08 juin 2021

Hommage à Baptiste

Il y a un an aujourd'hui, je perdais un ami, qui lâcha prise après des années de combat contre une terrible maladie bien plus effrayante et répandue que le Covid dont on nous rabat les oreilles. Baptiste Marle était encore un très jeune homme. Brillant, drôle, passionné, naturellement tourné vers les autres et vers le monde, ce jeune Padawan avançait dans la vie avec détermination. Il m'avait demandé de l'accompagner et le préparer à passer des concours alors qu'il achevait une prépa dans un lycée de province. Une épée de damoclès au-dessus de sa tête qu'il abordait le plus sereinement possible mais dont il ne pouvait se départir. Bien vite, les sujets abordés dépassèrent les programmes à aborder. A chacune de nos rencontres hebdomadaires, nos échanges portèrent sur la vie, la spiritualité, la littérature et les arts. De répétiteur, je devins le mentor comme il aimait à m'appeler. L'accompagner fut une joie, ce fut aussi un honneur.

 
 
Il m'avait dit un jour - à Venise - combien il était conscient d'avoir vécu durant sa jeune et encore courte vie bien plus que la plupart des gens. Parmi ces expériences de vie,après son passage par Oxbridge puis à la London School of economics et Sciences Po Paris, il vint quelques mois à Venise pour suibvre un cursus international. Je l'avais précédé dans un appartement que ses parents avaient loué, pratiquement sur le Campo Santa Maria Formosa. 
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
C'était son deuxième séjour à Venise. le premier nous l'avions fait ensemble après sa première chimiothérapie. Nous habitions dans cet appartement à l'entrée de la calle degli Avvocati, sur le campo sant'Angelo qui allait devenir, par un incroyable hasard, mon lieu de vie, quelques années après. Bien que fatigué, les entrailles encore secouées par la violence de la thérapie suivie, le crâne rasé, la fatigue jaillissante, il ne s'était jamais départi de son sourire et de son enthousiasme. Il était tombé fou de la Sérénissime. J'en étais ravi. 
 
Les photographies qui illustrent ce billet, de l'extrait du roman de Stendhal au sillage du taxi qui l'amenait à l'éaroport, m'ont toutes été envoyées par lui ou publiées sur son compte Instagram. Des commentaires qu'il y joignait, beaucoup mériteraient d'être publiés tant ils sont fins et drôles aussi souvent. Mais ils n'étaient pas destinés à être publiés. 
 
Je l'ai souvent encouragé à écrire, à tenir un journal. Pour lui bien sûr, mais aussi pour ceux qui, dans la même situation, face à la même injustice, pourraient trouver dans ses notes et ses réflexions un encouragement et la force, comme lui, de lutter et d'avancer, coûte que coûte. Combien de carnets lui ai-je offert qu'il remplissait un temps puis abandonnait. Il avait trop à faire pour perdre du temps. S'il avait vécu, Baptiste aurait été un homme d'action au service de grandes idées qu'il aurait fait avancer avec détermination.
© Baptiste Marle, été 2015
 
Ce jeune Padawan aimait la vie. Sa gourmandise reste légendaire parmi ses amis et sa famille. Comme dans de nombreuses colocations à Venise, comme ailleurs, la cuisine est la pièce commune de la petite communauté. Cela tombait bien ! Ci-dessus, la vue depuis une des fenêtres de la cuisine de l'appartement de la fondamenta dei Preti, près de Santa Maria Formosa, été 2015.  Situé au quatrième et dernier étage d'un palazzo de belle facture, avec une entrée ornée d'une vieille sculpture sur bois usée par l'humidité et des gravures encadrées, l'appartement devint durant quelques mois son home, il y invitait ses camarades, des amis de passage, sa petite amie d'alors, rencontrée à la L.S.E. Il cuisinait pour eux des pastaciutte inventives et mettait beaucoup de soin à choisir les ingrédients au marché du Rialto.
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
Baptiste était un fin gourmet. L'esthétique d'un plat avait du sens pour lui, nous en avions souvent discuté. Notre premier séjour avait été gastronomique autant que culturel. J'évoquais avec lui ces deux organisation dont j'étais membre, le mouvement Slow Food (né en Vénétie !) et l'Accademia Italiana della Cucina.
© Baptiste Marle, été 2015

La grande table de la fameuse (et exigüe) cuisine servait de table de lecture autant que pour préparer les repas. Sur le carrelage des sentences en dialecte l'amusaient autant qu'elles m'avaient amusé, comme ce proverbe qui dit "quelle raclée ils vont prendre les curés s'il n'y pas de paradis". Tout ne pêut pas être toujours du meilleur goût.
 

 
Ce deuxième séjour de Baptiste à Venise, il le fit seul et en revint très heureux. J'avais laissé quelques livres et réaménagé un peu la soupente. Nous avons passé quelques jours ensemble, moi occupant une des deux autres chambres dont les occupants étaient en vacances. Il règnait cette chaleur qui recouvre souvent la lagune à cette période de l'année. On y adopte un rythme différent, plus lent et plus "posé". L'appartement ne disposant pas d'air conditionné, nous organisions des courants d'air, mais le plus simple était de vivre à l'extérieur, comme tout le monde ici. Sur la photographie ci-dessus, les habitués reconnaîtront la terrasse du célèbre café Zanzibar, cette vieille baraque de bois qui date de l'occupation autrichienne, l'endroit parfait pour observer les touristes qui arrivent de la Calle del Paradiso et traversent le campo que domine la belle église Santa Maria Formosa et son campanile.
 
