04 mai 2007

Atelier d'artiste à la Giudecca

Vous vous souvenez, je vous ai parlé il y a quelques temps du peintre britannique Geoffrey Humphries qui habite une grande maison à la Giudecca et recevait beaucoup du temps de ma jeunesse vénitienne. La réputation sulfureuse de ses soirées nous attirait et lui était ravi de recevoir chez lui des jeunes filles esthétiques et de fringants jeunes gens. La musique y était bonne et le vin abondant. En feuilletant un ouvrage sur les intérieurs vénitiens, je viens de retrouver une photo de son atelier-salon.

De nombreux artistes étaient installés à la Giudecca. De la Casa Frollo aux moulins Stucky, on pouvait croiser des personnages célèbres comme d'authentiques crève-la-dalle, artistes maudits en rupture de société. Le peintre Arbit Blatas et sa femme, la célèbre cantatrice Regina Reznik, les peintres Guttuso, Santomaso, Huntervasser, le réalisateur Albert Lamorisse et tant d'autres ont ou eurent leur maison sur cette île que les vénitiens appellent par dérision "l'Ile des phoques", au milieu d'une population très mélangée d'ouvriers, de pêcheurs et d'étudiants.

02 mai 2007

Nostalgie, pluie et gourmandises... Venise n'est pas loin

Ce premier mai pluvieux nous a tous réuni dans la cuisine. Dehors une pluie drue, très dense qui fait briller les feuillages et rend leur vert plus dense. Comment occuper tout ce petit monde et satisfaire leur appétit grandissant, quand il n'y a rien d 'autre à faire que bouquiner et grignoter ?
 
La faim rendant méchants les enfants les plus doux, il me fallait vite préparer quelque chose. Nous avions bricolé une bonne partie de l'après-midi, dépoussiéré les rayons d'en haut de la bibliothèque, retrouvant des livres oubliés (vous connaissez ces deux volumes illustrés de Pompei Molmenti parus chez Arthaud en 1935 "Venise et ses lagunes" ? délicieusement illustrés de photos sépia complètement désuètes).

Le premier mai de l'année dernière, nous étions à Venise et il faisait si chaud que nous n'avions pu rester à la terrasse de Nico sur les Zattere. J'avais rendez-vous avec une amie qui nous amena chez elle où nous avions trouvé une agréable fraîcheur. J'avais préparé des scones à la maison, que nous avions finalement mangé le lendemain au petit-déjeuner. Ce furent des glaces et des sorbets au lieu de notre thé habituel... Nous sommes bordelais cette année mais, si le temps a changé, la faim demeure. Vous n'avez jamais remarqué combien les journées de loisirs et de farniente nous découvrent des appétits incroyables. Pas question de présenter à ma tribu une simple assiette de petits gâteaux secs et quelques carrés de chocolat ! 
Au son des concerti pour violoncelle de Vivaldi, nous nous sommes donc régalés de galettes irlandaises.

Les anglais les appellent aussi drop scones ou scottish pancakes. En voici finalement la recette à la demande de mes amis lecteurs Sophie et Guy :
Il vous faut 225 g de farine (avec levure intégrée ou sinon il vous faudra 5-6 cuillères à café de baking powder), 1 cuillère à soupe de sucre roux, 1 pincée de sel, 2 oeufs bien frais, 300 ml de lait entier (le 1/2 écrémé fera l'affaire).

Mettez la farine, la baking powder, le sucre et le sel dans une terrine. Faites un puits dans lequel vous casserez les œufs et une partie du lait. Remuez peu à peu pour éviter les grumeaux (ah ces sacrés grumeaux perturbateurs !) puis ajoutez tout le lait en mélangeant.
Vous devez obtenir une pâte assez épaisse et pleine de bulles. Laisser reposer (le temps de préparer la poêle, elle va un peu gonfler). Mettre un peu de beurre dans la poêle bien chaude et disposer à l'aide d'une cuillère à soupe trois ou quatre monceaux de pâte qui en s'étalant vont former un cercle de la taille d'un gros blini. On peut aussi utiliser une poêle à blinis mais cela prend davantage de temps. 

