15 décembre 2012

A Venise aussi, Noël se prépare !

© Helga Harris - Tous Droits Réservés.
Et en attendant le grand jour, Tramezzinimag vous offre un scoop : le Père Noël alias Babbo Natale se prépare en grand secret (mais pas très incognito) à Venise en suivant un entraînement extrêmement rigoureux. Des paparazzi l'ont surpris l'autre matin en train de s'échauffer sur les Zattere, sous le contrôle rigoureux de ses entraîneurs. Il semble n'avoir pas encore atteint son poids attendu pour qu'on ne le confonde pas avec un papa déguisé, mais il va y arriver :
 
 

14 décembre 2012

Les lycéens vénitiens manifestent pour l'autogestion

Cliché © Yves Bauchy - 13 décembre 2012 - Tous Droits Réservés
De très jeunes gens qui marchent en groupe dans les rues de Venise, on en voit souvent. Ces gite scolastiche qui amènent dans la cité des doges des centaines de milliers de groupes scolaires du monde entier sont monnaie courante. Ce qui l'est moins et mérite d'être mis en avant, ce sont les manifestations d'indignation et de rogne. C'était l'indignation et la rogne justement qui ont amené deux cents lycéens du lycée Foscarini en colère.
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Mais qu'est ce qui a motivé cette démonstration de masse qui s'est déroulée calmement et avec un grand sérieux ? Le Liceo Foscarini, situé à Cannaregio, dans l'ancien couvent de Santa Caterina est un établissement de qualité et d'une grande réputation, qui accueille plus de 600 élèves. Un tiers d'entre eux avaient choisis de défiler dans les rues de la ville jusqu'au campo du Rialto, au pied du Gobbo, cette statue d'un bossu soutenant un escalier de pierre qui mène à une antique colonne de marbre venue de Saint-Jean d'Acre, monument symbolique pour les vénitiens, où étaient proclamées les décisions du Sénat, mais aussi lieu de rassemblement des mécontentements populaires.
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Cliché © Yves Bauchy - 13 décembre 2012 - Tous Droits Réservés.
Cortège bon enfant qui avance en bon ordre derrière une grande banderole au milieu des passants. Après l'occupation, hier, du lycée par les élèves, environs deux cents élèves ont défilé dans les rues organisant plusieurs flash-mob sur la Strada Nova, à Santa Margherita, sur le campo San Bartolomeo puis à San Giacometo, à l'Erbaria où un sit-in de protestation a réuni le plus grand nombre de manifestants. Un de leurs délégués est allé - geste à forte connotation symbolique - jusqu'à grimper sur le Gobbo, comme autrefois les tribuns pour rappeler la participation des lycéens à toutes les décisions concernant l'organisation des études et le fonctionnement de l'établissement.

© Poa Sara Manzoni - Tous Droits Réservés
Les lycéens protestaient ainsi contre le manque totale de transparence dans les choix et les décisions de la direction du lycée qui ne dispose pas d'un Conseil d'établissement. Après la décision, votée par 70% des élèves, d'occuper les locaux, les lycéens avaient obtenu entre trois et cinq jours d'autogestion, sur les bases du programme. Mais le recteur refusa de s'engager par écrit. Aussitôt l'occupation du lycée levée, celui-ci ne concéda plus officiellement que seulement deux jours... Cet engagement non tenu coupa court à tout dialogue poussant les jeunes gens déterminés dans la rue. Une démonstration joyeuse et roborative de l'exercice de la démocratie. De quoi se réjouir quand on entend si souvent parler de l'apathie sociale des nouvelles générations, plus occupées à échanger virtuellement sur les réseaux sociaux qu'à prendre position pour la communauté dans le monde réel. L'avenir leur appartient et les savoir si réactifs rassure !

© Poa Sara Manzoni - Tous Droits Réservés.

