11 février 2007

La photographe photographiée


Le regard original du studio Immagino de Venise.

Quand Nicolas vit Luisa. Récit.

Quand Nicolas vit Luisa, il fut suffoqué. La jeune femme avançait un sac sur le dos, un livre à la main vers la sortie de la gare. Elle venait de descendre du train de Rome apparemment et faisait étape à Venise. Un jean, un polo bleu sous une veste de velours. Brune, les yeux verts, elle portait ses lunettes de soleil sur la tête. Un air nonchalant et décidé à la fois. Il venait comme presque chaque jour acheter des cigarettes et bavarder un peu avec son ami Gabriele qui attendait dans le hall l'arrivée des touristes pour leur proposer son hôtel comme une dizaine d'autres drogmans. Ce soir là il ne songea pas à discuter, ni à acheter son paquet de MS. Il venait de la voir et il fut subjugué.

Luisa était espagnole, étudiante, fille d'une grande famille d'aristocrates de Malaga. Elle venait de faire un long périple solitaire en Italie. Après Naples, la Sicile, Rome et Florence, elle terminait son voyage par Venise. Elle devait y rester quatre jours avant de prendre le ferry pour Corfou et rejoindre là-bas ses parents. Tout cela Nicolas devait l'apprendre plus tard. Pour le moment, il ne voyait que cette belle fille brune, la peau hâlée, joliment faite et l'allure altière. Il fallait qu'il l'aborde. Il était perdu dans ses pensées quand Gabriele lui tapa sur l'épaule en lui disant "Nicolas, tu parles espagnol non ? Viens donc avec moi je dois récupérer une fille espagnole qui a réservé à l'albergo, j'ai préparé un panneau pour ne pas la louper". Il brandit aussitôt sa pancarte sur laquelle le nom de la jeune fille était noté au marqueur noir. "Vous êtes le monsieur de l'Albergo Mignon ?" La jeune femme s'adressait à Nicolas. "Euh, non, pas moi lui" dit-il bêtement en désignant son ami. Il se sentit devenir rouge. Elle le regarda en souriant et lui dit dans un italien quasiment parfait "vous devez avoir chaud, vous êtes tout rouge". "Il n'est pas italien, il est français" répondit Gabriele en italien, "mais vous parlez notre langue ?". Elle esquissa un sourire charmeur "je parle un peu l'italien, le français, l'allemand, l'anglais et l'espagnol naturellement". Cette fille avait de l'esprit et en plus elle était splendide. Nicolas était complètement sous le charme. C'est ainsi que Luisa rentra dans sa vie.

Depuis son arrivée à Venise Nicolas avait eu quelques aventures. Rien de très sérieux. Des filles qu'il croisait à la faculté. Betty, Anna, Irene la danoise. Des copines tout au plus. Cela ne durait jamais vraiment. Il avait laissé en France sa petite amie. Anne-Elisabeth l'attendait. Il ne supportait plus le poids de cette relation et fut soulagé lorsqu'il obtint cette bourse pour venir terminer sa maîtrise à Venise. Il pourrait naturellement s'éloigner d'elle sans rompre. Sans lui faire de mal. Elle voulait qu'ils vivent ensemble. Elle voulait qu'ils se marient. Elle désirait des enfants. Lui aussi aspirait à cela mais plus tard, bien plus tard. En attendant, il voulait vivre, découvrir le monde, les gens et rêvait d'écrire. L'amour vrai, profond, idéal c'était pour lui un horizon lointain. Comme un île au large où il accosterait un jour, après un long voyage. En attendant il vivait à Venise, heureux de son sort et ravi de tout ce qui pouvait lui arriver. Mais soudain, il suffit que cette fille espagnole se présente dans son champ de vision pour qu'il sente que tout venait d'exploser en morceaux. Rien ne serait plus jamais pareil. Mais il n'était pas capable encore de définir tout cela. Ils sortirent de la gare.

"¡Es maravilloso!" cria la jeune femme en arrivant en haut des marches de la stazione, face au Grand canal. Il faisait beau, la lumière était splendide, l'animation joyeuse. Ces bruits, ces odeurs qui vous prennent à chaque fois que vous sortez de la gare et que vous vous retrouvez face à ce paysage urbain incroyable qui ne ressemble à rien d'autre. Elle semblait suffoquée. Quand elle se tourna vers les garçons, son visage en était comme illuminé. Ses yeux brillaient. La bouche ouverte formait un rictus presque comique. Elle semblait heureuse comme quand on retrouve une personne aimée perdue de vue pendant trop d'années. "Je ne m'imaginais pas cette ville aussi belle. C'est encore mieux que dans mes rêves" dit-elle.

C'est ainsi que la vie de Nicolas fut transformée à jamais. Quatre jours incroyables qui bouleversèrent ses idées, sa pensée, son quotidien. Après le typhon Luisa, il ne respira plus jamais pareil. Il ne fut plus jamais le même. Cette jeune femme lui donna l'impression de naître vraiment. Tout avec elle prenait un goût de première fois. Dîner dans un petit restaurant au clair de lune, faire une promenade en barque, aller nager au Lido, voir un film au ciné-club, faire les boutiques, visiter un musée. Tout se colorait d'une palette nouvelle. Il était amoureux. Cela se fit très vite.

Le long du chemin qui mène à l'auberge de son ami, Nicolas parla beaucoup. De Venise, de l'université, des livres qu'il aimait, de la cuisine italienne, de Pinocchio, des étoiles, de la mer, du cinéma. Elle riait, montrant ses belles dents blanches. Il adorait cette manière qu'elle avait de secouer ses cheveux bruns légèrement bouclés en remuant la tête sur le côté. Elle avait deux anneaux d'or aux oreilles qui tintaient quand elle bougeait ainsi la tête. En arrivant à l'hôtel, distancés par Gabriele qui devait repartir pour l'arrivée de l'express de Milan, ils avaient déjà décidé de se revoir le soir pour une promenade nocturne et un dîner. Nicolas allait lui montrer sa Venise, les recoins qu'il adore, les lieux que peu de touristes connaissent.