Traditionnellement ces crêpes épaisses se font sur le rond d'une de ces vieilles cuisinières Aga qui me font toujours penser à Miss Marple dans son cottage. Quand des bulles se forment à la surface, il faut retourner les galettes. Dorées, elles sont prêtes. Les garder au chaud. Elles sont délicieuses avec miel, confiture, Nutella ou Nocciolata (bio), mais aussi avec du fromage blanc, du saumon, du tarama, du jambon... Essayez, vous nous en direz des nouvelles. Curieux comme par l'odeur alléchés, ma petite tribu et les copains se sont tous rassemblés, calmes et pacifiés autour du fourneau et devinez de quoi nous avons parlé ? de cuisine et bien entendu... de Venise !

 

 

 

1 commentaires: (Archives Google)

rose a dit…
c'est curieux, moi aussi j'ai fait ces pancakes là, il y a quelques jours (avec du bicarbonate, parce que je n'avais pas de levure). c'etait la première fois que le les fasais à la maison, et j'ai aimé le resultat! (mon diner du 30 avril, et aussi le breakfast du premier,avec un petit rechauffage.)
ciao,
rose

30 avril 2007

Irisée d'une tendre jeunesse de lumière...

C'est demain l'anniversaire de ma grand-mère maternelle qui aurait 115 ans ! Cette vieille dame, avec douceur et discrétion m'a tout donné : le goût de la musique, de l'art, des fleurs, du calme et des bonnes choses. C'est aussi l'anniversaire d'une merveilleuse personne plus jeune de 35 ans qui vit à Venise et qui fut l'un de mes guides lorsque je m'installais dans la cité des doges, une sorte de protectrice et de marraine. Elle adore les roses.

Je lui ai fait envoyer deux rosiers de chez David Austin, des Centifolia Muscosa, appelées aussi Old Pink Moss, cette belle variété remontante et très parfumée que je voudrais aussi planter, si je pouvais, dans notre petit jardin de la Toletta et qui se plairont chez elle. Cela m'a rappelé un texte de Henry de Régnier que je dédie à ma vieille bonne amie vénitienne pour son anniversaire et à tous ceux qui raffolent du printemps à Venise.

"[...] Venise aussi a ses jardins dont les roses débordent les vieux murs, mais ce n'est pas là qu'est son printemps. Il est dans la fraîcheur de la lumière, dans le rajeunissement des pierres et des eaux, dans je ne sais quoi de joyeux et de délivré, dans la furie ailée des hirondelles, dans l'éclair de leur vol sous l'arche de quelque pont. Il est aussi de grandes averses qui parfois tombent du ciel. J'en ai subi une tout à l'heure. Rien ne l'annonçait. Nous avions pris une gondole pour aller jusqu'à l'Arsenal. J'aurais dû remarquer cependant que l'eau des canaux était sournoise et comme anxieuse. On la sentait pleine de ces courants secrets, de ces mouvements intérieurs que les gondoliers connaissent si bien et savent si bien utiliser, pour ménager leur effort avec un art délicat et une paresseuse précision. Tout à coup, sans que nous ayons vu le nuage se former, il s'est mis à pleuvoir, une pluie forte, chaude, abondante, qui criblait l'eau du petit canal où nous nous trouvions. Le gondolier a cherché un abri sous un pont. Justement, il avait choisi un de ces rares ponts de fer dont le tablier est à claire-voies. Nous attendîmes là la fin du déluge. Parfois une grosse barque pansue et ruisselante frôlait au passage la gondole avec un frottis de bois mouillé et continuait sa route silencieuse [...]"
[...] "La Venise printanière, toute en nuances, toute en reflets, toute irisée d'une tendre jeunesse de lumière ![...]"
(extraits de "L'Altana ou la vie vénitienne" par Henry de Régnier)

Le printemps éclate en mille couleurs



27 avril 2007

Vivere Venezia

"Vivere Venezia", (Vivre Venise). C'était le titre d'une revue à l'éphémère existence à laquelle je participais et dont Bruno Tosi fut le directeur de publication (et Giuliano Graziussi, l'éditeur). C'est aussi le titre qu'on pourrait donner à un magnifique texte composé (plutôt qu'écrit) par Claudio Ronco.

Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ce magnifique texte (ICI)de mon ami Claudio Ronco, compositeur et musicologue, violoncelliste émérite que j'ai rencontré un jour à Venise et que j'ai eu l'honneur de recevoir à Bordeaux où, dans le cadre de la Première semaine de Bordeaux à Venise (il n'y en eut pas d'autres !), il y a plus de vingt ans, il donna deux concerts extraordinairement époustouflants dans ce qui était alors la salle Jacques Thibaud et dans les foyers du Grand Théâtre... (voir mon article en cliquant sur ce lien).

Écoutez-le parler de Venise. Écoutez la voix de Venise. J'aurai aimé écrire ce texte. Comme Claudio Ronco vit Venise, je me sens vivre dans la musique des mots qu'il déclame avec tout son amour pour notre chère Sérénissime. Comme lui, un jour j'ai décidé que ma vie, c'était Venise. Mais lui, contrairement à moi, est un artiste et il a choisi de vivre de son art à Venise quand j'ai eu la faiblesse de me contenter d'un quotidien commun, la vie facile de monsieur tout le monde, en rentrant à Bordeaux...

Merci Claudio pour ce beau poème. Merci Umberto Sartory pour les photos de ces murs qui sont pour nous qui aimons Venise le symbole même de cette ville...

24 avril 2007

Un forum intelligent

J’y suis inscrit depuis longtemps, j’y passe parfois quand un courriel me prévient d’un nouveau débat mais plus ou moins consciemment, je me rends compte que je les snobais… Injuste attitude certainement mâtinée d’une jalousie inavouée : "Comment puis-je accepter que d’autres partagent le même amour, le même goût, la même passion pour Ma ville ?" Ridicule attitude qui me fait sourire en écrivant ces lignes : vous qui aimez Venise, vous qui allez vous y rendre, ne manquez-pas de passer par la case Venice-views : le forum. C’est souvent drôle, toujours bien documenté, plein d’idées et de bonnes choses.

Je viens de lire une série de commentaires écrits par les membres du forum en réponse à la provocante déclaration d’une certaine Christine qui revenant d’une croisière en Méditerranée, avait fait l’étape obligée mitonnée par les tour-operators : Saint-Marc, le Campanile, les Mercerie, sous un soleil tapant au milieu de la foule. Tout le monde est tombé à bras raccourcis sur la pauvre dame qui à ma connaissance n’a plus donné signe de vie ! La pauvre, elle a eut de Venise une image horrible, celle que l’on a lorsqu’on fait un tour en gondole dans la Venezia reconstituée à Las Vegas (berk!)… Bref, je vous recommande ce forum si par un malheureux hasard vous ne le connaissez pas encore ! Et félicitations à ses fondateurs et aux animateurs !

20 avril 2007

Aimez-vous Tobiasse ?

Lui en tout cas aime Venise... "et nous dans la famille, nous aimons Tobiasse et Venise", vient d'enchaîner Constance (ma petite dernière), qui venait de lire par dessus mon épaule le titre de cet article. Dans ses carnets - qui viennent d'être publiés à nouveau - le peintre de St Paul de Vence fait la part belle à la Venise des amoureux, colorée et chaleureuse. Cette vision plait beaucoup aux enfants et aux amoureux.

15 avril 2007

Égotisme di passeggio

Je suis sorti ce matin de bonne heure, laissant la maisonnée dans les brumes du sommeil. Peu de monde dans les rues. Quelques pas en direction de San Barnaba. Traghetto. J'aime le Grand Canal au petit matin. Le trafic est déjà intense mais il règne une sorte d'euphorie. La joie du jour nouveau forcément chargé de promesses. C'est exactement ce que je ressentais en marchant. Une joie ineffable, celle d'être là, à Venise, par une belle matinée de printemps, dans le calme et la sérénité d'une journée tranquille à peine commencée, après la folie de ces derniers jours.En prenant un café du côté des Frari, je me suis rendu compte - ceux qui me lisent depuis deux ans crieront à l'évidence - combien je me sens en phase avec cette ville. Combien je m'y sens moi-même, tout entier en harmonie.