08 décembre 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 32) : Colette Fellous vous emmène à Venise : Passez un weekend à Venise sur France Culture


"Canaletto et Guardi, les deux maîtres de Venise", c'est le titre de l'exposition que vous pourrez voir jusqu'au 14 janvier prochain, une exposition orchestrée et dirigée par Bozena Anna Kowalczyk, qui vit justement à Venise et qui a bien voulu accepter de me guider dans cet aller-retour entre la Venise du 18 ème siècle et celle d'aujourd'hui. C'est dans cette grande promenade à la rencontre des peintures de Canaletto et de Guardi que j'aimerais donc vous inviter tout au long de cette lettre vénitienne qui accueillera également Anna Lisa Scarpa, commissaire de l'exposition "Canaletto à Venise" au Musée Maillol, que vous pourrez voir jusqu'au 10 février, et Roger de Montebello, un merveilleux artiste qui allie les points les plus emblématiques de Venise, comme la Pointe de la Douane( La Dogana), près de l'église de la Salute, aux symboles les plus contemporains, l'ordinateur par exemple, et qui par un tour de passe-passe les métamorphose en une peinture presque métaphysique, dans la lignée de Guardi ou bien plus tard dans celle de Chirico. C'est de son atelier donnant sur le Grand Canal que j'ai pu retrouver les couleurs intactes de l'eau, du ciel, des reflets, des palais, tels que les avait rendus Canaletto.

Venise, ville-miroir et ville intérieure, ville magnétique et secrète, mais aussi joyeuse, festive, musicale, qui vous conduira sur la Place St-Marc, à la Salute, à la Dogana, sur les Zattere, sur le Canal de la Fenice, là où l'on retrouve les gestes mélodiques des gondoliers, ceux-là même qui scandent les tableaux des vedutistes (peu importe si leurs chants sont aujourd'hui souvent napolitains). Mais cette lettre vous conduira également dans le quartier de Castello, jusque dans l'île de San Pietro, sur les lieux d'un tableau de nuit de Canaletto : une fête, juste devant l'église de San Pietro...."
C'est ainsi que France Culture présente cette émission-reportage comme les journalistes de cette radio en ont le secret. Des cloches de Santa Maria del Giglio aux sons de la passeggiata Viale Garibaldi. Un reportage où on dit le grand privilège de vivre à Venise, la nécessité de comprendre et sentir la ville avant que de se jeter parmi les hordes de touristes obsédés par le selfie bien plus que par les trésors qui les attendent dans les églises et les musées. on y parle des ciels de Bellotto, de Canaletto et de ceux, terriblement sensuels, de Guardi. 




Colette Fellous
 est écrivain et journaliste à Radio France.
Elle a publié chez Gallimard un 
très beau texte autobiographique,
"Pièces détachées".

06 décembre 2012

Un matin en hiver

Quel meilleur réveil qu'un aria enjoué de Vivaldi (en l'occurrence aujourd'hui, ce mouvement d'un des concerti de l'Opus 1, la première œuvre du prêtre roux), magnifiquement interprété par mon ami Enrico Gatti et l'Ensemble Aurora... Dehors le temps s'est remis au froid comme dirait ma vieille voisine. Le premier vrai brouillard de la saison. Ce n'est pas encore l'hiver, mais déjà la lumière se fait plus froide, le soleil moins chaud.