Quand il passa la chercher, elle l'attendait sur un banc du campo SS Apostoli. Elle avait revêtu une robe verte à bretelles. Elle portait un châle noir. Sa peau hâlée respirait la paix. Elle semblait totalement en harmonie avec les lieux. Elle lui sourit. Ils marchèrent pendant des heures. Il parla beaucoup. Trop. Vers dix heures, ils s'arrêtèrent dans un bàcaro où on faisait de la musique. Il y allait souvent avec ses amis. Ils dînèrent dehors, à une table au bord du canal. Il y avait peu de monde qui passait. La soirée était douce. Une de ces soirées d'été où tout semble apaisé après la moiteur du jour. Ils rirent beaucoup. Ils étaient un peu saouls. Il rêvait de coucher avec elle. Elle se laissa embrasser et répondit avec fougue à ses baisers. Ils montèrent chez lui. Elle se laissa caresser, répondit à ses caresses par d'autres caresses. Mais elle refusa d'aller plus loin. Il la raccompagna. Luisa était espagnole, catholique et pleine de principes. Il n'en prit pas ombrage. Ils se virent ainsi très souvent, poussant leur flirt jusqu'aux limites qu'elle avait imposé. Ils ne firent jamais l'amour mais les heures passées ensemble, sur les murazzi au Lido, le soir dans la chambre de Nicolas où une nuit dans la barque de Nicolas au milieu de la lagune restèrent gravées dans la mémoire du garçon comme les moments les plus intenses, les plus excitants, les plus forts sexuellement qu'il ait jamais vécu. Aucune extase, aucune nuit d'amour ne fut aussi dense que ces chastes corps à corps .

Le quatrième jour, elle prit le bateau pour Corfou. C'était un paquebot tout blanc battant pavillon grec. Il l'accompagna. Elle pleura. Lui aussi. Elle lui promit de revenir. "En septembre, quand mes parents repartiront à malaga, je repasserai sinon ce sera en octobre, vers le 20"... Il regarda longtemps le navire s'éloigner dans ce magnifique décor pour romans d'amour. Il lui semblait voir Luisa sur le pont qui agitait sa main. Bientôt le bateau dépassa la pointe de San Elena et ne fut plus qu'une trait noir à l'horizon, près du Lido. Il marcha toute la nuit. Vers deux heures du matin, il s'installa tout au bout de la pointe de la douane, devant ce majestueux spectacle qu'est la piazzetta et San Giorgio la nuit quand tout est calme et que seul le clapotis de l'eau confirme qu'il ne s'agit pas d'un tableau mais d'un lieu vivant. Il se sentait vide et comblé à la fois. Il avait aimé cette fille comme un fou mais ne savait presque rien d'elle, de ses aspirations, de ses désirs. Ils avaient parlé d'art, de littérature, de cinéma, de cuisine, d'enfants, de musique, de voyages, du roi d'Espagne et des basques et des catalans, de Mitterrand, de de Gaulle et de Franco... Mais qu'avaient-ils dévoilé d'eux-même ? Il avait touché chaque centimètre de sa peau dénudée, douce, parfumée. Elle avait caressé son corps. Ils s'étaient longuement embrassés. Ils avaient nagé des heures. Ils étaient partis une nuit en barque sur la lagune et n'étaient rentrés qu'au petit matin. Mais elle demeurait pour lui un mystère. Plusieurs mois passèrent. Elle ne revint pas. Il oublia sa promesse. Les examens approchaient. L'hiver avait été rude. Le printemps ramenait la joie de vivre et les soirées se succédaient avec les copains. Gabriele lui avait procuré un petit boulot à l'hôtel. Il faisait les chambres, tenait le registre des entrées quand la patronne était au marché et Gabriele à la gare. Anne-Elisabeth avait annoncé son arrivée dans quelques jours. Nicolas était décidé. Il allait bien la recevoir. Elle passerait un agréable séjour. Mais, il romprait avec elle. Il ne pouvait se faire à l'idée qu'elle l'attende là-bas en France lui qui s'épanouissait ici et ne voulait plus rentre. Il ne voulait plus la faire souffrir et l'empêcher d'être heureuse, sans lui. Il savait intuitivement que s'il ne le faisait pas là, cette fois-ci, il n'aurait plus jamais le courage de partir. Ils en souffriraient toute leur vie. Leurs étreintes étaient devenues mécaniques. Elle l'aimait beaucoup c'est certain. mais plus que tout elle ne voulait pas rester seule et ce garçon brillant, gentil, drôle et différent des autres, bien fait et si doux lui apparaissait comme l'homme de sa vie. En elle tout était décidé. Pourtant, lors de ses rares et pressés séjours en France, il ne cessait de la maltraiter, souvent sans le vouloir. Il repartait vite. Fuyant ses appels, ses implorations. Combien de fois l'avait il fait pleurer. Pourtant, elle était toujours là à chaque fois et il l'aimait, il le savait. Avec Luisa, rien n'était pareil. Il se sentait totalement, complètement en harmonie et savait que physiquement aussi leur union serait parfaite.

Il avait annoncé à sa patronne que son amie française arrivait. Il était parti chercher un cadeau. Il voulait trouver ces fleurs qu'elle aimait et en avait profité pour passer au marché faire quelques emplettes pour leur premier dîner. Il s'absenta toute la journée. Il aurait dû se sentir heureux d'avoir la visite d'Anne-Elisabeth. Garçon normalement constitué, il aurait dû se réjouir de la nuit de retrouvailles qu'ils passeraient ensemble. Etait-ce sa décision de rompre qui la troublait ? Il savait sa mère malade en France et attendait comme ses frères le diagnostic avec appréhension. Était-ce cette inquiétude qui le perturbait ? Il ne se sentait pas bien.

Anne-Elisabeth devait arriver le lendemain matin par le train de Nice. Le soir, il avait rendez-vous avec la bande au Cherubin avant d'aller chez son copain Stefano qui fêtait son anniversaire. Il passa à l'auberge pour voir si Gabriele viendrait. Il trouva la patronne et son fils en train de dîner devant la télévision. "Ah, Nicolas, une jeune fille est passé ce matin. Tu sais cette espagnole qui était là l'été dernier". Nicolas se sentit défaillir "Luisa ? Luisa est à Venise ?"." Oh non, elle était juste de passage, elle allait à Trieste et s'était arrêtée pour la journée je crois. Nous avons parlé un bon moment car je pensais que tu allais arriver. Elle m'a posé beaucoup de questions sur toi. Je lui ai dit que ta fiancée arrivait demain de France". Nicolas sentit la sueur perler le long de son dos, ses mains devinrent moites, son regard s'embruma "mais pourquoi lui avoir dit ça, ce n'est pas ma fiancée". "Ah bon, mais je croyais" répondit avec indifférence la vieille femme en mâchonnant ses pâtes. Nicolas rentra chez lui. Il ne revit jamais Luisa.

