03 février 2013

Habiter à Venise : l'odyssée des logements sociaux


La Fondamenta Coletti à San Girolamo, dans un coin retiré de Cannaregio est un endroit pittoresque fréquenté quasiment uniquement de vénitiens. Au bout du quai, une île a été aménagée il y a une quarantaine d'années, la Sacca San Girolamo, vaste ensemble résidentiel qui abrite de nombreux logements sociaux face à la lagune. La Fondamenta Carlo Coletti doit son nom à une institution religieuse qui y était installée jusque dans les années 2000. D'imposants bâtiments accueillirent de nombreux élèves. Puis peu à peu, les religieux ne pouvant faire face aux nécessaires travaux d'entretien, les immeubles se dégradèrent, jusqu'à l'abandon et la fermeture de l'institution. 

Étudiant, j'ai habité quelques mois dans ce quartier, sur cette fondamenta justement, au numéro 2993. Mes fenêtres donnaient sur l'un des terrains de sport de l'institution fréquenté par tous les enfants du voisinage qui venaient y jouer au football. Déjà à l'époque on parlait de construire à cet endroit des logements sociaux qui faisaient cruellement défaut. C'était cette triste période où l’État avait décidé de libéraliser les loyers, jetant à la rue des centaines de vénitiens, appelés les sfrattati (i sfratai en vénitien) Dans le cadre du programme électoral de son équipe, le maire Orsoni a promis la construction de plusieurs milliers de logements sociaux, histoire de revitaliser l'habitat dans le centre historique, ou pour être plus précis afin d'en juguler la désertification. Même à Disneyland, il faut bien loger le personnel... Hélas, si des chantiers ont bien été ouverts, aucun n'est encore parvenu à son terme. Une première tranche de constructions avait déjà été prévue par la municipalité Costa. Plusieurs milliards avaient même été débloqués pour ce faire. Sans suite à ce jour. Toujours le mystère des marchés publics italiens.

Le projet Coletti est intéressant. Il s'agit de réaliser des logements sociaux qui seront destinés en priorité aux jeunes ménages et à ceux qui travaillent dans le centre historique. Prendre en compte, enfin, les gens qui vivent et travaillent à Venise. Ambitieux, ce projet l'est quand il veut contribuer au "repeuplement" d'une zone laissée en friche depuis la disparition des établissements de formation qui occupèrent les lieux pendant de nombreuses années (Algarotti, Zuccante, Fermi). Ambitieux aussi l'objectif décidé par les intervenants : réaliser, d'ici 2015, soixante-dix appartements dits de "social housing" financés par un apport de 13 millions d'euros (dont 6 millions environ avancés par la municipalité et le reste par les Œuvres Pia Coletti, structure communale). Le protocole permettant de lancer l'opération a été signé Ca’Farsetti il y a quelques semaines, permettant de démarrer l'appel d'offres. 
"Ce projet, explique Bruno Filippini, l'assesseur en charge de l'habitat, veut répondre aux exigences des vénitiens, et avant tout aux demandes des jeunes couples et des travailleurs du centre historique. Outre l'opération d'habitat social, le projet prévoit la réalisation d'une zone verte sur l'emplacement d'un vaste terrain vague au milieu de l'ex-Coletti." Comme l'a expliqué Paolo Stocco, le président des Ouvres Pia Coletti, qui milite depuis des années pour la restructuration de ces locaux abandonnés , "les appartements auront une superficie allant de 45 à 100 m²".

Le lancement du chantier Colettti a également le mérite de rappeler les autres projets de logement sociaux. A cet égard, l'assesseur Filipini a fait le point sur le chantier Conterie Murano (36 logements), sur l'ancien hôpital Umberto Ier de Cannaregio (40 maisons individuelles), la poursuite du projet Piruea au Lido (38 logements) et celui de la via Mattuglie à Asseggiano (72 logements). "Dans le cadre de la décentralisation domaniale (piano sul federalismo demaniale) a ajouté Filippini, l'ancienne caserne Sanguinetti, à San Pietro di Castello et les locaux de l'ancienne École de Mécanique à Celestia seront bientôt mis à la disposition de la commune." Le site de Scalera à la Giudecca, quant à lui devrait être achevé dans les délais prévus en dépit des difficultés du constructeur traduit aujourd'hui devant les tribunaux. La municipalité insiste sur sa détermination a défendre les intérêts de ses administrés devant les retards, les exactions et les abus suscités par le projet. Pourtant sur les 6.400 logements sociaux promis par la ville depuis dix ans, pas un seul n'est disponible à ce jour. La première tranche qui prévoyait 1.400 appartements avait été votée par la municipalité Costa en 2003, pour un investissement prévisionnel de 116 millions sur six ans qui devait être complété en 2009. Si une partie du programme est en cours de construction, la plus grande partie initialement prévue est bloquée suite à la défaillance des partenaires privés. Les 5.000 autres logements ont été annoncés en 2010 dans le programme électoral du maire actuel, Giorgio Orsoni. Ils sont toujours lettre morte à ce jour...

01 février 2013

Bonne nouvelle, le réverbère revient enfin !

Il aura fallu pas mal de négociations et de pressions pour décider le milliardaire français de rendre aux vénitiens la pointe de la Pointe de la Douane et ranger son éphèbe à la grenouille dans un recoin de ses collections. Le réverbère va revenir. C'est officiel et Tramezzinimag s'en réjouit.
 