 
Baptiste en fit son Q.G. et réunissait souvent ses amis de San Servolo pour  des spritz meeting. Je crois qu'il goûta de l'esprit de ces réunions ludiques en se rendant sur la terrasse de la Guggenheim où se réunissaent régulièrement les étudiants à l'invitation de la Fondation. Il m'en avait parlé avec un enthousiasme juvénile qui me remplit de fierté : le Goût de Venise avait fait un émule une fois encore !
 
© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

06 juin 2021

Hier, nouvelle manifestation de la colère des vénitiens contre les Grandi Navi


Mes amis vénitiens ou étrangers étaient tous sur les Zattere hier où, dès 16 heures une grande manifestation contre le retour des Grandi Navi. Le premier d'une série qui arpentera le canal de la Giudecca et longera la Piazza san Marco et le palais des doges quittait la lagune avec plus d'un millier de passagers à bord. Le canal très large contenait des centaines d'embarcations de toutes tailles, microbes face au géant flottant qui avançait traînés par les remorqueurs. Le navire avait appareillé plus tôt que prévu, ruse grossière pour surprendre les manifestants qui s'étaient donnés rendez-vous pour la plupart à 16 heures. De partout affluaient des familels, des jeunes, écoliers, lycéens, étudiants, des familles au complet, et des personnes âgées, la plupart munis du fanion rouge et blanc que nous possédons tous à Venise et qui flotte aux fenêtres des maisons, qu'elles soient palais où masures. Une atmosphère bon enfant mais pas un esprit de liesse tant il est douloureux pour les vénitiens de voir que les édiles ne respectent ni les décisions gouvernementales, les coups de semonce de l'Unesco, les avertissements des uns et des autres. 

Comme toujours avec la junte municipale, la gouvernance du port, celle de la Région, ce sont les gros sous qui importent, cette illusion qu'il faut encore et encore davantage faire de l'argent. Non pas pour le bien public évidemment, pas pour l'intérêt de Venise et de ses habitants, mais pour les partis politiques, pour les caisses des entreprises et de leurs actionnaires qui ont intérêt à poursuivre la mise à mort du centre historique, le déploiement d'un tourisme de masse et la disneylandisation dela sérénissime, au profit de quelques uns, propriétaires terriens qui ne cessent de s'enrichir et bâtissent partout des complexes hôteliers, des centres commerciaux, tout pour attirer le gogo de passage, agravant jour après jour la désertification du centre historique, l'émigration des populations locales vers la terre-ferme, de plus en plus loin, là où les prix de l'immobilier locatif ou à l'acquisition sont plus abordables. 

 

Et le monde entier qui avait accueilli avec soulagement - et bon sens - l'interdiction qu'on nous disait définitive de ces mastodontes affreux qui avalent et déglutissent chaque jour entre 1000 et 1500 passagers pressés qui ne découvrent en quelques heures que la surface de la cité des doges, ne consomment presque rien (tout est dans leur forfait à bord), ne sont en général pas de fervents amateurs d'art et de vieilles pierres mais plutôt à la recherche des meilleurs spots pour leurs selfies qui prouveront qu'à leur tour, « ils ont fait » Venise comme on fait d'autre hot spots à travers le monde... 

Et au salon nautique de Venise, il y a quelques jours, le Trumplion local (la mèche postiche en moins) paradait sur son luxueux yacht avec quelques happy few triomphants, nouveaux riches qui rappellent les satrapes barbares du temps d'Alexandre, méprisant le peuple vénitien qui décidément ne comprend rien et s'entête à défendre la lagune et la cité de Venise quand pour le sindaco, ce qui compte c'est Mestre et Marghera, là où il y a du pognon à se faire... 

Mais toujours, comme me le rappelait hier soir au téléphone un ami vénitien très engagé dans le collectif contre les Grandi Navi : « la roue tourne et les peuples finissent toujours par reprendre en main leur destinée». Evviva Venezia ! Et comme le dit souvent cette vieille amie au nom glorieux  : «Venise vaut tellement mieux que ces gens vulgaires et incultes qui la gouvernent et ne sont meme pas vénitiens» !


Photographies : © Catherine Hédouin - juin 2021. Tous Droits Réservés

 

29 mai 2021

Alessandro, le voleur de livres


« Appelez-moi Alexandre, comme Alexandre le Grand ». Ce n'est pas par mégalomanie que l'homme qui a ainsi souhaité conserver l'anonymat demande à se faire appeler du nom du grand empereur. Seuls les carabiniers de Dolo, près de Venise connaissaient sa véritable identité, depuis qu'ils l'ont interpelé un jour par hasard.  Notre Alexandre n'est pas un chef de guerre, pas un espion ou un repenti de la maffia, ni un transfuge de l'Est. C'est plutôt un rat... de bibliothèque, un fanatique, un amateur de livres. Mais sa passion, il l'assouvissait d'une manière pour le moins surprenante.

La maréchaussée a découvert un jour chez lui plus d'un millier d'ouvrages dont la valeur est estimée à 80.000 euros. Essentiellement des titres scientifiques et universitaires, dont certains assez rares. Alexandre avait peu à peu constitué cette impressionnante bibliothèque en empruntant aux bibliothèques publiques de Vénétie, les livres sur lesquels il jetait son dévolu, sans jamais remplir une fiche de prêt. C'est celle de Mestre qui a lancé l'alerte. Mais cela aurait pu être aussi celle de Padoue, de Vicence ou de Mogliano, et à Venise, la Marciana, toutes ces institutions ayant vu leurs rayons s'alléger d'un grand nombre d'ouvrages. 