Quelques semaines plus tard, mystère insondable des postes italiennes, il trouva une enveloppe portant le cachet de Malaga et datée de plusieurs semaines. Elle contenait une courte nouvelle d'Oscar Wilde en anglais et ces quelques mots : "J'ai lu ce texte qui m'a fait penser à toi. Désolé de n'avoir pas donné de mes nouvelles. Je t'expliquerai. L'Italie me manque. Je vais à Trieste le 30. Je passe à Venise. Je reste une journée ou davantage. Tu me diras. Je t'embrasse, Luisa". La lettre arrivait bien tard...

Il termina ses études et quitta Venise. Il souhaitait rester en Italie. Des amis de ses parents lui avaient procuré quelques pistes. Il pouvait prétendre à un poste à l'université ou au Consulat. Anne-Elisabeth ne voulut pas entendre parler d'une installation en Italie. Elle fixa la date du mariage et s'occupa de tout. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Ils ne furent pas vraiment heureux. Nicolas n'entendit plus jamais parler de Luisa. Elle ne répondit jamais à aucune de ses lettres.

Chaque fois qu'il va à Venise, il lui semble l'entendre et croit la reconnaître. Elle porte ses grands anneaux d'or et sa robe verte à bretelle fait se retourner tous les hommes sur son passage. Son rire retentit partout où il passe sur le chemin qu'ils empruntèrent pendant ces quatre merveilleuses journées. Jusqu'à son parfum qu'il croit sentir parfois. Un jour, accoudé sur le rebord de la balustrade, du côté du Caffé del Paradiso, près des jardins de la Biennale, il se souvint d'une de ses paroles qu'il n'avait pas relevé alors : "Je crois que si l'on perd un amour à Venise on doit se mettre à détester cette ville. Je ne pourrais pas y revenir si un jour je devais y souffrir d'amour"... Il sait maintenant qu'elle n'est jamais revenue à Venise.

10 février 2007

Toujours dans la rubrique gourmandise hivernale


Venice Daily Photo fonctionne dans le même sens que nous : au diable le ciel bas et gris, les frimas, les pieds gelés et le bas des pantalons mouillés par la pluie drue qui tombe sans arrêt ("aqua alta" crie ma fille Constance en pataugeant dans les flaques). Ce site super nous offre aujourd'hui une image gourmande, avec ce commentaire fort approprié : "Le Café, une charmante petite pâtisserie dans une rue étroite... Idéal pour un petit en-cas gourmand sur le chemin séparant le pont de l'Académie de la Piazza San Marco...". Pour ceux qui sont intéressés, en voici l'adresse : A deux pas du Campo Santo Stefano, au numéro 2797, dans la calle del Spezier, cette ruelle qui mène à San Marco en passant par San Maurizio, Santa Maria del Giglio (près du Gritti). En venant de l'Accademia, c'est sur votre droite que vous trouverez la pâtisserie et le café proprement dit, très chic, fréquenté par les élèves du Conservatoire Marcello qui est à deux pas mais aussi par les musicologues de la Fondation Levi, dont le palais est quasiment en face.

09 février 2007

Ou déjeuner bien, rapidement et à la vénitienne ?

Venise contient des centaines de bacari, d'osterie, chaque quartier a son enoteca ou sa birerria. Il reste encore quelques tavole calde disséminées dans les recoins les plus inattendus et plein de bars et de pasticcerie qui peuvent vous accueillir entre deux musées ou après une belle promenade. Je ne peux pas tous les citer ne serait-ce que parce que je ne les connais pas tous. Mais en voilà quelques uns que j'aime bien et où, sauf changements récents, on est bien accueilli, où on mange bien et pas cher. C'est aussi un critère important que celui du prix demandé. De quoi parfois vous empêcher de digérer. Mais au-delà des considérations financières, c'est aussi dans ces lieux qu'on voit vivre la ville et ses habitants. En y prenant ses habitudes, on se sent vite moins étranger et un peu plus vénitien. A vous d'en faire l'expérience. Voici une sélection d'adresses mais il y en aurait tellement d'autres à recommander aussi...
Avant tout, il existe un petit ouvrage qui à ma connaissance n'existe qu'en italien ou en anglais, un peu daté aujourd'hui, consacré aux osterie et aux bars de Venise. Le guide d'Ugo Pratt cite aussi pas mal de petits endroits sympathiques. Il y en a donc un grand nombre bien que beaucoup ont disparu ces dernières années. Certaines de ces adresses sont aujourd'hui des lieux trop propres, trop cosmopolites, neutres et sont seulement visités par les touristes. Évitez-les. Il est facile de les reconnaître : menus touristiques en plusieurs langues, photographies des mets en couleurs, pubs pour Coca Cola ou Fanta... Vous aurez beau tendre l'oreille, vous n'y entendrez pas parler en vénitien. En revanche, quand vous entrerez dans les endroits que je vais vous citer - sauf révolution de dernière heure dont on ne m'aurait pas encore informé - vous serez dans un véritable et authentique lieu casalinga. Vous y rencontrerez des vieillards sans âge, des dames élégantes, des hommes d'affaires affairés, des étudiants, quelques ménagères. Tous se connaissent et tous y ont leurs habitudes, saluant la serveuse par son prénom, n'hésitant pas à laisser leurs cabas ou même la poussette du bébé le temps de faire une course ou de bavarder avec la voisine... Les lieux photographiés dans les années 80 que j'ai présenté l'autre jour existent presque tous encore. Quelques-uns n'ont pas changé.

