades mais petits fours de Rosa Salva. Le jardin envahi par de vieilles sottes envisonnées. Jeunes étudiants sélects. Je pense à une scène de la Panthère Rose sans trop savoir pourquoi... Encore le Duc et la Duchesse. rencontré Laure et Mirabelle qui rentraient.
.
Le soir, dîner chez Violaine et Rebecca à Sta Maria Formosa. Sympathique compagnie. J'aime la douce folie de Rebecca et la folle douceur de Violaine. Je retrouve ensuite Agnès et Mirabelle au Paradiso Perduto. Laure, hélas n'est pas venue (l'insolation).
.
Couché très tard. Je rêve de Laure, petite fille charmante. Joli sourire, jolie voix. Un rêve de soleil et de fleurs parfumées.
.
Dimanche 15, Rameaux.
Merveilleuse cérémonie à Saint Georges. Procession solennelle des Rameaux. Messe selon le rite de Saint Pie V. Foule nombreuse.
.
Atmosphère de recueillement et beauté de la foule silencieuse et orante. Le chœur des moines est magnifique. Vu une belle famille d'irlandais (je les ai retrouvé plus tard, ils sont descendus chez Seguso sur les Zattere). L'aîné des enfants - un garçon de dix sept ans - s'essaye à l'italien pour me demander le chemin de la Ca'Rezzonico. Nous terminons la conversation au Cucciolo avec ses parents, sa sœur -quatorze ans - et leurs jeunes frères - douze et neuf ans. Belle famille en vérité. Tous très beaux.
.
Rencontré un jeune aristocrate de très noble apparence. Visiblement très recueilli, il reste agenouillé longtemps après les autres... J'ai vite reconnu l'un des jeunes autrichiens croisés l'autre jour à la Villa Pisani. Violaine aussi l'avait remarqué. Sur le parvis, après la messe, il nous attendait. Nous avons pris le vaporetto ensemble. Ce n'est que sur le bateau qu'il nous a parlé. La glace rompue, il était tout sourire. Violaine lui a demandé la permission de le dessiner. Rendez-vous pris pour l'après-midi.
.
Vu Agnès et la terrible Valérie devant le Palais. Sans rimmel ni fonds de teint, ces deux gamines seraient très jolies. Pourquoi maquiller leur fraîcheur ?
.
Au même moment (j'entrais dans le jardin du Consulat), nous avons retrouvé les autrichiens.
.
Violaine m'invite à goûter la délicieuse tarte aux amandes de Chez Gianni. Nous la dégustons au Cucciolo, sur la terrasse, devant la Calcina, après le départ de mes irlandais. Atmosphère de vacances et bonheur tranquille. Cette sérénité me convient, elle me porte et me préserve.
.
14h30, San Barnaba. Le jeune autrichien nous attendait un peu inquiet. Nous étions en retard. Ses amis sont allés visiter le ghetto. Violaine s'empare de son carnet à dessin tandis que je discute avec lui.
.
Il se prénomme Nicolas comme je l'avais deviné. Violaine a gardé de lui plusieurs croquis dont un portrait très ressemblant. Son nez retroussé, ce mélange d'enfance et de virilité, cette peau blanche, ces cheveux, drus avec déjà quelques mèches blanches. De beaux yeux d'un bleu très pur derrière de longs cils bruns. Il est très grand, très doux, très souriant. Sur le dessin, il est assis sur les marches du pont, la tête légèrement inclinée et me parle. Nous nous comprenons très vite. Il me dit dans un anglais excellent : "nous nous sommes sentis et nous nous sommes reconnus". Bonheur d'une amitié naissante. Nous parlons tous les trois. Longtemps. De tout : Tarkowski, Fellini, Pasolini, Leontiev, Dostoievski, mais aussi des mormons, de la double monarchie autrichienne, des enfants et de la beauté, de la paix aussi.
.
Violaine invite Nicolas et ses amis à dîner et décide qu'ils dormiront tous trois à l'appartement. Repas sympathique malgré la fatigue générale. Longue discussion sur la littérature. nous lisons d'Annunzio, Dante et Ruskin une bonne partie de la nuit.
.
Retour d'Odile Lurton, triste, égale à elle-même. Dommage, j'aime beaucoup cette fille pleine de talent mais tellement engoncée dans des problématiques sans fin.
.
Ce fut un vrai dimanche. Violaine très belle dans son chemisier blanc de dentelle immaculée, les escarpins blancs et moi en blanc aussi et le soleil très haut, le ciel très bleu, la messe très solennelle, le parvis avec les paroissiens et les moines qui bavardent, les petits gâteaux et la ficelle dorée, le café sur la terrasse et la promenade, bras-dessus-bras-dessous . J'en connais qui crieront à l'ineptie. Je les laisse à leurs aigreurs.
.
Nicolas repart demain pour Graz. "Il a le sourire et le regard velouté d'un prince de légende" dit de lui Rebecca. Nous parlons longtemps de l'Autriche. Son ami, Ati Pacher-Theinburg est plus secret. Leur compagne Claudia Leopold est très belle. Les revoir en Autriche.
.
posted by lorenzo at 23:47

10 mars 2006

Parmi les amis de Tramezzinimag

Vous êtes plusieurs à me demander quels sont selon moi les meilleurs sites et blogs sur Venise. Question difficile. Nombreux sont les amoureux de la Sérénissime qui partagent leur passion sur la toile. Il est impossible d'en choisir. Bien sur certains sont très beaux, très professionnels, d'autres pêchent un peu techniquement et je sais maintenant d'expérience tout ce qu'on peut mettre de soi dans ces pages écrites avec amour et illustrées avec soin...