Ce n'est pas qu'elle était laide cette sculpture mais sa présence - et celle d'un vigile grognon - à un endroit stratégique de la ville où tout le monde aimait à se promener le soir, avait bousculé les usages. Pour la première fois, un lieu public, le chemin qui longe les anciens magazzini de la douane, était de fait quasiment privatisé ou du moins offert à l'usage d'un milliardaire arrogant. Les vénitiens n'aiment pas qu'on joue avec leurs traditions et ils n'ont jamais vu d'un très bon œil qu'on piétine les usages. Or ces lieux étaient depuis toujours voués à la passeggiata, enfants, couples d'amoureux, artistes, musiciens ou simples riverains, tous aimaient à se promener le soir face au plus beau panorama de toute la lagune. Combien d'amoureux se sont embrassés là, sous la lumière du réverbère ou à l'ombre des colonnes du bâtiment ? Des pêcheurs s'y installaient dans le journée, des vieilles dames venaient y promener leurs chiens et papoter. La nuit, quand la ville endormie se faisait silencieuse, il y avait toujours un noctambule pour venir là avant de regagner son lit.

Vous le savez sans doute, le fameux réverbère avait été enlevé lors des travaux et jamais remis, à la demande du locataire des lieux et de son architecte. A la place, cette sculpture de Charles Ray, haute de 2,47 m qu'on protège des intempéries par une cage de verre blindé. Les vénitiens ravis au début de ce nouvel ornement des lieux l'acceptèrent tant qu'il s'agissait d'une situation provisoire. le temps d'une exposition comme on est habitué désormais d'en voir surgir un peu partout dans la ville au moment de la Biennale... hélas, l'enfant et son crapaud ont pris racine. Et il devenait évident que le provisoire s'installait dans la durée. Et le réverbère ? La ville a d'abord essayé de noyer le poisson en expliquant que la nouvelle esthétique des lieux ramenait les aménagements à l'aspect d'origine... La pilule était trop difficile à avaler. Les vénitiens se rebiffèrent. Pétitions, émissions de radio, manifestations. On parla même dans certaines arrières-boutiques de faire subir à l’œuvre le même sort que celui que Buonaparte réserva au Bucentaure... Finalement, le bon sens a prévalu. La sculpture s'en va et le réverbère revient. Nous nous en réjouissons. 

Exit les vigiles aussi, du moins espérons-le. Quelle barbe pour deux amoureux qui veulent être un peu tranquilles, la nuit quand la ville se fait silencieuse et que les touristes dorment enfin, si un sbire méfiant et voyeur  tournait autour d'eux, sous la lumière du lampadaire...

24 janvier 2013

COUPS DE CŒUR N°48

Ouvrage collectif
Venise, Vivaldi, Versailles
Contributions de Philippe Beaussant, Vincent Borel, Frédérice Delamea, François Cruz...
Ed. Naïve Littérature & Château de Versailles, 2011.

Les lecteurs de Tramezzinimag se souviennent certainement de cette grosse manifestation très médiatisée qui fêta Venise et Vivaldi à Versailles il y a presque trois ans. A l'occasion de ces royales et somptueuses festivités, les éditions Naïve sortirent un disque réunissant les monstres sacrés du baroque, disque au succès mitigé, tant il s'apparente bien davantage à une compilation commerciale et désordonnée, comme on en trouve souvent au moment des fêtes dans les grandes surfaces, qu'à une anthologie savante et réfléchie. Mais l'amateur de musique y aura trouvé son bonheur : quelques-unes des meilleures œuvres du prêtre roux le plus souvent magistralement interprétées même si on peut là-aussi trouver à redire (l'interprétation du Gloria par les musiciens de Rinaldo Alessandrini est vraiment trop rapide, il lui manque la magistrale ampleur du somptueux enregistrement de Riccardo Muti, et le Cum Dederit de Philippe Jarousski, s'il est très beau, n'atteint pas la perfection de James Bowman encore jamais égalé. Mais cette grande manifestation du Château de Versailles fut aussi l'occasion de sortir un ouvrage dédié au même sujet qui réunit les contributions des meilleurs spécialistes de Vivaldi, de la musique vénitienne et de Versailles. Je n'avais jamais lu ce livre dont la couverture est assez laide mais qui est tout de même un bel objet, le genre "Coffee Table Books" dont raffolent nos amis anglo-saxons. Sauf que ce livre ne se contente pas d'être esthétique, il contient des textes passionnants et une iconographie assez fouillée et pleine de trouvailles avec les photographies de Gueorgui Pinkhassov qui servent de fil rouge en ce voyage d’évocation baroque. Le tout est agréable à lire et fait un parfait cadeau.
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Indispensable Vivaldi
Rinaldo Alessandrini, Jordi Savall, Fabio Biondi, Diego Fasolis et J-Ch. Spinosi.
CD Label Naïve - 2011.
S'il n'est pas indispensable contrairement à ce que prétendait le service marketing du Château de Versailles, cet album peut satisfaire les amateurs de Vivaldi puisqu'il réunit les meilleurs interprètes actuels de musique baroque et les passages choisis sont de haut niveau. mais cela reste une compilation avec tout ce qu'il y a de connoté dans l'épithète. Pas indispensable donc mais pas inutile non plus là encore comme cadeau. Un échantillon assez bien tourné que j'utilise et conseille comme accompagnement sonore d'images sur la Sérénissime.
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Lorenza Foschini
Le manteau de Proust
Ed. Quai Voltaire, La Table Ronde - 2012.
Un petit bijou découvert dans mes souliers sous le sapin. Ce bref récit de 136 pages, récit gigogne tout empreint de fétichisme proustien est né du hasard d'une rencontre de l'auteur avec Piero Tosi, qui fut le décorateur attitré des films de Luchino Visconti. Lorenza Foschini part à la découverte du manteau de Marcel Proust remisé en haut d'une armoire, dans un appentis du Musée Carnavalet. Au fil des pages, le lecteur suit la piste de son découvreur, l'esthète et collectionneur Jacques Guérin, qui récupéra chez un brocanteur un grand nombre d'objets ayant appartenu à l'écrivain et qu'on retrouve aujourd'hui au musée, dans la salle où a été reconstituée la chambre de la rue Hamelin. Bien écrit - et parfaitement traduite de l'italien par Danièle Valin, ce récit ravira les nombreux amateurs de curiosa proustiens mais pas seulement. Il dresse un portrait attachant du personnage complexe que fut le parfumeur Guérin et nous replonge dans une atmosphère bien plus avenante que celle dans laquelle nous vivons au quotidien. Beaucoup de petits faits connus pour la plupart sont ainsi habilement mis en perspective. Les pages de la narration des péripéties du fameux manteau jusqu'à son arrivée chez le brocanteur-colporteur Werne sont d'anthologie, dignes de Pouchkine ou de Umberto Ecco comme l'a écrit Edmund White.
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Nuccio Ordine
L'utilité de l'inutile
Les Belles Lettres -2012.
Il n'est pas vrai, pas même en temps de crise que seul ce qui est source de profit soit utile. Il existe dans les démocraties marchandes des savoirs réputés inutiles qui se révèlent en réalité d une extraordinaire utilité. Dans cet ardent pamphlet, Nuccio Ordine attire notre attention sur l'utilité de l'inutile et sur l'inutilité de l'utile. À travers les réflexions des philosophes et des grands écrivains de tous les temps, il démontre comment l'obsession de posséder et le culte de l'utilité finissent par dessécher l'esprit, en mettant en péril écoles et universités, condamnant à terme l'art et la créativité, et détruisant peu à peu nos valeurs fondamentales, sapant les fondements de la dignitas hominis, et les notions d'amour et de vérité. L'auteur termine son petit ouvrage par la publication inédite en français d'une très beau texte d'Abraham Flexner qui souligne que les sciences enseignent aussi l'utilité de l'inutile, citant Faraday, Ehrlich, Einstein et plein d'autres. Il est ainsi démontré que sans la gratuité et l'inutile, sans ce qui parait superflu à notre époque mercantiliste fascinée par le profit, l'homme aura bien du mal à rendre l'humanité plus humaine et à parvenir au bonheur. Un texte vraiment important et très agréable à lire. A faire connaître sans modération autour de vous.
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Danièle Boone
Le piéton de Venise
Ed. Rando - 2008.

