18 février 2006

Comme un souvenir qui me revient en mémoire

En retrouvant, parmi les vieux papiers de ma malle aux souvenirs, une invitation vieille de 24 ans, j'ai eu un brusque flash-back, inattendu, et les détails d'une journée très particulière me sont revenus avec une incroyable précision...
 
Le Centro Tedesco (Centre culturel allemand) de Venise donnait une réception au palazzo Barbarigo della Terrazza, à l'occasion d'une conférence sur l'architecture et la restauration de Venise. Je m'y étais rendu avec Luisa, cette jeune espagnole magnifique dont j'étais doucement en train de tomber amoureux. Cette joie enfantine qui me prit lorsque je me préparais pour la soirée. Luisa qui logeait chez Biasin et que j'avais connu un jour où j'étais de garde à l'hôtel. elle arrivait de Malaga, avec son sac à dos. Plus que tout, ce dont je me souviens, c'est sa voix, sa douce voix avec ce petit accent espagnol, tellement délicieux dans la bouche des femmes de ce pays. Ce soir là, en nouant ma cravate, j'avais envie de pleurer tant cette atmosphère heureuse, cette plénitude que grâce à Luisa je ressentais depuis quelques jours, remontait de loin... Il y avait eu la maladie de mon père puis sa mort, le départ de la vieille grande maison où mon adolescence s'était sentie tellement en sécurité. Il m'avait fallu affronter le monde, les difficultés, les problèmes d'argent. Puis vint la maladie de ma mère... J'avais envie de prendre tous nos ennuis à bras le corps et je voulais tout résoudre. J'avais aussi envie de fuir, de suivre ma voie, cet appel qui m'a poussé durant cinq longues années à tout quitter pour écrire. A Venise. Luisa m'aidait sans s'en rendre compte à renouer avec mon passé, mon milieu, mes goûts. Avant elle, Anna et Annette, mes deux amies allemandes rencontrées au cours d'italien de la Dante Alighieri à l'Arsenal, avaient secoué ma paresse. Elles me conduisaient à l'église vaudoise, le dimanche entendre le sermon. Elles me poussaient dans les musées et me firent pénétrer dans cette délicieuse Casa Gradella où Annette, la petite nièce de Reynaldo Hähn, habitait.
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J'attendais Luisa. Je me sentais fort, j'étais beau, tout propre, bien habillé. Je m'étais défait avec peine de cette odeur terrible, si caractéristique de la misère qui me collait à la peau lorsque j'allais faire le ménage des chambres réquisitionnées dans les pensions et les petits hotels par la Commune, pour loger les "sfrattati", ces vieillards sans famille mis dehors par les propriétaires préférant des appartements vides à des loyers trop bas et bloqués. Elle sonna. J'allais la chercher. Dans la rue étroite, cette silhouette si distinguée faisait un contraste tel au milieu de la grisaille du quartier, que les gens se retournaient. Aucune affectation dans sa tenue. Elle était mince. Elle portait une jupe écossaise en taffetas et une veste jaune. En repensant à elle ce soir, j'entends la chanson de Chet baker "the wind", la trompette évoque le sourire de ma belle espagnole. Le xylophone, le piano, puis le saxo et les cordes posent le décor de ce moment où mon destin aurait pu basculer. Il faisait presque nuit je crois. La calle de l'Aseo était comme un trait de lumière entre les deux falaises des immeubles du ghetto. Luisa était debout devant moi, me souriant. Immobile. J'ai eu envie de la prendre dans mes bras et de ne plus jamais la quitter. Prendre sa main, l'embrasser. Je pensais pleurer. elle ne comprit pas mon visage crispé, mon hésitation. Elle aussi ne savait plus très bien. Elle repartait le lendemain pour Rome. Je n'ai pas su... Il y avait si longtemps.
Palazzo Barbarigo. Après la conférence, le cocktail, sur la terrase, la plus belle de tout Venise, donnant sur le grand canal. La nuit était pleine d'étoiles comme il se doit. Un ciel d'encre couvert de petits points lumineux au-dessus de nous...Un bassin au milieu. Partout de jolies femmes élégantes, charmantes, couvertes de bijoux scintillant comme les étoiles du ciel... De beaux jeunes hommes bien vêtus aux antiques manières. Je titubais un peu. Était-ce le champagne, mon attirance pour Luisa où toute cette ambiance qui me manquait tellement au-dessous de nous, le Grand canal avec ses bateaux qui glissaient doucement ? Et la lune et les étoiles. Notre petit groupe resta un long moment assis près de la balustrade. Il y avait-là Giusi Gradella, qui a tant de classe et un charme fou, son mari magistrat, Anna ravie (elle avait participé à l'organisation de la fête) et Annette Hähn, joyeuse. 