N'est-ce pas un joli sujet de scénario ou de nouvelle ? Mais se pose tout de même un petit problème éthique. La morale est dans l'ADN de Tramezzinimag et si aimer les livres à la passion, les voler ou les subtiliser pour son plaisir personnel au détriment des autres est difficilement admissible. Cherchons cependant des circonstances atténuantes à ce bibliomane. Rester dans la bienveillance et chercher à comprendre, c'est aussi dans notre ADN...

Au-delà de la valeur marchande de cette bibliothèque, des motivations profondes de notre Alexandre, il y a le livre. La magie, la fascination pour cet objet unique. Notre homme aime les livres, il les adore même, et rien dans ses actes ne peut être associé à de la malveillance, aucune intention de nuire, pas le moindre esprit de lucre. La passion, point.
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Le jour où la police l'a arrêté, il portait sans son sac à dos, trois livres qu’il venait de sortir clandestinement de la bibliothèque municipale de Mestre.: il n’avait pas demandé à les emprunter bien sûr. Les policiers ont constaté qu'il avait déjà retiré les antivols. Les policiers s'étant invités chez notre héros, ils ont pu découvrir dans son modeste appartement, une incroyable collection dédié à la chimie, la physique, les mathématiques,…), mais aussi des biographies et un choix très éclectique d'ouvrages d'histoire (de l’amiral Nelson aux monographies sur les Balkans et le Troisième Reich). Il y avait même plusieurs encyclopédies, toutes complètes.

L’homme avait construit une véritable bibliothèque personnelle. Les livres sont classés selon un système qui semble regrouper les volumes selon leur provenance, c’est-à-dire en indiquant la bibliothèque où l’ouvrage avait été emprunté. Les policiers ont trouvé pour chaque étagère une étiquette portant le nom d'une bibliothèque publique, "Ca Foscari", "Civica Mestre", "Marciana"... 

Le voleur de livres de Alessandro Tota et Pierre Van Hove

Voleur de culture 
Mais quel profil se cache derrière Alexandre s'interrogèrent les policiers ? On sait si peu de choses sur lui. Qu'il a 48 ans, qu'il est diplômé en chimie industrielle, qu'il n'a pas pu faire sa thèse, qu'il a travaillé comme assistant technique pour une université en Vénétie. Il raconte au Corriere del Veneto pourquoi il a volé tous ces livres. Il rêvait de construire une bibliothèque de qualité, pour combler un sentiment d’échec personnel, mais aussi pour l’amour de la culture : « Je n’ai rien accompli dans la vie », affirme-t-il ainsi. « Pourtant, tout d’un coup, je me suis retrouvé à construire, pièce par pièce,chez moi quelque chose d’aussi beau qu’une bibliothèque. J’aime l’odeur des livres, en feuilletant les pages. Mais par-dessus tout, j’aime apprendre. Je les ai tous lus, ces plus de mille tomes tirés des bibliothèques. »

Il le reconnaît lui-même, tout cela fait penser à du fétichisme, mais il préfère définir - justifier ? - son acte comme « un amour immense et sans limites pour tout ce que ces volumes contiennent ». C'est vraiment par amour de la connaissance qu'il se serait laissé aller à ce délit culturel. Mais aussi pour l'odeur des livres, leur masse le long des rayonnages. Tous les amoureux des livres comprendront. S'il avait été traduit en justice et que le juge, le procureur et les jurés s'avéraient des amateurs le livres, de fins bibliotphiles et de dévoreurs de pages, il ressortirait du tribunal avec un simple rappel du principe fondamental : « Tu ne voleras point ! » puis serrait applaudi pour son amour des livres. Signalons au passage qu'aucun des ouvrages n'avait été endommagé et qu'il expliquait les épousseter souvent en les manipulant avec respect...

Et pourtant, il affirme qu’il aurait voulu s’arrêter, mais qu’il n’arrivait pas.« Je ne pouvais plus m’arrêter. Mais, j’avais tout de même étudié un plan pour rendre les volumes.». Il projetait de les emmener dans une ferme abandonnée. Une fois les volumes bien alignés, il avait prévu d'appeler, depuis une des rares cabines téléphoniques encore actives. il en avait repéré une loin de toute habitation et donc des caméras de surveillance,  « j’aurais passé un coup de fil anonyme pour permettre de les retrouver. » Ce qui posait problème, c'était de transporter les livres dans la vieille maison. on ne sort pas facilement un millier de livres, dont certains de grand format... Il n'aura pas eu le temps - peut-être manquait-il d'assez de volonté pour passer à l'acte - de le faire et la police locale, cette fois, est arrivée avant lui.

Le voleur de culture n’a pas pour autant abandonné son rêve : « Tôt ou tard, je pourrai construire ma propre bibliothèque — affirme-t-il — mais cette fois, sans voler ». Il vient en effet de trouver un travail et il espère dépenser son salaire dans l’acquisition de livres. «il y en a tellement à lire !»

17 mai 2021

A Bigger splash par Lisa Hilton

L'écrivain L
isa Hilton vient de publier dans la revue en ligne AirMail dans son numéro 96  récemment (en anglais) un excellent article sur un conflit qui oppose la municipalité et le maire aux propriétaires de certains grands palais sur le Canalazzo ou ailleurs dans la vie et qui ont trouvé avec la Biennale le moyen d'assurer l'entretien et parfois la restauration des bâtiments historiques dont ils ont la charge et qui ont pu jusqu'à ce jour rester propriété privée au lieu de devenir d'énièmes auberges de luxe ou pseudo luxe pour nouveaux riches russes et chinois, rois du pétrole et vieilles ex-starlettes du porno. 
 
