20 juin 2007

COUPS DE CŒUR N°15

Donna Leon
Le meilleur de nos fils
Point Seuil, 2007
On vient de retrouver le corps du jeune Ernesto Moro, mort par pendaison dans la salle de douches de l'Académie militaire de Venise, dont il était élève. Officiellement, il s'est suicidé. Mais le commissaire Guido Brunetti a du mal à y croire : le jeune aristocrate est le fils du célèbre Dottore Moro, un député qui enquête sur le financement des hôpitaux publics italiens et le système d'approvisionnement de l'armée... La coïncidence semble décidément trop étrange. Le commissaire Guido Brunetti est particulièrement touché, car il est lui-même père d'un jeune adolescent. Il a du mal à croire à cette version officielle. Car il règne dans cette Académie une atmosphère trouble. Le pensionnat privé, est réservé aux enfants de l'élite financière, de la grande bourgeoisie industrielle et de l'aristocratie vénitienne. le père du jeune disparu, médecin puis député, a enquêté sur le financement des hôpitaux publics italiens et publié un rapport qui a fait scandale à l'époque. En outre, la femme de Moro a été victime dune tentative d'assassinat quelques années auparavant et le couple vit à présent séparé pour se protéger. Sans se laisser démonter, toujours aussi attachant, Brunetti mène son enquête, avec la signora Elettra, sa sympathique secrétaire, et sa femme Paola, qui, en parfaite grande bourgeoise rebelle, déteste l'armée et tout ce quelle peut représenter de corruption institutionnelle. mais ce dernier livre s'il reste passionnant comme tous les ouvrages de Donna Leon est un un peu trop pessimiste, les coupables ne sont pas punis. la tristesse l'emporte sur l'angoisse.
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Patricia Wentworth
Miss Silver entre en scène.

Coll. 10/18 Seghers

Miss Silver cest une cousine de Miss Marple, la création dAgatha Christie. Et Patricia Wentworth est aussi très anglaise. Une atmosphère unique, les villages anglais, les salons de thé, l'épicerie-poste avec la sœur du pasteur et le livreur de lait. Cest bien écrit. J'en parle ici car j'ai découvert cet auteur lété dernier à Venise et cest génial. Une bonne tasse de thé, des Digestive et des Custard Cream (vous savez ces délicieux biscuits anglais qui vont si bien avec le thé au lait) sur un joli plateau recouvert d'un fin napperon au point de Venise, à l'ombre de notre glycine de Dorsoduro. Le paradis en quelque sorte.
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Henry James
Les secrets de Jeffrey Aspern
Critérion éditions

Un journaliste, fou du poète disparu Jeffrey Aspern, est prêt à tout pour mettre la main sur les lettres qu'il avait adressées à sa muse. Or, celle-ci est toujours vivante, bien que très âgée. Elle vit à Venise. Il va devenir son locataire, dans un vieux palais Vénitien délabré. Par l'intermédiaire de la petite-nièce, il tentera par tous les moyens de voir ces précieux papiers. Existent-ils réellement ? Pourquoi ces deux femmes se sont elles ainsi coupées du monde ? Dès les premières pages on est sous le charme. L'écriture, les descriptions de Venise, cette nouvelle coule comme l'eau d'un canal. L'ambiance est mystérieuse, et l'évocation de Venise dans ses nuits d'été le long des canaux est sublime. Henry James est vraiment un grand écrivain et sa connaissance de Venise un régal.
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OSTERIA ENOTECA BOCCADORO 
Cannaregio, 5405/a
tel. 00 39 041 521 10 21

Située sur le Campo Widman, cette taverne est toujours très appréciée des vénitiens bien que devenue assez fréquentée par les touristes. Si les prix sen ressentent un peu, l'endroit reste agréable. Installés sous la vieille tonnelle vous pourrez goûter des plats délicieux et la carte des vins est très riche. On y écoute de la bonne musique. C'est simple mais exquis. Surtout des recettes de poissons de l'Adriatique accompagnés de bons vins secs ou aromatisés. La tradition vénitienne dans toute sa splendeur. Fermé le lundi (comme beaucoup de restaurants à Venise)....  

Antonio Vivaldi
Sonates pour Violoncelle
Ophélie Gaillard et l'ensemble Pulcinella
 

