21 octobre 2019

La reine Mathilde visite la 58e Biennale

C'était il y a un peu plus d'un mois, un après-midi de septembre, gris et pluvieux mais tranquille, qui a vu la reine des belges en visite à la Biennale, quelques semaines avant la fin de cette 58e édition particulièrement intéressante. Le reportage ci-dessous semble vouloir ne montrer que la tenue de sa Majesté, sans que soit mis en avant l'intérêt de la souveraine pour la création artistique contemporaine et les connaissances du couple royal. La Reine prend un réel plaisir lors de ces visites, marchant sur les pas de la reine Fabiola. La reine Mathilde s’ implique très fortement dans la vie culturelle du royaume.

La reine a ainsi visité le pavillon de la Belgique, avec l'exposition "Mondo Cane" (Monde Chien) de Harald Thys et de Jos De Gruyter, mais aussi l'exposition Luc Tuymans au palais Grassi, intitulée “La Pelle”  (la Peau), et celle de la belgo-zaïroise Otobong Nkanga à l'Arsenal.

La reine a ainsi parcouru les hauts-lieux de cette Biennale tournée sur les évènements du monde, ces horreurs qui marquent peut-être l’inéluctable avancée de nos civilisations vers leur terme ; La crainte d'une catastrophe finale et le déploiement permanent de mille complexités qui peuvent effrayer ou au contraire ouvrir les esprits à d'autres possibles. La voie ouverte peut-être enfin pour reléguer dans loin dans nos souvenirs, les tristes images d'une humanité décharnée, trop longtemps dénuée de compassion et d'empathie, où les hommes en courant après le mirage du progrès et de la croissance s’enfoncèrent dans un délire auto-destructeur. Une biennale qui aurait pu s'intituler "Et si les dinosaures s'étaient auto-détruits imités demain par les hommes ?" 

La reine a certainement son avis là-dessus et gageons que les conversations dont on n'entend hélas que de lointaines bribes ne portaient pas seulement sur le mauvais temps ou le bonheur d'être à Venise. Mais, comme il se devait, la souveraine ne s'est jamais départie de son sourire et de sa bonne humeur.

© Getty Images Entertainment / Olivier Matthys, 2019

07 octobre 2019

TraMeZziniMag aime Lorenzo Mattotti, la Biennale aussi


Lorenzo Mattotti, outre le merveilleux prénom qui est le sien, possède de multiples talents. C'est un dessinateur hors-pair, un véritable créateur et un homme de foi et d'engagement. Passionné, il n'entreprend jamais rien sans passion et détermination. Le résultat est une carrière sans faute et une renommée en rien usurpée.

Après des études d'architecture à Venise, le jeune Mattotti, né à Brescia en 1954, qui depuis toujours rêve de devenir illustrateur, commence à travailler pour des fanzines. Il se fera vite un nom dans le monde de la bande dessinée tant en Italie qu'en France. L'élégance de son travail le fait remarquer par les plus grandes revues dont il illustre régulièrement les couvertures, comme le New Yorker, Télérama, Glamour, vanity Fair, etc. 

On lui doit l'affiche du Festival de Cannes de l'an 2000, mais aussi le dessin des sacs pour la chaîne Leclerc. La Mostra de Venise lui avait demandé de réaliser le jingle vidéo de l'édition 2019. La sortie mercredi sur les écrans français de son dernier gros chantier en date, "La Formidable invasion des ours en Sicile" vient compléter le tableau déjà très complet de la carrière du monsieur qui n'arrête pas et enchaîne déjà sur d'autres projets.

27 septembre 2019

L'extraordinaire et envoûtant long métrage de Lorenzo Mattotti bientôt sur les écrans français et italiens

La Fameuse Invasion des Ours en Sicile, le merveilleux roman de Dino Buzzati qu'il publia en 1945, est devenu un film, et ce film est une pure merveille, un délice d'une heure trente, réalisé par Lorenzo Mattoti dans les studios des productions Prima Linea à Angoulême. Présenté à cannes, il fait déjà le "buzz"avant même sa sortie en France le 9 octobre prochain, puis en Italie début novembre. TraMeZziniMag était à l'avant-première organisée jeudi soir à Bordeaux, dans la grande salle du cinéma Utopia, en présence du président de la Région Nouvelle-Aquitaine, financeur principal du projet, du réalisateur et du producteur Christophe Jankovic. La soirée était organisée par Delphine Gachet, Maître de conférences en et auteur avec son homologue vénitien, Alessandro Scarsella du fameux "Venise, histoire, promenades, anthologie et dictionnaire", paru chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins en 2016 (*). Delphine est la plus grande spécialiste de Dino Buzzati en France. 