En effet, l'administration n'entend pas se laisser concurrencer par les familles patriciennes dans la compétition pour les pavillons nationaux de la Biennale. La Municipalité dispose d'un patrimoine immobillier qui coûte une fortune et comme il est impossible de tout transformer en centre commercial de luxe ou en palace. 
 
Filippo Gaggia (Dir. Views on Venice Estates), Hughes Le Gallais (Ca' Del Duca) et Mario Donati (Palazzo Quarini-Vianello) .

Voici le lien de l'article pour ceux qui lisent l'anglais :  ICI

26 avril 2021

Un bien joli dimanche

Il faisait beau, la ville était joyeuse, tranquille aussi, loin des hordes qui l'ont abandonnée pour la joie des vénitiens (hormis les sempiternels grincheux qui s'inquiètent de ne plus ramasser autant de schei  qu'avant avec les millions de touristes pendulaires qui déambuleaient autrefois dans les rues. Nous avons le plaisir de vous faire partager cette atmosphère avec les clichés de Catherine Hédouin qui fait partie des heureux élus qui ont pu revenir avant les nouvelles restrictions que nous imposent cette saloperie de crise sanitaire. Bonne promenade.

 
 


 
 
 
En fin de journée, une fois les cérémonies achevées que conclurent les vêpres, des ouvriers municipaux descendent le grand drapeau de Saint Marc qui flotte sur la Piazza. Il y a quelques années encore, les trois pavillons, le vénitien, l'italien et l'européen étaient hissés et amenés par un détachement militaire et non pas par de simpes employés. Le cérémonial avait un sens qui apparemment semble s'être perdu.

Clichés reproduits avec l'aimable autorisation de © Catherine Hédouin - Venise, 25/04/2021



25 avril 2021

25 avril : Bonne Fête, Venise !


Vous les savez bien, vous les fidèles lecteurs de Tramezzinimag, et vous les amoureux de venise, c'est aujourd'hui la Saint Marc, date particulière pour la Sérénissime et ses habitants. Jusqu'à la chute de la République, le 25 avril donnait lieu à de grandes et belles réjouissances. Nous en avons souvent parlé dans ces pages depuis 2005. C'est aussi une journée dédiée aux vénitiennes, nos mères tout d'abord, les épouses, les fiancées et toutes celles qui sont aimées. L'usage est d'offrir une rose rouge. Liée à une légende bien connue dont on ne sait si elle est née d'une situation véritable ou bien n'est que pure invention. 

Le dimanche du Bocolo
L'idée en tout cas est belle. Voir les garçons juste adolescents, leurs grands frères fiancés, comme leurs pères et grands-pères tenir une rose à la main destinée à dire à l'élue de leur coeur ou simplement leur mère ou grand-mère. Il existait, bien avant les roses hybrides, les polyanthas, des roses précoces spécifiques à la lagune (celle de la légende devait être une rosa alba, voire la rosa gallica dite des apothicaires, qu'on connait depuis le haut moyen-âge) Blanches à l'origine puis qui prirent des couleurs en même temps que leur nombre de pétales augmentait), elles formaient un buisson auprès duquel on étendit l'amoureux de la fille du doge Partecipazio qui plein de bravoure était parti lutter contre les arabes avec Charlemagne. Les roses tristement colorées par le sang de Tancrède - les premières roses rouges et le début du symbole pour cette reine des fleurs - couvertes du sang du héros furent remises à Maria Partecipazio. Peut-être les compagnons de Roland avaient-ils porté le rosier encore dans la motte de terre où coula le sang du jeune héros. Maria fut retrouvée morte de chagrin le lendemain, la rose sanglante encore sur son coeur... Ne souriez pas, l'image est belle et le symbole très fort. Du genre de sentiments dont notre pauvre humanité déboussolée a bien besoin derrière les masques covidiens.

Page de garde de l'édition originale de F.Eden parue en 1903

Les roses et Venise, c'est depuis une belle histoire... d'amour. Frederic Eden, dans son merveilleux récit «Un Jardin à Venise» où il raconte la naissance du fabuleux jardin qu'il fit naître à la Giudecca en 1884, parle joliment de cette fleur parfumée et colorée qui enchante beaucoup de jardins sur la lagune.

« [....] Durant les quinze premiers jours de mai le grand spectacle des roses se met en place. Nous en comptons un grand nombre de variétés, mais nous aimons surtout celles qui nous aiment. Il nous plaît tout particulièrement de regrouper en un seul massif toutes sortes de variétés parmi celles qui fleurissent le plus librement, tâchant de choisir un emplacement qui convienne à chacune. [...] Ici toutes les roses, sans doute comme partout, se portent mieux en pleine lumière, bien que certaines ne puissent supporter le soleil vénitien. Au fond, elles ne désirent qu'une chose : le grand air ; même s'il faut les protéger du vent. L'autre attrait de Venise tient à la couleur des roses qui, mal définie en Angleterre, est des plus pures sous cette latitude...»

Deux autres jardins, moins secrets et donc plus accessibles possèdaient ou possèdent encore de superbes roseraies.Tous deux à la Palanca, non loin de la charmante église Sant'Eufemia. Celui de la signora Ottilia dans lacalle dell'Accademia dei Nobili qui se visitait plusieurs fois par an et celui de la veuve du compositeur Luigi Nono. Nous y reviendrons.

© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021

Mais cette fête de San Marco, avec la tradition du Bocolo, est aussi la Fête de la Libération dans toute l'Italie. Ce jour-là dont on ne se souvient que de la liesse générale, de la joie qui explosa et vit jaillir de milliers de fenêtres le drapeau américain à côté des couleurs italiennes encore frappées du blason des Savoie, fut un jour terible où les derniers rangs fascistes vendirent chère leur peau. Comme à Paris, des tireurs isolés terrorisèrent la population, les résistants fouillèrent des maisons à la recherche des vaincus, quelques demeures suspectées d'avoir cachées des allemands ou des fascistes furent saccagées et pillées... Le voile de l'oubli est tombé sur ces tristes exactions hélas trop souvent pratiquées. Venise qui accueillit triomphalement Hitler venu y rencontrer le Duce, peut-être parce que l'Anschlüss était perçu comme une lointaine revanche de l'occupation autrichienne a énormément souffert des derniers mois de guerre. Les juifs vénitiens payèrent un lourd tribut. Les «pietre d'inciampo» (Stolpersteine) qu'on voit devant de nombreux immeubles du centro storico le rappellent.

Un jour de joie et de mémoire
Il y avait foule dans la basilique pour assister à la grande messe pontificale en l'honneur de saint Marc. Moment traditionnel s'il en est où il semble aux vénitiens que les cloches sonnent encore plus fort et encore plus clairement qu'à l'accoutumée. Sous le maître-autel, la dépouille qui y est honorée depuis des siècles ne révèlera jamais s'il s'agit bien des restes de l'Evangéliste ou bien de l'emperuer alexandre. Chi lo sa ? Plus jeune, cette idée m'effleurait souvent quand nous assistions aux offices dans l'ancienne chapelle des doges... Avouez que ce serait un joli clin d'oeil mêlant dans notre mémoire collective l'histoire somptueuse de l'humanité du temps des Dieux antiques etla non moins somptueuse épopée du Christianisme. Mais les esprits d'aujourd'hui ne sont pas vraiment à la tolérance ni à l 'humour et mes propos ne sont politiquement correct et pas du tout woke...

© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021

En guise de cadeau, cette très belle photo prise par Steven Varni un gars de Brooklyn émigré à Venise avec femme (Jen) et enfant(Sandro, alors âgé de 3 ans !), depuis onze ans maintenant et qui anime VeneziaBlog, sympathique jeune cousin de Tramezzinimag dont je vous recommande la lecture comme l'on fait avant moi, la BBC, ELLE Belgique, Die Zeit ou The Smithonian Magazine. Et qui peut encore prétendre que les blogs c'est fini ?

© veneziablog.blogspot.com / Steven Varni aka Sign. Nonloso - 25/04/2021

Buona Festa a tutti !

10 avril 2021

Una città che non c'è più : Nostalgie d'un nuage de farine dans l'air parfumé d'un matin à Venise...


Un geste brusque ce matin en revenant du marché m'a fait renversé le sac de farine que jevenais d'acheter. Une partie de la farine s'est répandue sur la table et par terre produisant une brume blanche du plus bel effet. Rien de grave, le sol comme la table étaient propres et en deux coups de cuillère à pot - l'expression parfaite en l'occurrence - et j'étais plus amusé qu'énervé par l'incident. Il me rappela un autre matin, dans une autre cuisine, celle de la Toletta, où m'étant réveillé tôt pour faire des brioches aux enfants qui dormaient, j'avais renversé sur moi le pot de farine, me transformant en une sorte de pierrot décontenancé. Sans autre témoin que le chat qui s'était réfugié sous un tabouret. Rappel aussi de ces images de la Venezia sparita, scènes familières du quotidien : les Farinanti, (littéralement, les « farineux », ces livreurs qui acheminaient en barque à destination des boulangeries et des restaurants d'énormes sacs de farine en provenance des Moulins de Cavarzere, de Marghera ou d'ailleurs . Un documentaire de l'ami Pierandrea Gagliardi pour l'Ateneo Veneto. Tramezzinimag vous invite à vous replonger dans cet ordinaire des jours qui avait tant de charme dans une Venise encore inchangée, avant les hordes de touristes, avant la modernisation, la mécanisation. Finalement cette Venise dans laquelle j'ai vécu était encore identique à celle qu'après guerre, jusque dans les années 90, date des images de ce reportage :

Il en était de même avec le marché. Comme à Paris, Londres, Bordeaux (j'évoque les marchés et les halles que j'ai connus enfant et dont le souvenir dans la mémoire humaine est fort : le ventre de Paris immortalisé par Zola, Covent Garden à Londres décrit par Dickens, Les Capucins à Bordeaux), le marché du Rialto garda longtemps la même figure, les mêmes usages dans les mêmes lieux. Jusqu'à ce que l'obsession de la modernité, de la rationnalité, du rendement, transforment ces lieux grouillants de vie, qui s'éveillaient avant l'aube et s'animaient pour nourrir la ville. L'Erberia fut pendant mille ans le grand marché de la ville, jusqu'à ce qu'en 1997, les normes inventées par la triste bureaucratie européenne, obligent le l'installation du marché de gros et de demi-gros à s'installer dans des bâtiments modernes sur la Terrraferma. Il en fut de même quelques années après avec le départ contraint des mareyeurs à Chioggia, plus rentable avec l'accès direct des camions. Le pratique avant le beau, évidemment. mais combien la poésie y perd.. Et le joie des petits riens qui font tellement du bien... 


Images extraites du film Venezia che non c'è più : l'Erberia, présenté à l'Ateneo Veneto.           

© Pierandrea Gagliardi, Venezia. 2020.

