10 décembre 2010

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2 commentaires:

Laurence a dit…

Ma dove? Quel est le nom d'utilisateur de Tramezzinimag?

Laurence a dit…

Trovato! Il fallait vraiment chercher par nom. La recherche générale ne suffisait pas, sans doute à cause de la protection.

A bientôt sur Twitter. Et merci pour vos billets sensibles.

09 décembre 2010

Un monde sans éclat

Si Tramezzinimag sait faire la part des choses et mettre en avant les innovations et les progrès qui répondent vraiment à la définition de ces deux termes, quand une nouveauté nous parait être autre chose qu'un phénomène de mode par essence passagère, autre chose que le simple produit d'arrières-pensées bassement mercantiles, nous nous inscrivons comme soutien et parfois même groupies enthousiastes. Mais le plus souvent la société d'aujourd'hui déboussolée et avide de neuf, génération Ikéa oblige, impose des diktats que d'instinct nous estimons foireux. J'ai pesé mes mots ! La triste fin annoncée de l'ampoule à incandescence fait partie de ces pétards mouillés. Je pensais être l'un des rares humains à m'attarder sur cet évènement colossal qui semble passer inaperçu. Il n'en est rien. Des millions d'autres à travers le monde s'en inquiètent, parmi eux des journalistes éminents comme Anne Wroe, éditorialiste à The Economist. Perdu d'avance, notre combat a le panache des ultimes révoltes quand on devine, imminente, l'arrivée des Barbares. Avant l'ampoule, il y eut pour les franco-français, la lutte pour conserver le vrai goût du vrai Petit-Beurre Lu totalement dénaturé par les chimistes de Nestlé - ou bien était-ce Danone - quand ils s'emparèrent de Lefèbvre-Utile et cherchèrent à rentabiliser la fabrication de ce biscuit symbole de notre enfance sous prétexte d'en actualiser le goût... Combats d'arrière-gardes certes, surtout quand on sait que chaque jour des milliers d'enfants meurent encore de malnutrition. Mais une question de principe, à savoir qu'on ne doit pas céder. Rien n'autorise à déroger à la tradition quand le changement n'est dicté que par le profit. Cette épouvantable loi de l'offre et de la demande qui ne résiste pas à la lecture d'Aristote.
Donc, et tout le monde en a entendu parler : les ampoules à filament de tungstène, qui ont brillé pendant plus d'un siècle, sont condamnées à disparaître. Elles sont remplacées par de nouvelles générations d'ampoules dont on nous vante les mérites mais qui bien sur coûtent la plupart dix ou quinze fois plus cher. "Baigner dans leur lumière trop vive est devenu une sorte de plaisir coupable" dit l'éditorialiste, rédactrice de la rubrique nécrologie du magazine britannique. Avec beaucoup d'humour - et de poésie - elle manifeste dans le supplément proposé par Courrier International qui vient de paraître ("Le monde en 2011"), ce désarroi que nous sommes bien nombreux à partager. En voici l'intégralité. Faites-nous part de votre avis.
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« A l'heure où nous écrivions ces lignes, vous pouviez encore en acheter à L
ondres, par paquets de six, discrètement, avec l'appréhension d'un adolescent qui se procure des préservatifs ou un paquet de cigarettes. Mais leurs jours sont comptés. Déjà, on n'en trouve plus chez les détaillants en Australie et au Brésil. En 2011, elles seront interdites à la vente en Grande-Bretagne, leur production sera arrêtée au Japon, elles commenceront à disparaître aux États-Unis et leur abandon gagnera tous les pays d'Europe [l'interdiction totale étant fixée à 2012]. elles expireront, non pas avec le "ping" caractéristique, suivis d'un "ah, zut !", mais plutôt en silence, comme ces ampoules anciennes à filament de carbone dont le verre allait en s'opacifiant. Bref, on peut d'ores et déjà parler des lampes à incandescence au passé.