Paradoxalement, ce temps me donne une énergie que les derniers jours de pluie avaient totalement anéantie. Lever avec le jour donc ce matin, et Vivaldi en fonds sonore. Thé bouillant et galettes irlandaises. Il faudra ouvrir un nouveau pot de gelée de coings. Par la fenêtre entrouverte, une odeur de café grillé, le silence de la rue, une cloche qui sonne au loin. Des passants qui parlent, des bruits de pas. Mais où suis-je ? 
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Non, ce n'est pas Venise. Hélas. Pas encore. Je suis à Bordeaux, dans la brume. Beaucoup trop de choses à faire et pas assez de moyens pour partir et partir longtemps comme j'aurai aimé le faire. J'écris tellement mieux et plus vite quand je suis là-bas. Bordeaux seulement, plongé dans le silence un jeudi matin... Une panne bloquant le tramway qui passe à deux pas, sur les quais a eut totalement raison de la circulation automobile dans la rue. Des deux côtés la police a mis en place des barrières, barrant les rues adjacentes avec ses voitures. En dix minutes tout le trafic a été détourné et, pour mon plus grand bonheur - celui du chat aussi qui s'est assis sur le rebord d'une fenêtre en dépit de la fraîcheur matinale - il n'y a plus un seul bruit mécanique. Seuls les vélos circulent. Les chiens ravis promènent leurs maîtres au milieu de la voie. Des enfants qui vont à l'école jouent là où d'habitude des files de voitures polluent l'atmosphère et nos oreilles. L'air parait aussi pur que sur un chemin de montagne. Le brouillard donne à ces lieux si quelconques une atmosphère théâtrale. On attend que quelqu'un en coulisse frappe les trois coups magiques. Vivaldi toujours, et la bouilloire qui siffle, la bonne odeur des galettes... La vie est faite de ces petites joies tranquilles. 
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Vous l'aurez deviné, chers lecteurs, égoïstement, j'aime quand le tramway est en panne. Cela n'arrive plus très souvent et c'est hélas la plupart du temps suite à un accident, mais les difficultés qu'il y a à le remettre en route permettent ce genre d'accalmies pendant lesquelles le monde moderne hystérique et bruyant se tait et cède la place à une autre réalité. Plus humaine, plus paisible. On pourrait se croire sur les bords de la lagune, c'est vrai,. Le chat l'a pensé très fort qui attend que je l'y conduise pour y finir ses jours dans la sérénité d'un campo éloigné. Entendre le pas des gens sur les dalles du trottoir, les cloches qui se répondent, les oiseaux dans les arbres de l'avenue... Un bonheur. 
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Je n'avais rien de précis à faire ce matin. Mes pas m'ont porté vers le Jardin Public. Par le miracle de la technique, Vivaldi m'accompagnait avec sa musique. On n'y voyait pas à deux pas. Personne ou presque dans les nombreuses allées. Odeur d'humus. Il reste encore des feuilles sur les branches. La rumeur de la ville s'impose ici, bien davantage depuis que les tempêtes ont eu raison des très vieux arbres qui coupaient ces lieux du reste du monde. Un monde qui fut le mien, ardent, pressé, énervé. Un univers de vanité et de faux-semblants. Sur la terrasse du Champs-de-Mars, le café Jaegher est presque vide. Bruit des tasses qui s'entrechoquent. Quelqu'un marche derrière moi sur le gravier, dans le brouillard. Quelle jolie sensation, pareille à celle de l'enfant qui pénètre un mystérieux labyrinthe. Un goût de première fois me revient à la bouche. Toujours la musique de Vivaldi...

30 novembre 2012

Italia in Corto, un nouveau festival est né

L'association culturelle Altritaliani - siège parisien - lance un appel pour une compétition internationale de courts-métrages sur le thème: "L'Italie dans le monde, le monde en Italie", intitulée Italia In Corto dont le Président du Jury sera le réalisateur italien Mario Brenta. TramezziniMag salue cette excellente initiative et invite ses lecteurs à y participer.

Que signifie être italien? Est-il possible de distinguer les Italiens - au sens commun et historique - des autres peuples? Qu'en est-il de la culture, de la créativité et de l'art italien dans le monde de plus en plus globalisé de ce début de troisième millénaire? Quelle est la contribution de la culture italienne aux cultures des autres pays? Et comment la culture italienne a-t- elle été capable d'intégrer et de transformer des éléments d'autres cultures? Qu'est-ce qu'on entend par le terme "à l'italienne" ? Comment avez-vous réussi à trouver un bout d'Italie même dans les coins les plus reculés de la planète ? C'est à ces questions que le Festival Italia In Corto tente de répondre, encourageant la réflexion et la discussion sur le rôle et la signification de la culture italienne dans le monde.

Comment participer ? en s'inscrivant sur le site de l'association avant le 31 mars 2013. La date limite pour la soumission des courts métrages et de tout document annexe est le 10 avril 2013. La cérémonie de remise des prix aura lieu à Paris le 5 juin 2013. Le festival est placé sous la direction artistique de Nicola Guarino. Responsable des rapports avec les artistes et les maison des production/distribution : Raffaello Scolamacchia. Relations Presse, communication, partenariats : Agata Tiberi.