Après je ne me souviens que d'une chose... La chanson de Nat King Cole entendue ou rêvée ? "unforgettable" et Luisa marchant vers moi, dans le chuintement du taffetas de sa jupe... Unforgettable... Sa veste jaune, courte, (comme celle de Julie Andrews dans la "Mélodie du bonheur") mettait en valeur ses hanches rondes et fines. Je crois qu'elle portait aussi des collants et des chaussures jaunes. Elle arriva en me tendant la main. Nous nous sommes promenés dans les salons ainsi, nous tenant par la main.  
Elle partait le lendemain pour Rome. Elle attendait un mot, un geste. En vain. Nous étions sortis ensemble ces derniers jours bien sur, mais rien qui put présager cette tension, ce désir devenu tellement fort... En regardant le carton, je me souviens encore de notre conversation. Presque une dispute. Elle s'entêtait à résumer Veronèse en une sorte d'hédoniste voluptueux et lui préférait Giorgione qu'elle décrivait comme un contemplatif effrayé par la beauté. J'ai su bien plus tard qu'elle avait raison. Son regard sur l'art était incisif, naturel, spontané. Qu'il s'agisse du Greco, de De Chirico, Velasquez ou Bellini, elle allait droit à l'essentiel. 
Ce fut pareil à son retour. Elle vint me rejoindre dans ma petite chambre et me laissa exprimer mon désir jusqu’où la décence et la morale de notre éducation le permirent. Elle m'aimait. Je crois que moi aussi je l'aimais. J'avais tellement peur de ce sentiment depuis une rupture que je portais en moi comme une plaie inguérissable.
Il y avait eu depuis ce cataclysme plusieurs aventures. Marie de L., blessure récente encore béante et qui me faisait trembler. Y penser des années après me fait toujours tressaillir. Je brûlais d'amour pour cette belle fille qui n'avait pas vingt ans. Mais le destin m'avait fait déjà croiser les pas de celle qui allait devenir ma femme six ans plus tard... Au moment de me déclarer, un dimanche après-midi, dans le salon de cette vieille maison de campagne où un ami nous avait convié. L'atmosphère était électrique. Marie attendait. Il fallait que je me décide.  La journée passait. La maison était remplie de bruits. Puis soudain le silence, tout le monde avait disparu. Nous étions seuls, elle et moi... J'avais déjà rencontré celle qui deviendra ma femme. J'hésitais. Je ne dis rien que des banalités sur le jardin, les amis qui nous recevaient... Marie épousa l'année d'après un garçon bien tranquille, notre aîné de dix ans... Voilà ce que j'avais en mémoire quand j'accompagnais Luisa à la gare. Nous avons échangé quelques lettres que j'ai retrouvé au fond de ma malle... 

Et puis un matin, elle est revenue. C'était l'été, j'étais parti me promener avec Agnès, la fille du consul. Ma logeuse croyant bien faire expliqua à Luisa que j'étais sorti avec ma fiancée... Je n'ai plus jamais revu Luisa. Je ne sais même pas ce qu'elle est devenue. Est-elle retournée à Venise avec un mari, des enfants... Aime-t-elle toujours autant s'asseoir comme elle le faisait, rejetant sa tête en arrière pour contempler le ciel et les étoiles, laissant ses beaux cheveux flotter dans l'air dans un geste si pur, si parfait ? Là c'est "change partners" de Bing Crosby qui me vient à l'esprit... Comme si le couple que nous formions dansait et tournoyait sur la terrasse du palais Barbarigo, sous un ciel étoilé, par une nuit de pleine lune, il y a plus de vingt ans... Peut-être après tout n'était-ce qu'un rêve ?