A l'initiative d'une des grandes spécialistes de Dino Buzzati.
Lectrice passionnée de Buzzati, Delphine est devenue spécialiste de son œuvre à laquelle elle a consacré de nombreux travaux. Elle a ainsi traduit ses nouvelles inédites en France, publiés dans la collection Pavillons : Nouvelles inquiètes (2006), Nouvelles oubliées (2009).

C'est naturellement qu'elle en est venue, depuis plusieurs années déjà, à prendre en main l'Association des Amis de Dino Buzzati dont la vocation est de diffuser, de faire connaître et d'étudier l'œuvre de l'écrivain italien. La soirée de hier soir s'inscrivait donc naturellement dans sa démarche. Et c'est une salle pleine, composée de nombreux universitaires, d'italianistes et d'italiens francophiles, mais aussi de jeunes (parfois très jeunes) qui accueillit avec chaleur le réalisateur et se passionna pour les aventures de l'ourson Tonio, de son père le roi Léonce et d'Ermelina, la jolie et gentille jeune gitane. Samedi, c'était autour du jeune public de découvrir le film dans une séance qui leur était réservée.



Rappelons le sujet du film.
Inspiré du roman pour enfants de Dino Buzzati publié en 1945, le film se présente comme une fable remontant en des temps légendaires, où la Sicile était partagée en bonne intelligence entre les ours et les humains, les uns vivant dans les montagnes, les autres dans les plaines. Jusqu’à ce jour d’hiver où Tonio, fils de Léonce le roi des ours, est capturé par une bande de chasseurs. Son père, figé dans l’hébétude et le désarroi, entraîne son peuple affamé à l’assaut des terres habitées par les humains, à la recherche de son fils. Les ours descendent alors en colonnes rangées vers la vallée, et affrontent vaillamment les troupes du grand-duc de Sicile…

1 heure 22 minutes de plaisir !
Cela donne un  film d'animation - on disait autrefois un "dessin-animé" - d'une heure et vingt-deux minutes,  surprenant, d'une beauté incroyable, une réalisation de qualité où rien ne cloche, où tout est grandiose sans que rien ne soit en trop, où la délicatesse et l'émotion s'insinuent avec naturel et emportent les suffrages des plus rétifs. Un grand film donc, qui démontre combien les français et les italiens sont passés maîtres dans ce domaine. Ils rivalisent désormais, voire dépassent avec ce film les anciens champions de l'animation Dream Works, Pixart et Disney ! A voir l'accueil incroyable que le public bordelais (et italien, car il y avait des vénitiens et des milanais parmi le public) a fait au film dans la salle comble de l'Utopia et les applaudissements spontanés et très nourris, personne ne pouvait en douter.


Déjà la présentation du film encore inachevé au festival d'Annecy en juin de l'année dernière, puis au festival de Cannes de cette année, avait montré l'enthousiasme du public et des critiques (cf l'article de Guillemette Odicino paru dans Télérama le 15/06/2018: ICI). La critique ne s'y est pas trompée qui a vraiment apprécié le film. Partout de superbes commentaires comme celle du journal Le Monde, qui résume bien le travail obtenu par l'équipe de Lorenzo Mattoti, après une gestation de cinq longues années  :  
« Ce qui frappe d’emblée, à la découverte du film, c’est la haute ambition d’un travail d’animation qui ne se contente pas ici d’illustrer une histoire, mais invente un univers unique, joue avec les formes et les couleurs, enchante le regard à chaque instant. »

