30 mars 2006

Lucullus dînait chez Lucullus

Ceux qui me connaissent comme maintenant ceux qui me lisent depuis la naissance de TraMezZiniMag, savent combien cuisiner est pour moi un plaisir et recevoir un délice. Enfin presque. j'aime recevoir à dîner mes amis mais je suis toujours assez nerveux et excité tant je voudrais que le repas soit excellent et la soirée réussie. C'est pourquoi je m'affaire, je m'énerve un peu et je m'agite beaucoup. Le résultat est souvent convenable, le repas en général apprécié, la soirée fort conviviale mais j'en sors exténué. Ravi mais épuisé. 

En fait, ce n'est plus que de souvenirs dont je parle ici, car depuis cette séparation stupide qui a cassé notre vie d'avant, ma vie sociale est réduite à sa plus simple expression et, la grande maison vendue, les occasions de donner de grands dîners et de belles soirées ne se sont pas encore retrouvées. Sauf à Venise. En attendant, voici le menu du dernier grand repas vénitien que j'avais organisé dans notre chère vieille maison. Hommage à Casanova, il s'était prolongé par une petite soirée musicale où un ami vénitien très cher, émigré sur les rives de la Garonne parmi les vignes (et récemment heureux papa d'une mignonne petite bordelaise), interpréta ces airs que l'on entend la nuit sur le grand canal... Une bonne soirée, dans la lignée des festins entre amis de l'ami Fritz. Esprits chagrins, pas de commentaire. Les autres, à vos fourneaux, la fin du Carême approche.
Gamberi con le zucchine  
(Gambas aux courgettes)
Arrosto di Vitello Remedio con Polenta 
 (Rôti de veau Revigorant et Polenta)
peperonata del Redentore 
 (Poivronnade du Redempteur)
Insalata Mista 
(salade mélangée)
Zabayon all'arancia con crema Regina  
(Sabayon à l'orange et sa crème meringuée)

Les vins : des millésimes de chez Batasiolo (of course), sauf pour le blanc, un soave qui venait de Vénétie. Mon préféré, le Dolcetto d'Alba 1987, un très distingué Sovrana Barbera d'Alba 1985, et un inévitable Barolo millésimé 1996. Avec le dessert, j'avais servi leur délicieux Moscato d'Asti, vin blanc liquoreux très aromatisé, d'un raffinement extrême. Et pour accompagner les cigares, la délicieuse grappa Batasiolo, celle offerte par mon ami Fiorenzo Dogliani, l'actuel génie de l'Emporio Batasiolo, lors de son premier séjour chez nous. 

Je vais détailler les recettes au fur et à mesure dans les prochains billets. Les proportions que je donne sont pour 12. Pour un dîner à 6, il suffit donc de diviser en deux les proportions données. Elémentaire mon cher Watson. Ces plats présentés ici sont souvent issus de recettes traditionnelles glanées à droite et à gauche et notamment dans le super ouvrage "la cuisine de Casanova" de Jean Bernard Naudin, Catherine Tooesca, Leda Vigliardi Paravia et Lydia Fasoli (Editions du Chêne) et le livre de l'ami Jean Clauzel que je vous ai déjà recommandé. Il y a aussi "La cuisine des doges" beau et bien fait, avec de superbes illustrations et une préface de Alvise Zorzi. Mais je vous en ai déjà parlé (cf billet).
posted by lorenzo at 01:05

27 mars 2006

TraMezZiniMag galerie : Francis Jacques

Bon, je sais cela ne se fait pas. Désolé pour ces quelques jours de silence. Mais la grippe est passée par Bordeaux. Fièvre, maux de gorge, nez qui coule... Du fond de mon lit, j'ai pensé à quelques billets. Certains sont presque publiables, mais la fatigue l'a emporté (ou la paresse)... Merci à ceux qui m'ont adressé un mail, s'inquiétant de mon silence. En attendant les prochains articles, laissez-moi vous offrir quelques aquarelles de Francis Jacques, peintre blogueur, qui sait rendre avec délicatesse l'âme et les reflets de Venise.

posted by lorenzo at 23:39

24 mars 2006

COUPS DE CŒUR N°3

Abiti antichi e moderni dei Veneziani
par Doretta Davanzo Poli. 