Pour tous contacts, une adresse mail :
et celui réservé à la presse

28 novembre 2012

Petite devinette musicale

Tramezzinimag vous invite à un petit jeu ce soir. Il s'agit de retrouver parmi les six heures de musique (mais oui, six heures ininterrompues avec I Solisti Veneti, vous avez bien lu !) un air en particulier. J'avoue que si j'ai retrouvé certaines pièces du maestro Vivaldi, d'autres m'échappent et je ne suis pas encore parvenu à toutes les reconnaître. Alors si vous voulez bien chercher avec moi : l'aria mystérieux - et magnifique - commence à 4.01.11 pour se terminer à 4.04.42. A vous :


26 novembre 2012

Représentation de l'acqua alta, XXIe siècle

 Novembre 2012 © Arved Gintenreiter - Tous Droits Réservés

Carlo et Tobia Scarpa, un père et un fils remplis de talents


Depuis quelques années, le merveilleux petit Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux s'est ouvert au design et à la création décorative contemporaine. On se souvient surement des belles expositions du Groupe Memphis, de celles de Martine Bedin, Sylvain Dubuisson, Jasper Morrison et Michele De Lucchi, initiées par Jacqueline du Pasquier, la conservatrice d'alors, qui sut si bien réveiller ce beau petit palais endormi. Poursuivant sa politique d’ouverture au design, le musée accueille une passionnante depuis le début de l'été, une exposition du travail des vénitiens Carlo et Tobia Scarpa. 

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Carlo Scarpa (né à Venise en 1906 et mort à Sendai au Japon en 1978) est un des plus grands architectes contemporains.  Sa vision de l'architecture - toujours considérer qu’un bâtiment idéal doit réconcilier la nouveauté et la tradition et servir à mettre en valeur les objets du mobilier qu’il aimait dessiner -. L'architecture et le design formant un tout dans son travail, il reste aujourd'hui encore, comme Le Corbusier, un modèle pour les jeunes générations d'architectes. Son fils, Tobia, né en 1935, architecte lui aussi, a collaboré aux nombreux projets de son père, d'abord comme assistant puis en tant qu'associé. En tant que designer, il a travaillé avec Afra Bianci, devenue son épouse, créant de nombreux meubles, des verreries (notamment pour Venini à Murano), tous très beaux objets édités par les plus grandes maisons internationales comme Knoll, Flos, Cittone Oggi, B&B Italia, Molteni, etc


Édité chez Cassina, leur célèbre fauteuil-divan Soriana a remporté en 1970 le fameux prix "Compasso d’Oro", prix décerné une seconde fois (en 2008) à Tobia Scarpa pour l'ensemble de son œuvre L'exposition de Bordeaux présente de nombreux exemples des créations du père et du fils, réunis pour la première fois avec son aide, qui a accepté de présider le concours de design d’Agora 2012 de Bordeaux. Formé par son père, il a su développer sa propre patte et cultiver sa différence. Davantage investi que son père dans le design, son travail s'inscrit cependant dans la continuité naturelle du travail de Carlo Scarpa

Le visuel conçu par Tobia pour l’exposition, un double portrait du père et du fils face à face, sous-titré "dialogo sospenso" est révélateur de leur relation sans doute parfois difficile, mais aussi exemplaire. L'exposition présente, à travers ces deux artistes, un siècle d’architecture et de design en Vénétie, s’articulant en deux séquences historiques, la modernité et la contemporanéité.
 
Le regard et la réflexion que le fils pose sur l’œuvre de son père, rendent l'exposition très intéressante. La Biennale de Venise, en 19  avait présenté une rétrospective du travail de Carlo Scarpa. On connait à Venise sa remarquable intervention sur le réaménagement et la restauration du palazzo Querini-Stampalia. Des années après, son travail n'a pas pris une seule ride. S'il a fallu le détourner au vu d'un nombre de visiteurs toujours plus nombreux (on ne passe plus désormais par le ravissant petit pont très moderne et pourtant totalement vénitien qui enjambait le rio devant le musée et permettait d'accéder directement dans l'attique de béton, de travertin et de brique conçu par Scarpa). Bien d'autres réalisations renforcent à travers le monde le grand talent de cet architecte vénitien, la profondeur de son regard et l'importance de son sens de l'esthétique, autant de qualités qui semblent manquer trop souvent aux architectes français comme aussi hélas aux italiens d'aujourd'hui. Jusqu'au 31 décembre 2012.