La sortie nationale est prévue le mercredi 9 octobre en France, dans les deux versions l’originale française et la version doublée en italien, puis le mois d'après en Italie et le reste du monde.  Mais on ne devrait pas parler de doublage tant les studios Prima Linea ont fait un extraordinaire travail sur les labiales. On oublie combien il est important de produire un son qui colle parfaitement au mouvement des lèvres. L'art du sous-titre est déjà quelque chose de très complexe, avec ses règles spécifiques, mais faire en sorte qu'un film soit aussi bon, qu'il semble aussi naturel, dans deux langues différentes, c'est du grand art. Ainsi, bien que réalisé entièrement dans des studios français avec des professionnels de l'hexagone (à Angoulême plus précisément, la capitale de la BD), le film français dans ce qui est officiellement la version originale, est tout autant italien. C'est bien sûr une évidence, parce que l'auteur du roman est un des plus grands écrivains de la péninsule, le réalisateur un des dessinateurs les plus inventifs et les plus en vue en Italie, l'histoire qui se situe dans une Sicile imaginaire où se mêlent des relents de Venise et d'ailleurs. Mais il ne l'est pas seulement pour cela. Ses créateurs en travaillant particulièrement sur le doublage italien (et les sous-titres français de celui-ci), ont obtenu un résultat formidable. Incroyable : Une  double version originale, française ET italienne. Le bonheur quand on est soi-même une version originale binationale, de ceux qui sont plusieurs à la fois sans l'avoir choisi mais qui en sont et s'en trouvent plus riches ! 

Mais revenons au doublage.  Le film était présenté à Bordeaux en italien. Parmi les voix choisies, toutes très belles, entendre le personnage du vieil ours s'exprimer avec la belle voix du grand Andrea Camilleri, disparu en juillet dernier, apportait une belle émotion. C'est Jean-Claude Carrière qui le remplace dans la version originale. L'idée de ce passage naturel d'une langue à l'autre est très réjouissant d'un point de vue sentimental. C'est Babel à l'envers, ours et humains parlent deux langues et par la magie de la technique le film est tout autant français qu'italien, n'est-ce pas une belle métaphore de que devraient être les relations entre des peuples frères, à travers l'art ; ne plus avoir à penser à "eux" comme différents, étrangers - aliens comme disent les britanniques - mais plutôt penser à un "nous" éclatant de chaleur et de joie, de chaque côté de la frontière, pour faire mentir et pâlir de confusion les xénophobes de tout poil. Ce film sur les ours n'est pas un simple dessin animé de qualité. Non seulement il démontre combien la passion et l'enthousiasme des hommes permet de grandes choses, mais à sa manière, il contribue à rappeler que l'on peut tout attendre de l'autre quelque soient nos différences, que ce que nous sommes les uns et les autres, peut devenir un merveilleux complément pour construire ensemble... Passer du français à l'italien est un joli symbole. Bref, le film est un bel exemple des liens naturels de cœur et d'esprit qui unissent nos deux peuples. Un hymne à la paix et à l'amour qu'il vous faut vite aller applaudir entre adultes ou en famille. La plupart des salles proposeront les deux versions.

(*) :  Venise. Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire
publié par Robert Laffont, Collection Bouquins. 2016. ISBN : 978-2221128749

12 septembre 2019

Venise au quotidien : en être pour comprendre


Le touriste qui découvre Venise ressent presque toujours une grande fascination. Tout le surprend, le déroute et l'enchante. Quand il revient,la fascination demeure, comme aussi l'enchantement. Il aura pris des habitudes, saura quel bateau le mènera plus rapidement à tel endroit de la ville, le café où le café est le meilleur et l'accueil toujours bienveillant. Mais il n'aura pas forcément pénétré le quotidien des vénitiens. Il est facile de suivre celui de la ville, au rythme des cloches, des allers et venues des vaporetti, retenir les horaires d'ouverture des magasins, mais aller au même pas que les vénitiens nécessite une longue familiarité avec la vie de tous les jours. Il y a toujours beaucoup d'émotion quand on peut enfin avoir la chance de vivre avec des vénitiens, comme eux. On comprend alors tellement mieux ce qu'est vraiment cet endroit unique où l'on a appris au fil des siècles à surmonter mille difficultés et où on sait bien vivre, sous la plus belle lumière, les plus jolis reflets, les plus beaux silences urbains habités par une rumeur heureuse. On sent alors que notre cœur palpite au diapason des milliers d'autres et qu'on est en train, qu'on pourrait et donc qu'on peut, devenir et demeurer un vrai bon vénitien... Et là, c'est l'extase, l'incommensurable bonheur, la joie !