Collection " Cultura popolare veneta" 
à l'initiative de la Fondazion Cini 
et de la Régione Veneto. 
 Editions Neri Pozza.
"Una specie di scialle, identificato come tale su oggetti archeologici ritrovati in area veneta, impone di iniziare la storia della moda a Venezia da molto lontano. Si tratta del fazuolo, detto in seguito cendale, ninzioletto, tonda, sial, termini tutti riferibili a un indumento similare, sistemato a ricoprire testa e spalle, che continuerà a ripresentarsi nel corso dei secoli come una sorta di filo conduttore nell’abbigliamento femminile veneziano".
C'est ainsi que commence l'ouvrage de Doretta, avec le châle, cet accessoire indispensable depuis toujours de la garde robe des vénitiennes, tous milieux confondus, un long périple historique sur la mode et les usages vestimentaires vénitiens de l'antiquité vénitienne à nos jours, riche de détails historiques et de curiosités. "Le propos est d'étudier les changements de la mode au cours des siècles, à Venise et sur la terre ferme", souligne Giancarlo Galan, l'actuel Président de la Région dans sa préface, "en mettant en évidence les données sociales et culturelles et en les comparant au contexte historique et économique dans lequel les différentes manières de s'habiller se sont développées"..."Depuis toujours lieu de rencontre et d'échange de culture, poursuit Galan, pont entre l'Orient et l'Occident, Venise reflète, même dans l'habillement, influences et tendances dépendantes des relations politiques et commerciales à un moment historique déterminé, réussissant en même temps à définir et conserver de nombreux traits d'originalité, tant dans la manière de se vêtir des classes des hautes sphères que dans les milieux populaires..."
Au VIe siècle, l'expansion de la culture orientale en Italie (en 257, le trône d'orient est occupé par Justinien, le dernier grand empereur romain) laisse des traces dans la manière de s'habiller des populations qui habitent les îles de la lagune - comme en témoignent les personnages peints sur les fresques de la basilique d'Aquilée - mais bien vite avec l'évolution des techniques de tissage, les artisans vont mêler à la tradition vestimentaire romaine des éléments originaux d'inspiration purement locale. Un élément par exemple apparait vite et va rester à travers les siècles en usage dans toutes les classes de la société : la fourrure. "même à l'intérieur des habitations, peu ou mal chauffée, des classes moyennes", raconte l'auteur, "on se protègeait du froid en revêtant plusieurs épaisseurs de vêtements dont l'un au moins était en tissu fourré. Les moins favorisés se contentaient de peaux de mouton, de chèvre ou de lapin (les plus pauvres portaient même des peaux de chien ou de chat), tandis que les riches portaient des peaux plus précieuses comme le veau, moins lourd et plus chaud. La fourrure (les poils) touours tournés vers l'intérieur". les poils de la fourrure portée vers l'extérieur sera seulement une nouveauté de la mode du XIXe siècle. Depuis à Venise, le manteau de fourrure, vison, renard ou zibeline reste très porté et la tradition dote les filles à leur majorité d'un manteau de vison comme chez nous d'un collier de perles...
A partir du XIIIe siècle, c'est l'affirmation définitive d'un art du tissage typiquement vénitien accompagné d'un mode de travailler la laine et la soie très particulier. La ville commence à mettre en place lois et règlements en matière de mode, notamment, comme toujours, pour limiter les excès. Le gouvernement de la Sérénissime sera contraint par exemple d'établir des ordonnances limitant le prix maximum pour la confection d'un habit. Un arrêt de février 1219 précise par exemple :"per un completo composto di gonnella, guarnacca e pelliccia, il costo è fissato in L. 12, sette per le prime due, 5 per la terza"("pour un complet composé d'une jupe, un haut garni et un fourrure, le coût est fixé à 12 livres, sept pour les deux premières pièces, 5 pour la troisième). Il va surtout réglementer le nombre de vêtements et la quantité de tissus précieux qu'il sera possible de posséder.
A cette période, la corporation des teinturiers ("I Tintori") va prendre beaucoup d'importance. La valeur d'une couleur au détriment d'une autre orientera les goûts, fera et défera les modes pendant plusieurs siècles.