Je profite de l'occasion pour regretter l'une des osterie les plus extraordinaires que Venise ait connu : Il Milione, situé derrière le Théâtre Malibran, à l'entrée de la Corte del Millione, là où se trouvent les vestiges de la demeure de Marco Polo. C'était une grande auberge à l'ancienne. Un grand comptoir en bois, des tables, des chaises et des bancs. Jambons, salamis et saucissons pendus au plafond, une vitrine toujours remplie de délices. Le vin était dans des bonbonnes de verre et d'osier ou dans des barriques. Le prix des plats et les vins disponibles étaient notés à la craie sur des ardoises. Il y avait toujours du monde. Beaucoup d'étudiants. On s'y régalait de jambon cru, de haricots blancs au vinaigre, de sarde in saor, de crustacés ultra frais, de beignets de mozarella, de ragout d'aubergines, et de mille autres cicchetti à vous damner. Le vin était bon et pour 1000 ou 1500 lires, on faisait un vrai dîner de roi bien arrosé (l'équivalent sauf erreur de 9 ou 10 euros). Mais c'était il y a 20 ans. Avant la mondialisation, l'ère berlusconienne et l'invasion des barbares... Il existe toujours mais c'est devenu un restaurant chic qui a voulu garder des airs d'estaminet populaire. Mais ne soyons surtout pas négatifs : la vie reprend toujours le dessus et la joie d'aller de bars en osterie demeure.

Donc deux styles de restauration pour deux moments différents de la journée : les bàcari ("bàcaro" au singulier) pour le soir, pendant la passegiatta et pour boire une petit blanc le matin. Les tavole calde, enoteche et autres osterie pour le déjeuner, entre 11 et 14 heures. Attention, vers 13 heures il y a foule partout !

Osteria Do Mori
Campo Santa Marina 5911.
Commençons par une adresse "alternative", un local situé campo San Marina à Castello. Facile à trouver. Cet établissement a plus de deux-cents ans d'existence et plein d'histoire. On y trouve des vins blancs et rouges excellents accompagnés de délicieux tramezzini et de stuzzichini de la tradition culinaire vénitienne. Comme le veut la tradition, on ne peut pas s'asseoir. On entre d'un côté et on sort de l'autre, sur une ruelle latérale. Tradition vénitienne vraie de vraie, comptoirs en bois et grosses barriques poutres en bois . Le lieu parfait pour un casse-croûte rapide et gourmand ou en fin de matinée quelques grignotages avec le spritz. 
Rosticerria San Bartolomeo 
Calle della Bissa 5424/A
Mais la vedette demeure cette fameuse maison, située à quelques pas de la statue de Goldoni, sur cette place toujours très animée qui forme l'antichambre du Rialto. Depuis de nombreuses années on y trouve des dizaines de plats cuisinés vendus à l'assiette, à consommer sur place, debout ou niché sur des sièges hauts le long de la vitrine, plats cuisinés délicieux qu'on peut aussi emporter. La dénomination "tavola calda" (littéralement : table chaude) exprime bien les caractéristiques de ce genre d'établissement répandu dans toute l'Italie depuis l'antiquité (on en visite à Pompéi). A l'étage, une salle de restaurant vous accueille si vous préférez déjeuner traditionnellement, servis sur une nappe blanche. Vues l'activité et l'affluence au rez-de-chaussée, ne vous y étonnez pas de la lenteur du service. Les prix sont plus que raisonnables bien qu'ayant récemment augmenté d'une manière sensible comme me le signalait une lectrice. Le risotto comme les lasagne sont délicieux, les gnocchi méritent votre attention. Pour de plus rapides encas, le comptoir tout à fait à droite abrite les traditionnels tramezzini et autres panini, des croquettes et des beignets de toutes sortes. Le vin est bon et abordable. Les salades et les viandes sont quelconques. Mais je vous recommande vraiment tous les plats à base de pâtes et de riz...

Al Mascaron.
 Calle Longa Santa Maria Formosa, 5225.
Un lieu semblable au Milione,  d'autrefois, avec son grand comptoir de bois, ses tables et ses bancs de taverne. Cadre rustique, ambiance vénitienne garantie en dépit de la haute fréquentation des touristes depuis qu'un guide anglo-saxon a repéré l'endroit. On y trouve les meilleurs ciccheti du quartier et le vin servi à la tireuse est très convenable. Il y a parfois un excellent Raboso et je me souviens y avoir goûté l'année dernière un délicieux Moscato d'Alba, inattendu à Venise ( les vénitiens sont aussi chauvins que les bordelais quand il s'agit de vin!). C'est souvent plein, alors si vous passez devant et qu'il y a de la place, allez-y sans hésiter.

Da Zorzi. 
Calle dei Fuseri, entre San Luca et San Marco.
Ex latteria (littéralement : "laiterie", boutique où on servait du lait frais, des laitages et des pâtisseries, sorte de salon de lait). Quand je vivais à Venise, Da Zorzi avait deux caractéristiques sympathiques : c'était le seul vrai salon de thé de Venise rempli l'après-midi de dames chapeautées qui n'auraient pas déparé le très chic salon de thé du Ritz de Londres ou Angelina à Paris. C'était aussi un restaurant essentiellement végétarien. Le cadre est resté le même mais la carte a évolué. On y trouve toujours de délicieux légumes ai ferri, des pâtes et risotti de première qualité. Le bar est sympathique et bien situé quand on traîne dans le quartier de San Marco.
Al Bacco. 
Cannaregio 3054, Fondamente Cappucine.
Autre osteria bien connue des vénitiens, située sur la fondamenta la plus typique de Cannareggio. J'y ai habité un peu plus d'un an, tout au bout, juste avant le gymnase et les HLM qui donnent sur la lagune. Quartier pittoresque où vivent beaucoup de pêcheurs et de gondoliers. Al Bacco est toujours rempli de monde et, avant que la loi anti-tabagisme s'impose en Italie, le local était noyé dans le brouillard comme le port de Londres en hiver. Étape agréable quand vous irez vous promener dans le Ghetto et du côté de San Alvise.

Alla Bomba 
calle de l'Oca, 4297.
Dans ce même quartier de Cannaregio que j'aime beaucoup se trouve la Bomba. Une petite rue, une vieille bâtisse qui semble surgir des temps les plus reculés de la Sérénissime. C'est surement l'étroitesse de la ruelle qui fait cet effet. Ambiance typique là aussi et clientèle locale à 100%.