10 septembre 2019

Lancement du “Nepomuceno” , la nouvelle bissona vénitienne

Le public a pu la découvrir en tête du défilé nautique de la Regata Storica, la nouvelle barque d'apparat de la flotte vénitienne, qui a été lancée dans les eaux de la lagune, aux Scali de l'Arsenal il y a quelques jours. Baptisée du nom de Saint Jean Népomucène, le saint patron de la Bohème et... des gondoliers.

C'est à la suite de la fête du saint,qui est un moment important à Prague, que le projet a vu le jour. Venise avait décidé de prêter deux de ses barques d'apparat, plus ou moins copiées sur le modèle des galères qu'utilisaient le patriarche, les ambassadeurs et la République pour permettre à ces grands personnages d'accompagner le Bucentaure, la galère du doge. C'était en 2016, pour la dixième édition de Navalis, la plus grande célébration baroque aquatique qui est organisée à Prague pour la fête du saint avec son apogée devant le pont Charles, réputé depuis trois cents ans comme étant l'endroit d'où fut précipité Saint Jean Népomucène. Réalisée à Venise pour le compte de la ville avec la collaboration de la ville de Prague donc et de l'association Svatojànsky Spolek, et décorée par des artisans pragois, le Nepomuceno vient d'être lancé quelques jours avant la Regata Storica. L'embarcation rejoint ainsi ses deux sisterships, les bissone Geografia et Cavalli qui composent la flottille vénitienne, hélas  toujours orpheline de la copie du Bucentaure dont la construction est restée lettre morte en dépit de l'acquisition à grand renfort de publicité de splendides troncs dans la région bordelaise (voir Tramezzinimag ICI).


En remerciement, la ville de Prague, consciente du caractère exceptionnel de la venue sur la Moldavie de deux bateaux vénitiens qui jamais n'avaient navigué en dehors des eaux de la lagune, avait ainsi décidé de réaliser avec le concours des meilleurs artisans tchèques une nouvelle bissona, sur le modèle des deux autres mais dont la décoration mettrait à l'honneur le saint martyr, patron des gondoliers et des traghettisti vénitiens.

Une fois réalisée à Venise, la coque a été expédiée à Prague en mai dernier, juste à temps pour participer à l'édition 2019 de Navalis, avant de passer entre les mains des meilleurs sculpteurs, graveurs, peintres et tapissiers de la république tchèque. Le résultat a pu être admiré le 1er septembre, lors du défilé inaugural de la régate historique.

Mais comment un moine tchèque, héros de sa Bohème natale qui a fait de lui son saint protecteur, a-t-il pu devenir aussi le saint-patron des gondoliers vénitiens ? L'histoire remonte aux mois qui ont suivi la canonisation du saint vite arrivée aux oreilles des vénitiens, peuple très friand d'histoires de martyres et de miracles. Le plus ancien témoignage de la dévotion au prêtre-martyr (*) peut encore se voir dans l'église de San Polo. Une fresque en très mauvais état montre le saint. Dans la même église se trouve un panneau d'autel de Giambattista Tiepolo représentant Saint Jean Népomucène adorant la Madone et l'Enfant et, de son fils Giandomenico une toile figurant son martyre. Les vénitiens les plus âgés se souviendront qu'une foire avait lieu chaque année sur le campo San Polo et dans les rues adjacentes à l'église le 16 mai, jour de la fête du saint. Dans l'église Santo Stefano, un tableau de Marieschi le représente en compagnie de Sainte Lucie entourant l'Immaculée Conception. Il était invoqué pour sauver les gondoliers de la noyade, lui-même ayant survécu lorsque les sbires du roi jaloux le jetèrent dans les eaux furieuses (à l'époque) de la Moldau.