Label Ambroisie. 
Une merveilleuse surprise que ces sonates enregistrées par la rayonnant Ophélie Gaillard, élève de Christophe Coin, et son jeune ensemble "Pulcinella". Une virtuosité mêlée dune grande poésie. Tout Venise est dans cette interprétation. Délicatesse évocatrice, énergie communicative impeccablement articulée, sens des phrasés, instinct des nuances. La prodigieuse liberté du jeu d'Ophélie Gaillard concilie technicité et poésie. Autant de vertus exceptionnellement vécues qui confirment la musicienne accomplie. Inspirée et aussi défricheuse ce qui, n'ôtant rien à notre plaisir, enrichit notre horizon musical. A ses côtés, les instrumentistes de Pulcinella cisèlent chacune des options de timbres et de couleurs retenues pour la restitution du continuo. Ces sonates sont aussi de sublimes épisodes chromatiques d'un préromantisme imprévisible à couper le souffle (écoutez le second largo de la 5ème sonate) ! D'un coup, on passe de la musique à la peinture : le chant liquide de l'incandescente Ophélie vous transporte sur les eaux palpitantes, fantastiques et presque évanescentes, brossées par un Guardi ! .
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Antica Legatoria Piazzesi
San Marco 2511 , Campiello della Feltrina
(entre le Gritti et Santo Stefano)
Ce magasin est le plus ancien relieur et négoce de papier à la cuve de tout Venise. Lavinia Rizzi-Carlson (qui est aussi écrivain), et son fils Oliver ont ouvert depuis une boutique à Padoue, mais le siège reste toujours ce joli magasin très encombré au pied du pont della Feltrina, près de l'antiquaire. Outres les carnets et les albums, ils proposent des objets en cartapesta (technique traditionnelle de papier mâché) : figurines, plateaux et cadres. Ils reproduisent à la main de très beaux papiers avec des motifs originaux d'autrefois. Ils possèdent une des plus grandes collections de papiers imprimés du XVIIIe et du XIXe. des merveilles. C'est un peu cher mais de très grande qualité et l'accueil est distingué, avenant et cultivé. On est loin de la boutique à touriste-gogo. La maison Piazzesi réalise sur demande tous travaux de reliure et de façonnage.

19 juin 2007

Un honneur.

Merci Venise86 pour ce joli cadeau... Le palais Franchetti au soleil du matin, ou bien était-ce le soir ? J'aime beaucoup passer au petit matin sur ce pauvre pont de bois bien menacé aujourd'hui. 
 
Autrefois (du moins dans mon autrefois à moi, à l'époque où je vivais toute l'année à Venise), il y avait toujours une flopée de chats qui attendait leur mère nourricière devant ce qui fut le consulat d'Allemagne, cette petite maison rouge qui appartient à la famille Marcello, sur le campiello, à gauche du pont en revenant de Dorsoduro. Ils attendaient au pied de l'arbre que l'on voit sur votre photo ou sur les marches du pont. Les passants devaient faire un écart pour ne pas les déranger. C'était drôle cette communauté de félins maîtres des lieux et respectés par tous.

Et puis ce palais Franchetti, aujourd'hui rénové et qui reprend vie me faisait rêver. Il abrita la mélancolie du Comte de Chambord, qui reste pour nous les bordelais, le très aimé duc de Bordeaux. Pauvre enfant ballotté entre deux mondes, entre deux époques, qui incarna trop tôt et trop longtemps, l'espoir d'une France apaisée. Il fut presque roi de France l'espace de quelques heures mais son intransigeance arrêta tout ; Henri V dont le profil ornait déjà pièces et billets de la Banque de France, vint se réfugier à Venise avant de terminer tristement sa vie à Fröhsdorf. La duchesse de Berry, la fameuse Marie-Caroline de Naples, sa mère habitait le palais Vendramin ou quelques années plus tard mourut Richard Wagner.

Le prince aménagea et modernisa le palais et on y retrouve encore le goût néo-gothique de l'époque. A côté se trouve le palais Pisani qui est aujourd'hui le siège du Conservatoire de Musique. Un peu plus loin, il y a la maison de mon ami Bobbo Ivancich-Maggini qui regarde de l'autre côté du canal le palais Polignac où le duc Decazes recevait si bien et qui abrite depuis de nombreux hivers l'atelier de son petit-fils, le peintre Roger de Montebello. Autant de maisons, autant de souvenirs et d'anecdotes...

18 juin 2007

Dialogue entendu à la caisse d'un supermarché de Mestre

Le problème du logement et de la vie quotidienne dans le centre historique sont des dossiers préoccupants que personne n'a encore pu résoudre. Voici une discussion édifiante entre deux retraités, entendue l'autre jour dans un supermarché de Mestre qui venait juste d'ouvrir ses portes :
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"- Toi aussi tu es ici ? Comment cela se fait-il ?
- Cela va faire trois mois que j'habite à Mestre. Comme toi.
- A Mestre ? Ne me dis pas que tu as vendu ta maison de Venise ?
- Si, si! J'ai trois enfants qui sont mariés à Mestre. Mon frère habite à Scorzé. J'ai tenu aussi longtemps que j'ai pu, mais si je voulais être plus près des enfants, des petits enfants et de mon frère j'étais obligé de faire ce choix. J'ai vendu ma maison de Venise et j'ai acheté un appartement à Mestre. Mais j'ai gardé un petit magazzino à Castello où j'ai encore plein d'affaires que je me ramène ici peu à peu.
- Je n'aurai jamais cru que tu puisses laisser Venise et la maison de ta famille.
- C'est comme ça hélas, et puis cela devenait vraiment trop lourd, les travaux, les autorisations, les touristes. Ici je suis plus tranquille mais je regrette la vie là-bas, c'est sûr..".

