05 juin 2012

Café Florian : Restauration de la Salle des Hommes Illustres

Le 15 septembre prochain, une grande réception aura lieu au Caffé Florian, le célèbre établissement installé sous les arcades de la Piazza San Marco depuis 1720, pour fêter la splendeur retrouvée de la Salle des Hommes Illustres, un des plus beaux salons du célèbre café vénitien. La salle va subir quatre mois de travaux exceptionnels qui rendront à ces lieux mythiques toute leur splendeur.
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Au nombre de dix, les portraits réalisés au XIXe siècle par Giulio Carlini et qui représentent d'illustres vénitiens de tous les temps, vont être déposés pour être nettoyés, les stucs et les fresques vont être réparés, redorés et repeints. Les lieux étant inscrits au Domaine Public (l'équivalent de notre Patrimoine National), les travaux ont commencé discrètement il y a quelques semaines, mais il fallait le permis officiel de l'autorité de tutelle pour lancer officiellement la campagne de restauration qui sera entièrement financés par le Caffé Florian avec l'aide de mécènes et sponsors privés. Pas un centime des 200.000 euros nécessaires ne seront pris sur des fonds publics. Le Groupe UBS Italie (une banque pas encore dans le rouge dans la péninsule...) finance la restauration des toiles, les Bijoux Pomellato paieront les cadres et les dorures tandis que les Tissus Rubelli fourniront le velours damassé, baptisé Velours Florian inspiré du revêtement de l'époque mais adapté aux exigences actuelles de sécurité et d'hygiène.
La Salle des Hommes Illustres "est un trésor public qui appartient à la ville et au monde entier" a souligné lors de la conférence de presse qui présentait le projet, le directeur du Florian, Marco Paolini, qui est depuis 2009 le nouveau propriétaire du café de la Piazza, en association avec les Frères Fendi et quelques autres entreprises privées, toutes vénitiennes. Chaque année, 700.000 personnes viennent s'asseoir dans ces lieux historiques, situé sur cette place unique que Jean Lorrain appelait "le plus joli salon du monde". Ils viennent consommer un chocolat ou une coupe de Champagne, comme l'ont fait avant eux des milliers de célébrités, depuis l'ouverture du premier estaminet en 1720, sous le règne du doge Giovanni Cornaro par un certain Floriano Francesconi. Beaucoup en ont parlé dans leurs livres depuis Goldoni qui en était un habitué, comme Silvio Pellico, Tommaseo, Goethe, Proust, Henri de Régnier, Jean Lorrain, Maurice Barrès, Hemingway... Ces lieux que Casanova avait transformé en terrain de chasse puisque c'était le seul établissement de toute la république qui acceptait les femmes. Autres temps autres mœurs.
"Notre projet apporte la preuve que, malgré la crise, il existe encore des initiatives dont l'objectif final n'est rien d'autre que la conservation et le respect de notre patrimoine culturel" observait Paolini en précisant que la restauration de cette salle terminera le chantier de restauration initié ces dernières années et dont le but était de rendre au Florian la beauté et le charme des lieux quand Ludovico Cadorin en entreprit la rénovation dans les années 1890, amenant aux locaux tels que nous les connaissons aujourd'hui mais singulièrement défraîchis. Un semblant de polémique semble pointer son nez quand le directeur du Florian regretta devant la presse l'absence du maire Giorgio Orsoni. « Nous espérons que le maire sera des nôtres le 15 septembre. Nous ne demandons rien, mais son soutien nous ferait plaisir ». Dans l'entourage du maire, on souligne le caractère privé de l'entreprise et la volonté de l'équipe municipale de ne pas interférer dans les initiatives privées... On est bien loin de l'administration Rigo où rien de ce qui se faisait en matière de rénovation, même privée, d'envergure ou minuscule, n'échappait aux contrôles et aux vérifications précautionneuses des élus communistes. Cela avait parfois du bon mais les temps changent.