C'est aussi à cette époque que sera introduit un accessoire fondamental et révolutionnaire : le bouton. Jusqu'alors le vêtement était plus ou moins élaboré, il n'en demeurait pas moins une sorte de tunique portée par l'homme comme par la femme. Avec le bouton, le vêtement adhère mieux au corps, ce petit accessoire ingénieux va rendre possible une utilisation différente des étoffes. Cette ouverture permettra, au siècle suivant, la différenciation totale de la mode masculine de celle réservée aux femmes.
Puis viendra la bourse, tant pour les hommes que pour les femmes : de cuir ou d'étoffe, décorée ou brodée "Accrochée à la ceinture dont elle semble un simple ornement ou son prolongement, par des liens, des rubans, des noeuds ou des chaînettes" explique l'auteur,"pendantes et bien en vue, ce sera vite la proie facile des voleurs munis de ciseaux qui suffisent pour couper les liens et s'en emparer : le terme de tagliaborse (taille-bourse) servira vite à qualifier ce genre de voleurs..."
Au XVe siècle, Venise va exprimer toute son originalité dans le secteur de l'habillement. Du côté des hommes on ré-introduit la toge, sorte de sur-veste à usage professionnel que la Sérénissime va rendre obligatoire. Pour les femmes, il y aura ces manches bouffantes attachées aux épaules et interchangeables. C'est pendant cette période qu'apparaissent des étoffes tellement précieuses qu'elles seront acceptées par le sprêteurs à gage et se retrouveront dans les contrats de mariage... Brodées d'or et d'argent, décorées de motifs végétaux somptueux, ces tissus démontrent le très haut niveau de savoir-faire des tisserands vénitiens.
Au XVIe siècle se développe la dentelle avec ce fameux point tellement fin (que l'on pratique encore - de moins en moins - à Burano). Au XVIIème siècle ce sont ces fameuses chaussures (échasses plutôt) dont je vous parlais il y a quelques jours. On arriva à des semelles tellement hautes qu'il fallait aux élégantes l'aide de deux personnes pour tenir debout et marcher... Des tas d'extravagances vont apparaître, de l'ampleur, du volume pour mettre en valeur la beauté des étoffes précieuses.. On va inventer des couleurs toujours plus belles, des rayures, des fleurs brodées ou tissées... Jabots de dentelles, camisoles et voiles, capes et manteaux, tricornes et autres accessoires typiques comme ceux qu'on peut admirer dans les tableaux de Longhi sont décrits en détail dans le livre de Madame Davanzo Poli, jusqu'aux plus petits détails y compris les artifices camouflés sous les vêtements féminins pour mettre en valeur le corps (paniers sous les jupes, cercles pour tenir le bas des robes faits en cartilage de baleines ou en plumes).
Après la chute de la République, pendant l'occupation française puis autrichienne, rien ne change vraiment sauf l'arrivée des pantalons longs pour remplacer la culotte ancien-régime, véritable révolution puisque ce vêtement masculin était porté à venise depuis la Renaissance par les prolétaires les plus pauvres et mis à la mode par les révolutionnaires parisiens et qui nous a amené à l'habillement moderne.
Les temps modernes ne sont pas oubliés dans ce livre avec les créations de Mariano Fortuny, espagnol de naissance mais vénitien d'adoption, dont quelques belles pièces sont visibles au Palais Fortuny que je vous recommande. Il vient d'être rénové mais conserve l'atmosphère belle époque et très esthétique mise en place par l'artiste lui-même. Artiste éclectique, il ouvrit en 1906 un laboratoire d'impressions sur étoffes, velours et taffetas, qu'il teintait lui-même puis imprimait selon un procédé de son invention, dérivé de la technique des "Katagami" japonais. Eleonora Duse, Sarah Bernhardt, Isadora Duncan et Ilda Rubistein seront ses clientes et ses meilleures ambassadrices.
Vénitienne authentique, Giuliana di Camerino, aujourd'hui disparue, illustre la deuxième partie du XXeme siècle. Son label "Roberta di Camerino", signature apposée sur de magnifiques accessoires, sacs et ceintures de velours polychromes avec des motifs en trompe-l'oeil, (que la jet-set des années 60 s'arrachait après que Grace Kelly, lors de son arrivée à Monaco, se présenta avec un de ses modèles) continue d'avoir beaucoup de succès en Italie comme dans le monde entier avec des foulards et des vêtements que Giuliana lança avec beaucoup de professionnalisme. J'ai participé chez Graziussi à l'édition d'un portfolio de ses dessins. C'était une garnde dame. Et puis, il y a Fiorella Mancini et ses créations psychédéliques (les mannequins femmes à tête de doges barbus, c'est elle), les tissus et vêtements de Norelène (Hélène et Nora , la femme et la fille de Bobbo Ferruzzi)... Un livre passionnant.
posted by lorenzo at 00:02