Que rajouter ? Chaque jour de plus en plus de vénitiens font ce choix. Certains, qui ont la chance d'être propriétaires vendent la maison souvent héritée de leur famille et ne sont pas trop à plaindre. Ceux qui ne sont que locataires sont bien souvent remerciés et sont contraints de chercher en urgence un logement sur la Terre Ferme. 

En revanche pour ceux qui peuvent conserver leurs maisons et qui ont un peu de trésorerie, la fortune est au rendez-vous : il leur suffit d'y faire quelques travaux pour les transformer en chambres d'hôtes ou en location saisonnière. C'est le pactole assuré. Un appartement de 4 à 5 couchages rapporte au minimum 3.000 euros par mois soit 36.000 euros en moyenne de revenus annuels. Il faut enlever les frais divers, mais c'est un agréable complément de revenus, vous ne trouvez pas ? 

Avec cette manne, les vénitiens préfèrent quitter le centre historique trop encombré par la foule des touristes et où chaque jour un commerçant de détail baisse le rideau. En 20 ans, le nombre de charcutiers, bouchers, tripiers, marchands de fruits, droguistes et boulangers a diminué de plus de 80% dans le centre historique...

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3 commentaires : (enregistrés lors de la publication initiale sur le blog originel)  

Condorcet a dit… 
C'est hélas une illustration navrante de la concurrence des activités au sein d'un même territoire. Les activités contemporaines sont de moins en moins complémentaires et peuplantes. Autant dire que c'est l'entière organisation des sociétés humaines qui est à repenser dans un sens ouvert aux êtres et à la vie en général. 
13 juin 2007

Lili a dit… Quel triste constat! Je me mets à la place des vénitiens pour qui ce doit être un vrai crève-coeur de quitter Venise! Venise ne leur appartient plus... 
13 juin 2007 

MOB a dit… 
Et à Saint-Germain des Prés, qu'est-ce que vous croyez? Et à Mougins (dans le village) où il n'y a plus ni boulanger ni épicier (juste un dépôt de pain)? 
28 juin 2007

Et dans son sillage, un délicat parfum de tubéreuses...

 
© Klaus Baum - Tous Droits Réservés

La jeune femme était à Venise pour la première fois. Élégante et racée, elle s'accoutuma très vite au rythme vénitien, posant ses pas sur les pas de tous les voyageurs d'autrefois qui vinrent ici, le cœur rempli des beaux textes que la ville a souvent suscité. Elle connaissait certains de ces poèmes depuis toujours. Se levant tôt et se couchant tard, elle allait partout, visitant églises et musées, son guide sous le bras. un mouchoir de batiste à la main. Un parfum délicat prolongeait son sillage et on se retournait souvent sur son passage. Il émanait d'elle une harmonie et une paix qui se fondaient chaque jour davantage dans l'harmonie et la paix des ruelles et des campi écrasés de soleil. La jeune femme ne quitta plus jamais Venise. Son parfum comme un léger souffle printanier, je le sens parfois quand je me promène dans certaines rues calmes, l'été du côté de Castello...


3 commentaires: (lors de la première parution sur le blog originel)


Lili a dit…
Quelle belle ébauche de roman Lorenzo! J'ai tout de suite envie d'en savoir plus sur cette jeune femme.. et son histoire d'amour avec Venise...
Delphine R2M a dit…
Qui est elle? d'où vient-elle? que fait-elle à Venise?.... Tant de questions qui pointent sous vos mots, Lorenzo.
Lorenzo a dit…
Mais elle vit, Delphine, elle vit !

17 juin 2007

Le silence de Venise comme un baume.


L'été est là. La foule aussi accourue des quatre coins du monde pour la Biennale. Loin des sentiers battus, les ruelles demeurent calmes, les canaux tranquilles. Le silence si léger de la ville est un baume après la fureur du monde. Là-bas près de San Marco ou au Rialto, sur les Schiavoni vers la Biennale, les hordes se pressent et se bousculent, par vagues débarquant des vaporetti ou dévalant les ponts. Partout ailleurs, le vent déjà bien chaud transporte en écho les sons familiers à ceux qui connaissent Venise : les cloches qui rythment le temps qui passe, le cri des mouettes et le rire des enfants. La lumière forme sur les façades et au fil de l'eau un décor unique, toujours renouvelé, toujours différent...

12 juin 2007

Der Leiermann...


 
Connaissez-vous la merveilleuse interprétation du lied de Schubert "Der leiermann","Winterreise" de l'Opus 89, par le ténor Peter Schreier, accompagné au piano par Sviatoslav Richter ? Lorsque j'observe l'élégant mouvement des gondoliers et la barque sombre qui glisse sur l'eau verte des canaux, c'est toujours cet air si mélancolique qui me vient à l'esprit.

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