Paradiso Perduto 
Fondamenta della Misericordia, 2539.
Toujours dans le quartier, ne manquez pas ce paradis perdu. Un haut-lieu de la vie nocturne. Une véritable institution, au même titre que le Florian ou le Harry's Bar. Clientèle d'étudiants, de jeunes vénitiens. Feu de cheminée en hiver et tables au bord du canal à la belle saison (soit pratiquement de mai à octobre). Très bonne musique en live et ambiance parfois chaude, genre fêtes de Bayonne. Mais cela fait partie aussi de l'institution.

Busa alla Torre.
Campo Santo Stefano 3.
Lorsque vous serez à Murano, après la visite de l'église, du musée et des verriers, c'est une étape agréable. je n'y suis allé qu'une fois, mais si je me souviens bien, il y a une petite terrasse bien confortable et très calme.


Bon la liste est longue et pourrait devenir fastidieuse, je vais réfléchir à un moyen de vous la communiquer qui soit efficace et sans prétention. Un petit guide papier en souscription ? Nous y songeons à Tramezzinimag... Le choix des lieux n'engage que moi et ma gourmandise. Si mes lecteurs ont des suggestions et des recommandations, ou encore mieux des noms de lieux qu'il vaut mieux éviter désormais, qu'ils n'hésitent pas. En attendant, bon week-end à tous. Ici, il s'annonce venteux et pluvieux. Mais un ciel bleu semble vouloir faire son apparition. Il fait doux. Ballade à l'océan en perspective pour de nombreux bordelais. Mes amis vénitiens partent voir si la neige est au rendez-vous du côté de Cortina. Les veinards. Une de mes fille, guide marine, part en camp scout, l'aînée révise un concours blanc pour hypokhâgne, mon fils répète au Conservatoire les pièces de chant choral qu'ils donneront en juin et la petite dernière reste avec son papa pour mijoter de bons petits gâteaux pour le thé. Il y a aussi le vieux castelet de marionnettes à finir de restaurer et certainement mille autres trucs à faire. Un week-end bien chargé.

06 février 2007

Et d'autres spécimens, plus jeunes encore.



Voilà une espèce aujourd’hui, parait-il, en voie de disparition : les adolescents vénitiens. Jusqu'à l'année dernière, le nombre d'élèves du secondaire et des écoles ne diminuait pas, certaines classes voyaient même leurs effectifs gonfler. Il y avait peu de fermeture de classe, voire des clôtures d'établissement. Cette année, la courbe a pris une autre allure. Pour la première fois, le nombre de collégiens et lycéens a chuté. de même pour les enfants du primaire... Vénitiens, faites des enfants !

05 février 2007

Après la preuve par l'image qu'il y a encore des bébés à Venise, voyons du côté des plus grands.


La preuve, cette scène de famille dans un intérieur pour paraphraser le grand Visconti. En tout état de cause, une pause-café post-prandiale entre amis... Cela pourrait se passer n'importe où dans le monde. Ne serait la cafetière pour nous rappeler il modo di vivere à l'italienne. Mais c'est surtout la vue qu'on découvre derrière la fenêtre de bois vernis (autre détail typique des intérieurs vénitiens). Vous voyez, il y a des jeunes à Venise et pas seulement les cohortes du papy-boom !

04 février 2007

En écoutant Josh Groban chanter February song, je songe aux jardins de Venise en hiver...

Cette voix très chaude qui se faufile sur les ondes de la BBC me rend un peu nostalgique. Le souvenir de tant de promenades, l'hiver, dans les lieux secrets de Venise qui m'ont fait tel que je suis aujourd'hui, revient à la surface et me donne envie de ne rien faire d'autre que bouquiner, ou cuisiner, en attendant de pouvoir pousser à nouveau les grilles de ces jardins que j'aime, fouler le sol de ces ruelles et les marches de ces ponts, respirer le seul air où je me sens réellement vivre... Henry de Régnier donne une description de ces jardins secrets que j'aime beaucoup....
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Ce n'est pas seulement une ville de marbre et d'eau. Elle a ses jardins, dont la verdure enclose prend je ne sais quoi de plus rare et de plus inattendu qu'ailleurs. Ils sont discrets et mystérieux, à l'abri des murs qui les protègent et n'en laissent dépasser que la cime d'un arbre ou la pointe d'un cyprès. Je ne les connais pas tous, ces jardins de Venise, mais j'en sais quelques-uns de délicieux. Il y a celui des Incurables, sur les Zattere, avec son long mur rouge égayé d'Amours joufflus, dont l'un a une couronne et une barbe de glycines. Il y a le jardin Vendramin, qui regarde le Grand Canal à travers sa porte grillée. Il y a celui du palais Venier, qui s'avance sur l'eau par sa double terrasse à balustres et qui est orné de deux figures rustiques et de ces corbeilles tressées où sont sculptés des fruits de pierre.




Certains se cachent et se dissimulent plus sournoisement. Il faut les chercher à l'écart, parmi les détours de la ville inextricable, dans ses quartiers éloignés. Je me souviens d'un de ceux-là, dont je ne sais plus le nom, du côté de San Sebastiano, habité de vieilles statues décrépites qui furent des héros et des dieux. Je crois, si je ferme les yeux, te revoir encore, toi, petit jardin à l'abandon du palais Gradenigo, et vous, cher jardin du palais Cappello !... J'y ai passé la fin d'une belle journée. Il est long et étroit et aboutit à une sorte de portique à colonnes palladiennes. De maigres fleurs parfumaient les plates-bandes et, dans l'une d'elles, un grenadier gonflait ses grenades, éclatées et mûres, et je m'y suis promené si lentement qu'il me semble y avoir vécu des années et des années......