Parmi les moyens de produire de la lumière, l'incandescence était sans doute celui qui offrait le rendement le plus faible. Ce procédé consistait à chauffer à blanc un filament de tungstène dans le vide [ou dans un gaz inerte], en le portant à une température de 2400C. Environ 90% de l'énergie produite n'était pas de la lumière, mais de la chaleur, comme on en faisait l'amère expérience en changeant une ampoule un peu trop vite. Cependant, elles auront eu le mérite de populariser le beau mot d'"incandescence". Les lampes à filament répandaient une lumière vive, blanche et régulière. Pour ceux qui avaient été habitués à l'éclairage au gaz et aux bougies, leur éclat était déconcertant. Elles s'allumaient instantanément, réveillant en sursaut le dormeur ébouriffé dans son lit, et s'éteignaient tout aussi brusquement. ("Oh ! pardon"), faisant trébucher le retraité dans l'escalier. On les braquait dans les yeux du suspect au cours des interrogatoires, et l'ampoule nue pendant au plafond était synonyme d'horreur. La nuit était devenue le grand jour, sans aucune ambiguïté, que ce soit dans les rues commerçantes, les salles à manger, les bibliothèques ; on pouvait faire du commerce, manger et lire jusqu'à piquer du nez sur la table alors que le soleil inutile se levait par la fenêtre. Les lampes à incandescence étaient parfois capricieuses. Elles pouvaient exploser, dispersant des fragments presque invisibles mais mortels. Quand elles éclataient, elles pouvaient provoquer des incendies comme celui qui détruisit le parc d'attraction Dreamland de Coney Island [en 1911]. Elles pouvaient refuser de s'allumer sans raison apparente, pour peu que le filament présente une minuscule rupture. L'ampoule claquée, quand on la secouait près de son oreille, émettait alors un petit tintement plaintif. Ces ampoules étaient de beaux objets, transparents ou légèrement dépolis ; leurs filaments argentés avaient la finesse de toiles d'araignée ou d'aigrettes de pissenlit ; légères, tièdes dans la main, elles étaient comme un œuf gonflé ; leur forme joliment simple rappelait une larme ou une poire, ou encore ce premier fruit défendu, prêt à être cueilli dans le jardin d'Eden. 
Mais l'ère de l'incandescence, celle de l'inspiration instantanée, va bel et bien s'achever avec l'avènement des nouvelles ampoules à allumage lent. Le génie brûlera moins, le monde perdra de son éclat. Aussi, rien d'étonnant que des voix se soient élevées partout dans le monde pour protester contre leur disparition programmée. Certains ont même clamé que les nouveaux éclairages allaient leur causer des migraines et des crises d'épilepsie. Des magasins ont été dévalisés, des rayons vidés. On a lancé des campagnes de préservation des anciennes ampoules. Baigner dans une lumière trop vive, dispendieuse, est devenu une sorte de plaisir coupable, comme l'absinthe ou la crème au chocolat. Les arguments scientifiques et médicaux contre leur remplacement ne tiennent pas la route. Mais ces lampes étaient aimées pour ce qu'elles représentaient autrefois : l'utilité, l'économie et la simplicité.»