posted by lorenzo at 12:50

05 février 2006

Venise, ô ma jolie




par Léon-Paul Fargue

[...] Le marbre rose flotte sur le silence. Chute lente comme une neige dans un cristal, silence épanoui de la fleur, silence vertical du vase, chaque chose a son silence. Un pigeon qui passe partage l'instant, une gondole qui glisse au plafond. Murmure d'une immensité, le temps fuit de tous les côtés. Le jour jette sa dernière rose aux échos. Mille coupes de Thulé se noient au fil des eaux. Nuages des préhistoires, l'eau teinte des monstres de la fable, sur le frai rouge du couchant les gondoles frottent leur ventre noir. Et qui presse ces éponges de clarté goutte à goutte en stalactites nacrées ? Sur les marches du palais les pas de sang d'un crépuscule égorgé de colombes que flagellent des violons... Debout, à son balcon, la Princesse tire les rênes du couchant et retient l'agonie du soir [...]
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Extrait d'un très beau texte dédié à la Princesse de Polignac, la magnifique Winnaretta Singer qui possèdait un charmant palais à san Gregorio et acheta ensuite le fameux palais Contarini, aujourd'hui propriété du Duc Decazes, descendant des Polignac. La Princesse, musicienne (pianiste et organiste de talent) contribua toute sa vie à la vie artistique parisienne et aida de nombreux artistes. Avec son mari, elle fit énormément pour la création contemporaine. Le poète Léon-Paul Fargue fut un des artistes qui bénéficia du soutien et de l'amitié de la Princesse. Je vous reparlerai de ce palais et de ses propriétaires. C'est là, au dernier étage, que vit depuis quelques années mon ami Roger de Montebello qui a choisi de s'installer à Venise pour peindre.
 

posted by lorenzo at 21:09

04 février 2006

Ça glisse à San Polo.

 
Dans quelques jours à l'emplacement de la patinoire se déroulera le Carnaval des Enfants. bals, concours de masques, goûters, maquillages et jeux pour les petits. A vos photos, vous qui aurez la chance d'être sur place dans quelques jours. Pour ma part, je n'y serai que quelques jours en mars. Puis viendront les vacances de Pâques et nous retrouverons la maison et le jardin de Dorsoduro pour quelques jours de complet bonheur. En attendant, bon carnaval à tous mes lecteurs qui se préparent à vivre ces moments fous et uniques. Attention, il fera froid et il y aura foule. Préparez-vous à des embouteillages monstres aux abords de San Marco et du Rialto. Les policiers règlent la circulation des piétons comme avec les automobiles chez nous ! Mais tout se passe en général dans la bonne humeur !

posted by lorenzo at 20:59

03 février 2006

Il était une fois de belles jeunes filles...

Quand nous étions enfants, ma grand-mère, vénitienne, nous racontait une histoire que nous adorions et qui, avec les détails ajoutés par la narratrice, nous faisait longuement rêver. Tout un monde disparu depuis mille ans réapparaissait devant nos yeux. Venise aimait aussi beaucoup cette histoire puisqu'elle resta pendant près de quatre cents ans très populaire. Fête joyeuse qui occupait toute la population, de l'ouvrier de l'Arsenal au Doge lui-même. On la commémorait le 2 février, le jour de la chandeleur pour nous. Depuis deux ans, Bruno Tosi, historien, grand ordonnateur de fêtes et de manifestations à Venise, a remis au goût du jour cette antique procession, pendant le Carnaval. Mais de quoi s'agissait-il ?

Une légende dit que, en 943, sous le règne du doge Pietro Candiano, l'antique usage vénitien de célébrer tous les mariages à la fois le même jour de l'année était encore en vigueur. Les futures épouses défilaient en un somptueux cortège naval depuis l'Arsenal, le long du canal "des vierges" pour rejoindre leurs maris qui les attendaient, avec tous les invités, à l'église San Nicolo du Lido.

Un jour, des pirates venant des ports de Dalmatie, repérèrent que ces belles glissaient sur la lagune ce jour là vêtues de somptueuses robes de brocart et de soie, portant sur elle des bijoux de grande valeur et amenant à la noce des coffres peints et sculptés dans lesquels étaient rangés les dots et les trousseaux. Bref un véritable trésor flottant qui appâtait ces demi-sauvages avides d'or et de d'argent, mais aussi de chair fraiche... Un jour donc, ils passèrent à l'action et s'emparèrent des vierges et de leurs bagages. Ils s'enfuirent le plus rapidement possible craignant tout de même les représailles de la marine vénitienne pourtant accaparée par la cérémonie au Lido. Quand les jeunes hommes apprirent le rapt de leurs belles, une foule enragée prit la mer et poursuivit les dalmates dans les chenaux de la lagune. Les pirates, chargés de tout cet or et du troupeau des belles promises, avançaient lentement. Ils furent bientôt rattrapés et massacrés jusqu'au dernier. Les jeunes filles évanouies pour la plupart furent réveillées, rafraîchies, rassurées, consolées et les noces purent avoir lieu, triomphalement.