21 mars 2006

Buona Primavera a tutti !

21 mars : C'est le printemps ! Enfin.
Ne sentez-vous pas dans l'air quelque chose de différent ? Il fait jour plus tôt et les oiseaux chantent plus forts. Les odeurs, les bruits se font plus présents et dans le regard des passants, une petite lueur parfois qui attire la bienveillance. Il fait doux maintenant sur la lagune. La lumière va se faire chaque jour un peu plus dense. "Bientôt, par un beau matin clair, nous verrons éclore la première fleur de notre magnolia"...
Quand je vivais à Venise, nous avions pris l'habitude de fêter le retour du printemps. Nous laissions tout ce jour-là. Pas de cours, pas de devoirs, pas de recherches à la Querini Stampalia. Nous allions chaque années dans un lieu différent célébrer la saison du renouveau. Avec un pique nique, des livres de poésie, de la musique. Ce fut Torcello bien évidemment, qui livre toute la beauté de ses espaces abandonnés dans ces journées juste après l'hiver. Ce fut le romantique cimetière juif du Lido où Byron composa quelques vers, San Francesco del deserto, accueillis par les moines avec un délicieux vin blanc et une tarte aux pommes, ce furent aussi des îlots déserts du fond de la lagune. Une année, la nature nous a offert le plus beau des spectacles : naviguant au milieu des eaux, nous avons vu, très nettement les montagnes enneigées sous un ciel bleu d'azur servant de décor à la Sérénissime qui n'avait jamais à nos yeux mieux mérité son nom que ce jour là. Mais je me répète, je vos ai déjà parlé de ces moments magiques où le décor est tel que le cartographe allemand du XIIIe siècle l'avait décrit dans ce beau plan de Venise dont l'original est conservé à la Marciana et qui me servit, en 1985, pour illustrer l'affiche de notre "Première Semaine de Venise à Bordeaux"
posted by lorenzo at 23:00

19 mars 2006

Une ile méconnue de la lagune: San Cristoforo della Pace


Elle n'a pas vraiment disparue cette île mystérieuse dont personne ne parle plus jamais. Elle n'est sur aucune carte et pourtant elle y figure. San Cristoforo della Pace a reçu Silvio Pellico et abrite aujourd'hui des personnalités célèbres comme Diaghilev, Stravinsky, Ezra Pound, Joseph Brodsky, la reine Aspasie de Grèce, et tant d'autres... 

C'est par la volonté de Napoléon qu'elle fut effacée des mémoires. Réunie à l'île de San Michele (pour ceux qui ne le savent pas, l'actuel cimetière de Venise) en 1836 par le comblement du canal qui séparait les deux île, on la dit disparue, car elle n'est plus dans l'esprit des vénitiens que "San Michele, l'île des morts"... A l'époque où Bonaparte prit sa décision, San Cristoforo était habitée et servait de lieu de détention pour les prisonniers de la République qui après les piombi (les prisons du Palais des doges) devait continuer de purger leur peine. Il faut savoir que San Michele, appelée autrefois "cavan de Muran" est en fait la partie la plus proche de Murano
posted by lorenzo at 00:31

18 mars 2006

Mélanges...

Il y a tout au fond de Venise des endroits incroyables. Hugo Pratt en connaissait beaucoup, certains n'existent que pour les véritables amoureux de la ville. ceux qui savent voir avec leur coeur. Comme en rêve. En vrac, quelques uns de ces lieux incroyables et puis des bribes de souvenirs, esprit d'escalier...
 