Bon alors puisque vous insistez, voici une liste de mes favoris. Elle n'est pas exhaustive. Un grand merci à ceux qui m'ont précédé et ont bien voulu inscrire mon modeste TraMeZziniMag en lien permanent ! En voilà trois, (pour commencer) :


Le premier, le plus consulté, très bien documenté : Chez l'oncle Tom :

Ensuite, le site de Jean Antoine, le superbe et très sympathique Campiello :

Un blog en anglais, Veniceblog :

posted by lorenzo at 22:10

05 mars 2006

Dans un peu plus d'un mois, Dieu voulant comme on dit chez moi, nous retrouverons notre maison de Dorsoduro. La glycine en fleur et les chats qui jouent dans le jardin. L'herbe sera haute, il faudra la couper. Combien j'ai hâte de retrouver mes habitudes vénitiennes... Le Gazzettino du matin lu en sirotant un spritz à la terrasse du café de Sta Margherita, où me rejoindront l'un après l'autre, les enfants se disputant le choix des ballades ou des visites de la journée... Le marché au Rialto... les bons petits plats cuisinés tous ensemble, en musique. Bob Marley, Nat King Cole, Vera Lynn ou Julius LaRosa... Les sorties en barque... Les tramezzini et le vin blanc du Café del Paradiso... La messe à San Giorgio et la tarte aux amandes de Rosa Salva... Les vieux amis qui viennent partager un rare Clinto avec des tartines, bruschetta et tapenade, anchois frais et coquillages... Doux farniente et longues promenades sans but... La récompense de semaines de travail, de fatigue et de vie bordelaise.

posted by lorenzo at 22:34

01 mars 2006

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 1) : La bulle de Tiepolo

En revenant de Venise la dernière fois, j'ai eu l'agréable surprise, en me promenant parmi les rayons de la librairie Mollat, de découvrir un joli petit livre exposé sur une table, éclairé par un rayon de soleil très joueur. Petit, peu épais, énième rejeton de l'illustre collection blanche de la Maison Gallimard, revêtu d'une jolie robe polychrome, représentant cette fresque de Tiepolo récemment restaurée et de nouveau très fraîche, qu'on peut admirer à la Ca'Rezzonico. Il s'agit du dernier roman de Philippe Delerm, "La bulle de Tiepolo". Joli cadeau pour un retour en douceur à la vie quotidienne.
 
Non pas que ma vie à Venise soit hors du quotidien. A part le fait d'être en chair et en os, et non plus seulement par la pensée, dans l'un des plus beaux lieux du monde, mes séjours dans la lagune sont certes autant de petits bonheurs retrouvés, mais j'y vis comme ailleurs. Le quotidien y prend seulement une autre couleur. Celle des reflets sur l'eau des canaux, des murs peints, des ciels si changeants et tellement beaux... Mais d'autres savent mieux que moi parler de tout cela.
 
De quoi s'agit-il donc dans ce petit livre inspiré ? Deux personnages que tout oppose – un critique d'art, la cinquantaine, qui vient de perdre sa femme et sa fille dans un accident, et une jeune romancière italienne qui connaît un succès inattendu avec un petit livre consacré à Venise – se disputent un tableau déniché dans une brocante parisienne : lui parce que le style évoque Vuillard, elle parce qu’il porte la signature de son grand-père.
Après cette rencontre inattendue, ils vont partir ensemble pour Venise, où le critique doit étudier une version peu connue d’un tableau de Tiepolo, "Le Nouveau Monde", conservé dans une villa palladienne.
 
Ce tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations : ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus précieux de la vie, ceux qu'il ssont en train de vivre, ensemble...
 