14 commentaires:

Marie G a dit…

Sacrebleu oui: quelle catastrophe la lampe "économique". Non seulement c'est de la lumière qui n'éclaire pas mais en plus, son recyclage est problématique car elle contient des produits hautement toxiques. On ne peut absolument pas la jeter à la poubelle normale. Impossible de lire avec ces lampes! on pourrait imaginer que leurs fabricants sont de mèche avec les producteurs de tablettes de lecture électroniques???

Michelaise a dit…

Je signe à deux mains, chaque soir c'est la même rengaine, 10 minutes pour avoir une chance d'apercevoir quelque chose dans la cuisine, seule pièce équipée pour le moment. J'aime bien l'idée d'une sourde révolte, qui sait d'une secte obscure mais lumineuse, qui garderait des stocks d'ampoules à incandescence, dont les membres feraient, certains jours, un usage délictueux mais ô combien délicieux !

Lorenzo a dit…

Je croyais que personne n'allait donc réagir et que mon coup de gueule était le fait de neurones fatigués par tant de modernité ! Mais il n'en est rien, des fidèles parmi les fidèles signent à leur tour. L'esprit Tramezzinimag existerait donc bien. Je m'en réjouis !

Anne a dit…

"Mais une question de principe, à savoir qu'on ne doit pas céder. Rien n'autorise à déroger à la tradition quand le changement n'est dicté que par le profit": ô combien vous avez raison, Lorenzo! Je ne saurais que vous féliciter pour votre article qui exprime si bien ce que nous sommes certainement beaucoup plus nombreux qu'on pourrait le supposer à ressentir.
Anne

Michelaise a dit…

Ah que oui, j'avoue qu'en lisant l'article je me suis dit "mais que ne l'ai-je écrit celui-là... mais il est tellement bien traité par Lorenzo que je me contenterai d'un lien le jour où je me laiseerai aller sur un thème proche !"

J@M a dit…

Marie G. a tout dit !
On vit dans un monde ou l'écologie a souvent bon dos. Les ampoules en sont un exemple parfait... Tout comme la suppression des sacs plastiques que l'on vous vend désormais.
Il est vrai que l'éducation maintenant n'a plus presse et ne pas les jeter n'importe où ou éteindre la lumière quand on quitte une pièce sont des préceptes d'un autre siècle...

Lorenzo a dit…

Merci J@M vous m'avez donné l'idée d'un billet . Bonne semaine à tous.

Anonyme a dit…

Eh bien permettez-moi d'être d'un avis tout différent. La très chère qui attends dix minutes l'éclairage de sa cuisine ne sait sans doute pas qu'il existe des ampoules qui s'illuminent quasiment instantanément. A cet autre qui se plaint de ne pas pouvoir lire, je dirai que j'y arrive très bien. Il me semble que si nous fréquentons des blogs nous sommes adeptes, plus ou moins, des nouvelles technologies et que les ampoules que nous substituons à ces "bouffeuses d'énergie" à incandescences sont une modeste contribution aux économies d'énergies nécessaires sur cette planète. Certes, je ne récupérerai pas mon investissement en termes d'économies sur ma facture mais là ou j'avais deux ampoules halogènes de cent watts pour avoir un séjour confortable, la nuit tombée, et pouvoir y lire sans problèmes (à mon âge) j'ai installé trois ampoules de vingt-deux watts ce qui fait environ soixante pour cent de réduction de consommation et tout cela pour un rendu colorimétrique équivalent. Alors, de grâce, que nous soyons manipulés ou non par des écolos souvent sectaires et passablement rétrogrades ne nous empêche pas une petite contribution écologique et financière acceptée pour que nos enfants et petits enfants puissent connaitre, eux aussi, le petit confort qui nous permet de dialoguer (parfois) ensemble. Dans ce domaine, comme dans d'autres les progrès technologiques ont été grands en deux ans et je le constate sur les différentes générations de lampes économes dont je suis équipé. Et puis, pour leur élimination, il existe des zones prévues à cet effet ou des déchetteries qui les acceptent fort bien. C'est juste un petit effort supplémentaire à accepter.

Michel de Lyon.