C'est le jardin de Venise que j'aimerais peut-être le mieux, si je ne lui préférais encore celui du palais Dario, qui est exactement carré et que des allées partagent avec régularité. Des femmes engainées y supportent une treille : elles ont des figures grasses et joyeuses, de gros seins, des ventres larges dont le nombril est bien marqué dans le bois où elles sont sculptées. Fièrement, elles soutiennent les ceps, les feuilles, les pampres, les grappes. Là-bas, une fontaine coule dans une cuve de marbre, et son bruit surcharge et semble faire déborder le silence auquel il s'ajoute, goutte à goutte.
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Il y a bien d'autres jardins encore à Venise. Je n'oublierai jamais celui que dans la Giudecca on aperçoit, de la lagune, avec ses bosquets et ses cyprès. J'y ai pénétré une fois. Il est très grand et très silencieux et l'on y peut marcher longtemps. On y respire le vent de la mer. On a envie d'y penser tout haut et l'on y chanterait presque à voix basse, tandis que, devant celui dont je vais vous parler, on se tait pour mieux en sentir la surprise, – car en est-il de plus étrange, de plus bizarre et peut-être de plus mélancolique en sa vaste petitesse ?... Sa singularité égale sa complication. Il se compose de parterres symétriques, d'allées qui les divisent, de balustres qui les bordent, de portiques qui les terminent et d'innombrables petits vases d'où jaillissent des fleurs minuscules. Il est enfantin et éternel et il n'a point de saisons, parce qu'il est tout entier fait en verre, en verre de toutes les couleurs, – selon qu'il imite un gazon, une colonne, une rose ou une fontaine, – et c'est des yeux que l'on se promène dans sa ridicule et charmante merveille qui amuse maintenant les visiteurs du Musée, comme jadis, sur la table patricienne où il servait de surtout, il distrayait les regards des nobles dames de Venise par son artifice délicat, fragile et saugrenu.

02 février 2007

Lunapark sur les Schiavoni

 
Un clin d’œil sans arrière-pensée. Non Venise n'est pas encore Disneyland en dépit des contacts multipliés et des approches yankees. En tout cas pas tant que Massimo Cacciari est aux commandes. Juste une belle image, le contraste entre la ville splendeur du passé et les lumières superficielles du monde moderne, due au merveilleux regard de Philippe Sasso qui est un de mes photographes préférés. Son regard quand il dresse le portrait de Venise sort vraiment de l'ordinaire. Allez voir son site, je vous le recommande..- Copyright Philippe Sasso -

31 janvier 2007

Recette gourmande : Pasticcio di melanzane et Ragù alla napoletana

Une amie de l'Académie italienne de la cuisine me rappelait que l'aubergine est un légume d'été et qu'il vaut mieux éviter d'en acheter en hiver parce que certainement poussées en serre, donc pleines de nitrates et autres saletés qui en modifient le goût et les qualités nutritionnelles. C'est pour cela que mes belles aubergines italiennes (provenant d'un joli potager de Mazzorbo, sur la lagune de Venise,ont été blanchies, coupées en tranches fines et aussitôt congelées l'été dernier. Je les préserve le plus possible et j'essaie d'en faire le meilleur usage : risotto aux légumes (avec des fèves, de la tomate, des herbes, des petits oignons-sauce un peu sucrés), mais surtout pour faire mon "pasticcio de melanzane et maccheroni alla napoletana". Cette fameuse timbale d'aubergines et de macaronis à la napolitaine qui faisait les délices de Casanova, le gourmet. En voici les grandes lignes. On la sert avec du Ragù alla napoletana dont le bouillon est utilisé pour cette préparation. 

Il vous faut 800 grammes de macaronis dits "mezzi ziti", 6 longues aubergines, 2 litres de ce fameux ragù (je vous expliquerai ensuite comment le réaliser), 30 grammes de beurre, de l'huile d'olive, du parmesan fraîchement râpé, 300 g de mozzarella,une vingtaine de feuilles de basilic, 200 grammes de viande hachée, 2 tranches de pain de mie, du lait, un œuf, du persil, de la noix muscade, sel et poivre.

La veille ou quelques heures auparavant, préparez le ragù à la napolitaine. Couper les aubergines en tranches plutôt minces dans le sens de la longueur et les faire frire. Hacher grossièrement la mozzarella. Préparer une farce avec la viande hachée, le pain trempé dans le lait, l’œuf, le parmesan, le persil finement ciselé, le sel et le poivre et une cuillère de muscade fraîchement râpée. 

Modeler des boulettes de la taille d'une noisette et les faire dorer à feu doux dans une poêle avec 2 cuillères à soupe d'huile. Beurrer un moule à charlotte de 25cm de diamètre assez haut (12 ou 13 cm). En tapisser le fond avec des tranches d'aubergines puis les parois en posant les tranches verticalement, les faisant se chevaucher légèrement et en les laissant déborder du moule afin de pouvoir ensuite en recouvrir la timbale. Réserver suffisamment de tranches d'aubergines pour couvrir le moule et couper les tranches restantes en morceaux pour servir d'assaisonnement aux pâtes. 

Faire cuire les ziti à l'eau bouillante salée. Égoutter 2 minutes après la reprise de l'ébullition et les passer aussitôt sous l'eau froide pour interrompre la cuisson qui doit ainsi être al dente. Assaisonner avec une bonne quantité de ragù chaud. Ajouter le parmesan, le basilic ciselé, les boulettes de viande, les morceaux d'aubergines et la mozzarella hachée. 

Remplir la timbale avec les pâtes assaisonnées et refermer le tout avec le reste des aubergines. Replier les morceaux qui dépassent. Mettre au four pendant 30 minutes (four préchauffé à 200° C.). 

Sortir du four et laisser reposer 10 minutes avant de démouler l'appareil sur le plat de service. On peut préparer deux timbales de taille différente dans deux moules pour présenter une timbale à deux étages du plus bel effet. Servir avec la viande du ragù. Dégustez, c'est un délice. 

Ragù alla napoletana 
Tel que le préparait Enrietta, ma "gouvernante" de la calle dell'Aseo. C'était une sfrataï (littéralement "expulsée") comme il y en avait tant dans les années 80 à Venise. Restée longtemps au service d'une vieille patricienne partie en maison de retraite du côté de Vérone, elle avait dû quitter son petit appartement et arrivée à l'âge de la retraite, elle souhaitait enfin se reposer. N'ayant pas assez d'argent pour retourner dans sa Sardaigne natale et rénover sa petite maison de famille, elle était logée aux frais de la municipalité le temps de pouvoir repartir dans son île. Elle avait toujours travaillé à Venise, chez plusieurs prêtres, dans deux ou trois familles patriciennes dont la dernière où elle resta 18 ans, faisant office de gouvernante, de cuisinière et de lingère. 