Lorsqu'on visite la Ca'Rezzonico, après les salles gigantesques au mobilier imposant, les damas de soie sur les murs, les plafonds peints et sculptés, c'est un plaisir que de se retrouver dans de longs corridors aux tons pastels, donnant sur de jolies petites pièces très intimes couvertes de stuc rose, vert ou bleu ciel. C'est là, dans un parfum d'huile de lin et de cire d'abeille, que sont installées les fresques de Tiepolo. Souvent la lumière, dansant sur les miettes de marbre poli qu'on appelle ici le terrazzo, donne à ces salles un délicieux air de maison de famille. J'ai ressenti la même atmosphère un après-midi d'été au petit Trianon à l'étage des enfants, un couloir peint à tempera éclairé par le soleil, les portes ouvertes sur de petites salles presque humbles mais très belles de proportion. Une noble simplicité. Ce que le XVIIIe siècle a su produire d'harmonie et de grâce est contenu dans ces minces espaces qu'un soleil joyeux éclaire dans le silence du jour, arrachés comme par faveur au luxe et à l'ostentation du reste du palais. C'était bien le meilleur écrin possible pour présenter cette série de peintures joyeuses et fantasques qui, à chaque fois que je leur rend visite, me donne l'impression d'être à une autre époque et rend l'illusion quasi parfaite : ces êtres vus de dos semblent vivants. Les polichinelles dans la pièce à côté vibrent et frémissent. On entend presque la musique de leurs instruments et le son de leurs voix. Enfant, je rêvais de demeurer là après que le musée soit fermé. J'étais convaincu que la nuit tout ce monde s'animait pour de bon et, descendant des parois, dînait, s'amusait, dansait jusqu'au petit matin. Parfois le lendemain, une coupe de champagne renversée sur le sol, un peigne d'écaille, des miettes intriguaient les gardiens et ils maudissaient à chaque fois les femmes de ménage trop pressées qui n'avaient pas bien nettoyé ces petites salles éloignées. Il est de ces mystères à Venise...

La bulle de Tiepolo

En revenant de Venise la dernière fois, j'ai eu l'agréable surprise, en me promenant parmi les rayons de la librairie Mollat, de découvrir un joli petit livre exposé sur une table, éclairé par un rayon de soleil très joueur. Petit, peu épais, énième rejeton de l'illustre collection blanche de la Maison Gallimard, revêtu d'une jolie robe polychrome, représentant cette fresque de Tiepolo récemment restaurée et de nouveau très fraîche, qu'on peut admirer à la Ca'Rezzonico. Il s'agit du dernier roman de Philippe Delerm, "La bulle de Tiepolo". Joli cadeau pour un retour en douceur à la vie quotidienne.

Non pas que ma vie à Venise soit hors du quotidien. A part le fait d'être en chair et en os, et non plus seulement par la pensée, dans l'un des plus beaux lieux du monde, mes séjours dans la lagune sont certes autant de petits bonheurs retrouvés, mais j'y vis comme ailleurs. Le quotidien y prend seulement une autre couleur. Celle des reflets sur l'eau des canaux, des murs peints, des ciels si changeants et tellement beaux... Mais d'autres savent mieux que moi parler de tout cela.

De quoi s'agit-il donc dans ce petit livre inspiré ? Deux personnages que tout oppose – un critique d'art, la cinquantaine, qui vient de perdre sa femme et sa fille dans un accident, et une jeune romancière italienne qui connaît un succès inattendu avec un petit livre consacré à Venise – se disputent un tableau déniché dans une brocante parisienne : lui parce que le style évoque Vuillard, elle parce qu’il porte la signature de son grand-père.
Après cette rencontre inattendue, ils vont partir ensemble pour Venise, où le critique doit étudier une version peu connue d’un tableau de Tiepolo, "Le Nouveau Monde", conservé dans une villa palladienne.

Ce tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations : ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus précieux de la vie, ceux qu'il sont en train de vivre, ensemble...
Lorsqu'on visite la Ca'Rezzonico, après les salles gigantesques au mobilier imposant, les damas de soie sur les murs, les plafonds peints et sculptés, c'est un plaisir que de se retrouver dans de longs corridors aux tons pastels, donnant sur de jolies petites pièces très intimes couvertes de stuc rose, vert ou bleu ciel. C'est là, dans un parfum d'huile de lin et de cire d'abeille, que sont installées les fresques de Tiepolo. Souvent la lumière, dansant sur les miettes de marbre poli qu'on appelle ici le terrazzo, donne à ces salles un délicieux air de maison de famille. J'ai ressenti la même atmosphère un après-midi d'été au petit Trianon à l'étage des enfants, un couloir peint à tempera éclairé par le soleil, les portes ouvertes sur de petites salles presque humbles mais très belles de proportion. Une noble simplicité. 

Tout ce que le XVIIIe siècle a su produire d'harmonie et de grâce est contenu dans ces minces espaces qu'un soleil joyeux éclaire dans le silence du jour, arrachés comme par faveur au luxe et à l'ostentation du reste du palais. C'était bien le meilleur écrin possible pour présenter cette série de peintures joyeuses et fantasques qui, à chaque fois que je leur rend visite, me donne l'impression d'être à une autre époque et rend l'illusion quasi parfaite : ces êtres vus de dos semblent vivants. Les polichinelles dans la pièce à côté vibrent et frémissent. On entend presque la musique de leurs instruments et le son de leurs voix. 

Enfant, je rêvais de demeurer là après que le musée soit fermé. J'étais convaincu que la nuit tout ce monde s'animait pour de bon et, descendant des parois, dînait, s'amusait, dansait jusqu'au petit matin. Parfois le lendemain, une coupe de champagne renversée sur le sol, un peigne d'écaille, des miettes intriguaient les gardiens et ils maudissaient à chaque fois les femmes de ménage trop pressées qui n'avaient pas bien nettoyé ces petites salles éloignées. Il est de ces mystères à Venise...
posted by lorenzo at 21:10