Lorenzo a dit…

Votre avis est honorable, mais vous ne pouvez contester Michel que tout le monde ne peut se permettre de payer 15 fois plus cher une ampoule le plus souvent de mauvaise qualité (la liste est longue des ampoules dont le verre se fend à la première manipulation, ou dont la soudure mal faite pour quelques centimes en Chine se défait juste en vissant l'ampoule... Qui n'a pas eu ce genre de mésaventure ? Ce ne sont pas les "écolos" qui sont en cause. l'idée de participer chacun à notre niveau, solidairement, à la protection et à la sauvegarde de ce qui peut encore être protégé et sauvegardé, c'est bien. Mais ce que je dénonce ici c'est la main-mise des profiteurs sur l'idée. On enlève ces "bouffeuses d'énergie" pour les remplacer par des produits très chers et pas souvent de qualité. Cherchez l'erreur. Il en est de même avec l'hypocrisie des grandes surfaces qui au nom de la lutte contre la pollution, ne donnent plus de sacs plastiques, mais les font payer, au lieu de faire comme dans certains pays où les sacs sont remplacés par du papier, souvent recyclé et toujours recyclable (et gratuitement distribué aux caisses). Non, ce qui me fait bondir c'est que désormais l'industrie, le système libéral, le capitalisme aveugle se sont emparés du concept d'écologie, de développement soutenable pour faire marcher le commerce et l'industrie. Et cela, quelque soient les avis et les témoignages favorables, je le réfute, le refuse et m'y oppose autant que je le puis avec les moyens dont je dispose. Le propos est le même qu'au temps du référendum sur l'Europe, nous sommes nombreux à nous être faits injurier parce que nous votions NON alors que nous proclamions notre attachement viscéral à l'idée européenne. On peut dire ainsi qu'au nom de mon attachement viscéral à la protection de la nature, à la lutte contre toutes les formes de pollution physiques et morales, au nom du développement soutenable (je préfère ce terme au mot "durable"), je m'oppose à toutes ces formes de pensée unique qui ne voient pas que l'arbre cache la forêt et que tous ceux qui se précipitent sur cette voie nouvelle ont depuis lurette compris le profit qu'il y avait à en tirer. Ce n'est pas très politiquement correct, et c'est mal dit, mais j'assume.

Raoul a dit…

Encore une fois, on reconnaît ce vieux réac de lorenzo... Que j'apprécie dans ses messages positifs, mais qui se complaît tellement à jouer au vieux roquet, plutôt que de nous faire un bel article sur un glacier centenaire à Venise, on crache sur l'écologisme... Ce mouvement qu'on traite d'utopiste, alors que l'utopisme est de polluer comme des fou sans se soucier du lendemain...

Oui, les lampes écologiques sont plus chères, mais ils faut les remplacer moins souvent... J'habite dans ma maison depuis 5ans et depuis que j'ai remplacé mes lampes par des économiques (pas par volonté, mais parce les classiques ne tenaient pas), j'ai quand même le confort de me plus devoir jamais jouer au cloclo sur une chaise... Et la génération suivante (les LED) on une durée de vie encore supérieure et une consommation moindre...

Remplacer une ampoule de 100W par une de 22W c'est de l'écologie brute!!! si c'était par une de 80W, je crierais à la connerie...

J@M a dit…

Ouah ! Allez Lorenzo, tant qu'ils nous laissent lever la patte sur notre lampadaire favori...(lol)
(pour moi (feu/fut')celui de la dogana sans nul doute)

Lorenzo a dit…

c'est la première fois que je me fais traiter de vieux roquet réac ! Je n'y aurai jamais songé, héhé. C'est bien parce que je défend et crois fermement à la nécessité de l'écologie et d'une pensée différente de celle qui a mené notre monde à tant de gabegies que je peste contre le détournement d'un principe effectivement fondamental pour la planète par les marchands. Ceux qui peuvent payer plus chers sont des héros, défenseurs de la planète. ceux pour qui cela est difficile sont de gros mauvais citoyens égoïstes et réactionnaires. reparlons de tout cela quand le prix sera le même et que j'aurai la preuve qu'il est faux que l'hypocrisie mercantile se soit emparée du concept de protection de la nature et de défense de la planète. C'est le business que je dénonce, pas l'écologie ! Et puis l'article de l'Economist est plein d'humour. Quant au sujet, il m'a été suggéré lors d'un débat très intéressant sur un forum d'écologistes vénitiens. On ne sort pas du sujet, le débat est aussi très avancé parmi les vénitiens ! Bonne journée de la part du vieux roquet réac !;)

