16 mars 2008

COUPS DE CŒUR N°24

Contrairement à ce que j’ai pratiqué jusqu’ici dans cette rubrique, je voudrais vous parler de livres qui m’ont plu mais qui n’ont rien à voir avec Venise sauf peut-être que je les ai lu en y allant, où dans notre jardin de Dorsoduro, où encore à la terrasse du Margaret Duchamp, de Nico, du café del Paradiso ou du Harry’s Dolce. D’autres parce qu’ils sont allés rejoindre les rayons de notre bibliothèque vénitienne à l’attention de nos hôtes à venir. Quant aux disques, ce sont vraiment des coups de cœur.
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Julian Barnes 
Un homme dans sa cuisine
Mercure de France, 2008

Imaginez un peu, un britannique qui parle de cuisine sans haut-le-cœur quand il mentionne l’ail et les pratiques culinaires françaises, cela montre que la Perfide Albion a bien changé (hélas parfois) depuis le passage de la terrible Dame de Fer. Du temps de Shelley ou de Browning, les anglais colonisaient Venise et le reste de l’Italie, produisant dans leurs villégiatures exotiques de Capri ou des Îles Borromées, les chefs d’œuvres que l’on sait. Aujourd’hui, ils s’en prennent au Périgord ou aux Landes et Barnes fait partie de ces intellectuels branchés qui fonctionnent à l’obsession. Vivant à deux cents à l’heure, cuisiner est pour ces bobos une activité qui doit être cadrée, rationnelle et répond systématiquement à des critères bien définis. C’est ce qui fait l’intérêt de ce petit livre. On y suit les péripéties de l’auteur dans ses velléités gastronomiques. Il collectionne les livres de recettes, en jette parfois et panique complètement quand l’explication fournie n’est pas assez précise. Aucun sens de l’improvisation, aucune confiance en son bon goût ni en son flair. Avec beaucoup d’humour, il raconte au fil des pages son combat pour réussir des plats et avoue ruser en passant par la case traiteur. Il faudra décidément de longues décades pour que ce peuple sache se détacher de son flegme et de sa rigueur victorienne. Même en cuisine. Un des plus célèbres écrivains anglais d'aujourd'hui nous livre ainsi un désopilant récit de ses trouvailles (parfois curieuses comme le saumon aux raisins secs), de ses échecs (souvent savoureux comme le lièvre à la sauce au chocolat) et de ses coups de gueule (ah, ces livres de cuisine tous aussi imprécis les uns que les autres !). Il nous fait partager ses angoisses et bien sûr ses enthousiasmes - en nous livrant au passage quelques (demis) secrets.
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Hippolyte Taine
Vie et opinions philosophiques d’un chat
Éditions Payot-Rivages
Petite Bibliothèque poche. 2008

Paru en 1858 à la Librairie Hachette, le célèbre Voyage aux Pyrénées, illustré par Gavarni et d’autre talentueux dessinateurs, contenait ce petit texte humoristique qui reparaît enfin. Ce petit classique de la littérature sur les chats (j’allais écrire de la littérature pour les chats…) a pris sa place sur les rayonnages de notre bibliothèque vénitienne. Le chat narrateur est pourtant un lointain cousin de nos matous vénitiens. C’est un chat campagnard qui en quelques pages raconte sa vie et ses expériences, du jour où il a ouvert les yeux jusqu’au soir de sa vie, où, repu et satisfait, il tire quelques conclusions qui ont fait dire à l’auteur «j’ai beaucoup étudié les philosophes et les chats. La sagesse des chats est infiniment supérieure». La très belle illustration de couverture est due à Gerrit Greve. A offrir à tous les amis des chats et aux autres qui ne le sont pas encore.
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Mavis Gallant
Laisse couler

Éditions Payot, Rivages. 2008
Coll. Rivages Poche/Bibliothèque étrangère n°599
"Les nouvelles ne sont pas des chapitres de roman, dit Mavis Gallant. On ne doit pas les lire l’une après l’autre comme si les histoires se suivaient. Lisez-en une. Fermez le livre. Lisez quelque chose d’autre et revenez plus tard. Les nouvelles peuvent attendre. Peut-être, mais pas celles-ci, croyez-moi." écrit Russell Banks dans sa préface. Canadienne de langue anglaise, née à Montréal en 1922, Mavis Gallant vit à Paris depuis 1950. Elle y écrit des histoires courtes qui font d’elle l’une des plus grandes nouvellistes de notre époque. Quand on le commence, on ne lâche plus ce petit livre de la très jolie collection Payot Rivages.
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Salomone Rossi
Vocal works
Ut Musica Poesis Ensemble, L’Aura Soave Ensemble & Hypothesis
Label Symphonia, 2008
Ce compositeur auprès de la cour de Mantoue était à son époque une célébrité. Ami et collègue de Monteverdi (sa sœur créa le rôle d’Ariane dans le Lamento d’Ariane de Monteverdi, Rossi jouant dans l’orchestre), on ne dispose malheureusement que de bien peu d’éléments biographiques et il semble que bon nombre de ses œuvres aient été perdues, en particulier après le sac de Mantoue par l’armée autrichienne, sans parler de la peste qui s’ensuivit (il était habituel de détruire par les flammes toutes les possessions des pestiférés). Dans ce disque de très bonne facture, le label Brilliant Classics a choisi de nous présenter des madrigaux à quatre voix parmi les plus tardifs, ainsi que les superbes Cantiques de Salomon et surtout des madrigaux pour une voix seule, accompagnée du théorbe. Rossi fut l’un des premiers musiciens, précurseur du baroque en cette toute fin de la Renaissance, à se pencher sur le langage nouveau du chant monodique, accompagné harmoniquement par un simple instrument. Ancêtres vénitiens du Lied, Ces pièces instrumentales et vocales témoignent de la hardiesse de style et de langage de Rossi. En complément de programme, quelques ouvrages de Purcell et Campra, plus tardifs de deux générations, mais dans la lignée d’une certaine conception à l’italienne et qui furent beaucoup joués à Venise.
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L'organo nella Venezia del XVI secolo : Claudio Merulo, Andrea Gabrieli, 
Hans Leo Hassler, Gioseffo Guami, Massimiliano Raschetti, 
Orgue Colombo de 1532
Label Symphonia
Une radiographie complète de la musique d'orgue vénitienne du XVIe siècle, voici ce que nous offre Massimiliano Raschetti sur un très bel orgue de 1532. La musique autant que l'orgue sont colorés comme des verres ou des bijoux vénitiens : l'idéal de cette époque alliait l'exubérance byzantine et la vitalité de la culture arabe, qui se rejoignaient dans ce port ouvert à toutes les influences artistiques et intellectuelles. Trois pièces inhabituelles dans ce programme : des compositions poétiques d'origine populaire, collectionnées sous le nom de l'éditeur Andrea Antico. Toute en grâce et en délicatesse, elles témoignent des aspirations esthétiques de tout un chacun en ces temps. Il faut noter l'utilisation judicieuse de percussions pour en souligner le caractère dansant. Un bijou.