"La cité Doges méconnaît la ligne et l'angle droits. Venise s'enroule autour d'elle-même, comme un escargot. L'itinéraire le plus court n'y est pas ce Grand Canal en forme de S, mais les chemins de traverse qui ignorent ses boucles. La marche y est un privilège naturel et les Vénitiens sont des piétons à temps-plein. En quittant le flux des touristes aux semelles lourdes et en se faufilant comme l'eau dans ses moindres recoins secrets,le promeneur va à la rencontre de son véritable esprit. Que de découvertes alors : margelles de puits, patères byzantines, ateliers et tant de vénérables demeures, humbles ou majestueuses. La ville a placé tout son mystère dans l'agencement tortueux et complexe de son espace. Venise est un archipel de quartiers gagnés un à un sur la mer et reliés par des centaines de ponts et de pontets. C'est la seule ville au monde où les voies de transports, les canaux, sont radicalement différentes des voies de promenades, les rues. Alors y déambuler est un bonheur incomparable. Laissez chanter les noms, laissez glisser - mieux, danser - vos pas : canal de la Giudecca, Santa Maria della Salute, Madonna dell'Orto, ponte dei Pugni, campo Santa Margherita. Les dix parcours décrits dans ce guide vous font aller du Ghetto à l'Arsenale, de la pointe du Dorsoduro au campo San Stefano ou à la piazza San Marco. Sans oublier San Zanipolo, Murano et San Michele, Burano et Torcello". Voilà comment le livre est présenté. Bon marché, bien documenté, c'est un des guides possibles pour ceux qui ne veulent pas se contenter d'aller le nez au vent au hasard de leurs pas. Écrit il y a quelques années déjà par une dame talentueuse qui est aussi photographe et possède à son actif un certain nombre d'excellents ouvrages parus chez Hazan notamment. Ouvrage à ne pas confondre avec celui-ci, paru en 2005 aux éditions Bartillat :
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Marc Alyn
Le Piéton de Venise
Ed.Bartillat, 2005.
Celui est d'un autre ordre. Nullement écrit pour un usage pratique mais tout rempli de l'âme de Venise lui aussi. De l'intérieur cette fois. Marc Alyn, qui est avant tout un poète - critique et essayiste aussi, il est l'auteur de plusieurs biographies parues chez Seghers notamment celle de François Mauriac - a su  exprimer dans ce petit ouvrage tout son amour pour la Sérénissime. De ses nombreux séjours depuis sa jeunesse - il est né en 1937 - l'auteur a pu en percevoir les mille palpitations. Il offre à ses lecteurs une Venise vivante, sensuelle, habitée regorgeant de saveurs et de rencontres. "Dans les églises, sous les porches, au coin des canaux, dans les palais, Marc Alyn nous donne accès à une Venise secrète, celle des arcanes du tarot et de la vie cachée des Vénitiens." Il a choisi sept voyageurs pour accompagner ce périple : D'Annunzio, Joseph Brodsky, Richard Wagner, Lord Byron, le baron Corvo, Corto Maltese et Ezra Pound. Un des ouvrages à avoir dans sa bibliothèque vénitienne.
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Iegor Gran
L'écologie en bas de chez moi
Ed. Folio Gallimard - 2012.
L'auteur joue dans ce petit livre très drôle et vraiment décapant, du décalage et de la distanciation. Mais quand il se moque, ce n'est jamais méchant ni par souci de controverse. Juste un esprit libre qui ne supporte pas les diktats quel qu’en soit la forme. C’est la marque de fabrique de cet écrivain qui aime toujours aller à contre-courant et pousser l’absurde dans ses retranchements pour mieux caricaturer nos modes et idéologies dominantes, qu'il conçoit comme de véritables machines à décerveler. Iegor Gran appuie où ça fait ma et c'est ce qui rend ces lignes attachantes. Il se plait à attaquer l’inattaquable pour en révéler, avec dérision, ironie et second degré, les clichés insupportables et les présupposés idéologiques : faire du vert le parangon du bien a une influence sur notre quotidien,mais aussi, et c'est ce qu'il veut dénoncer, sur l’économie de marché, la politique et la culture. Cet essai décrypte nos engagements toujours absurdes quand ils ne sont ni réfléchis, ni mesurés, ou nuancés et les notes en bas de page, souvent très longues volontairement, proprement jouissives, mettent le doigt sur toutes ces contradictions. Il y a danger quand le vert n'est plus un engagement mais une mode, et pire, un business et que l'argumentaire nous rend "myopes". L'auteur ne souhaite pas vous interdire de trier vos déchets ou vous convaincre de ne plus manger bio, simplement de ne plus le faire comme un mouton, parce qu’il le faut, que c’est bien, qu’il est quasi obligatoire désormais de "faire un geste pour l’environnement", nouvelle table de la loi de notre civilisation en manque de repères. En parallèle à cette idée générale, le livre est aussi une analyse des relations d'amitié qui perdurent ou se délitent sans qu'on y prenne garde. Un livre rigolo et sérieux à la fois.