Anonyme a dit…

Ah NON (capitales volontaires!) Lorenzo... Ce n'est pas parce que je peux payer plus cher que je suis un héros ! J'avais répondu assez précisément à votre réponse et, mystères du cyber-espace, tout à foiré lors de la validation. Donc je n'ai pas repris et ne reprendrai pas. Pour votre information et la clarté de mes opinions sachez que si je paye quinze fois plus cher une ampoule (et je n'en ai pas qu'une) ce n'est pas parce que j'en ai les moyens, mais seulement pour faire un petit geste pour cette planète que le business honni par vous plongera dans la catastrophe. Pour votre information précise, je suis retraité et le montant mensuel de ce que je perçois est loin derrière ce que peut percevoir un professeur certifié arrivé au top niveau de sa carrière (et j'ai eu la chance de pouvoir faire une petite carrière d'encadrement dans une multinationale assez vaste). Je ne me plains pas mais ne mettez pas au compte de la richesse et des moyens ce qui n'est de ma part qu'une contribution brute à l'écologie comme vous le dit un de vos correspondants. Mon but était aussi d'informer vos divers lecteurs (qui restaient sur les piètres performances des premières générations d'ampoules économes) que maintenant, il existait même des ampoules de cette technologie compatibles avec les variateurs d'éclairage. Alors oui, le Business nous plume, oui la finance nous b...se, oui le green-washing est un moyen commode pour plein de sociétés de nous faire croire n'importe quoi et surtout à la pureté de leurs intentions. Je ne peux pas changer le monde et le système que vous détestez. J'agis simplement à mon petit niveau de 'pas milliardaire' presque conscient. Et lorsque je vais à Venise c'est par les train de nuit alors qu'en une heure de vol depuis Lyon Saint-Exupery je serais à Mestre et pour un prix quasiment identique en choisissant bien.
Bien à vous tout de même mais les diverses réactions demandaient ces précisions de ma part.

Michel de Lyon.

Lorenzo a dit…

Michel, pas de polémique dans mes propos. Au contraire. je défendais mon billet et le texte de la rédactrice anglaise, vous votre contribution. Nous partageons absolument les mêmes notions, les mêmes valeurs en fait. je ne suis pas un Don Quichotte pourfendeur du capitalisme "honni", je peste et pousse des coups de gueule contre un système déshumanisé, où seul le profit compte. Une ampoule changée, c'est comme un sac réutilisé à chaque visite au super-marché, un train de nuit plutôt qu'un avion, cela procède du simple bon-sens que nous devons enseigner à nos enfants, la conscience d'un monde qu'il faut protéger et soulager. Relisez Tramezzinimag depuis ses débuts, vous verrez que ce qui est appelé dans ces commentaires "réaction", n'est que le constat - qui certes n'engage que moi et peut toujours être contesté - de bêtises et de malhonnêtetés intellectuelles que nous subissons tous de la part des industriels, des publicistes, des politiques (une majorité d'entre eux). Merci en tout cas pour avoir pris le temps de répondre. Merci aussi pour votre fidélité à Tramezzinimag !

07 décembre 2010

Le Bal du Siècle, ou la dernière fête du Palais Labia (1)

D'instinct et de culture, Tramezzinimag préférera toujours à la terriblement vulgaire Tea Party moderne des populistes américains déchaînés, la très distinguée Café Society dont les membres, qui cherchaient, parfois avec arrogance, à faire de leur vie - à faire de chaque instant de leur vie - un chef-d'œuvre. Ces «bright young things» comme les appelait la presse mondaine de l'époque, étaient souvent de très vieille naissance, d'autres récemment hissés jusqu'aux très hauts sommets de la High Society; On a parlé ensuite de la Jet Set, par le génie d'un cavalier d'industrie dont ils se contentaient de dépenser l'immense fortune, inventaient sans cesse de nouveaux loisirs et d'innovants plaisirs. 