La salle sera de nouveau ouverte au public et aux consommateurs en septembre. Nous redécouvrirons les portraits des illustres vénitiens, Pietro Orseolo, Marco Polo, Paolo Sarpi, Enrico Dandolo Francesco Morosini, Vettor Pisani, Benedetto Marcello, Le Titien, Palladio et Goldoni, en son temps grand habitué des lieux. En attendant, les artisans restaurateurs de l'entreprise Libralesso se sont mis au travail, sous la direction de l'architecte Barbara Pastor pour restituer à la cité des doges la beauté originelle de ce joli salon. On peut regretter que le mobilier reste le même, juste réparé et nettoyé. On ne retrouvera donc pas les sièges et les tables d'avant Cadorin, dont quelques exemplaires se trouvent parfois dans différents petits cafés de la ville. Je me souviens du petit bar situé sur la Fondamenta Zorzi Bragadin, en face de la galerie Ferruzzi où je travaillais (aujourd'hui boutique de la Guggenheim). Les trois ou quatre tables que le propriétaire disposait devant son café provenaient de l'ancien Florian. C'est du moins ce que disait le peintre Bobo Ferruzzi, fils et frère d'antiquaire, lui-même un peu antiquaire et collectionneur.



Bel objet vénitien en vente cette semaine à Drouot

En couverture cette semaine sur la Gazette de l'Hôtel Drouot un objet rare dont on sait peu de choses. Comme l'énonce la notice, il s'agit d'une "Imposante gourde de pèlerin ou flacon d’apparat, cet objet en verre, monté de cuivre ajouré, présente un délicat décor de pampres feuillagés, agrémentés sur la panse de grappes de raisins. Mais ce qui attire le regard, c'est le médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise, figurant le lion de saint Marc." 

Le soin porté à la ciselure du décor de la monture de cette "fiasca da pellegrino" (gourde de pèlerin) est assurément l’œuvre d’un orfèvre de talent. Certains spécialistes évoquent même le Florentin Antonio di Salvi (1450-1527), dont les décors gravés très similaires de pièces liturgiques sont conservés au Bargello à Florence. Cependant la figure du lion de saint Marc, tenant le livre entre ses pattes, importe plus. Dans cette posture hiératique, le félin incarne la majesté de l’État. Il est finement gravé, la crinière et des ailes laissées en réserve, l’auréole et les fonds étant émaillés de deux bleus différents. Ont-ils été appliqués au moment de la fabrication de l’objet ou plus tard, pour masquer par exemple des armoiries nobiliaires ou faire de cette fiasque un cadeau diplomatique de la cité des Doges ? il faudrait de longues heures d'études dans les salles des Archivi delle Stato derrière les Frari ou à la Marciana pour en apprendre peut-être davantage sur ce bel objet qui va partir dans une collection privée puisque à ce jour aucun musée italien ou français ne semble vouloir s'y intéresser.