On trouve d'autres représentations du saint dans de nombreuses églises de la ville  : à San Martino, San Geremia, Santi apostoli, San Niccolò dei Mendicoli notamment. Il existe une statue longtemps attribuée à Giovanni Maria Morlaiter mais qui semble avoir été réalisée par Giovanni Marchiori (1696-1778), à l'angle du canal de Cannaregio et du Canalazzo (**). La statue récemment restaurée est aussi un lieu de dévotion pour les gondoliers qui autrefois levaient leur rame en passant devant elle.

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Note :
(*) Il naît en Bohème vers 1340, à Nepomuk d'où son nom. Étudiant en droit, il entre chez les chanoines de la cathédrale de Prague. De là, il devient vicaire général de son archevêque et chapelain de la reine. Il s'attire vite le courroux du roi Venceslas IV, empereur germanique. D'après la tradition la plus courante, il aurait refusé de divulguer les secrets dont il était dépositaire. D'autres motifs de divergence existent entre l'homme d’Église soucieux de l'indépendance du spirituel et le prince jaloux de son autorité. En 1392, le roi fait juger trois ecclésiastiques et s'oppose à l'élection d'un abbé bénédictin. Jean réplique en excommuniant un proche du roi. Sur ordre de ce dernier on arrête Jean Népomuk, on le torture, on l'assassine et enfin on jette son corps dans la Moldau.
Sa canonisation en 1729 en fait un symbole de la Réforme catholique en Bohème.
"À Prague en Bohème, l'an 1393, saint Jean Népomucène, prêtre et martyr. Pour la défense des droits de l'Église, il reçut des outrages nombreux du roi Wenceslas IV, fut exposé à divers supplices et tortures, et enfin jeté d'un pont dans la Vltava."(Extrait du Martyrologue de l’Église Catholique)

(**) Le Grand Canal

27 août 2019

Le goût des larmes retenues, un court texte retrouvé

© Photographie Daniela Caneschi, 2008 - Tous Droits Réservés

« Mais j'aimais le goût des larmes retenues, de celles qui semblent
tomber des yeux dans le cœur, derrière le masque du visage. » 
Valéry Larbaud


L'été à Venise est une saison difficile pour les cœurs troublés. La pluie, le brouillard et la neige des hivers vénitiens leur sied mieux. En été, il fait chaud, lourd. On se sent moite et le silence à certaines heures que le passage incessant des touristes hagards ne parvient pas à rompre, peut devenir insupportable. Le garçon tournait en rond. Il n'avait ni l'envie ni le courage d'aller se baigner. Trop de monde sur les plages, dans le bateau, les rues du Lido. Il dormait mal la nuit, se sentait engourdi toute la matinée. Il ne mangeait plus, l'effort qu'il lui fallait fournir pour préparer à manger s'avérait au dessus de ses forces. Le chien, toujours impatient de sortir, regardait son maître avec compassion. Il partageait sa tristesse. 

Elle était partie sans rien dire. Elle lui manquait aussi. Il aimait sa manière de le caresser sur la tête à rebrousse-poil, avec son poing fermé, puis elle l'embrassait et le chien grognait de plaisir. Il avait bien senti avec son instinct de chien que quelque chose ne tournait plus vraiment rond chez ses maîtres. Et puis, un jour, au retour d'une promenade (ils avaient poussé jusqu'au campo Santo Stefano parce que le garçon avait envie d'acheter des fleurs, celles qu'elle aimait), tout éclata. 

Ils arrivèrent, joyeux de leur balade, du joli bouquet qui embaumait, des regards que leur jetaient les passants. Le chien et son maître. Très beaux tous les deux. Elle était partie. Dans la penderie de la chambre, la partie qu'elle utilisait était vide. Il ne restait qu'une paire de furlane vertes qu'elle n'aimait pas. Un cadeau de la mère du garçon, qu'elle n'aimait pas non plus. Rien, pas une trace, un mot. Ses clés étaient sur la table de la cuisine avec le porte-clés en forme de trèfle à quatre feuilles ramené d'Irlande, leur premier voyage en amoureux. Le garçon se précipita dans le bureau. Là non plus, il n'y avait plus rien d'elle. Sauf le CD de Rinaldo qu'ils écoutaient ensemble. Mais pas de message, rien.
 