La signora Matilde Grinziato Biasin qui me logeait calle dell'Aseo, lui loua aux frais de la Commune le petit studio voisin de mon appartement, au piano terrà de l'immeuble qu'elle occupait avec son mari. Comme son petit studio ne disposait pas de cuisine, elle venait chez moi préparer ses repas. Me voyant un jour submergé de linge à repasser et de vaisselle à faire, elle entreprit de mettre de l'ordre dans ma vie de célibataire pour me remercier de lui laisser l'usage de ma cuisinette. 

Bien m'en prit : à partir de ce jour là, la brave Enrietta s'occupa de ma modeste domus : elle cira, dépoussiéra, nettoya, reprisa, repassa. C'était sa vie. Mais plus que tout, elle me fit la cuisine. Grâce à son art, j'ai eu pendant près d'un an l'illusion de vivre comme autrefois, servi comme un prince par une vieille dame drôle, efficace et stylée qui refusait de dîner en même temps que moi, se faisait toujours discrète et dont les plats était un régal. Elle finit par être indemnisée de la perte de son appartement et put rentrer chez elle finir ses jours. J'ai gardé quelques unes de ses recettes, qu'elle nota pour moi dans un petit carnet de chez Paolo Olbi qu'elle acheta en cachette et m'offrit quand elle s'en alla. Un adorable vieille femme dont je me souviens toujours avec émotion. 
Pour réaliser le ragù manière Enrietta, il faut un beau rôti de bœuf dans le rond, un bon morceau de jambon cru (environ 250 grammes), des herbes (persil, marjolaine, thym), de l'ail, des oignons, 3 ou 4 petites carottes, 2 branches de céleri, du concentrato di pomodoro, du vin rouge, un bouillon cube, du sel et du poivre.
Faire des lardons de jambon cru et les rouler dans de la marjolaine fraîche mélangée au thym, poivre et gros sel (Enrietta utilisait un sel qu'elle préparait elle-même avec du thym et d'autres herbes séchées et qu'elle conservait dans un pot de terre sur sa fenêtre). Piquer ces lardons préparés dans la viande. 

Mettre le rôti dans une cocotte avec 6 cuillères à soupe d'huile et le faire revenir lentement de chaque côté. Quand il est bien doré, le retirer et le réserver au chaud dans une terrine couverte.
Faire revenir dans la graisse de cuisson un hachis confectionné avec le persil, l'ail et le gras du jambon. Ajouter les légumes en julienne et cuire à feu doux sans laisser brunir les légumes. La cuisson doit être très lente pour ne pas vous obliger à rajouter de l'eau. Remettre alors le rôti dans la cocotte en remuant bien le tout pour que les sucs se mélangent bien.
Mouiller peu à peu le rôti avec un verre de vin rouge. Quand le vin est complètement évaporé, ajouter le concentré de tomate peu à peu en le mélangeant bien avec une cuillère de bois. Quand tout est incorporé, mouiller avec du bouillon jusqu'à presque recouvrir la viande. Couvrir. Laisser cuire à feu très doux 4 à 5 heures pour obtenir une viande très tendre et très cuite et une sauce dense, abondante et parfumée. Servir la viande coupée en tranches épaisses nappées de la sauce du ragù. Utiliser la plus grande partie de cette sauce pour la timbale de macaronis. J'ajoute sur les tranches de viande du parmesan râpé et un peu de persil ciselé et frit dans un mélange huile et beurre pour le décor.

4 commentaires: (archives Google du blog originel)

Anne-Marie a dit…
ça a l'air drôlement bon mais pas simple simple à préparer. Je vais essayer ce WE avec des amis qui reviennent de Venise justement et qui m'ont fait connaitre votre superbe blog.
Francis Jacques a dit…
Salut Lorenzo
Vous souvenez vous de Francis Jacques - aquarelliste blogger - de Venise et autres.
Je visite toujours votre lieu d'expression et d'Amour de Venise.
Toujours la rencontre de la passion, de la lumière, de la tendresse comme dans l'amour, que vous avez pour ce lieu magique.
Bien à vous.
Francis Jacques
Lorenzo a dit…
merci Francis Jacques pour vos visites et ce sympathique commentaire. Je poursuis mon parcours amoureux mais votre indulgence est grande, j'ai parfois l'impression de ne pas apporter grand chose. Tant de gens mieux nantis que moi ont su écrire leur passion pour Venise. Mais je continue. je continue.
Anonyme a dit…
è un peccato che tu non mi abbia almeno risposto, la mia era una domanda onesta senza alcun interesse se non di far conoscere le tradizioni di venezia, grazie lo stesso Guido
http://coquinare.over-blog.com

29 janvier 2007

Salon des Antiquaires 2007



Disparition d'un jeune vénitien


La nouvelle est tombée, comme un bloc de pierre qui se serait effondré d'un angle du palais des doges. Surnommé Max le Gazzettin par ses amis, un jeune journaliste du Gazzettino, directeur du "Gazzettino Illustrato", écrivain en promesse, esprit brillant, fondateur d'une agence de communication qui commençait à faire parler d'elle, Massimiliano Goattin, est mort à 25 ans sur une route encombrée de Phukett, en Thaïlande où il venait juste d'arriver. 

Fou d'Orient, ce jeune homme rêvait depuis toujours de ce voyage. Déjà, il y a deux ans un périple au Japon l'avait bouleversé. Ce nouveau Marco Polo se promettait de ramener de ses pérégrinations orientales des tas de notes. Matière à un livre ? Chi lo sà ?  

Il est mort bêtement, sur une moto de location et sa famille vient juste d'en être informée. Il y a parfois comme cela à Venise, comme ailleurs, des disparitions injustes. Inexplicables. De jeunes esprits brillants, de belles âmes qui s'en vont trop tôt. Trop vite. 

TraMezziniMag adresse ses sincères condoléances 
à ses parents, à sa famille et à toute la rédaction du Gazzettino.

No Pizza !