04 avril 2021

Aimer Venise avec l'œil et l'esprit

à Baptiste Marle, in memoriam

Ces temps un peu perturbés de confinement et de couvre-feu, de paranoïa et de terreur diffuse, difficile à contrer sans prendre le risque de se fâcher avec nos proches, nous obligent à compenser la vie sociale interdite ou drôlement codifiée, par un retour sur soi. Attitude habituelle pour celui qui écrit après tout. Reprendre mes notes, chercher parmi les livres qui m'entourent, ceux qui s'avèreront d'agréables compagnons pour quelques heures.  C'est dans cet état d'esprit, studieux et apaisé que j'ai repris un carnet daté de 2014. Parmi les pages, des lettres oubliées. Un échange de correspondance avec un jeune ami récemment disparu. Sur une carte j'évoquais une question que mon correspondant m'avait posée. « Comment le mieux aimer Venise ? »

Nous nous régalions tous deux de ces échanges et de nos longues joutes dialectiques. Lectio et disputatio étaient la base de mon enseignement. C'était plutôt un partage, un échange d'idées et paradoxes et contradictions me paraissaient les meilleurs outils pour le préparer à Sciences Po mais avant pour l'aider à intégrer Durham ou Cambridge. Les joies de la dialectique nourrirent sa réflexion quant aux choix qu'il allait devoir faire mais m'apportèrent aussi énormément, ne serait-ce que par les recherches que je faisais, les livres que je lisais avant de les lui faire découvrir et analyser. Quelques mois d'un bonheur partagé qui l'aidait à reprendre confiance et à se préparer pour les prochains combats contre la maladie.

C'est ainsi que Venise avant même qu'il la découvrit, fut l'objet d'une Lectio Profana qui se transforma en une sorte de Lectio divina, tant j'y insufflais toute l'émotion qui me remplit lorsque un livre évoque des sensations identiques à celle qui élabora ma relation à la cité des doges, évoque des expériences esthétiques pareilles aux miennes, décrit des rencontres tout aussi fondatrices... Voici quelques passages de ces notes retrouvées à l'adresse de mon Télémaque :

 

« Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous, n'y sont que parce qu'elles éveillent un écho dans notre corps, qu'il leur fait accueil. » Merleau-Ponty, quand il écrit ces mots était peut-être comme moi en ce moment, assis à une table du Harry's Dolce... A-t-il seulement été à Venise ? Lorsqu'il écrit "L’œil et l'esprit", il est installé dans une maison de Provence, sous le même ciel que Cézanne des années plus tôt. Le philosophe écrit sa pensée comme un poète crée son univers, dans un jaillissement d'images et de sensations.  

 

Mon obsession de Venise, de sa lumière et de son atmosphère voudrait apprendre qu'il y passa et que cette rencontre fut un choc constitutif d'un des pans de sa pensée esthétique. J'ai découvert cet ouvrage il y a des années dans la bibliothèque paternelle, alors que je n'avais encore aucune idée de cet envoûtement qui me rendrait tout entier et ad vitam, faisant de moi un inadapté absolu à d'autres mondes que celui des bords de la lagune. Paru chez Gallimard en 1964 dans la collection L'Infini, l'ouvrage est bien défraîchi aujourd'hui. Il comporte six planches dont ce tableau de Nicolas de Staël qui m'a fait longtemps rêver, enfant. Un coin d'atelier - Bien plus tard, quand j'ai eu l'occasion de découvrir le musée Picasso à Antibes, ce fut une grande émotion que de découvrir l'atelier de Staël, avec les objets qui servirent de modèles pour le tableau... 


En relisant l'essai du philosophe cet été, parce que la lecture du Dictionnaire des couleurs de Venise d'Alain Buisine, m'avait donné envie d'aller plus avant dans ma réflexion sur les approches esthétiques dans les études et les recherches sur ce qui a fait de Venise ce qu'elle fut et demeure encore pour une large part. Le « mystère vénitien » comme l'a écrit Ferdinand Bac au début du XXéme siècle...
C'est de divagations en farfouillages que j'ai retrouvé ce petit texte de Philippe Jaccottet, l'un des plus grands poètes contemporains, intitulé « Promenade à Venise » et daté de décembre 1976 (paru dans La Semaison, carnets de 1954-1979) :


"Rêve. Nous sommes retournés à Venise, A.-M. et moi. Je nous revois d’abord dans une immense et haute salle, proche de la mer, où passe beaucoup de monde, une sorte de halle aux voûtes peintes; et dans le rêve même, je me souviens avoir déjà rêvé de Venise ainsi, avec des bateaux visibles dehors dans la lumière, à travers de larges ouvertures (des portiques comme chez Claude Lorrain) ; il me semble que je trouve cela à la fois admirable et assez différent de la Venise réelle. Mais bientôt, c’est aux peintures dont sont couverts les murs et les plafonds de cette halle que je reviens, sachant que ce sont bien les fameux Tintoret, à propos desquels je note deux choses : l’éclat excessif de la restauration dans l’un d’eux et, dans l’ensemble, la fréquence des lances et des épées qui organisent la composition (comme chez Uccello plus que chez le vrai Tintoret)..."