J'ai souvent tendance à penser, quand de tels objets du passé resurgissent des collections privées où ils étaient conservés, que nous devrions organiser des souscriptions publiques pour acquérir ces objets et en faire ensuite don aux musées vénitiens. Encore faudrait-il être informé assez tôt pour pouvoir lancer la souscription. Même en période de crise, tout ce qui concerne le patrimoine du passé mérite d'être protégé et conservé comme bien de l'humanité toute entière et non pas disparaître dans des collections privées où ils sont souvent considérés seulement pour leur valeur marchande...
Venise, fin XVe-premier tiers du XVIe siècle. Gourde de pèlerin en verre soufflé dans une monture en cuivre gravé, ciselé, repercé, découpé, doré, champlevé et émaillé, fiasque en verre de Murano de couleur bleu cobalt, h. 47,1 cm. Estimation : 60 000/80 000 €.
Exceptionnelle pièce que cette gourde en verre, enchâssée dans une monture en cuivre gravé, ciselé, repercé, découpé, doré, champlevé et émaillé reposant sur un piédouche. La fiasque est en verre de Murano de couleur bleu cobalt avec un très long col et une panse circulaire aplatie. La monture qui recouvre entièrement la fiasque dépasse du col de la bouteille d'environ deux centimètres. En la démontant, les experts ont pu en restituer l'agencement : Elle se compose de deux coques, constituées chacune de deux parties métalliques soudées entre elles ; sans décor sur les pourtours, cette armature est repercée de motifs végétaux sur toute la hauteur des deux faces du col ; deux mufles de lion en fort relief sur l'épaulement sont retenus à l'intérieur de la monture par des écrous en étoile ; chacun de ces mufles conserve un maillon des chaînettes manquantes qui étaient reliées aux petits anneaux placés au milieu du col ; de chaque côté, un large motif de rinceaux, en forme de croix et fixé par deux vis ; ces deux éléments servent à consolider l'assemblage et masquent la séparation des deux coques, en faisant la jonction entre les mufles de lions et les deux disques repercés qui ornent les deux faces de la gourde. Ces deux disques au décor ajouré sont fixés aux parties métalliques de la coque par des rivets disposés sur leurs circonférences. Le centre de ces deux disques est orné d'un médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise représentant le lion de saint Marc en buste, les ailes relevées et tenant le Livre fermé entre ses pattes. Le piédouche, reprenant les motifs ajourés, est fixé à l'armature également à l'aide de rivets. 
En dépit de quelques légers manques et déformations, l'absence de chaînettes et du bouchon, l'objet est dans un état de fraîcheur incroyable. On peut penser que le médaillon en émail a pu être placé à une époque postérieure. Lors du démontage, on  observe des consolidations anciennes à l'étain, notamment à l'emplacement des soudures et des fixations des éléments décoratifs. Des petites pattes métalliques ont été rajoutées afin d'améliorer la solidarité entre toutes les différentes pièces de la monture. Le col a ainsi été doublé intérieurement à son extrémité afin de le rigidifier. Par un souci de protection du papier et du coton ont été glissés sous le fond de la fiasque entre le verre et la monture. La bouteille, en verre soufflé dans un moule, présente de nombreuses bulles et deux petits défauts de fusion. Des dépôts et des salissures sont visibles. On peut ainsi penser que l'objet fabriqué à Venise pendant cette période bouillonnante pour les arts que fut le début de la Renaissance, a ensuite été remanié - suite à un dommage ou pour être mis au goût du jour - ce qui le rend très vivant, laissant à notre imagination tout loisir pour lui inventer une histoire...

04 juin 2012

Un (grandiose) air de Venise sur la Tamise

Des milliers d'embarcation hier dimanche sur la splendide Tamise pour accompagner la barge royale sur laquelle le peuple de Londres a pu voir passer sa souveraine à l'occasion du jubilé de diamants de la reine. Soixante ans d'un règne fêtés comme à Venise on fêtait le doge par un long cortège naval. Du jamais vu depuis le XVIIe siècle et un régal pour les yeux : du canoë aux frégates de la Royal Navy, des gondoles aux vedettes à moteur, une foule nombreuse glissa le long des 16 kilomètres qui séparaient l'embarcadère de Greenwich au fameux Tower Bridge en haut duquel fut tiré un gigantesque feu d'artifice après le passage de l'embarcation royale, toute d'or et de rouge décorée. La reine était en blanc, et la barge avait des airs de Bucentaure. La toute puissante Angleterre montrait hier soir sa parenté avec Venise qui fut avant elle la reine des mers. Personnellement ce n'était pas pour me déplaire. Long Live the Queen !








30 mai 2012

Gustav Klimt au Musée Correr

Venise avait acclamé Gustav Klimt lors de sa première venue à la Biennale de Venise en 1910. Revoilà certaines des œuvres présentées alors qui reviennent sur la lagune avec une extraordinaire exposition. Organisée à l'occasion du 150e anniversaire de sa naissance (14 juillet 1862), l'exposition est le fruit de la collaboration entre la Fondation des Musei Civici di Venezia et le Musée du Belvédère de Vienne, sous la direction d'Alfreid Weidinger, un des lus grands experts de l’œuvre du peintre autrichien.