Les jours passèrent. le garçon s'était laissé pousser la barbe. Ses cheveux étaient un peu trop longs. La maison semblait sombre comme son cœur. Le chien devait réclamer à son maître sa pitance, ses sorties. plus d'une fois il fit ses besoins sur le paillasson. Non par dépit mais par ce qu'il ne pouvait plus se retenir. Peut-être aussi par dépit devant le chagrin du garçon. "Lascia ch'io pianga" passait en boucle mais l'air ne répandait dans la maison que des effluves morbides. Elle était partie sans un mot, sans prévenir, alors qu'il était parti promener le chien et lui acheter des fleurs. Il l'aimait. Il l'aimait vraiment mais ne savait pas très bien comment lui dire. 

La nuit quand ils faisaient l'amour, retenant sa fougue et la montée de son désir, il essayait de trouver les gestes les plus doux, les plus affectueux qui lui montreraient combien elle comptait pour lui. Parfois, il se sentait empêtré, timide, devant ce corps qu'il croyait découvrir à chaque fois et dont il était fou. Elle lui pardonnait sa maladresse. Il était tellement doux, tellement charmant. Trop peut-être, pensa le garçon qui n'arrêtait pas de s'interroger sur sa fuite. Il n'y avait pas eu de dispute. Rien qui puisse justifier son départ. Avait-elle rencontré quelqu'un d'autre ? Il crevait de ne pas savoir. Il crevait d'être seul. Il crevait de son quotidien dans une Venise débonnaire et terriblement vivante. Lui ne vivait plus. C'est à peine s'il survivait.
 “Con gli occhi chiusi, per tutta la notte, ho inseguito, vanamente, la scia della lacrima di San Lorenzo, per esprimere quel desiderio ; bruciando ancora sui carboni ardenti.” (1)
Pao Nastego
Et puis soudain, Chiara croisa son chemin. 

Il avait plu toute la journée. L'orage avait fini par éclater. Le ciel bas rempli de gros nuages gris menaçants avait fini par s'ouvrir, les délestant de fortes gouttes qui couvrirent en un instant les dalles des rues et des campi. Il était attablé, le chien à ses pieds, dans la petite salle de chez Rosa Salva. Par la fenêtre, à travers les gouttes d'eau qui coulaient le long de la vitre, il regardait le Colleone qui luisait. La place était déserte. Les bruits habituels du bar couvraient la conversation de trois vieilles vénitiennes assises un peu plus loin derrière lui. Deux touristes nordiques, en sandales et imperméable de plastique fluorescent comme on en vend aux touristes du côté de la piazza, buvaient un cappuccino en écrivant des cartes postales. 

Ses lunettes sur le nez, il griffonnait sur son carnet, sans penser à rien. Son ami Francesco lui avait donné rendez-vous dans la pâtisserie. Ils avaient prévu d'aller faire un tour en barque mais l'orage avait éclaté. Il l'attendait en pensant que si la pluie continuait de tomber, il leur faudrait renoncer. Mais ce n'était qu'un orage banal comme il en éclate souvent à Venise en été. Il fait soudain très noir sur la ville. Le tonnerre gronde violemment comme un sinistre roulement de tambours. Le vent se lève d'un seul coup et balaie tout sur son passage. Le ciel s'assombrit encore davantage, son gris laiteux laissant la place à une couleur menaçante qu'irradie la lumière des éclairs. Il semble s'ouvrir alors et en jaillit une pluie drue et lourde qui s'abat avec violence sur la ville. Le plus souvent le vent change de direction et le jour revient, la pluie cesse de tomber d'un coup. On entend partout une sorte de clapotis, le chant de milliers de gouttes qui dégoulinent des toits, glissent sur les façades, et puis la lumière surgit à nouveau, le ciel retrouve ses teintes estivales, pâles puis très denses, qui nous font oublier qu'un déluge s'est abattu sur nous une heure auparavant.

Il regardait ce spectacle sans vraiment le voir, quand son regard fut attiré par un groupe de jeunes femmes qui couraient dans sa direction. Parmi elles, il remarqua l'une d'entre elles. Elle riait, secouant sa tête comme un jeune chiot. De loin, il ne distingua pas vraiment son visage mais la blancheur de ses dents.
à suivre...