 

"Ensuite, nous marchons au bord d’un canal. Et c’est là, peut-être, que nous apercevons le premier grand oiseau noir posé sur un poteau plongé dans l’eau, pareil à ces cormorans en qui j’ai vu naguère des oiseaux funèbres, à cause de leur couleur, de leur nom (qui sonne comme corps mourants) et de ma mère malade. Le rêve a tourné aussitôt au cauchemar. Je nous ai retrouvés dans une église, immense elle aussi, surtout très haute, mais fermée, et dont le sol s’était effondré, ou avait été fouillé; et les énormes piliers, dont quelques-uns portaient des peintures à dominante jaune, solaire, de style primitif, montaient de ces espèces de caves ou de fondrières. Là-dedans s’est mis à voler, menaçant, prêt à fondre sur nous, l’un de ces oiseaux. Ensuite, on ne pouvait plus aller où que ce soit sans en rencontrer. Sur un quai où passaient des mères avec leurs enfants, tout à coup, on a cru en distinguer un qui marchait au milieu d’autres, inoffensifs mais assez gros, du genre dindon ou paon, et la panique s’est emparée des promeneuses. Il a fallu embarquer dans le premier bateau venu pour fuir cette ville. (Ces oiseaux, dans le rêve, il me semble que je les nommais vraiment des harpies, et les jugeais tels.)"

 

"La fin de ce cauchemar, ou une scène d’un autre rêve de la même nuit, se déroule sur un versant de colline ensoleillé, portant au-dessous d’une forêt un champ de hautes plantes pareilles à du maïs. On pourrait se croire à la montagne, dans la belle lumière d’été. Or, un moissonneur est en train de moissonner ce champ, à la faux, si je vois bien; quoi qu’il en soit, les hautes plantes sont coupées; et à ce moment-là, je décolle de la pente, ainsi qu’un planeur, je suis changé en oiseau, je vole, je triomphe des harpies – et je sais (ou, l’on m’apprend) que c’est parce que l’on a coupé les plantes du champ vert que le miracle a été possible."

Simples bribes, voilà, quelques notes pour guider votre réflexion (méditation ?), comme une réponse à votre question : comment aimer Venise ? simplement, avec "l’œil et l'esprit".»

[La suite hélas semble perdue. peut-être les autres feuillets sont-ils restés dans ses dossiers à lui ou bien les ai-je rangés ailleurs...]




Celui qui s'est levé avant l'aurore

« Celui qui s'est levé avant l'aurore », ce merveilleux verset du psaume 108, est un encouragement à l'ardeur. C'est aussi une bien belle allusion à ce qui remplit de joie les chrétiens en ce jour de Pâques. Pour la seconde année consécutive, c'est loin de Venise que j'entends les cloches sonner le renouveau, tout le bonheur du monde dans ce cri de joie qui embrase ici aussi un ciel bleu sous un fier soleil, « Christ est ressuscité ». Tandis qu'à San Giorgio dei Greci, retentira dans un mois la  même joie chez nos frères orthodoxes,  « Χριστός Ανέστη !» ... La machine à remonter le temps s'est remise en route. Je me souviens du temps de Pâques en 1982, les cérémonies chez les bénédictins de San Giorgio. le damas rouge étendu sur les bancs du premier rang où nous avions pris l'habitude de nous installer le dimanche pour la messe. 
 

La beauté de l'Office des Ténèbres du Triduum pascal, à l'aube, dans l'obscurité, la nuit d'adoration dans une église silencieuse, le parfum enivrant des vases d'encens, une joie dont je ne saurai jamais si elle était le raisonnement de la foi qui remplissait la vaste église ou une sensation venue du fonds des temps, de ce paganisme récrié par les premiers fidèles du Christ mais qui circule dans mes veines. J'étais dans l'église de San Giorgio mais aussi dans le temple d’Apollon à Epidaure, ou celui d'Arsinoé, en Cyrénaïque... Trop de lectures dans mon enfance, l'Anthologie Palatine, les récits mythologiques, et mes rêves aussi qui me transportèrent pendant des années dans ce monde disparu, anéanti par l'arrivée du christianisme qui s'en inspira pour sa plus grande gloire. 

Venise a fait le lien. L'air y est rempli de croyances anciennes. Ne dit-on pas que la dépouille qui repose sous la basilique serait Alexandre plutôt que saint Marc ? Enfant, je trouvais l'idée plus seyante, plus glorieuse. Mais la République pour assurer sa prééminence et défendre son avenir parmi les nations chrétiennes et le Turc, avait bien davantage besoin d'un des piliers du christianisme. Que faire d'un brillant et splendide empereur de génie. 

La première nouvelle que j'ai osé faire lire se déroulait justement en Cyrénaïque, juste pendant l'un des derniers jours de l'Ancien Monde, quand les chrétiens, qui n'était encore pour le monde civilisé qu'une secte violente, saccageaient les lieux saints du paganisme, abattaient les statues des divinités, décapitaient les prêtres et enfermaient les  prêtresses dans les temps auxquels ils mettaient le feu... Il aura fallu de nombreuses années pour que le calme revint et que l’Église s'avère une évidence, un accomplissement. Les dieux d'avant étaient définitivement morts. Le Christ fut enfin le seul adoré par les peuples. Cela scandalisait l'enfant que j'étais, jusqu'à ce que la lumière se fit et que je comprenne que le Dieu révélé par son Fils était l'Unique. Les dieux du Parnasse avaient préparé l'homme à la modernité de sa Loi. 

Joyeuses fêtes de Pâques, amis lecteurs ! Et pour innover un peu, voici un chant qui n'a rien de pascal mais qui célèbre la joie, celle du remouveau et de l'espoir puisqu'il parle d'Amour. Mario Lanza chantant Una furtiva lagrima, dans That Midnight Kiss. Il y joue un ténor italien, Johnny Donnetti, embringué dans un triangle amoureux. C'était en 1949, le jeune ténor n'avait pas trente ans. Son immense talent est encore admiré de nos jours et reconnu comme une des plus grandes voix lyriques modernes. Il mourut très jeune, à 38 ans à Rome. Je me souviens de ma mère et de ma grand-mère parlant de sa mort comme d'une catastrophe pour la civilisation.

