24 septembre 2006

Mort d'un éditeur, fin d'une époque

Nous avons tous été très tristes d'apprendre cet été la disparition du libraire éditeur Luciano Filippi, passionné de l'histoire et des traditions vénitiennes dont la librairie de Castello, repère magique, sorte de grotte aux merveilles, fut pour moi pendant mes années d'étude un refuge, une école et un morceau de paradis.
Il savait faire passer sa passion et son amour pour la ville. les textes qu'il publiait, ses recherches, son fonds d'une richesse incroyable, tout contribua à propager chez les jeunes vénitiens et chez bon nombre d'étrangers, une meilleure connaissance de l'histoire et des traditions de la Sérénissime. Tous les aspects de Venise lui étaient familiers et il s'intéressait à tout ce qui touchait la ville et ses habitants. 
Le temps semblait s'arrêtait lorsqu'on poussait la porte de sa librairie. Parmi les éditions originales, les gravures et les éditions modernes, les romans, les recueils de poésie, les albums de photographies, tout sur le thème de Venise, dans un magistral désordre, on dénichait toujours le livre qui était là pour nous. Dans ce fouillis indescriptible, Filippi se mouvait avec aisance et retrouvait toujours tout, ne vendant jamais un ouvrage sans l'avoir commenté, expliqué, comparé et surtout sans avoir jaugé la capacité de l'acheteur potentiel à comprendre où à apprécier son contenu. Il paraissait revêche au premier abord, ruminant toujours comme bon nombre de vénitiens. Il faisait un peu peur parfois. En fait cet homme était presque sourd et de cette surdité surgissaient parfois des incompréhensions qui tenaient du délire surréaliste. Un peu comme Tryphon Tournesol avec le Capitaine Haddock (mais je ne voudrais pas qu'on pense que je manque de respect pour ce grand monsieur qui a tant fait pour Venise !). Il finissait toujours par s'ouvrir - s'éclairer même - et sa conversation devenait un régal, mieux : un privilège. Il transmettait ainsi des bribes du patrimoine intellectuel de la Cité des Doges. C'était un passeur de mémoire. J'ai davantage appris avec lui sur l'histoire des arts à venise et l'évolution de la peinture qu'en plusieurs années de cours à l'Université du côté de San Sebastiano... 
J'ai entendu dire que déjà des promoteurs s'intéressent au local de la calle del Paradiso. Cette librairie est un monument fondamental de l'identité vénitienne. Il faut la défendre et la préserver. Il n'avait pas que des amis parmi les politicards (comme il disait souvent) et les membres de l'intelligentsia officielle. Le Gazzettino n'a pas manqué de le rappeler, sous-entendant qu'il sera difficile de lutter contre les culs-de-plomb qui ne verront dans ce magnifique magasin qu'un local d'une superficie intéressante, bien placé sur le chemin des touristes... 
Il reste peu de vénitiens. Nous devons les aider à se battre pour préserver leur culture, leur patrimoine contre la spéculation et le lucre. Après la Fenice et le Palais Grassi, d'autres monuments vont tomber dans le domaine privé sous le signe de la rentabilité et du profit. Seules les activités traditionnelles (l’édition n'en est-elle pas une depuis toujours) et typiques sont les derniers dépositaires de l'identité culturelle de Venise. 
De plus en plus de vénitiens se battent pour ne pas laisser disparaître cette identité. Face à Walt Disney et aux financiers républicains de Las Vegas, ce ne sera pas chose facile. Nous devons les aider à défendre Venise, comme ce grand monsieur par son travail éditorial n'a jamais cessé de le faire ! Écrivez un mail à la librairie pour les soutenir afin de prolonger le travail de Luciano Filippi : filippieditore@flashnet.it

LIBRERIA EDITRICE FILIPPI 

Castello 5284, Casselaria, 
Campo Santa Maria Formosa
30124 - Venezia
posted by lorenzo at 20:26

Ah, les bistrots de Venise !