"Gustav Klimt nel segno di Hoffmann e della Secessione" (Gustav Klimt sous le signe de Hoffmann et de la Sécession) tente de reconstituer la genèse et le cheminement de l’œuvre de Klimt et du mouvement de la Sécession viennoise. Peintures, dessins, mais aussi mobilier et bijoux très raffinés. On trouve des œuvres de Kolo Moser (1868-1918) de Jan Toorop, Minne, Fernand Khnopff, et reliant le tout la présence du grand ami de Klimt, le compagnon de toutes les aventures intellectuelles et de nombreux projets, Josef Hoffmann (1870-1956).

Le public peut découvrir dans les salles du Musée Correr, l'ancien palais impérial et royal, des peintures réunies pour la première fois ensemble, comme sa Judith I (1901) et la Judith 2 (1909) achetée en 1910 par la Galerie Nationale d'art Moderne de la Ca'Pesaro. La majeure partie des peintures exposées proviennent du Belvédère où sont rassemblées la plupart des œuvres majeures du peintre. D'autres proviennent de collections publiques et privées comme par exemple la Dame devant la cheminée (1897), Les Amants (1901), Hermine Gallia (1904)... Cela me ramène vingt-huit ans en arrière :


En 1984, une gigantesque exposition avait eu lieu au Palazzo Grassi, "Le Arti a Vienna, Dalla Secessione alla caduta dell'Impero asburgico" (Les Arts à Vienne, de la Sécession à la chute de l'empire habsbourgeois"). En feuilletant le magnifique catalogue (589 pages, paru aux Éditions de la Biennale, chez Mazzota) - une curiosité bibliophilique aujourd'hui -, on se rend compte de la qualité et de l'importance des expositions de l'époque. Autour de Klimt, se trouvaient les œuvres majeures de Kokoshka, de Egon Schiele, Moser, Gerstl, Hirschl-Hirémy, Blauensteiner, Kalvach, ainsi qu'une importante collection de mobilier, de bijoux, de céramique et d'orfèvrerie, de nombreux dessins et des photographies, le tout provenant de collections publiques et privées du monde entier. C'était longtemps avant la crise...

Pour en savoir plus, Tramezzinimag vous renvoie à l'excellent billet du blog Olia i Klod, ICI et au site de l'exposition : ICI.

"Klimt nel segno di Hoffmann e della Secessione"
Jusqu'au 8 juillet 2012
Museo Correr, piazza San Marco, Venise
Tous les jours de 10 heures à 19 heures
Entrée 16€ / Tarif réduit : 8€
(avec l'accès à tous les musées civiques)

 

29 mai 2012

La terre tremble aussi à Venise

 
Il était à peine 9 heures ce matin quand la terre s'est mise à trembler à Venise et dans les environs. Plus de peur que de mal sauf pour une des deux statues du grand portail d'entrée aux Jardins Papadopoli à Santa Croce, en face de la Piazzale Roma, par où les touristes passent pour rejoindre le Rialto et San Marco. La statue, dont les soutiens métalliques posés au XIXe siècle semblent avoir été complètement érodés par le sel et la rouille est le seul incident majeur survenu dans le centre historique. 
 
Par précaution, le ponte del Prefetto, très emprunté,qui relie la Piazzale Roma aux Jardins, a été fermé. La circulation pédestre est ainsi déviée jusqu'à nouvel ordre vers le ponte Zuccato un peu plus à droite qui débouche sur la Fondamenta del Magazen et rejoint la Fondamenta Condulmer, en face de l'église des Tolentini. Des écoles et des maisons de retraite, lieux "sensibles" ont été évacués, mais tout est rapidement rentré dans l'ordre. A la Fenice, pourtant dotée d'un système anti-sismique, la représentation de La Bohème a été annulée. Toujours le principe de précaution. Du coup, le Wifi de la ville disponible partout dans le centre historique mais réservé aux abonnés, a été ouvert librement à tous afin de permettre aux gens de rentrer en contact avec leurs familles et de se tenir au courant des évènements.
 