A tous les lieux inexplorés qui existent encore en ce monde, à tous les endroits que je ne connais pas, je préfère ces paysages où mon âme se retrouve. A Venise, depuis toujours, je me sens unifié, vivifié. J'existe vraiment, sans faux-semblants ni concessions. Peu de lieux m'ont autant marqué et aussi soudainement. Naples, Sorrente, Capri bien sûr, Constantinople, Rhodes et Lindos, Londres aussi, furent les lieux de mon adolescence mais aucune de ces villes où j'ai vécu mes "années d'apprentissage" ne m'a autant définitivement accaparé, corps et âme.

14 avril 2007

La maison de l'antiquaire

Connaissez-vous l'antiquaire de Torcello ? Sa maison est une caverne d'Ali Baba et le jardin est un lieu délicieux. J'aime beaucoup m'y attarder quand je vais dans les îles. Entre deux vagues de touristes, le campo devant la basilique est un lieu merveilleux. Les quelques chalands, le mur d'enceinte de la propriété garni de stalles antiques, le trône d'Attila, les arbres, les coquelicots sur la pelouse, tout concourt à faire de ce lieu un "palcoscenico" (une scène de théâtre) presque irréel. La lumière et l'air qu'on respire sont les mêmes que partout ailleurs sur le lagune, mais ici il y a quelque chose en plus. Peut-être est-ce l'âme de tous les vénitiens qui vécurent dans l'île au début de son histoire. Ce désert de verdure qu'est devenue Torcello a été autrefois un centre commercial et administratif important, grouillant de monde avec son port et ses entrepôts, ses boutiques et ses manufactures. La maison de l'antiquaire garde sans le vouloir des remugles de ce temps révolu. J'ai chez moi un coffret très ancien qui vient de chez lui. Je l'avais vu un jour il y a longtemps et je ne le croyais pas à vendre. Des années plus tard, à l'occasion d'une ballade sur la lagune, nous avions décidé de déjeuner à Torcello. Après le café, laissant mes compagnons lézarder au soleil, j'avais rendu visite à l'antiquaire. Le coffret avait changé de place, mais je le reconnus tout de suite. Quelques minutes et négociations plus tard, je repartais vers notre barque, le coffret sous le bras. Il est ainsi des objets qui semblent choisir leur destinée et attendent leur heure pour partager votre vie... D'autres l'ont dit mieux que moi.

12 avril 2007

Venise, sans commentaire

copyright Andrea Grigolo - 2007
C'est à chaque fois pareil. encore plus douloureux au fur et à mesure du temps qui passe, quand il faut partir. Ranger, nettoyer, fermer les volets, attendre Graziella pour vérifier qu'elle emportera bien les provisions qui restent dans le frigo, lui rendre son aspirateur parce que le notre est cassé. Penser à en acheter un autre. Puis, après un dernier regard dans la maison déjà endormie, la clé qu'on tourne dans la serrure... La rue, les bruits familiers qui ne seront bientôt plus que souvenir... Le salut amical du marchand de journaux... La journée sera chaude. Il y a déjà beaucoup de monde. En route vers Piazzale Roma. Adieu Venise, à une prochaine fois... Pourquoi faut-il toujours que je reparte. C'est la même tristesse qui me prend aux tripes depuis vingt ans. Mes enfants sont eux aussi contaminés et de belle manière ! Ils aimeraient que nous abandonnions tout pour vivre ici. Même le chat semble attendre ma décision, l'air de dire "nous serions si bien ici tous ensemble !". Au lieu de ça, des allers et retours perpétuels, sorte de nomadisme figé entre Venise et la France. Question d'organisation matérielle oblige. Mais pour atténuer notre peine, à chaque fois un détail, une image qui nous rappelle que notre exil n'est que temporaire et que bientôt, très bientôt, nous serons de retour ! Hauts les cœurs, nous reviendrons vite !