Bars et bacari, enoteca, osterie et birrerie et autres cafés, sont légion dans le centre historique comme un peu partout en Italie. Lieu de rencontres pour le voisinage, paradis du mélange des classes et des générations, on y va au moins une fois par jour quand on vit à Venise. On s'y rend le matin pour le macchiato accompagné d’un croissant à la crème, pour lire le journal et entendre les nouvelles de la ville, en fin de matinée pour l’apéritif, après le repas, souvent pris sur le pouce devant le comptoir où trônent des cichetti, des piles de tramezzini et de crostini, c’est le temps du café avec ou sans grappa, puis le verre du soir… On boit beaucoup à Venise, par ennui peut-être, par tradition aussi. On dirait que certains sont si désespérés de voir ce que devient leur monde que l’alcool consommé au-delà de toute mesure et en compagnie d’autres désespérés est le dernier rempart pour ne pas sombrer ! Mais c'est avant tout un geste social, un moment de convivialité joyeuse, de communication et d'échanges. Spritz et prosecco, birra et grappa, Bellini dans les meilleurs endroits, autant de boissons de circonstances, qui - cela est bizarre ! - ont bien meilleur goût quand on les savoure à plusieurs. Consommées avec modération, ces agréables boissons procurent un plaisir certain et favorisent la vie sociale comme partout ailleurs. En voici l'illustration.



 



 



 












posted by lorenzo at 15:45

Derrière les murs écrasés de soleil.(1)




L’idée aujourd’hui est de promener mes lecteurs chez les vénitiens, les vrais et ceux d’adoption. 

Je voudrais vous montrer les lieux où ils vivent et en profiter pour regarder avec vous la beauté de ces intérieurs tous différents mais tous marqués par un petit quelque chose qui les rend souvent très semblables. Serait-ce le goût très répandu des mélanges, la lumière qui pénètre les maisons à travers les verres dépolis des fenêtres anciennes ou simplement notre amour pour ces maisons que d’un simple regard, presque volé, nous nous mettons aussitôt à partager avec leurs propriétaires. 

Après tout la beauté de Venise et tout ce qui la compose font partie d’un patrimoine commun. Ces images sont donc un peu à vous comme à moi. "Bienvenu chez vous !" comme disait naguère une de mes charmantes hôtesses vénitiennes..
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posted by lorenzo at 13:58

23 septembre 2006

Petit rappel à l'attention des grincheux

S’il est vrai que les blogs parlent souvent avant tout de la vie réelle ou rêvée de leurs auteurs, cette occasion qui nous est donnée de pouvoir exprimer ce qui parait à certains n’être que des banalités ou le produit d’un narcissisme débridé, donne naissance peu à peu à une communauté de goûts et d’intérêts.
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Avec TraMeZziniMag, depuis plus d’un an, des gens de tous âges et de tous milieux se reconnaissent dans mon amour – oserai-je dire ma passion – pour Venise et la vie vénitienne. Rien de transcendant dans ces articles, rien de nouveau, rien d’éminemment littéraire. Mais aucune prétention non plus, ni objectif précis. J’aime écrire. J’aime écrire sur Venise et relater faits et évènements dont j’ai pu être témoin ou qui m’ont été racontés. Je partage ainsi sur le Toile une conversation qui ne dépasserait pas celle qu’on développe avec les convives d’un dîner, les personnes avec qui on discute lors d’une soirée, dans un café ou dans un train.

Je suis donc tout à fait conscient que mes propos de modifieront en rien l’avenir de l’humanité et qu’il ne s’y trouve aucune idée capable d’apporter un plus à la pensée humaine. Raconter ma vie à Venise, mes voyages, mes rencontres demeure l’objectif qui a présidé à la naissance de ce petit journal. Partager mes coups de cœur et mes coups de gueule, relayer quand cela est nécessaire des mouvements d’opinion ou des campagnes pour la sauvegarde de Venise et contre la bêtise humaine (pandémie galopante) et le règne des crétins (race en expansion), voilà comment je pense TraMeZziniMag.