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(1) : " Les yeux fermés, toute la nuit je cherchai, en vain, la trace des larmes de San Lorenzo, pour que s'exprime mon désir, brûlant encore sur des charbons ardents." (Trad. de l'auteur)

25 août 2019

Il Paradiso dei Calzini

Vinicio Capossela est un chanteur-compositeur italien débordant d'amour et de poésie, membre de ce Club Tenco du nom de Luigi Tenco un autre chanteur-compositeur de grand talent mort trop jeune dans une Italie en proie à ses démons. Il a composé cette chanson très belle, mélange de comptine innocente et de chanson d'amour pleine de mélancolie. Il paradiso dei calzini nous fait  réfléchir avec humour à ce que deviennent les chaussettes quand elles se perdent, s'égarent entre la panière de linge sale et le tambour de la machine à laver...
 


Dove vanno a finire i calzini
quando perdono i loro vicini
dove vanno a finire beati
i perduti con quelli spaiati
quelli a righe mischiati con quelli a pois
dove vanno nessuno lo sa


Dove va chi rimane smarrito
in un'alba d'albergo scordato
chi è restato impigliato in un letto
chi ha trovato richiuso il cassetto
chi si butta alla cieca nel mucchio della biancheria
dove va chi ha smarrito la via
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano tutti vicini
nel paradiso dei calzini
Chi non ha mai trovato il compagno
fabbricato soltanto nel sogno
chi si è lasciato cadere sul fondo
chi non ha mai trovato il ritorno
chi ha inseguito testardo un rattoppo
chi si è fatto trovare sul fatto
chi ha abusato di Napisan o di cloritina
chi si è sfatto con la candeggina
Nel paradiso dei calzini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
Dove è andato a finire il tuo amore
quando si è perso lontano dal mio
dove è andato a finire nessuno lo sa
ma di certo si troverà là
Nel paradiso dei calzini
si ritrovano uniti e vicini
nel paradiso dei calzini
non c'è pena se non sei con me
non c'è pena se non sei con me

19 août 2019

Ciao Ragazzi

Il y a parfois des pensers inattendus qui nous ramènent loin en arrière et, l'âge venant, on se complairait vite à trouver que tout était mieux alors ; plus fort, plus vrai, plus beau. Travers que les jeunes gens dénoncent quand nos émotions font de ces tout et de ces rien qui remontent de plus en plus souvent chez ceux qui vieillissent et ne se sentent plus dans l'action, dans le feu de l'action, dans le feu tout court. 

Ciao Ragazzi est une chanson poignante qui nous prit à la gorge dans nos années lycéennes. C'était dix ans après le drame du barrage de Vajont. Personne ne parlait alors d'écologie, mais notre professeur d'histoire avait décidé de nous présenter les limites que le progrès et la technique représentaient, en nous décrivant quelques unes de ces catastrophes évitables que l'appât du gain et le mépris de certaines élites laissent parfois se produire. 

L'idée de tous ces innocents morts ensevelis par la boue dans leurs maisons pulvérisées par la force de la vague qui déferla sur la petite vallée tranquille (qu'un ordre de dernière minute mais entrepris trop tard venait d'ordonner d'évacuer) m'avait bouleversé, comme la plupart de mes camarades... Vajont, c'était dix ans plus tôt. Le professeur termina son cours en nous faisant écouter cette chanson, écrite par Adriano Celentano pour saluer les jeunes rescapés de cette terrible catastrophe

C'était près de Belluno, non loin de Venise où le glissement de terrain dans la vallée où un barrage périclitait, avec des parois poreuses et qui bougeaient depuis longtemps. Le 9 octobre 1963, plus d'un millier de personnes périrent en quelques minutes, submergées par une masse de terre, de roches, d'eau et de boue qui pulvérisa tout sur son passage... Il y avait beaucoup d'enfants et de jeunes gens parmi les victimes. parmi la population dont de nombreux enfants. Je me souviens de l'effet que les paroles du chanteur firent en moi, et du silence qui suivit l'audition. Je revois le geste du professeur, ému lui aussi, qui appuya sur le bouton du magnétophone à cassettes qu'il avait utilisé.



Ciao ragazzi ciao
Perché non ridete più
ora sono qui con voi.
Ciao ragazzi ciao
voglio dirvi che
che vorrei per me
grandi braccia perché
finalmente potrei
abbracciare tutti voi.