Depuis cet évènement terrible à la fin très heureuse, Venise prit l'habitude d'organiser un défilé des plus jolies jeunes filles de la ville en souvenir. L'histoire des vierges servit à justifier aussi la grande cérémonie des noces de Venise avec la Mer, puisque Venise avait vaincu tous les autres peuples sur la mer grâce à la mer elle-même...

Ce défilé dura des années puis peu à peu la signification en fut oubliée. Les jeunes filles ne voulurent plus défiler car les jeunes gens prirent l'habitude de leur jeter à la place des pétales de roses et des sucreries des origines, des pierres et des détritus, par dérision. La manifestation devint une mascarade. Un doge décida de les remplacer par des marionnettes géantes, vêtues de superbes robes et au visage gracile semblable à celui des jolies vénitiennes d'alors. Cette procession continua encore quelques années puis tomba totalement en désuétude. Sans savoir pourquoi, la mascarade avait encore davantage dégénéré puisque le cortège était accueilli par des jets de pierre et de détritus comme une nouvelle tradition dont personne ne savait plus l'explication.

C'est cette manifestation que Bruno Tosi a remis au goût du jour depuis quelques années. C'est peut-être pour cela que Miss Univers (à moins que ce ne soit Miss Italie ou Miss Europe, je ne sais plus très bien...) viendra présider certaines des manifestations de ce carnaval 2006.

posted by lorenzo at 09:28

02 février 2006

Il drago e il leone", quand la Chine s'invite au Carnaval 2006

Carnaval approche ! Que sera le cru 2006 ? A en croire les polémiques soulevées ces derniers jours par les journaux vénitiens, il devrait être placé sous le signe des restrictions budgétaires. 

En effet, le célèbre scénographe Pier Luigi Pizzi, (qui inaugura l'Opéra Bastille avec une magnifique mise en scène des "Troyens" de Berlioz), avait été pressenti pour mettre en place une scénographie somptueuse à Venise comme à Mestre. Jugé "irréalisable", comme l'a expliqué aux journalistes le maire Cacciari, "tant du point de vue économique que par ses choix techniques", son splendide programme a été abandonné, assez cavalièrement si on en croit les journaux. Mais le Carnaval sera, malgré tout, beau et joyeux ; c'est du moins ce qu'affirment les autorités qui viennent de présenter le détail des manifestations de cette année. "Sono venuti a mancare alcuni sponsor e abbiamo dovuto tagliare" (des sponsors nous ont lâché et nous avons dû faire des coupes sombres dans le programme) expliquait le commissaire de la manifestation, Dario Ventimiglia

Mais l'organisation du Carnaval, qui attire chaque année, depuis sa renaissance il y a vingt ans, des centaines de milliers de visiteurs du monde entier, demeure une très grosse machine. A titre d'exemple, 350 autorisations vont être distribuées pour permettre aux artistes des rues de se produire librement et 550 stands de maquillage seront installés partout dans la ville, et ce du 18 au 28 février. Une discothèque géante ouvrira ses portes le temps des festivités, à la gare maritime de S.Basilio (Terminal Passeggeri), pour permettre au Carnaval des Jeunes de se poursuivre tard le soir sans que les décibels ne dérangent la population du centre historique. Pour le Carnaval des enfants, le Campo San Polo sera équipé de deux grandes structures de toile de 54 m² qui permettront aux petits de s'amuser et de danser à l'abri des intempéries, toujours possibles à cette période de l'année. Parmi les manifestations organisées, mon ami Bruno Tosi présentera la reconstitution de la célèbre "Festa delle Marie" (la fête des Maries) dont je vous reparlerai en détail demain, puisque c'est le 2 février que cette fête avait lieu sur la Place Saint Marc. Il y aura des bals populaires, des défiles, des spectacles de rue... Le programme est en ligne sur les différents sites officiels de la ville.