L'épicentre, toujours en Émilie-Romagne, a produit une secousse de 5,8 sur l'échelle de Richter faisant encore une fois de nombreux dégâts et des victimes. Le maire Orsoni a rendu hommage à tous ceux qui ont disparu. Les dégâts matériels sont assez importants parmi les monuments, touchant durement le magnifique patrimoine de cette région.
 
A Venise, c'est surtout dans les étages supérieurs que la secousse a été vraiment sensible. Quelques touristes affolés (mais ils sont moins nombreux le matin tôt qu'en plein jour, et le tenancier du kiosque à verroterie situé à l'entrée des jardins qui a eu la peur de sa vie. Plus de peur que de mal donc mais une alerte supplémentaire pour les autorités. Les pompiers et les services municipaux auscultent d'ailleurs depuis hier campaniles et façades des palais les plus susceptibles d'avoir souffert, même si cela ne se voit pas, certains ponts ont aussi été sondés comme aussi les cheminées des usines de Marghera. Des sondes ont aussi été placées dans certains points de la lagune pour vérifier qu'il n'y a pas eu de modification du sous-sol qui pourraient avoir des conséquences désastreuses pour l'écosystème.

Un évènement somme toute très mineur par rapport à ce que cette énième catastrophe en Émilie, mais qui conforte les opposants au projet de métro souterrain qui devrait relier la terraferma avec le centre historique... On peut rêver que les fous furieux qui défendent ce projet puissent être engloutis par un tremblement de terre et leur projet enfoui avec eux (et les milliards de bénéfices qu'ils supputent avec !). mais on va encore m'accuser de mauvais esprit !





27 mai 2012

Vogalonga 2012, premières images

© Antonio Dalla Libera - 27/05/12
© Antonio Dalla Libera - 27/05/12
© Antonio Dalla Libera - 27/05/12

La Vogalonga 2012, c'est aujourd'hui

La 38e Vogalonga a lieu aujourd'hui ! Gageons que ce sera une réussite sous un ciel splendide avec au moins autant d'embarcations que l'an passé où plus de 6.000 rameurs avaient pris place sue 1.650 bateaux en tous genres. Dans la joie et avec l'accent vénitien avant tout. Notons cependant que depuis quelques années de nombreux clubs nautiques viennent de toute l'Europe et spécialement de France. Mondialisation oblige. Tant que cela ne dénature pas la fête et son authenticité... En revanche le site officiel n'est plus qu'en italien et en anglais. Un bon sujet de réflexion pour notre (provisoire) ministre de la culture.

San Zaccaria, un matin de mai

San Zaccaria. Un matin de mai. Peu de monde dans l'église. Bellini. Le chef-d’œuvre. Le concert à la vierge. La madone assise en gloire sur un trône luxueux, entourée de saints, en extase vers son fils écoutant un ange lui faire de la musique. Tableau délicieux. Tant d'amour et de résignation dans ce regard de mère. Tant de douleur et de gloire dans ces sons qui le bercent. On ne fait plus de belle musique comme cela maintenant.

Joie et bonheur que ces retrouvailles matutinales avec la beauté. Dans la nef, une femme balaye le vieux pavement humide. Les cloches dehors sonnent à toute volée. La crypte résonne du clapotis de l'eau qui remonte des profondeurs du temps.  
C'est à chaque fois une grande paix, Venise, à l'intérieur d'une église. Quand la froidure de l'hiver rend la lumière de midi d'un blanc métallique, que les volutes de pierre et tous les ors s'animent et réchauffent le passant transi. Quand à la fin du printemps, lorsque le jour vient à mourir et teinte les vitraux de rayons roses qui rendent l'heure poignante et douloureuse alors que dehors tout n'est que rire et légèreté.
Autrefois, à San Zaccaria, on vendait à côté des cierges de jolies petites fleurs blanches appelées étoiles du berger. Les dames les accrochaient à leur revers quand elles ne les déposaient pas au pied de ce joli concert immortalisé par Bellini.