Peut-être est-ce le côté désuet des images qu'on en garde, les noms célèbres qui y sont associés, mais ces «Beautiful People» n'avaient rien à voir, à quelques exceptions près, avec ces nantis parvenus et Bling-bling qui se bousculent de nos jours au Fouquet's, les soirs d'élection présidentielle, se retrouvent dans à Saint-Tropez, au Cap-Ferret désormais ou à Aspen... Employée pour la première fois en 1915 par le chroniqueur Maury Henry Biddle Paul, L'expression désignait ce milieu mondain et cosmopolite qui évolua dans au gré des saisons à New York, Paris, Londres, mais aussi Venise et Capri entre les deux-guerres. La littérature, le théâtre puis le cinéma rendirent à la  mode cet univers de jeunes (et moins jeunes) gens très privilégiés qui faisait rêver les foules.

 Sans ordre chronologique, Jean Lorrain, Marcel Proust comme Cocteau en furent, la duchesse de Gramont, Charles et Marie-Laure de Noailles, Elsa Schiaparelli, Cecil Beaton, plus tard le duc et la duchesse de Windsor, l'Aga Khan, Christian Dior et Jacques Fath, Peggy Guggenheim et Pablo Picasso, Salvador Dali et Winston Churchill, le baron Alexis de Rédé, et tant d'autres encore.

L'un d'entre eux, célèbre pour son goût, sa fortune  et son sens de l'hospitalité a marqué la deuxième partie du XXe siècle. Charles de Beistegui, qui se faisait appeler Don Carlos n'était pas noble. Fils de diplomate, il descendait d'un émigré basque qui fit fortune au Mexique dans les mines d'argent. Dans un monde à peine sorti de l'épouvantable cataclysme que fut la seconde guerre mondiale, il décida un jour de recevoir tout ce qui comptait dans le Who's Who à Venise, dans le palais Labia qu'il venait de faire restaurer à grands frais. 
 
Ce fut le «Bal du Siècle». Le neveu de Don Carlos raconta il y a quelques années « Mon oncle souhaitait fêter la restauration de son palais. Il a choisi ses invités parmi les gens qu'il aimait. Tout était inouï et très naturel. C'était très exactement une “pendaison de crémaillère”,il n'y avait rien de publicitaire !», et de citer la perfide Louise de Vilmorin: « Ce fut le dernier bal où l'on n'invitait pas ses fournisseurs.»
 

Ce 3 septembre 1951 est donc resté dans les mémoires. Parce que ce fut une fête incroyablement belle, parce que le monde entier en entendit parler, parce qu'au lendemain de ce gigantesque carnaval privé qui renoua pour un soir avec les somptueuses fêtes de la Sérénissime, l'excentrique milliardaire mexicain d'origine basque, quitta Venise. Cette fête pharaonique célébrait la fin des travaux que Beistegui avait engagés. Une pendaison de crémaillère en quelque sorte comme le suggére Juan de Beistegui... 
 
 
Les années passèrent. Presque ruiné, il vendit à l'encan en 1964, le palais et tout ce qu'il contenait par l'intermédiaire de Maurice Rheims, alors jeune commissaire-priseur à la RAI qui en fit son siège régional net le restaura entièrement.
 
En 1970, Beistegui mourait presque oublié et abandonné, seul au milieu de ses valets, dans le merveilleux château de Groussay, près de Versailles, qui est maintenant ouvert au public. On parla de moins en moins de ce fameux bal au fur et à mesure que s'éteignaient ceux qui en furent les vedettes : Orson Welles, la comtesse Mocenigo, l'Aga Khan III, le marquis de Cuevas, Elsa Maxwell, Maria Callas, Jacqueline de Ribes, les Polignac, les Rosthchild, Paul Morand, Leonor Fini... Mais il demeure le plus grand évènement mondain du XXe siècle, le parangon de la fête, sans vulgarité, toute de grâce et d'esthétique, de beauté et de joie, comme on imagine que furent les fêtes de Versailles, de Vienne ou de Petersbourg, jusqu'à la barbarie... 
 