Et puis, n’en déplaise aux détracteurs grincheux, raconter par le menu la joie de vivre à Venise, le plaisir de faire la cuisine avec mes enfants ou les moments musicaux auxquels je participe parfois, m’apporte une satisfaction que je suis heureux de partager avec les visiteurs de ce blog, de plus en plus nombreux et souvent très fidèles !
Pourquoi cela éveille-t-il la hargne des grincheux ?
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Bon je laisse là mon clavier, ma petite dernière, Constance (10 ans) s'impatiente : Elle m'attend pour que nous fassions des sarde in saor (j'ai déjà donné la recette dans un précédent post) et des beignets de courgettes (spécialité d'origine grecque préparée à Venise d'une manière particulièrement délicieuse), pour le déjeuner de demain. Un concerto de Vivarini inonde déjà la cuisine de ses notes chantantes. "Allez papa, tu viens ?"... Le thé fume dans les chopes bleues. Un vase de tournesols illumine la table. Petits riens. Petits bonheurs insignifiants mais qui nous rendent joyeux et contents.  Le reste a si peu d'importance. C'est Venise qui nous a appris cela... 
posted by lorenzo at 16:24

Piazza San Marco, un samedi d'été


  
Ces images comme un hommage à Michel Butor, pour illustrer son très beau texte San Marco, paru il y a des années dans la collection blanche de Gallimard et qui, par un miracle dont seuls les grands écrivains sont capables, (ah ! la magie des mots !), nous livrait un témoignage visuel et sonore incroyable, parvenant par ses phrases à matérialiser pour nous le spectacle grandiose de la Piazza !

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22 septembre 2006

Venezia d'estate, particolare*



 
* : Venise l'été, détail.
 
 Posted by Picasa posted by lorenzo at 23:30

Au Rialto di mattino



 
posted by lorenzo at 06:50

Trafic et livraisons

Finalement, qui pourrait prétendre que ces embarras-là ne sont pas charmants, peu contraignants et qu'ils ne procèdent pas peu de l'ambiance générale qui règne à Venise dans chaque interstice d'un quotidien banal ? Il suffit à Paris, à Lyon ou à Bordeaux de trois ou quatre automobilistes impatients, d'une sirène de pompier et de la grue de la fourrière pour que notre oreille endolorie transmette à notre pauvre cerveau un engourdissement qui se transforme bien vite en haine du bruit et de l'automobile. 
C'est du moins mon cas. Alors, j'adore lorsque au détour d'un canal, livreurs et gondoliers hurlent et s'interpellent. Leurs injures sont comme une musique agréable à mes tympans ! Le clapotis de l'eau, le teufteuf ronronnant des moteurs, les mouettes et les oiseaux, le pas des passants qui résonne sur les dalles des rues valent mieux que l'infernale rumeur qui jour et nuit pollue nos villes et endolorit nos cerveaux. Chaque jour me rapproche du départ. Quitter le quotidien pollué et sans âme de l'enfer qu'est la vie urbaine du XXIème siècle pour aborder un rivage apaisé et tranquille, la vie à Venise. Je donnerai ainsi aujourd'hui toutes les beautés, tous les avantages, toutes les promesses d'un Bordeaux splendidement rénové pour que mes oreilles subissent chaque jour et à jamais le bruit des embarras de Venise. Sans appel.


posted by lorenzo at 06:26

21 septembre 2006

Pinault contre Guggenheim : à qui reviendra la pointe de la douane ?