Lorsque j'étais étudiant à San Sebastiano (c'était alors la faculté de Lettres, où je terminais mon cursus d'histoire des Arts, travaillant "la peinture du trecento, interprétation et réminiscence des splendeurs païennes"), j'allais souvent me promener dans un quartier retiré, loin derrière les derniers endroits habités. Il y avait une maison entourée de murs avec de hauts grillages. Là, un vieil homme au visage buriné comme un vieux loup de mer, vivait au milieu de ses chats mais aussi d'une demi douzaine de singes en semi-liberté...A Castello un vieux perroquet chantait Bella Ciao et la Marseillaise au fond d'un bar un peu sale... 
our une scène de Fellini matinée de Pasolini. c'était le milieu du jour. Il faisait beau et doux. Soudain les rues furent envahies d'une foule de gens bizarres, certains parlaient fort, d'autres chantonnaient, il y en avait des tres vieux d'autres plus jeunes. Ils semblaient sortirt d'un rêve ou d'un cauchemar. Leur visage était effrayant, souvent hilare. C'étaient les fous de l'asile de San Clemente que la loi italienne venait de libérer. Ils déambulaient pour la première fois en toute liberté dans les rues de la ville... J'étais sur la Lista di Spagna avec la femme du Consul de Grèce, une espagnole exubérante qui était venue avec moi voir les stands des marchands de livres d'occasions qu'on trouvait alors près des Santi Apostoli. On aurait dit une scène de Fellini... 

Une autre fois, un matin d'hiver, un jeune suédois, splendide athlète blond au corps trop musclé, pas très grand, fut pris d'une crise de démence. Il neigeait un peu et la température devait avoisiner les 0°. Il sortit de l'auberge complètement nu présentant son anatomie à tous les passants et délirant dans sa langue. J'ai su plus tard qu'il déclamait des vers de Shakespeare en suédois... Il lisait Castaneda toute la journée, fumait beaucoup et son sourire était bizarre... Ce jour-là, il se serait jeté dans le grand canal, pour nager comme Byron le fit, si des policiers ne l'avaient interpellé à temps. Il fit une cure de sommeil et lorsqu'il revint à l'auberge, confus et intimidé, c'était un tout autre personnage, poli, pudique, rougissant encore de ce qu'il avait fait et qu'on lui avait raconté. Il n'avait aucun souvenir de cette bouffée délirante...

Tant d'autres choses encore... 
Je me revois au Palais Clari, un 14 juillet vaporisant de l'eau d'Evian sur les canapés et les petits fours de la réception du consul, tellement il faisait chaud et je me souviens du dernier plateau aspergé d'engrais pour les plantes vertes par mégarde, celui qui fut présenté aux autorités civiles, religieuses et militaires de la ville sans que personne ne semble y trouver à redire. Foie gras et saumon fumé arrosé à l'engrais horticole... 
Je me souviens de mes razzias dans les réserves du consulat lorsque je n'avais plus d'argent pour m'acheter à manger. Je repartais, grâce à Agnès - et la bénédiction du consul son père, qui fermait les yeux - les bras remplis de conserves, de sardines à l'huile, de pâtes, de fromage, de chocolat de pâté, de saucisson et de jus de fruit sous le regard du président Mitterrand dont le portrait officiel, placé juste au-dessus du bureau du Consul, regardait avec insistance et une moue à la Mona Lisa, la porte d'entrée. Je ne voyais que lui en sortant de la grande salle pour reprendre l'ascenseur qui menait au rez-de-chaussée. C'était assis devant lui que j'appelais ma mère... Et l'Ile de France, le mostoscafo du consulat, le seul à avoir l'autorisation de battre pavillon étranger, par un vieux privilège datant de l'ancienne république. Et le terrain de foot, au milieu des ruines d'un bâtiment de l'occupation autrichienne derrière l'arsenal où de curieux personnages vous épiaient et disparaissaient aussitôt... 
Je vous raconterai cela aussi....
posted by lorenzo at 00:14

16 mars 2006

Primavera Veneziana

Le printemps s'approche. Il y a comme du renouveau dans l'air. Les parfums se font plus présents et les bruits plus intenses. Comme un bourdonnement diffus. Les matins seront moins brumeux sur la lagune. La lumière moins opaque. On verra à l'horizon, se dessiner clairement les montagnes toujours enneigées. Dans la fraîcheur de l'aube, les couleurs vont resplendir, éclairant la ville d'un halo de plus en plus clair au fur et à mesure que les pierres se réchaufferont. Ah, le parfum des briques inondées de soleil qui se mêle à celui si caractéristique de la mer. Les sirènes des bateaux, le cri des oiseaux, et les cloches qui sonnent... C'est tout cela Venise, le matin, au Printemps... 
posted by lorenzo at 00:27

13 mars 2006

Venise, précurseur du monde moderne ?