09 janvier 2013

L'hiver européen : déjà, il neige sur Athènes...


Athènes - 08/01/2013 - © Panagiotis Grigoriou

Une fois n'est pas coutume mais ne devrait-ce pas devenir l'usage ? Tramezzinimag est un lieu où l'esthétique et la beauté, la joie de vivre et le bonheur animent une passion commune. Venise est pour la majeure partie d'entre nous un lieu où nous nous rendons, plus ou moins souvent, selon le temps dont nous disposons, selon nos moyens. Un lieu de "villégiature et d'épanouissement culturel" comme l'écrit un de mes lecteurs luxembourgeois. Tramezzinimag tente d'accompagner et de traduire cet état d'âme commun à tous les Fous de Venise que nous sommes. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres de la lagune il y a des grincements de dent et des larmes de deuil. On n'aime pas trop évoquer le malheur des autres. Surtout quand on devine qu'il pourrait être contagieux. C'est pourquoi Tramezzinimag soutient et parraine désormais le blog de l'anthropologue et historien Panagiotis Grigoriou et vous invite à le soutenir par vos encouragements sur son blog mais aussi par vos dons. C'est de survie dont il s'agit.
 
L'hiver règne sur l'Europe. Affaire de saison me direz-vous. J'ai envie d'écrire que cet hiver là est un peu plus rude, un peu plus sale que celui que nous impose chaque année la nature. Il neige à Athènes. Une fine poudreuse qui crée des embarras aux abords de la capitale hellène. La pollution du ciel pénètre les maisons et les poumons, même en Thessalie. Ceux qui dorment dans la rue ont encore plus froid qu'avant. Les grands feux qu'allument chaque jour le peuple en colère ne réchauffe que les cuirasses des forces spéciales en permanence sur le qui-vive. Atmosphère de guerre civile et surréaliste train train habituel dans les rues des grandes villes. Embouteillages, foules sur les trottoirs et dans les cafés... Et pourtant.
 
Nous vivons bien en France en dépit de cette crise qui ronge depuis des mois une partie des pays frères, ceux pour qui l'Europe s'avère désormais impitoyable et qui perdent leur âme dans un grondement de plus en plus audible. Bien qu'éloignée encore, la tempête qui les emporte et sème la ruine et la désolation, est pourtant à nos portes et nous continuons de ne rien voir. Mais en Grèce ? J'y ai des amis autrefois parangons de sérénité et de bonne humeur, dont l'hospitalité était toujours joyeuse et pleine de surprises. Ils n'ont plus rien aujourd'hui. Plus de retraite, plus de sécurité sociale, plus d'économie ou presque. Leur grande maison ancienne dans le beau et pittoresque quartier de la Plaka d'Athènes n'est plus chauffée en hiver, les volets ne sont pas repeints et il leur faudra peut-être bientôt la vendre. Ils envisagent de se réfugier à Lindos, dans une petite bâtisse toute blanche où ils allaient l'été, recevant des amis d'amis. Mais la maison dans l'île de Rhodes sera peut-être vendue. La banque réclame des intérêts de prêt, ils croulent sous les impayés. Ce n'étaient pourtant pas les premiers venus. Ils ont travaillé toute leur vie. Jeunes retraités, ils peuvent avec satisfaction voir le parcours de leurs enfants, tous universitaires brillants mais sans salaire depuis des mois ou presque. Alors, ils vont dans la rue. Chaque jour. Aider et consoler ceux qui sont encore plus mal lotis qu'eux. Ils partagent la fureur de tous les grecs face à cette situation qui rappelle aux plus vieux de bien tristes souvenirs. 

La police est partout, et partout les violences se multiplient comme aussi les actes de désespoir. Et nous, à Venise, en France, en suisse, en Belgique, au Canada, ailleurs aussi, on ne sait pas ou on ne veut pas savoir. On écoute sagement  ce que disent nos dirigeants, et prenons pour parole d'évangile ce que relaie la presse. "C'est leur faute, ils n'ont que ce qu'ils méritent", "la Grèce vivait au-dessus de ses moyens", "ils paient maintenant pour avoir été malhonnêtes avec les institutions européennes"... Mais de la souffrance quotidienne de la population, des faits divers suscités par cette désespérance qui se multiplient, personne ne parle chez nous. Et ce qui pouvait rester de dignité à notre presse s'efface sous les effets d'une pensée unique. Totalitaire déjà. Qui a parlé au printemps dernier du suicide de ce vieil homme, pharmacien à la retraite qui se sachant destiné à finir dans la rue, en dépit de trente cinq ans de cotisation pour une retraite confortable n'avait plus rien et qui ne voulait pas faire violence aux autres. Il s'est suicidé sur la place publique. Par désespoir. parce qu'il lui semblait revivre les pires années collaborationnistes du temps de l'occupation allemande. La première, celle des nazis (cf. Greek Crisis)