En tout 1.500 invités tous costumés. Le maître de maison refusa la présence des journalistes. On raconte qu'il refusa huit millions de dollars à une chaîne de télévision amricaine qui voulait filmer l'évènement... Il demanda à Doisneau, alors photographe chez Vogue, et à Cecil Beaton, le cousin de la reine d'Angleterre ainsi qu'à André Ostier, d'immortaliser les costumes  presque tous signés par les plus grands noms de la mode. Le russe Alexandre Serebriakoff fut chargé de peindre les scènes les plus marquantes de la soirée. C'est pour cela qu'il existe peu d'images de cette mémorable soirée.
 
L'arrivée du couturier Jacques Faith et de son épouse, elle en Reine de la Nuit et lui en Roi Soleil
 
J'ai eu le privilège, lors d'un dîner au Palais Decazes, tandis que l'on servait le traditionnel tilleul provenant de les arbres de la propriété girondine du Duc, de pouvoir entendre le prince de Faucigny-Lucinge, témoin de cette mirifique soirée. Devenu très âgé - et un peu sourd, du moins quand cela l'arrangeait -  raconter à notre groupe de jeunes gens, la mémorable soirée. Il en parla dans son livre de souvenirs. *

« Beistegui décida de donner la Fête des Fêtes sur le thème le plus logique en ces lieux : la Venise de Longhi et de Casanova, et de lui réserver l'ampleur d'un spectacle de cour. Il en fut ce qu'il espérait. […] Les invités étaient venus de tous les coins de l'Europe, de Lady Clementine Churchill au vieil Aga Khan, en passant par les plus belles princesses romaines ou napolitaines. […] Car Carlos de Beistegui tenait aux références : nom, talent, beauté, notoriété, et — j'ajoute — amitié, car c'était un ami très fidèle. »

Paul Morand qui naturellement y était, parle du bal dans Venises et Jean Cocteau en a bien évidemment tiré quelques jolis mots 
«Notre fastueux ami Beistegui avait décidé de tenir tête au temps ; reconstituer un palais, c'est dire non au gouffre, c'est comme d’écrire Le Temps Perdu. Son œuvre terminée, Beistegui s'en désintéressait».

Christian Dior non plus ne tarissait pas d'éloges en se souvenant de ce somptueux bal :  « Ce fut la plus belle soirée que je vis et verrai jamais. La splendeur des costumes égalait presque les atours triomphants des personnages de Tiepolo peints à fresque sur les murs. Toute la profondeur de la nuit italienne plaçait ce spectacle nocturne hors du temps […]. Les fêtes de cet ordre sont de véritables oeuvres d'art. »
 

Mais, chut, faufilons-nous le long de la fondamenta et allons admirer le spectacle...
 







à Suivre...

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4 commentaires:

Anne a dit…

"Inconscience ou défi, il était satisfaisant de penser qu'un grand amateur tenait tête, pour la seule satisfaction de réanimer Venise, de faire sortir de leurs cadres ces personnages des grands et des petits maîtres qui s'assommaient sur les toiles peintes de musées, les déesses captives dans la trame des gobelins; d'autres auraient pu le faire, lui seul osait."
Paul Morand

AnnaLivia a dit…

Avez-vous vu le film documentaire sur ce personnage dans une série intitulée Le Bal du siècle?

Lorenzo a dit…

Oui j'ai prévu d'en publier des extraits dans la suite de l'article.

elza jazz a dit…

Lorenzo, je découvre ton blog. Je me demandais si un jour, on parlerait de ces fêtes époustouflantes au palais Labia. Par exemple du bal
de l'année 51, où Dior était habillé par Dali etc... Bref, je veux m'inscrire à ton blog, qui parle si bien de Venise.
elza jazz

Lorenzo a dit…

          Merci Elza Jazz et bienvenue parmi les Fous de Venise de Tramezzinimag.   

          Votre blog est splendide. Merci.