Plus je découvre l'histoire de la République de Venise, plus je me rend compte combien elle a pu, en bien comme en mal, inventer le progrès. Elle a été à elle seule l'un des piliers du monde moderne. Ce peuple de réfugiés a bâti au fil des siècles une civilisation, miroir de l'Occident contemporain. 

La cassure imposée par l'imposteur corse, si elle a effectivement brisé la nuque à un animal depuis longtemps blessé, n'a pas détruit les fondements de ce qui peut être un modèle ou du moins une référence. Le passé de la Sérénissime nous donne bien des leçons d'économie, de politique, de diplomatie. Des directions à ne pas suivre, d'autres vers lesquelles l'Europe devrait s'engouffrer. En lisant Mary McCarthy (1912-1989), j'ai glané ces quelques lignes qui illustrent parfaitement, avec quelques anecdotes, cet état unique. Non, Venise n'est pas figée dans la nostalgie de sa grandeur passée. Sa place unique parmi les élaborations humaines, ne se limite pas à quelques jolis monuments préservés par une situation géographique privilégiée ; elle est bien plus que cela. Elle a expérimenté, aussi loin que l'époque le permettait, les méthodes, les moyens et les idées les plus modernes. Certains Etats modernes n'utilisent-ils pas encore certains procédés qui font froid dans le dos et que le Sénat de la république avait érigé en méthode de gouvernement ? Notre économie a-t-elle d'autres théories que celles déjà en vigueur du temps des Doges ?
"Les vénitiens inventèrent l'impôt sur le revenu, les statistiques, le flottement des valeurs d’État, la censure sur les livres, la délation anonyme (la Bocca del Leone), le casino et le ghetto. En 1504, Venise soumettait au Sultan le projet du canal de Suez. Ils étaient à l'écoute des nouvelles inventions et découvertes, et prompts à en saisir les applications pratiques. L'information parvenant à Venise, en 1498, que l'expédition de Vasco de Gama avait doublé le cap de Bonne Espérance, la ville toute entière comprit que c'était là une mauvaise nouvelle pour son commerce : "La pire nouvelle que nous eussions jamais pu recevoir." L'invention hollandaise du télescope, en 1608, était connue de Venise avant la fin de cette même année. En 1610, on en essayait un sur le Campanile, et un escroc vénitien réussit à en revendre un autre - mais faux, fait de simple verre - au grand-duc de Toscane.
[...] En 1649, un médecin vénitien, Salamon, anticipait sur la guerre bactériologique en concoctant un sérum contenant des germes de peste, destiné à la guerre contre la Turquie. Il devait se répandre dans le camp ennemi par l'intermédiaire de vêtements, du type de ceux que les turcs achètent volontiers - des fez albanais, en l’occurrence. "Ce projet est au nom de la vertu", écrivait un provveditore vénitien de Zadar aux Inquisiteurs. "Cependant, il est... inhabituel, et peut-être contraire à la morale publique.Mais... dans le cas des Turcs, ennemis de notre foi, fourbes de nature, qui ont toujours trahi Vos Excellences, à mon humble avis, les considérations ordinaires sont de peu de poids." La proposition intéressa les Dix qui, afin d'être certains de garder pour eux seuls le médecin et sa cruche de sérum de peste, les enfermèrent tous deux en prison. En fait, il semblerait que le poison ne fut jamais utilisé, peut-être parce que les germes s'étaient éventés - constatation effectuée sur le contenu du placard à poisons du Palais des Doges lorsqu'il fut inventorié, au XVIIIe siècle. Les Dix étaient toujours prêts à écouter toute personne ingénieuse proposant un plan infaillible.
[...] Les altane, terrasses posées sur le toit, aujourd'hui essentiellement utilisées pour étendre le linge, sont une invention vénitienne en matière de beauté. Les dames vénitiennes avaient pour habitude d'imbiber leur chevelure d'une potion chimique, puis de s'installer sur leur altana, construite à cet effet, couronnées de chapeaux sans fond, et les cheveux largement étalés sur les bords, de manière à blondir en séchant au soleil. D'où les chevelures dorées de la peinture vénitienne. Un peu de cette blondeur semble subsister, car si les Vénitiennes d'aujourd'hui ne sont pas blondes pour la plupart, elles ne sont pas brunes non plus mais châtain foncé, avec des reflets blonds. Elles ont également gardé cette peau blanche que protégeait le large bord des chapeaux.
[...] Venise inaugura le commerce du miroir par l'intermédiaire des fabriques de verre de Murano, et garda le monopole de cet art pendant plus d'un siècle, au temps de la Renaissance. Tout miroitier qui transportait son savoir-faire dans un état étranger pouvait voir ses proches emprisonnés, tandis que des agents vénitiens avaient pour ordre de le tuer sans sommation. Au XVIIe siècle encore, Colbert, ministre de Louis XIV, utilisa le poison et les femmes pour retenir en France certains miroitiers vénitiens. A sa mort, un miroir de Venise mesurant un mètre sur soixante-quinze centimètres, retrouvé parmi ses effets, fut évalué à près de trois fois le prix d'un Raphaël.
[...]Les Zoccoli, ces étranges chaussures, sortes de mules sur piédestal, se développèrent à Venise. Destinées à l'origine, à protéger les pieds de la boue, elles devinrent une des merveilles vénitiennes grâce à la hauteur à laquelle le sporta la passion de la mode ; une paire, gardée au musée Correr, mesure cinquante centimètres de haut. Les femmes semblaient alors évoluer sur des échasses brochées, constellées de bijoux. On pense qu'elles ont également contribué au respect de la vertu matrimoniale jusqu'à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, car une dame ne pouvait sortir ainsi sans deux servantes pour la maintenir debout. "Des souliers ordinaires seraient certainement plus pratiques", déclara le doge au cours d'une conversation avec l'ambassadeur de France. "Oui, beaucoup, beaucoup trop pratique", intervint un de ses conseillers. C'est ainsi qu'à Venise, la mode elle-même se voyait conférer un rôle utilitaire.
[...] Mais la plus merveilleuse invention de Venise ( celle de la peinture de chevalet - n'eut d'autre objectif que le plaisir. Jusqu'à Giorgione, la peinture avait une fonction utilitaire : glorification de Dieu et des saints, glorification de l'Etat (dans les scènes historiques) ou de l'individu (dans les portraits). Giorgione fut le premier à produire des tableaux pour le simple plaisir, pour créer une ambiance agréable, ainsi que l'exprime Berenson. C'étaient là des toiles destinées aux gentilshommes, faite pour la maison, deux notions nouvelles qui reposaient sur une nouvelle donnée : les loisirs..."
posted by lorenzo at 14:43