Les plus anciens lecteurs de Tramezzinimag se souviennent de mon obsessionnelle opposition au Traité constitutionnel européen, ce combat pour le non qui m'a valu menaces, injures, fâcheries, vexations de tous ordres. Combien d'amis ai-je perdu qui me jugeaient rétrograde et buté, voire stupide quand je faisais campagne contre ce traité en brandissant des arguments dont j'espérais pourtant que jamais nous aurions à en vérifier la véracité. Parce que j'étais, je suis, je demeure, un fervent partisan de l'Europe. La souffrance et le malheur des grecs, sera bientôt celle de tous les peuples qui composent l'Union. Il est encore temps de réagir. il est encore temps d'ouvrir les yeux et de se battre pour une Europe solidaire, une Europe des Nations, des peuples. pas une Europe des banques et des technocrates. Patrie de la démocratie, la Grèce s'enfonce dans un totalitarisme déguisé où la haine peu à peu s'empare de tous les cœurs, où la liberté s'étiole et le désespoir grandit heure par heure. Nous avions donc hélas raison, nous les partisans du non sur qui tous ont craché, les médias, les politiques de droite comme de gauche, les Églises mêmes parfois... 

Si vous avez lu ces lignes jusque là, n'est-ce pas par empathie pour ces peuples si proches, hier encore riches comme nous le sommes, insouciants de ce qui se tramait comme nous le sommes ? Vous n'êtes pas dupes des discours qui nous sont assénés depuis des mois sans pour autant hurler avec les tristes loups des extrêmes qui se servent de cette situation presque apocalyptique pour vendre leurs mauvais remèdes. A la peste ultralibérale ne répondons pas une fois encore par cette autre peste, d'une triste couleur brune dont les générations avant nous ont tristement fait les frais. Et si on s'éloignait de cette Europe-là ?

   
Les liens vers les principaux articles et éditoriaux de Tramezzinimag 
traitant de l'Europe que nous aimons et que nous souhaitons :

04 janvier 2013

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 34) : Un petit moment de paradis comme on les aime

Cela n'a pas été tourné à Venise, cela n'est pas interprété par un contre-ténor vénitien et le compositeur non plus n'est pas vénitien, mais c'est tellement beau et décalé que ce petit film a trouvé naturellement sa place sur TraMeZziniMag en ce temps de Noël et de fêtes qu'il faut faire durer le plus longtemps possible, histoire de prendre suffisamment de force pour aborder l'an neuf. Bon weekend à tous : Andreas Scholl interprète l'Ave Maria de Franz Schubert, accompagné au piano par Tamar Halperin. Installez-vous confortablement, le chat sur vos genoux et le chien à vos pieds. Fermez les yeux et écoutez avec chaque fibre de votre corps :
 


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Un petit moment de paradis comme on les aime

Cela n'a pas été tourné à Venise, cela n'est pas interprété par un contre-ténor vénitien et le compositeur non plus n'est pas vénitien, mais c'est tellement beau et décalé que ce petit film a trouvé naturellement sa place sur TramezziniMag en ce temps de Noël et des fêtes qu'il faut faire durer le plus longtemps possible, histoire de prendre suffisamment de force pour aborder l'an neuf. Bon premier weekend de l'année à tous : Andreas Scholl interprète l'Ave Maria de Franz Schubert, accompagné au piano par Tamar Halperin :


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03 janvier 2013

Les vénitiens souhaitent une bonne année au monde


La vidéo réalisée chaque année par Luca et Daniela à l'occasion du nouvel an mérite qu'on en parle. Pour ceux qui ne le sauraient pas, ces deux vénitiens étaient il y a encore cinq ans des français comme vous et moi, et comme vous et moi, ce sont des Fous de Venise. Comme certains d'entre nous, ils ont un jour pris la décision de tout quitter ou presque et sont venus s'installer sur les bords de la lagune, où ils sont devenus très vite des figures locales. La technique moderne leur permettant de continuer à travailler pour leur clientèle française à distance - ah le bonheur du télé-travail ! - ils vivent comme les vénitiens, au même rythme et sont aujourd'hui aussi intégrés que j'ai pu l'être dans les années 80, quand ma vie, mon âme et mes jours étaient totalement dévolus à la Sérénissime. 

C'est pourquoi, parmi tous les excellents sites et les blogs qui ont fleuris depuis sept ou huit ans, e-venise.com est un de mes sites préférés. Comme la version quotidienne du magazine que je voudrais que soit TraMeZziniMag

Alors Bonne année à e-venise.com et à ses sympathiques inventeurs ! Comme il n'est pas possible de mettre la vidéo directement en ligne sur blogger, en voici le lien direct :  http://vimeo.com/56097626

Bien sur, ce petit film sympathique qui fait le tour de Venise comme chaque année est visible sur le site de nos amis. Buon Anno a tutti di nuovo ! 

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01 janvier 2013

Bonne Année à tous !

 
2012 s'en est allé.Voilà 2013 !  
Que cette nouvelle année vous apporte, à vous et à tous les vôtres plein de très bonnes choses : Santé, Paix, Bonheur, Sérénité, et mille autres choses encore, mes chers lecteurs !

13 commentaires:

31 décembre 2012

L'hiver est à Venise


"Que j’aime le premier frisson d’hiver !" 
Alfred de Musset

Nous y sommes en cette fin d'année. Les jours très courts, le vent glacé, la lumière plus blanche... On a commencé par de belles acque alte, si l'adjectif peut-être associé à ce phénomène parfois pénible quand on doit sortir de chez soi et se rendre à un rendez-vous. Puis ces derniers jours, le brouillard est tombé, froid, humide mais tellement poétique. 


Les gens se hâtent dans les rues mouillées par la brume salée qui nous vient de si loin. Le silence dans la ville s'est fait mystère. Par endroits des lampions s'essayent à la joie. Quelques enseignes leur répondent, nimbant l'épais brouillard de tâches de couleurs qu'on se surprend à trouver incongru tant la ville semble désormais vidée de toute sa polychromie. C'est si beau Venise en hiver. Bruits et senteurs, tout devient étranger comme en rêve.