25 mai 2012

A Venise, l'Infini prend peu de place

"Comme toute œuvre mémorable, et comme aucune autre ville, Venise dit sa merveille et, en même temps, qu'elle aurait pu exister." Ces par ses lignes que le sud-américain Hector Bianciotti auteur de l'affirmation qui sert de titre à ce billet, montre sa conception de cette Venise des écrivains qui s'inscrit en bonne place parmi les nombreuses Venises : celle des peintres, celle des musiciens, celle des photographes, celle des architectes et depuis quelques années, celle des écologistes.
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L'écrivain argentin, devenu français et membre de l'Académie, qui est un grand et lucide amoureux de Venise dont il a fait le décor de plusieurs de ses écrits, avait publié en 1984 dans la revue Carré Magazine un texte repris l'année d'après par le Magazine littéraire (n°219, mai 1985). Tramezzinimag en publie quelques extraits - qui selon moi forment une jolie base de réflexion - où les lecteurs retrouverons l'esprit de ce blog.
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"[...] Enfin, un jour, il y a une vingtaine d'années, j'ai débarqué à Venise. Et j'ai cessé de rêver d'autres villes, d'autres pays. je n'ai même plus envie de voir les Pyramides, Égypte ; c'est comme si je les avais déjà connues. Alors que Venise me manque d'une façon physique, et que je pense à elle à chaque moment. Non seulement je regrette de ne pas m'y trouver mais il me semble incompréhensible qu'elle soit là-bas, sous son ciel toujours intime, que les gens entendent les pas d'autres gens qui s'approchent puis s'éloignent, ou leurs voix, tandis que moi, je suis ici.

Longtemps, je n'ai pas osé faire allusion à Venise, moins encore essayé de la décrire. J'avais peur de tomber dans le plus mièvre des lieux communs ; j'avais peur de cette rêverie que dispense toute chose insolite ; je n'avais pas encore le courage d'aimer ce qui me plaît en toute simplicité[...]

[...] Venise, je le compris alors, manque aussi de syntaxe. ville où les merveilles prolifèrent jusqu'à l'absurde - comment dire l'angoisse que suscitent ces façades admirables, parfois séparées l'une de l'autre par quelques centimètres, que nul regard ne peut entièrement saisir ? - Venise est une ville fermée, ou, plutôt qui se ferme à chaque pas, avec des profondeurs étroites où il y a comme un perpétuel engendrement de menaces, une distribution chaotique des attributions ; une ville qui se répète, se confirme et s'échappe à chaque coin de rue, et qui aboutirait à l'asphyxie s'il n'y avait pas l'eau : les canaux, la longue ondulation du Grand Canal, la lagune au-delà, la mer. Ville rebelle, dont la carte incessante cache toujours, même au connaisseur, d'autres plis et replis, et qui ne se laisse pas imaginer en entier.

A Venise, l'infini prend peu de place. Cela constitue un fait magique et aussi terrifiant que d'avoir la tête pleine de mots et de ne pas réussir à articuler une phrase. Heureusement, pour pallier la maladresse des dieux qui l'ont conçue ainsi échouée dans un lieu inconcevable, il y a les quelques architectures de Palladio, les façades blanches de ses églises, bien en vue sur la lagune, qui ponctuent le désordre somptueux, halluciné et auxquelles l'âme se raccroche. Que Venise soit mon ciel ou mon enfer, dépend uniquement de ce qu'elles se trouvent ou non dans mon champ de vision."

Hector Bianciotti
© Carré Magazine

22 mai 2012

La phrase du jour

La basilique Saint-Marc et la Piazzetta photographiées en 1854
"Venise ! Est-il un nom dans les langues humaines qui ait fait rêver plus que celui-là ? Il est joli, d'ailleurs, sonore et doux: il évoque d'un coup dans l'esprit un éclatant défilé de souvenirs magnifiques et tout un horizon de songes enchanteurs."
Guy de Maupassant