L’appel d’offres lancé le 24 juillet dernier par la ville de Venise pour la restructuration des Magazzini del Sale à la pointe de la douane a provoqué la surprise en mettant en pleine lumière le futur affrontement des deux géants de l’art contemporain : d’un côté François Pinault pour le Palais Grassi et de l’autre, Philip Rylands pour la Fondation Solomon R. Guggenheim avec le soutien du financier Alberto Rigotti au nom de la Région Veneto.
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Mais le concours orchestré par la ville (un cahier des charges en quarante points et pas n’importe lesquels) sera avant tout une joute entre deux des architectes les plus en vue du moment : Tadao Ando pour le Palais Grassi et Zaha Hadid pour la Guggenheim. Deux pointures aux vues et au style complètement opposé.
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Si le milliardaire français confirme ainsi sa confiance au japonais qui a rénové le Palais Grassi, la Fondation Guggenheim crée la surprise en sortant un joker en la personne de cette architecte très en vogue. Originaire de Bagdad, installée à Londres et devenue en quelques années une véritable star de l'innovation architecturale.
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Choix prestigieux mais très antithétique de la part de la fondation. Si Tadao Anto est le porte drapeau du minimalisme, de la grande élégance formelle et du respect absolu des existants historiques, Zaha Hadid fait partie de cette école qui prônent un signe fort, une insertion violente dans le contexte architectural, un peu comme la construction de Beaubourg, signé par Renzo Piano et Richard Rodgers, sorte d'éclaboussure à l'origine, devenu aujourd'hui un des édifices contemporains les plus appréciés. La Biennale d'architecture 2006 - qui n'est pas une réussite transcendante - présente d'ailleurs son projet MAXXI pour Rome.
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"Elle ne va pas démolir la pointe de la Douane, c'est évident - certifie en souriant Philip Rylands, le directeur du musée Peggy Guggenhein - pas plus qu'elle ne fera des ajouts visibles à l'extérieur de l'édifice. Il s'agit, avant tout d'un travail sur le design des locaux".
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C'était à l'origine Vittorio Gregotti, pourtant de renommée internationale mais peut-être moins fashion (il va fêter ses 86 ans cette année) qui avait été pressenti dès 1999 pour prendre en charge la restructuration de la Pointe de la Douane. Jean Jacques Aillagon, l'actuel directeur du Palais Grassi (et ancien ministre de la Culture français) avait d'ailleurs salué le travail de l'architecte piémontais, envisageant même une possible collaboration.
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"Le prestige et la reconnaissance de Gregotti ne sont pas mises en question - précise Rylands à Lidia Panzeri (du Gazzettino) - et nous souhaitons qu'il intervienne dans d'autres projets vénitiens".
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La région Veneto, promoteur du projet, marche avec la fondation Guggenheim, avec le soutien financier (et technique) de Alberto Rigotti, administrateur de la société Munus et de ABM Merchant, qui s'est engagée à soutenir financièrement le projet, estimé entre 20 et 30.000.000 de dollars. Gageons que le combat va être chaud et violent. En attendant, nous aimerions bien avoir un aperçu des projets qui vont sortir de l'imagination et du savoir-faire de ces deux architectes.
posted by lorenzo at 21:22

19 septembre 2006

Les jardiniers de San Erasmo ont les pieds dans l’eau

Ces dernières heures ont fait frémir toute la lagune : les pluies torrentielles qui se déversent depuis dimanche sur Venise ont fait craindre pendant quelques heures le retour du cauchemar de 1966 quand un déluge s’abattit sur la ville pendant que les vents empêchaient le trop plein des marées de quitter la lagune, faisant monter le niveau des eaux à plus de deux mètres par endroit, endommageant durablement plus de la moitié de la Cité et détruisant bon nombre de ses trésors. Heureusement, cette fois-ci, il n’y avait pas de vent, où celui-ci soufflait dans la bonne direction.
 
C
ependant c’est la Venise de terre ferme qui a été atteinte : Mestre est sous l’eau, les îles de la lagune sont elles aussi inondées et les chasseurs se lamentent : champs et prairies sont sous les eaux. Le panorama, hier dimanche, pour ceux qui s’aventuraient en barque sur la lagune était des plus sinistres : la plupart des fermes avaient les pieds dans l’eau, les routes et les chemins déversaient des torrents de boue. Tant de canaux sont laissés de côté et trop rarement dragués, dit le conseiller municipal écologiste Beppe Caccia. Cet abandon des usages traditionnels (on creusait les canaux plusieurs fois par an afin de maintenir le même niveau d’eau quelque soit l’ampleur des marées permettant ainsi d’éviter les inondations) aura certainement des conséquences désastreuses sur la production horticole de San Erasmo. 


Une fois de plus, l’homme oublieux des leçons du passé, contribue à l’aggravation des choses. Venise semble bien une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls vénitiens d’aujourd’hui ! La Magistrature des Eaux, qui existe depuis plus de mille ans, semble bien incapable de remédier aux problèmes moins porteurs certes que ceux regardant les monuments et les lieux touristiques, mais qui risquent à plus ou moins court terme de remettre en cause, là-aussi, le système de vie lagunaire. Et après, quand il n’y aura plus de fruits et de légumes à San’Erasmo, quand il n’y aura plus de paysans, de pêcheurs, de chasseurs ? La ville fera venir d’Israël du Maroc ou d’Argentine ses melons, ses artichauts, ses pêches, ses tomates et ses aubergines ?

posted by lorenzo at 21:09