Puis après d'autres journées de pluie, de bourrasques et de brume, la neige arrivera. Elle est déjà tombée sur la Terre ferme, du côté de Padoue et de Vérone. Déjà les montagnes sont couvertes de ce merveilleux manteau immaculé qui tout embellit. Si par bonheur la neige se met à tomber, pour le bonheur des cœurs simples et des voyageurs ébahis, Venise sera plus féérique que jamais. Un poème, un tour de magie, et le rire des enfants. cela durait plusieurs semaines autrefois. La lagune gelait bloquait les bateaux sur les rives aux pavés glissants. La ville désertée sentait bon la tourbe et l'air semblait aussi pur qu'en pleine montagne. Le plus beau décor pour nourrir avec délice notre mélancolie. Évoquer l'hiver à Venise me fait penser à chaque fois à cette musique que certains trouveront sirupeuse mais qui illustre tellement bien ce temps si particulier : The Very Thought Of You par Jerry Vale, ou Vera Lynn, The Day AfterTomorrow, mais aussi Moonlight in Vermont dans la très belle version de Tutti Camarata, presque impossible à trouver aujourd'hui. 

Merci à tous les contributeurs bénévoles de Tramezzinimag pour leurs clichés.

28 décembre 2012

Les Brèves

Bonne nouvelle pour nos amis belges : 
Vol quotidien low-cost Bruxelles-Venise 
La compagnie aérienne Air One a annoncé la prochaine ouverture (prévue le 4 mai prochain) d'une base à Venise, sa troisième en Italie après Milan et Pise. A la clé le lancement de onze nouvelles liaisons. La filiale low cost d’Alitalia va ainsi baser deux Airbus A320 sur l’aéroport de Venise-Marco Polo, et y lancera ses quatre premières routes. Bruxelles sera desservie quotidiennement avec un départ de Venise à 7h50 et un retour de Belgique à 10h25. ligne créée pour concurrencer la compagnie Brussels Airlines. Air One desservira aussi Barcelone chaque jour. Venise sera également reliée à Prague et à Tirana. Enfin, dès le 15 juin 2012, la low cost lancera d'autres lignes : Athènes, Bucarest, Istanbul, Sofia et Varsovie. Venise sera ensuite reliée à Mahon dans l’île de Minorque et Palma de Majorque, faisant de l'aéroport de Venise une véritable plate-forme européenne. Cela voudra dire encore plus de visiteurs sur la lagune, mais permettra aussi à l'aéroport Marco Polo de devenir une place de transit ce qui présente de nombreux avantages. A noter que la France n'est pas desservie par cette compagnie. . 

La Saint Sylvestre 2012 
sous haute surveillance à Venise 
La mode est au sécuritaire même à Venise. Cette année, prévoyant que le traditionnel Love kiss de minuit au pîed du campanile de San Marco animé par la charmante Betty Senatore, attirera du monde, le Commandant Marini, chef de la police municipale a pris des mesures draconiennes. Les habitants sont prévenus que la circulation pédestre pourra être déviée si besoin et que certains axes seront à sens unique. En cas d'une affluence trop massive de véhicules, le stationnement sera interdit Piazzale Roma et les automobilistes déviés vers le Tronchetto. Cela ne devrait pas décourager les 100.000 personnes attendues sur la piazza où sont prévues cette année encore de nombreuses attractions : concerts, théâtre, bal avec le célèbre DJ vénitien Maci, et brindisi avec le Bellini dans sa fameuse bouteille rose et argent de la société Canella, en attendant le compte à rebours et le feu d'artifice sur le Bacino di san Marco. Bonne soirée à tous ceux qui se rendront sur la piazza le 31 décembre ! . 


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Dialecte vénitien et leçon de sciences naturelles

C'est vrai qu'on ne dit plus Sciences Nat, mais SVT pour Sciences et Vie de la Terre (toujours cette bêtise de vouloir être moderne, à tout crin) ... Mais on dit toujours brouillard et brume, ce qui se traduit en vénitien par le mot très imagé de Caìgo et quand il est assez dense pour sembler se matérialiser devant nous on rajoute le mot "fisso".

Caìgo fisso donc à Venise ces jours-ci. Rien à voir avec le Smog londonien qui du temps de ma jeunesse anglaise collait à la peau et suintait la tourbe et le charbon. Sur la lagune, il est comme un épais rideau de toile, comme mille couches superposées de mousseline blanche, presque argentées. Il sublime tout, le moindre poteau, une simple barque et amplifie les bruits, les odeurs... Quand il  se taja col corteo (se taille au couteau), il recouvre toute la ville et rend Venise encore plus mystérieuse, féérique. Se promener dans le brouillard, être surpris à l'angle d'une rue par un passant qui surgit de nulle part, percevoir le son des cloches au loin par bribes, ne plus voir que les dalles du sol qui brillent et à certains moments ne plus entendre que le bruit de ses pas et les battements de son cœur. expérience unique quand on la vit pour la première fois. Un régal toujours.

27 décembre 2012

A Venise aussi, la misère pour certains...