Les amis de TraMezZiniMag

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posted by lorenzo at 13:24

12 mars 2006

Les Funzioni di Venezia de Gabriel Bella




Gabriel Bella
La Festa del 2 Febbraio a Santa Maria Formosa 
Feste Che Si Sogliono Fare Per La Città Della Caccia Del Toro Amazzar La Gatta Col Capo Raso Pigliar L'Anadre Pigliar L'Occa Nell'Asqua Et Altro

(entre 1779 et 1792)
Ce joli tableau fait partie de la série "Funzioni di Venezia" de la collection Querini-Stampalia (presque une centaine de toiles). J'ai eu le privilège de le voir de très près quand il était en restauration chez Ferrucio et Serafino Volpin, à la fin des années 80. Il restitue avec des altérations de la réalité topographique (le palais à gauche avec les armoiries, est le Querini-Stampalia situé à 180° de son emplacement réel), une des fêtes vénitiennes les plus populaires dont l'origine remontait à ce fameux épisode du rapt des vierges par les pirates triestins dont j'ai parlé dans un billet de février. 

On voit sur le même plan des scènes qui ne se déroulaient pas en même temps : A gauche, sur des tréteaux le jeu "amazzar la gatta" (cruauté qui ferait bondir Brigitte Bardot et la S.P.A.) qui consistait à tuer une chatte à coup de tête (!), à droite, c'est le Jeu de l'Oie qui devait être attrapée par le cou au-dessus de l'eau. Au fond, il y a un mât de cocagne enduit de graisse avec en haut deux canards gras, derrière, devant le palais Priuli, une sorte de corrida et enfin, au centre, une scène de Commedia ou une furlana, cette danse très populaire que l'on a pu voir cette année au carnaval, et un conteur-montreur d'ours . 
posted by lorenzo at 23:31