Pour ceux que cela intéresse, Carlo Scarpa est à l'affiche d'une leçon d'architecture en avril 2013, à Angers : Renseignements ICI
 

24 novembre 2012

A Venise, des bonheurs au quotidien

Ces lignes ont été corrigées en écoutant Matthias & Chloë, un air composé par le compositeur britannique Mark Orton pour le film The Old Lady. vous pouvez l'écouter ICI pour accompagner votre lecture

Dans un monde qui bouge plus vite que son ombre, où les repères volent en éclat, il est des détails sans importance qui font du bien. Il suffit de savoir regarder autour de soi, prendre le temps et surtout, se détacher des tensions et des bruits qui saccagent notre tranquillité. Venise en dépit de ses problèmes reste un endroit idéal pour se ressourcer, regonfler ses batteries. L'air, la lumière, les œuvres d'art y sont bien entendu pour beaucoup ; cependant c'est autre chose, qui n'existe dans une autre ville au monde. 

Tramezzinimag, vous le savez, y revient souvent : l'absence de voitures et de motos. Les seules roues qui foulent les dalles des rues sont celles des chariots de livraison, des valises trainées par les touristes - ce petit bruit si caractéristique devenu un des sons de la ville presque au même titre que les cloches des campaniles - et les poussettes des mamans. J'allais oublier les chariots à provisions des dames vénitiennes. Pour le reste, à Venise on glisse sur les eaux calmes des canaux, on monte et descend les marches des ponts. La nuit ce ne sont que des bruits de pas qui nous parviennent de la rue. J'essayais d'expliquer cela à des enfants d'un collège qui m'avaient invité pour leur parler de la vie à Venise. La musique de Vivaldi fut un moyen de leur faire comprendre l'incroyable et unique adéquation entre la ville et le rythme que sa topographie impose aux habitants et d'où découlent tous les codes qui permettent depuis des siècles de vivre naturellement dans un lieu qu'on peut qualifier de contre-nature. Pourtant être réveillé par le chant d'une mésange ou par le cri d'un portefaix, ouvrir sa fenêtre et laisser pénétrer dans la chambre le parfum de la mer et la litanie des cloches nous rapproche des sensations merveilleuses d'un matin en bord de mer ou à la campagne.


De là à dire que Venise est un village, il n'y a qu'un mot. Effectivement son organisation et sa structure furent celles d'une capitale puissante et grouillante de vie. Il y eu plus de 100.000 habitants dans la cité des doges. On compte aujourd'hui à peine un peu plus de 50.000 habitants. Il faut traduire 50.000 personnes qui dorment la nuit entre ces murs séculaires et vivent là chaque jour. Parce que chaque jour débarquent des milliers de visiteurs. Ce tourisme pendulaire - les hordes - remplit les rues et donne l'illusion que Venise est encore une grande ville. La métropole qui attira pendant des siècles le monde entier, marchands, aventuriers, mercenaires, ne reçoit plus guère que les touristes. C'est parfois encombrant pour les vénitiens. Aller chercher son pain, un morceau de viande ou un tube de dentifrice est souvent compliqué. Et fatigant. La cohorte des visiteurs qui obstrue les rues dès les premières heures du matin, les commerces de proximité qui se transforment en étals de verroterie made in China, les transports en commun encombrés et les osterie typiques qui disparaissent les unes après les autres où se transforment en restaurant folkloriques... J'entends déjà les critiques acerbes sur ma litanie anti-touristes. Les pauvres n'y sont pour rien, ce sont les voyagistes qui les transforment en gogos pressés à qui on ne laisse pas grande liberté. Combien ont l'opportunité de sortir des sentiers battus, de se perdre dans la ville et de humer sa véritable atmosphère ? Mais revenons à notre sujet favori, les petits riens qui rendent la vie bien plus agréable.

Dans ce registre justement, j'ai aimé ce petit communiqué de presse reçu récemment en provenance de la municipalité : un couple d'octogénaires français a choisi de réitérer ses vœux prononcés il y a 70 ans à Venise. Après la cérémonie en mai devant le maire de Nevers, c'était en septembre au tour Venise, où ils se rendent chaque année depuis trente ans, de les recevoir en grande pompe dans les salons de la Ca'Farsetti. Jean Kordé, âgé de 92 ans et son épouse, née Liliane Dauvergne qui a 87 ans, ont été fêtés par la municipalité qui leur a remis un parchemin pour marquer l'évènement ainsi qu'un tableau. N'est-ce pas un joli petit rien que l'évocation de cet amour de platine ? 