Mais le plus intéressant et le plus élaboré culturellement, demeure le programme de la Section Théâtre de la Biennale de Venise. C'est elle qui a choisi le thème 2006 : "Il drago e il leone" (le dragon et le lion). De quoi inspirer de bien jolis costumes et faire rêver ! Le Carnaval du Théâtre aura donc lieu du 23 au 28 février, sur une thématique volontairement didactique "d'initiation (de vulgarisation ?) et de recherche" comme l'explique Maurizio Scaparro, directeur de la Biennale qui en est l'instigateur. Complètement dédiée à la Chine, cette manifestation permettra d'assister dans chacune des scènes de la ville, à des spectacles inédits. La Fenice, le Malibran, le Goldoni comme l'Ateneo Veneto et des scènes provisoires installées un peu partout dans la ville, avec notamment une utilisation très scénographique de l'espace fascinant de l'Arsenal récemment libéré par l'armée. 

A l'Arsenal donc, les enfants seront invités à un parcours dans la "Chine non interdite" (cina non proibita) en compagnie d'un groupe d'enfants d'une école élémentaire de la Communauté chinoise de Florence ! Au Teatro Piccolo Arsenale, on pourra voir "Du Cataï à Paris, Angelica à la cour du roi Charles" de Mimmo Cuticchio, création sur le thème du dragon et du lion. Le Teatreuropa présentera en français et en première mondiale "Marco Polo" avec Guillaume Depardieu, dans une mise en scène de Orlando Forioso et une musique de Bruno Coulais ( "Les Choristes", vous vous souvenez). En même temps, au Théâtre Malibran, on pourra assister à "Shangai Tango", la dernière création de la ballerine-chorégraphe chinoise, (ancien colonel de l'armée populaire), Jin Xing. Au Goldoni mais aussi à l'Arsenal (dans l'Atrio Fonderie), sera ouvert un laboratoire  sur le maquillage traditionnel chinois, ouvert au public du matin au soir, où touristes et vénitiens pourront tenter l'expérience extraordinaire de pénétrer dans les lieux en européen et d'en sortir en chinois... La Corderie de l'Arsenal abritera des extraits de "Peony Pavillion", échantillon luxuriant d'une culture millénaire. La célèbre pièce en un acte de Eduardo Sik , "Sik l'artifice magique", interprété par Silvio Orlando sera donnée au Goldoni. On pourra aussi se régaler avec les "Chinoiseries" du célèbre cirque italien Arcipelago Circo Teatro, synthèse de spectacle populaire et d'acrobaties, selon la tradition millénaire chinoise.

Giuseppe Emiliani présentera lui le jeu scénique "La donna serpente" de Carlo Gozzi, sur les Fondamente Nuove. On peut citer encore "Dialoguer-Interloquer", par le metteur en scène Gao Xingjian, inspiré de textes de l'écrivain contemporain Bai Xianyong, la suite de Enzo Moscato, "Ragazzi di cristallo", en création pour la Biennale. Un Million de lectures proposera un très original "karaoke" à l'initiative de la célèbre Compagnie de la Calza - I Antichi. Cette antique organisation, présente au carnaval depuis plus de 500 ans, invitera les vénitiens et les touristes à la première lecture publique moderne du livre de Marco Polo, "le Million" dans sa totalité. Du jamais vu à ce jour ! 

Enfin, à la Fenice, les 27 et 28 février, un grand gala conclura cette biennale carnavalesque : "De Venise à la Cité Interdite". Les voyages de Marco Polo, mais aussi ceux des grands narrateurs italiens, d'Italo Calvino à Goffredo Parise ou Tiziano Terzani, sont les vrais protagonistes de ce carnaval du théâtre. J'oubliais, il y a aussi une exposition autour du film "Le dernier Empereur" de Bertolucci organisée par Giulia Mafai, à l'Arsenal. Enfin, Canon sponsorise un concours international de photographies du Carnaval. 

Voilà pour les manifestations culturelles. Ensuite, il y a les fêtes plus ou moins privées (selon qu'il faille un carton distribué parcimonieusement à des invités triés sur le volet ou qu'elles soient payantes et donc ouvertes à tous), mais je vous en reparlerai quand j'aurai davantage d'informations... 

Des liens pour en savoir plus : 

http://www.labiennale.org/it/teatro/ 
http://pro.canon.it/fotografavenezia05/c_index.asp 
http://www.carnivalofvenice.com/area.asp?id=4&lang=it 
http://www.iantichi.org/


L'image du jour : Casanova en 1760



Portrait présumé de Giacomo Casanova à 35 ans
attribué à Anton Raphael Mengs, 1760
Collection Bignami, Gênes

01 février 2006

Les gens...