Le temps de Noël est pour la grande majorité d'entre nous un temps de joie et d'allégresse. On met les petits plats dans les grands, les yeux des enfants s'écarquillent devant les décorations et les lumières. le sapin, les cadeaux joliment enveloppés, les chants, les bonnes odeurs et partout la profusion. Partout ? Hélas non, chez certains ce temps est le plus triste de l'année. C'est cette jeune femme sans un sou qui a été surprise en train de voler dans un supermarché. Sous son manteau, elle cachait un paquet de pâtes et un pot de sauce tomate, pour nourrir ses deux enfants le jour de Noël. C'est aussi ce drame poignant que nous ne devrions plus trouver que dans les romans du XIXe siècle. La mort en plein centre historique d'un jeune clochard qui s'était réfugié pour la nuit dans un bancomat de la Banco di San Marco.
Il a fait tellement froid le jour de Noël à Venise. L'homme, apparemment à peine âgé de trente ans, a été retrouvé à l'intérieur d'un de ces guichets automatiques où il s'était réfugié pour la nuit. C'est un vigile qui l'a découvert hier au petit matin  Près du corps une couverture et les restes d'un repas. L'information a beaucoup choqué la population. S'il est vrai que depuis des années de nombreux mendiants ont fait leur apparition redonnant à la ville cet aspect triste du temps où la misère était partout et que la richesse de la Sérénissime attirait des pauvres de partout. Il y a toujours eu des clochards à Venise mais jamais personne n'avait été laissé ainsi à l'abandon jusqu'à mourir de froid, seul et abandonné, et puis ce vieux monsieur de 80 ans retrouvé mort aux Giardini reale, à deux pas des cafés et des restaurants remplis de monde de San Marco. Il s'était construit un abri de fortune pour se protéger du froid... Comme ce jeune homme, le soir de Noël... 
Un passant a déposé un lumignon à l'entrée du Bancomat. D'autres ont porté des fleurs. Jolis gestes qui ne peuvent effacer le sentiment d'injustice et de responsabilité devant un tel évènement. Comment sommes-nous aussi aveuglés par notre bien-être quand tout près de nous des tas de gens souffrent dans leur corps comme dans leur cœur ? Bien sur, aucun d'entre nous n'est directement responsable de la mort de ces hommes et nous ne pouvons porter toute la misère du monde. Mais la compassion suffit-elle ?

Sandro Simonato, maire-adjoint, a trouvé les mots justes quand il rappelle que ce décès "démontre combien la crise aggrave la situation des gens dans la rue, qui sont de plus en plus nombreux". Les employés municipaux affectés à l'action sociale d'urgence interviennent en moyenne 60 fois chaque nuit pour le seul centre historique ! S'il faut noter que la plupart des interventions sont liées à l'abus d'alcool, on ne peut oublier que si ces pauvres hères boivent c'est pour se prémunir du froid et de la faim. L'euphorie qu'ils recherchent les coupent au moins pendant un temps de la conscience qu'ils ont de leur misère et les éloignent du désespoir... Cette misère est inacceptable, bouleversante et nous pourrions tous un jour y être confrontés... Cette population démunie qui grossit de mois en mois vient de l'est de l'Europe. Souvent ces femmes et ces hommes ont un métier, un savoir-faire et seulement le désir de vivre décemment là où ils pensent pouvoir trouver un toit et un travail. Dans les centres urbains il est en général relativement facile de secourir toutes ces personnes. Le Samu social s'est généralisé dans tout l'occident. A Venise la topographie de la ville rend les choses plus délicates. Si personne ne l'aperçoit, un SDF peut rester des jours dans une ruelle retirée, dans un cortile abandonné et le risque est grand quand, comme en ce moment, le froid fait rage au milieu de la nuit. Il est impossible aux équipes de circuler partout tant il y a de ruelles et de campielli éloignés. On a même trouvé des gens installés dans des barques, sous les bâches de plastique. C'est pourquoi la solidarité de tous est nécessaire. Un bol de soupe chaude, un sandwich, du lait, une pomme, une couverture, de la compagnie, et un sourire en attendant qu'interviennent les services municipaux. A Venise, le numéro d'intervention d'urgence - 24 h sur 24 - est le 041 927 471.
Quand on sait que dans le sud-ouest de la France - mais les journaux parisiens n'en parlent pas - des espagnols affluent, tout comme dans les années 30, entassant dans leur voiture tout ce qu'ils avaient de valeur et s'arrêtent lorsqu'ils n'ont plus d'argent pour acheter de l'essence. Des familles entières vivent ainsi dans leur voiture, aidés par les services sociaux qui tentent de leur trouver des logements temporaires et les nourrissent. Une assistante sociale des environs de Bordeaux nous racontait l'autre jour en pleurant, son impuissance à les aider. "Des espagnols affamés, dans toute ma longue carrière, je n'avais jamais vu ça ! " Citoyens européens, venant d'un pays a priori riche et évolué, ils n'ont plus rien. 
 
Je connais un jeune infirmier passionné par son métier qui a traversé les Pyrénées pour trouver du travail en France. Il ne trouve rien en dépit d'un excellent CV et d'une belle expérience professionnelle. Chaque jour, il voit son petit pécule diminuer. Peut-être pourra-t-il se faire embaucher pour faire la plonge... Comment en sommes-nous arrivés là ? Et le temps de Noël se déploie, les enfants ravis s'amusent avec leurs jouets, partout les églises ont fait le plein pour la traditionnelle messe de minuit. La journée de Noël pour la majeure partie d'entre nous a été un moment de bonheur et de joie. Pendant que nous étions en train de digérer, un homme seul mourait de froid à deux pas de la plus belle place du monde. C'est hélas ce dont je me souviendrai en premier de ce Noël 2012. Si la mauvaise conscience - diabolique - ne sert de rien, rappeler ces tristes évènements et les raisons qui président à cette situation de plus en plus poignante pour trop de gens m'a paru important en ce temps où il nous est donné à nous, les nantis, joie et bonheur à profusion.

24 décembre 2012

In media res

A Baptiste.

J'ai découvert il y a quelques années le poète new-yorkais Frank O'Hara. A l'époque, comme il n'existait pas de traduction, j'avais entrepris de transcrire quelques uns de ses textes en français. Redonner dans notre langue l'atmosphère si particulière de ces poèmes, notamment ceux de Lunch Poems, que j'avais trouvé à Venise, dans la belle édition des City Lights Books, crée en 1955 à San Francisco par Lawrence Ferlinghetti. Sacrément difficile.