Il est facile de trouver la vie belle quand on arpente par une douce soirée d'automne ou de printemps les Zattere ou les Schiavoni. Les touristes sont partis pour la plupart et flâner au bord de l'eau redevient un plaisir. Tard le soir, quand les derniers orchestres de la Piazza ont remisé leurs instruments et que tous les cafés sont fermés, on découvre avec bonheur une place déserte et silencieuse. le bonheur. Bonheur aussi de marcher au hasard des ruelles sans trop savoir vers où diriger nos pas. Laisser faire le hasard. Là aussi, la nuit transforme les lieux. Nos pas résonnent. on croise parfois une ombre , un chien pressé, des noctambules qui rentrent chez eux. Les vénitiens se couchent tôt. C'est qu'il y a beaucoup à faire. Au petit jour déjà, la vie reprend ses droits et la cité s'anime. Au palais Venier dei Leoni, où flotte toujours la présence de Peggy Guggenheim, des femmes et des hommes du musée préparent la nouvelle exposition. L'accrochage est un art et les œuvres sont précieuses. Les mains gantées de blanc, on plante des clous, on colle les cartels. Tout doit être d'équerre et proprement posé. Travail délicat s'il en est. Bientôt, quand les femmes de ménage auront tout nettoyé, ce sera le temps du prosecco bien frappé et des petits fours pris d'assaut par la foule habituelle des vernissages. Les lieux se rempliront d'une foule avide dont on se demande parfois si elle jette seulement un regard aux tableaux présentés tant elle parle fort en tournant devant les buffets.

Dehors, sur le grand canal l'animation est à son comble, vaporetti, barques de livraisons, ambulances, gondoles... une foule d'embarcations parcourt la plus belle avenue du monde dans tous les sens. C'est beau ce trafic, ces bruits, ce mouvement comme dans les tableaux de Canaletto ou de Guardi. Partout l'eau scintille comme si des centaines de gemmes de différentes couleurs flottaient à la surface. Une sirène vient troubler l'harmonie des sons qui fait s'envoler une bande de mouettes agacées. Des touristes japonaises toutes excitées photographient un couple de mariés en gondole qui passent devant la Salute. Soudain les cloches sonnent à toute volée. Il est déjà midi. Le soleil se voile en un instant : un navire géant dont la blancheur ne parvient pas à atténuer la laideur, cache un instant la lumière sur la pointe de la douane. Haut de six étages au moins le paquebot s'éloigne dans un nuage de fumée noire et nauséabonde. A bord une foule contemple une dernière fois les façades de la piazzetta, le palais des doges, la Marciana et derrière San Marco. Indifférents, les vénitiens poursuivent leur chemin. C'est l'heure d'une ombra, puis viendra le déjeuner. Donna Leon, un cabas à la main, passe rapidement devant des touristes qui ne la reconnaissent pas. Dans son esprit le commissaire Brunetti a déjà entamé de nouvelles aventures. Un gros chat tigré a l'air réjoui, le dénommé Gastone l'attend au coin de la rue. C'est le chat de ses voisins mais comme tous les chats, il aime bien la compagnie des écrivains.


Voyez-vous, ce sont ces petits riens du quotidien, qui rendent Venise unique. Délicieux poison que cette musique, qu'il suffit d'avoir entendue une seule fois pour ne plus être le même. Comme ces airs qui nous touchent soudain sans qu'on sache pourquoi et qu'on n'oublie plus, qui nous remplissent résonnent le cœur à jamais. Venise nous transforme en esclaves de sa beauté et fait de nous des exilés quand par malheur nous nous éloignons d'elle trop longtemps. mais au retour, une fois la clé tournant dans la serrure, les volets ouverts et les valises posées, tout redevient comme avant, comme si nous n'étions jamais partis. Venise nous reprend aussitôt et l'émotion à chaque fois se renouvelle avec la même densité, la même joie ineffable, celle des premières fois.