Cette affichette aperçue dans la vitrine d'un café. Elle manifeste la lassitude des vénitiens devant les hordes de touristes qui dévalent les rues et affamées, se répandent dans les magasins et les bars à la recherche de n'importe quelle pitance consommable immédiatement. Leur vocabulaire limité comprend au moins ce mot "pizza", ainsi que "birra", "café", "Toilette", "gondola"... 
Elle peut se traduire par "Touriste soit le bienvenu, entre et installe-toi, commande un café, un verre de vin, un chocolat ou des pâtisseries, mais nous ne vendons pas de pizzas nous sommes désolés". Paroles qui pouvaient être prononcées trois ou quatre fois dans la semaine autrefois, mais qu'il est impossible de réciter aujourd'hui, car il ne faudrait faire que ça : "no pizza, no pizza, no pizza, no pizza, no pizza"... Il ne faut pas leur en vouloir à ces vénitiens, ils sont simplement fatigués de cette invasion débridée !

26 janvier 2007

Venise au XIXeme siècle

Par un matin calme devant le campo San Zanipolo.

Matin d'hiver sur les Schiavoni


" L'air de Venise est sain, les femmes y vieillissent moins vite que dans les autres climats chauds de l'Italie, et les hommes y conservent de la fraîcheur et de la force jusqu'à un âge très avancé."
M.Perrot,
Nouvel Itinéraire portatif d'Italie (1827).

25 janvier 2007

Tramonto d'inverno


Matin d'hiver


Ou bien était-ce en automne ? La lumière cependant est toujours aussi belle et l'ambiance est là, unique et formidablement roborative. On ne se lasse jamais du quotidien à Venise.

Concours pour la dévolution de la Pointe de la Douane : Guggenheim et Pinault à égalité

50/50 pour le premier round, ainsi en a décidé le comité technico-scientifique présidé par Achille Bonito Oliva, qui est chargé de décider qui se verra attribuer les locaux de la Pointe de la Douane.


Égalité absolue donc tant pour ce qui est de la qualité architecturale proposée, des réponses apportées au cahier des charges notamment les solutions préconisées par les deux institutions pour la gestion et le déploiement culturel des lieux, le choix des œuvres qui seront mises à disposition et le rayonnement international qui en découlera. C’est maintenant à la direction vénitienne du Patrimoine qu’il appartient de trancher. L’assesseur, Mara Rumiz a suggéré une synergie entre les deux fondations pour instituer un nouveau pôle culturel de portée internationale avec la présentation d’une collection commune. Du jamais vu. Le rapprochement de la pensée muséale américaine avec la pensée européenne et française… Un rêve qui, s’il devenait réalité permettrait à Venise d’offrir au monde entier un extraordinaire périple artistique en déployant dans sa plus ample expression une vision de la création contemporaine des années 50 à nos jours. Je subodore que les autorités avaient déjà cela en tête et qu’il fallait une commission ad hoc pour renforcer la conviction que les deux fondations aujourd’hui implantées presque à égalité à Venise : le siège des deux collections est un passage obligé pour les amateurs d’art moderne, le prolongement permanent des expositions de la Biennale dans un des lieux les plus prestigieux du monde, une ville unique qui refuse de se contenter d’un tourisme de masse venu contempler (consommer ?) les vestiges de sa puissance et les témoignages de sa grandeur passée.
 

Les intéressés n’ont pas réagi de la même manière. Le Gazzettino soulignait la satisfaction de la Guggenheim prête à étudier un rapprochement avec sa concurrente. Jean-Jacques Aillagon, le directeur du Palais Grassi, se montrait un peu plus distant et laconique. Il doit bien entendu en référer au patron dont la vanité - et personne en l’occurrence ne peut le lui reprocher – risque de souffrir de cette association qui pourrait réduire l’impact de son installation à Venise. Si les deux candidats s’entendent, nous aurons bientôt dans ces magnifiques locaux, revus par deux architectes de très haute volée, un des plus intéressants musées d’art contemporain du monde qui draînera des visiteurs douze mois sur douze au même titre que le Centre Pompidou ou le Moma de New York ! Venise accéderait ainsi avec les collections et les expositions temporaires du Palais Grassi, avec les collections du Musée Guggenheim, avec l’exposition internationale de la Biennale, ses galeries privées et ses collections municipales, au rang d’une capitale internationale de l’art contemporain. Quel coup de fouet pour l’activité économique. Quelle chance unique de pouvoir se positionner autrement qu’en Disneyland pour tourisme de masse avec ses masques et ses verroteries. Le maire qui s’exprimait hier sur ce sujet ne disait-il pas qu’outre la restauration très lourde de l’édifice (il faudra respecter sa structure originelle comme on le fit à Bordeaux avec l’entrepôt de denrées coloniales qui abrite le CAPC - Centre d’Arts Plastique Contemporain), il s’agira de présenter des collections permanentes avant tout et de permettre à la ville de participer à la programmation culturelle du centre.
 

"La "fusion" des deux collections que la Fondation Guggenheim et la Fondation Pinault ont proposée au comité" a observé l’assesseur Mara Ramiz, "serait la meilleure solution pour le public comme pour Venise, pour l’impact mondial qui en découlerait". D’autant plus que les collections se complètent parfaitement, la Guggenheim possédant des pièces fondamentales pour la compréhension de l’art contemporain des années 50 à 80 et la Fondation Pinault disposant essentiellement de pièces des années 80 à aujourd’hui. Pinault a les moyens d’aller seul jusqu’au bout, sa Fondation peut assumer l’intégralité des charges et il est donc le mieux placé pour l’emporter si malheureusement aucun rapprochement n’était possible. A l’annonce du verdict de la Commission, les réactions n’étaient pas vraiment les mêmes : on sentait dans le communiqué officiel publié par Jean-Jacques Aillagon une froideur contenue sinon de l’irritation. En revanche, le communiqué américain montrait une plus grande disponibilité et une parfaite compréhension de la position de la Commune. En fait les américains de la Guggenheim sont en contact – et en phase - avec la réalité vénitienne et la philosophie locale depuis bien plus longtemps que l’ultra-parisienne équipe Pinault. A suivre.
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P.S. : Pour ceux qui veulent davantage d'explications sur ce roman et qui n'ont pas tout suivi, vovi un lien vers un article de Jean Jacques Bozonnet, paru dans le monde l'été dernier : http://www.vannes-off.net/