Olivier Brossard, qui maîtrise parfaitement l’œuvre de l'écrivain, a sorti une traduction de cet opus. Sa version est bien meilleure que la mienne, on ne s'improvise pas bon traducteur avec seulement de la passion. Cependant, si la version publiée, augmentée d'un appareil critique tout à fait passionnant, surpasse largement mes tentatives, mes mots correspondent davantage à la perception ressentie quand j'ai lu Frank O'Hara pour la première fois. A la lecture du tout premier poème du livre (écrit en 1953), j'avais en tête des images de l'Amérique des fifties, les carrosseries rondes et solides des voitures, les jupes moulantes des filles, leurs chapeaux, les costumes droits et sombres des garçons, leurs cheveux gominés et leurs dents très blanches ; les épaules larges des gamins vendeurs de journaux et du policier d'origine irlandaise au coin de la rue. Le cinéma de Cassavettes était passé par là autant que les comédies de Frank Capra
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Je n'étais pas assis derrière la vitrine d'un drugstore, mais à la terrasse du Paradiso, ce café perdu et comme abandonné, sous la voûte des grands arbres des Giardini, à Castello. J'aimais particulièrement ce café, d'abord parce qu'il était éloigné des lieux fréquentés par les autres étudiants tous agglutinés aux abords de la Ca'Foscari, sur le campo Santa Margherita ou à San Barnaba. Ensuite la paix qui y régnait (les groupes de touristes venaient rarement jusque-là à l'époque sauf quand il y avait la Biennale), me permettait d'écrire et de bouquiner tranquillement. J'utilisais à l'époque une petite Remington offerte par ma mère. Elle tenait dans une élégante petite mallette blanche et je la transportais avec moi quand je décidais de passer un long moment à écrire. Le joli bruit des tiges de métal sur le papier et la petite sonnette qui retentissait quand on arrivait en bout de ligne, sont associés dans ma mémoire au parfum de la glycine qui décore ce café. 

Quel meilleur endroit pour écrire ? Le bassin de Saint Marc en toile de fond, avec la basilique de San Giorgio et la Pointe de la Douane, les reflets d'argent sur l'eau verte entre les grappes de fleurs roses qui retombent vers le sol et embaument. Quand en mai il commençait de faire chaud et que nous prenions de plus en plus souvent le bateau pour les plages du Lido, la terrasse du Paradiso demeurait fraîche et ombragée. De plus, le cappuccino y a toujours été très bon. J'y déjeunais le plus souvent d'un croque-monsieur (souvenir délicieux) et d'une tarte aux amandes. Ne croyez-pas que je m'éloigne de mon propos, les poèmes de l'américain ont tous un rapport avec le repas de midi...

"Une véritable ouverture et une mise en appétit", c'est ainsi qu'est présenté le premier texte du livre. On comprend que le déjeuner est le repas préféré du poète mais qu'il n'est pas du genre à décrire des pages durant, les plats qu'il a aimé et les vins qu'il aura bu. Lunch Poems – titre que je n'aurai pas traduit tant son équivalent en français sonne plat et insipide - "n'est pas le livre d'un seul homme, mais le dessin d'une vie collective, d'un commerce incessant avec les autres", tout à fait comme on l'avait imaginé dans ce milieu intellectuel new-yorkais. Il y a du Pierre Reverdy autant qu'Appolinaire dans ce type :
.."Si je me repose un moment à côté de The Equestrian / m'arrêtant au mayflower shoppe pour un sandwich saucisse de foie / alors cet ange semble mener le cheval droit chez Bergsdorf / et je suis nu comme une nappe, mes nerfs fredonnent."
Venise n'est pas New York. On n'y vit pas de la même manière et si les liens qui unissent et rapprochent les deux villes sont nombreux, l'ambiance n'est pas la même. Pourtant à la lecture de Lunch Poems écrit par un new-yorkais, on retrouve dans la nonchalance du poète le rythme de notre vie vénitienne, du moins celle que nous vivions mes camarades et moi lorsque nous étions étudiants, absorbant avec un émerveillement et une joie sans pareille tout ce qui nous était donné de voir, d'entendre, d'apprendre et de comprendre. La poésie de Frank O'Hara a le goût de toutes nos premières fois. 

 Frank O'Hara
Poèmes déjeuner
Trad. O. Brossard et R. Padgett
Editions Joca Seria, Nantes.

23 décembre 2012

Les pères Noël en régate sur le Grand Canal.

© Marco Sabadin/Vision
C'était hier samedi 22 décembre la IIIe Régate des pères Noël - et aussi des mères Noël - sur le Grand Canal en mascarete à la valesana (le rameur debout fait avancer son embarcation avec deux rames croisées), organisée à l'initiative de nos amis du Circolo Ca' Foscari. Commencée dans la matinée, au départ de la Pietà à San Zaccaria, les concurrents se sont affrontés sur le bassin de Saint Marc puis le long du Grand Canal jusqu'à la Ca' Foscari, siège de l'Université de Venise. Cette année, le brouillard qui recouvrait la ville donna à la manifestation un côté mystérieux.
 

 



20 décembre 2012

La Galerie de TramezziniMag : Pierre Alivon

J'aime beaucoup cet instantané de la vie ordinaire à Venise. Comme partout ailleurs dans le monde, la foule dans les transports est une des caractéristiques de l'univers urbain. Les gens qui attendent que le vaporetto accoste, le jeune collégien plongé dans sa revue, la dame élégante dans le traditionnel manteau de fourrure que portent souvent les vénitiennes l'hiver... On est plongé dans le quotidien de la Sérénissime par la magie de ce cliché plein de poésie. Mais les silhouettes qu'on voit de dos en gros plan sont presque menaçantes. Comme l'attente avent un assaut de deux troupes adverses qui vont s'affronter. Qui a pris le vaporetto à Venise sait combien cela peut s'avérer similaire à un combat, surtout quand les touristes se mêlent aux autochtones...