Ciao ragazzi ciao
voi sapete che che nel mondo c'è
c'è chi prega per noi
non piangete perché
c'è chi veglia su di noi.

E dico ciao
amici miei
e voi con me
direte ciao
amici miei
direte ciao

07 août 2019

Les vénitiens, les chats et la tendresse d'un regard : Nicolas Cytrynowicz, photographe.

Les hasards des promenades sur internet à la recherche de nouveautés, de sons, d'images qui pourraient varier un peu l'ordinaire des jours, offrir aux lecteurs de Tramezzinimag un autre regard, des idées différentes, matière à réflexion, soutien à nos états d'âme, rire ou nostalgie... La très belle voix de la splendide Lizz Wright, pleine de poésie, accompagnait mes pérégrinations hier soir à la recherche de photographies que je ne trouvais pas. Puis soudain, une trouvaille. Un site qui n'est plus alimenté depuis quelques années, avec en légende de l'image - nostalgique -  de Venise (la rambarde en fer forgé d'un pont de Venise) sur laquelle je suis tombé, cette phrase de François Mauriac que m'avait envoyé Antoine il y a fort longtemps :
"On ne quitte pas Venise, Monsieur, on s'en arrache. 
Un séjour à Venise c'est une étreinte."
Évidemment, si ça commence ainsi, il y a de fortes chances que l'auteur du site, un certain Nicolas Cytrynowicz, soit une belle personne. En phase avec l'esprit Tramezzinimag. Au fil des pages de son blog, j'ai glané quelques bijoux. Des clichés très simples, tous imprégnés d'un respect et d'une grande poésie. En voici quelques exemples (à visionner en écoutant la merveilleuse chanson de Miss Wright, «Reaching for the moon» ci-dessous). Des deux, vous me direz des nouvelles.

 

 
Vous connaissez ma fibre investigatrice. Bien que n'étant aucunement de la trempe du flamboyant Flavio Foscarini (ceux qui auront suivi mes avis et auront lu la Vestale de Venise me comprendront - et les autres qu'attendez vous pour courir le faire ?), j'ai voulu en savoir plus sur l'homme qui a ce regard aussi doux sur les gens, sur Venise. J'ai découvert des pages très belles sur les chats, des photographies de voyage à travers le monde. Je puis vous dire que le photographe vit dans l'est de la France, qu'il travaille ou a travaillé pour aider les autres à se mieux porter mentalement par de l'accompagnement personnel (comme les journalistes, voilà que je flotte dans l'à-peu-près. 


Trois photographies m'ont particulièrement ému et serviront de conclusion à l'hommage que je souhaitais adresser à ce monsieur, l'une représente un jeune garçon et un chat, quelque part en Chine, en 2010, je crois. Il s'agit de Thomas, le fils du photographe. Devenu un talentueux photographe bien engagé dans cet art aujourd'hui (voir ICI), l'autre une jeune fille au regard très beau et la dernière, Nicolas Cytrynowicz lui-même, sur la dernière page de son blog, avec pour seule légende "Au-revoir".
   
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
Mes remerciements à Nicolas Cytrynowicz pour la publication de ses photographies et à son fils Thomas.




(S)comparse : une" venezianità" d'Alberto Rossi

En écho à un billet (ICI) retrouvé - qui fut publié en mai 2007 et avalé avec l'ancien Tramezzinimag en juillet 2015 - dont la vidéo n'est plus lisible en ligne (*), je viens de recevoir cette vidéo que je suis ravi de partager avec mes lecteurs :


  
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(*) Le site Kewego après avoir été racheté par Picksel a été fermé bien entendu, puisqu'il proposait un visionnage gratuit et sans publicité donc ne rapportant pas d'argent...Vous voyez de quoi je veux parler, cet insupportable état d'esprit, la débectante mentalité du tout profit/tout pognon qui s'est emparée des mentalités depuis quelques années - les années de la Finance reine et tyran ! Laissez-nous crier, tant que cela est possible sans risquer la prison ou la torture : Mort aux Tyrans ! (Un jeune ici publierait une série de smileys et de hashtags !).