22 mars 2021

Un dimanche comme les autres mais en plus doux

Depuis toujours pour beaucoup d'entre nous, ceux qui ont la chance de vivre dans un monde paisible, où les enfants peuvent jouer dans les jardins loin des guerres et des malheurs, ceux pour qui le dimanche est le premier jour de la semaine en même temps que le huitième. celui que Dieu choisit pour se reposer Un jour différent des autres, avec une lumière particulière, un rythme nouveau, plus lent, plus fluide. Parfois aussi un jour d'ennui et de silence. La voix d'Andreas Scholl qui reprend la belle berceuse que Billy Joël composa pour sa petite fille. Cette idée qu'il faut :
« Rassurer les enfants en leur disant qu'ils ne sont pas seuls et qu'on ne les abandonnera jamais est tellement important pour leur bien-être et leur développement future »... 

J'y pensais en me rendant au milieu du jour chez la mère de mes enfants que je n'avais pas vu depuis Noël. La seconde de mes filles arrivée de Nantes, son mari et leurs deux petits y déjeunaient avant de repartir en Bretagne. J'avais des invités moi aussi, et pris dans la préparation du repas, les courses ce matin tôt, me dépêchant pour que tout soit prêt, les plats au four, les vins ouverts, la table mise et l'appartement rafraîchi et dépoussiéré, je n'avais pas eu le temps de prévenir que je ne resterai que le temps de saluer mon gendre et mes adorables petits-enfants. En quelques minutes, le tram m'avait déposé à deux pas de la maison. Un arrêt chez le pâtissier pour ne pas arriver les mains vides et trouver une gourmandise qui plairait à tous, et j'étais en bas de la maison. La place était inondée de soleil. 

Les lieux sont chargés d'histoire. Ils occupent le centre du colisée datant de la gallo-romaine Burdigala, appelé par les bordelais Palais Gallien. Il n'en reste plus grand chose, mais les ruines, très romantiques, sont imbriquées comme à Rome dans les immeubles alentour. On a planté des palmiers sur la petite place . Les lettres dorées d'une citation d'Ausone, le poète bordelais qui fut le précepteur de l'empereur Gratien, gravées à l'antique sur le contrefort des marches de pierre, brillaient. Le soleil éclatant semblait vouloir marquer ce premier jour du printemps nouveau... Tout concourait à créer une ambiance méridionale et hors du temps. Soudain, le regret de Venise surgit en moi. Loin de me rendre triste, il stimula mon plaisir. Un jour, bientôt ou plus tard, ce sera, de nouveau dans la cité des doges, mon quotidien retrouvé et cette douce sensation d'être là où je sais que je dois être, là où je me sens vraiment « arrivé à destination »... Mais les aléas entravent depuis tellement longtemps maintenant aspirations et projets, que plus rien ne semble assuré et prévisible, n'est-ce pas ?

Les lecteurs de Tramezzinimag doivent se demander quel rapport il y a dans cette narration d'un dimanche bordelais et les sujets qui nous préoccupent, généralement en rapport avec la vie vénitienne... Je ne sais si cela procède de l'usage des voyages qui sont à chaque fois la promesse d'expériences nouvelles dans un monde nouveau ou la vie recluse dans un univers qu'on pourrait croire de clôture, à la discrétion du père abbé, notre bon Dom Emmanuel Macron. Mais je me gausse, le pauvre homme n'a pas non plus la vie facile depuis son accession à la charge suprême...

Vivre à Venise en ces temps bizarroïdes n'est pas plus facile que pour nous, à Paris, Lyon, Bordeaux, Malaga ou Montréal. Seulement, les vénitiens ont la chance de vivre dans la plus belle ville du monde, un paradis d'harmonie, de lumière et de beauté. Un lieu où le silence est rempli du murmure des siècles jamais étouffé (encore) par la modernité et ses bruits, ses puanteurs. De plus, les hordes de barbares se sont totalement évaporées. Campi et calle appartiennent de nouveau aux vénitiens. Enfants, chiens, mouettes, les chats aussi, tout le monde semble bien plus épanoui que les citadins d'ailleurs, en dépit des masques, des cafés et restaurants fermés. Bientôt Venise sortira de la zone rouge. La vie reprendra le cours presque normal de ces dernières semaines. 

Mais nombreux sommes-nous à ne pouvoir rentrer, maugréant devant cette injustice. Imaginez : avoir eu la chance, depuis un an maintenant, de découvrir Venise comme jamais personne n'avait pu la voir : les eaux limpides et impollues comme au premier jour, les canards, les pigeons, les mouettes errant comme surpris du silence et les habitants eux-mêmes abasourdis par les parfums dans l'air, les sons purifiés autant qu'amplifiés. Beaucoup de mes amis me disent avoir eu cette impression très forte, celle d'être environné d'un vrai silence, comme en montagne ou dans le désert : aucun bruit mécanique, aucun moteur. Les sons de la vie urbaine sans la folie des temps modernes. Le bruit des pas sur les dalles des rues, les cloches qui se répondent, les cris des enfants, les rires, la musique qui surgit d'une fenêtre entrouverte, le chant des oiseaux, le clapotis des eaux... Oui, en gravissant les quelques marches qui mènent jusqu'à la porte de la maison où je suis attendu, je réalise combien ce dimanche ordinaire déjà si doux et heureux, doit l'être encore davantage à Venise, du côté de San Samuele, de San Zanipolo ou dans Dorsoduro...