12 mars 2008

Almoro Morosini et le chien féroce

Je passais l’autre jour calle Lunga santa Maria Formosa et, aux pieds de l’une des énormes façades du palais Ruzzini-Priuli (longtemps abandonné et dont je vous ai déjà parlé dans un précédent article), je songeais à la terrible aventure vécue à cet endroit même par le jeune et fringant Almoro Morisini, une anecdote peu connue. Laissez-moi vous la conter si vous ne la connaissez-pas.

Au tout début du XVIIIe siècle, un jour où la Sérénissime avait organisé des festivités, une course de taureaux avait lieu sur le campo Santa Maria Formosa, Almoro Morosini, qui n'était alors qu'un jeune notable bien de sa personne et tranquille, avait été accosté par quatre malfrats au visage masqué qui voulurent s’en prendre à lui. 
 
Le jeune homme se défendit avec une telle énergie que non seulement il vint à bout des quatre malandrins mais aussi de leur chien, un molosse dressé à attaquer, qu’il parvint à tuer. Il mit tellement de force en s’attaquant à la bête qu’il la fendit en deux avec son épée. Le geste devint fameux et le peuple vénitien en fit une expression longtemps employée "Gnaca el stoci del Morosini che à tagià el can per mezo".:" ("Il faudrait le coup d'épée de Morosini, qui a coupé le chien en deux")...
 
Depuis le balcon du Palais Ruzzini où il séjournait, le fougueux Prince Eugène de Savoie-Carignan fut témoin de la rixe et resta émerveillé par la bravoure du jeune homme qu'il se fit présenter. Il s’en fit un ami et lui offrit une belle Vierge peinte par Le Corrège.
 
Au même endroit, en 1765 un incendie détruisit plusieurs boutiques et causa la mort de trois personnes. Des ruines fumantes, on raconte qu’on vit sortir un chien furieux que personne n’avait jamais vu. Bientôt la populace raconta dans toute la ville, qu’il s’agissait du chien tué par le jeune patricien qui revenait pour se venger. On l’avait même distinctement reconnu : il était coupé en deux et sanguinolent. L'horreur digne d'un film d'épouvante... S'étant faufilé dans les ruelles voisines, il aurait même dévoré un nouveau-né dans une bicoque voisine. On dit que le fantôme de la bête rode encore autour de la calle où il fut battu à mort par le jeune Morosini…  
 
Le peuple de Venise aimait ces histoires de magie et de sorcellerie que l’Inquisition avait beaucoup de mal à faire taire. Je tiens ces histoires d’une de mes vieilles cousines qui jusqu’à sa mort, il y a une quinzaine d’années, vivait calle della Mandorla, près de la Fenice, dans une maison remplie de livres sur Venise dont j’ai pu récupérer quelques volumes. Quand elle racontait ces histoires parfois véridiques, souvent alambiquées et romancées, elle prenait un aspect particulier, qui la faisait traiter de vieille sorcière par certains des plus jeunes de mes cousins. 
 
Elle connaissait bien Hugo Pratt qui discuta souvent avec elle et s'inspira sans aucun doute de ses histoires. Tous les jours, tant qu’elles purent marcher, avec son amie la Comtesse Marcello, elles sortaient se promener jusqu’au Florian et après avoir bu leur verre de vin, elles revenaient, saluées sur leur chemin par tous les vénitiens qu'elles croisaient sur leur passage. Un de leurs meilleurs amis portait le même prénom que son vaillant ancêtre. Il avait une peur panique des chiens...
 

4 commentaires:

Sophie a dit…

ça fait quand même froid dans le dos ces histoires ! Vous en savez des choses passionnantes.A quand un livre sur Venise Lorenzo ?

 
Anonyme a dit…

oui un livre d'un vrai amoureux de Venise!!!
Où se situe la calle Lunga de cette histoire?

Lorenzo a dit…

C'est la rue qui va de la place vers San Lorenzo et la Questure avec à l'angle le bar de l'Horloge, près de la maison du vainqueur de Lépante.

 
géraud a dit…

Campo Maria Santa Formosa est un des mes préférés.
L'église est belle et les palais aussi.