"En allant vers San Marco, pendant le temps du Carnaval..."
par Walter Ahlfeld

30 janvier 2006

Vénitiennement...


"Pourquoi le son des cloches dans le ciel, le bruit d'un pas sur les dalles me font-ils battre le cœur d'une certaine façon ? De quelle prédisposition me vient cet accord avec tout ce qui m'entoure ? De quelque lointaine influence atavique peu-être ?... Mais que savons-nous d'avant nous-mêmes ?"  
Henry de Régnier (in l'Altana ou la Vie vénitienne)

Hugo Pratt enfant sur la Piazza...
Lorsque un matin de 1981 - ou bien était-ce en 82 ? - je pénétrais dans les locaux de la Bevilacqua la Masa, cette fondation culturelle qui a son siège sur la piazza San Marco, pour y rencontrer Hugo Pratt qui avait accepté de répondre à mes questions pourle supplément dominical du journal Sud-Ouest, ce sont ces mots du poète de la Ca'Dario qui sonnaient dans ma tête. Au son des cloches, au bruit des pas sur la place voisine, par la fenêtre entr'ouverte, se mêle aujourd'hui dans mon souvenir la voix chaude du père de Corto Maltese. Son accent vénitien, ses intonations un peu rauques. J'avais enregistré notre entretien. Qu'a donc pu devenir la cassette ? Il ne me reste de cette rencontre que l'article que Pierre Veilletet, alors rédacteur en chef a publié sans en changer un mot. Mon premier article. Et aussi le dessin d'une mouette sous sa dédicace dans le catalogue de l'exposition.


...et quelques années plus tard au même endroit.
Curieusement, ce sont aussi des odeurs que j'associe, plus de vingt ans après, à notre rencontre. Ce parfum si caractéristique qui émane des pierres lorsque la chaleur se fait plus intense dès le printemps. Des senteurs de mousse et d'iode, quelque chose d'indéfinissable. Et puis le parfum des fritelle et polpette que nous avons mangé, derrière Saint Marc, lui et moi, buvant un délicieux vin blanc.

On entend trop souvent parler de mauvaises odeurs lorsqu'on évoque Venise. L'âcre poison de la lagune, cette pourriture qui monte des canaux mal entretenus ou qui sont peut-être les remugles des vies et des siècles passés. Pour ma part, j'ai dans le nez tellement de parfums délicieux. Ceux des matins d'été où le vent amène des odeurs de sable et de sel... L'odeur du pain qui cuit et des pâtisseries traditionnelles dans les ruelles du ghetto à l'aube... Tomates, aubergines, poivrons et oignons qui frémissent dans les pentole sur le fourneau des cuisines le dimanche, quand tout est silencieux encore au dehors... L'odeur du café fraîchement coulé de la machine et qui fume sur le comptoir... La senteur, comme exotique, du bois délavé des pontons à l'automne quand le brouillard s'installe sur la ville... tant d'autres odeurs encore, celle des portes de bronze de la basilique, celle des grandes salles des palais ou des musées, ce mélange de cire et d'huile de lin qui change selon les saisons... Et le parfum des fleurs un peu fanées, dans les vases sur les autels, dans les églises... 

Hugo Pratt en me parlant de sa ville et de son héros, m'avait beaucoup parlé des odeurs. Presque autant que des couleurs. Au détour d'une ruelle, à l'une de mes réflexions, en allant manger nos polpette et boire notre vino soave, il m'avait dit : "senti bene les cose daverro. Viene del tuo sangue veneziano" (tu sens bien les choses vraiment. Cela vient de ton sang vénitien.). Joli compliment.

Simple souvenir d'une rencontre avec un grand monsieur. Le hasard fit que l'été suivant des amies me prêtèrent leur maison de Malamocco. Juste à côté de celle où vivait l'écrivain-bourlingueur. Mais il n'y vint pas pendant tout le temps où je restais dans ce joli petit bourg. Dommage. Peut-être se serait-il souvenu du petit journaliste bordelais qui faisait - bien maladroitement - ses premiers pas en l'interviewant...


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Commentaires  (blog original) :
 
Anonymous said...
dommage que tu n'aies jamais pu le faire venir à Bordeaux ! Je me souviens de ton article pour Sud Ouest !
Manuel


24 février, 2006