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05 juillet 2020

Coups de Cœur N°55

Vivaldi, Le souffle des saisons
Les Musiciens de Saint-Julien
François Lazarévitch
CD Alpha classics (281)
ISBN 3760014192814

Une découverte due au temps retrouvé du confinement. Vivaldi non pas réinventé ni même dépoussiéré. retrouvé. fasciné lors de ma première écoute, l'impression de vie et de joie qui court dans la partition du prêtre roux se révèle ici d'une manière inattendue. François Lazarevitch va encore plus loin que ces rénovateurs des années 80 qui firent joyeusement éclater la poésie et la puissance évocatrice des saisons après des années d'interprétations poussives, lentes et si peu vénitiennes parfois. C'est spectaculaire, original et jamais irrespectueux. Ceux qui connaissent Venise, sa lumière, ses parfums et ses bruits, son rythme aussi comprendront qu'on est peut-être avec cette interprétation au plus proche de l'état d'esprit du prêtre roux. Vivaldi n'a pas toujours été cet ecclésiastique davantage intéressé par la renommée de sa musique et les sequins qui allaient avec, se plaignant en permanence de maux imaginaires. Il a été jeune et joyeux, un ravi de dieu que tout enchantait et qui avait ce don de pouvoir transcrire ses émotion,de traduire ce qu'il voyait, sentait et entendait dans sa musique. "L'homme d'un seul concerto répété à l'infini" persiflé par certains, était tout simplement vénitien. Sa musique (du moins dans ses compositions profanes) est la traduction des bruits et des rythmes mêmes de Venise dans laquelle il passa presque toute sa vie. Quand on connait bien Venise au quotidien, il est impossible d'entendre du Vivaldi sans être soudain projeté dans la cité des doges ! Bref, voilà un disque qu'il faut absolument ajouter à votre discothèque. Vous n'allez pas en croire vos oreilles ! Le choc est rude mais quelle belle surprise. 
Pour y goûter, il faut évidemment faire abstraction de la version originale. L'ensemble est transposé en do majeur, au lieu du mi majeur que nos oreilles ont l'habitude d'entendre. C'est une toute autre couleur qui s'offre ainsi, mais on s'y fait vite et on aime ! La présence de la musette de cour (petite cornemuse) avec son bourdon rajoute au dépaysement et ça marche ! L’alternance spectaculaire des instruments solistes – tous joués par Lazarevitch – entraînent la première métamorphose de ces Quatre Saisons atypiques dans une version imaginée en 1739 par Chédeville. Tout cela est très frais et joyeux. Comme l'est Venise quand on s'y perd sans a priori - et loin des hordes de touristes qui semblent hélas revenir à la charge sans rien avoir appris du confinement ! 


Valerio Miedi
Dix hivers à Venise
Massot éditions, 2019
224 pages
ISBN 9782380352016
Quand le film est sorti, le roman de Valerio Miedi n'existait pas encore. Son auteur terminait sa formation de cinéaste à Rome et le scénario servait de grand oral pour l'obtention du diplôme. Ce film fascinant, drôle, poignant où Venise se montre dans son ordinaire, loin des lumières de l'été, presque laide parfois mais toujours fascinante. Elle sert d'écrin à l'amour naissant de ces deux jeunes gens à peine sortis de l'adolescence, elle a 18 ans et arrive de la terraferma un soir de novembre où elle a laissé son père. Elle a trouvé un maison isolée, sur une île tranquille, pour le temps de ses études. Lui a 20 ans. fasciné par sa première visite à Venise, il a décidé d'y faire ses études universitaires. Le long trajet en vaporetto, à la nuit tombée, va déclencher l'histoire de leur vie et accrocher le lecteur dès les premières pages, où l'auteur transcrit ce qui se passe dans la tête des deux protagonistes. Et nous voilà embarqués pour plus de deux cent pages d'émotion. Venise est omniprésente, peut-être encore davantage dans le film, à cause d'une lumière et d'une photographie très semblable habilement choisie pour rappeler que l'aventure dont nous sommes les témoins, se passe en hiver. pendant dix hivers d'affilée... Le livre et le film, nés ensemble dans l'esprit de Mieli, s'ouvrent un soir sous la pluie de novembre, avec une fille portant un lampadaire et un garçon avec une plante géante, un kaki chargé de fruits... Tout commence en fait pour ces deux-là. Lui, inscrit en droit pour plaire à ses parents, un peu dépité d'avoir loupé le dernier vaporetto qui l'aurait ramené à Venise, chez sa tante qui l'attendait avec une pizza, qui va rouler sa première cigarette lové dans le canapé de la maison humide où elle vient d'arriver ; Elle qui va partager sa chambre qu'un radiateur réchauffe et l'unique lit de la maison avec un garçon pour la première fois. Il ne va rien se passer. Juste un échange de paroles, drôle, entre eux. Ils vont partager l’unique lit de la maison. Très chaudement habillés. Entre l’humidité des murs, le courant ne passe qu’en petits échanges acerbes et délicats. Pas de coup de foudre. Dix ans du « ni avec toi, ni sans toi » s’entament sans que nous le sachions. Mais tout le mécanisme du destin s'est mis en branle ce premier jour. C'est le premier hiver. Le second débute par la description de leur nouvelle vie, chacun de leur côté. Camilla à la bibliothèque, Camilla et ses nouveaux amis, Camilla qui se promène dans Venise, fait du vélo au Lido ou à Pellestrina. Et Venise surgit au fil des pages, comme un rêvé pour ceux qui la connaissent peu, comme une réalité pour ceux qui sont familiers de ses places et de ses monuments... Et ainsi de suite au fil des pages sans qu'on ait envie de poser le livre. Lu dans babelio, la notice de l'éditeur qu'il faut remercier pour cette publication comme se doit de l'être Laurent Lombard qui a magnifiquement su rendre l'atmosphère du texte original : "Des jeunes années pas forcément perdues, où chacun des personnages tente de devenir adulte, et où chante l’imperfection de la vraie vie qui ne tombe jamais juste. Entre hésitation et rendez- vous manqués, leurs chemins se scelleront-ils enfin ? Un premier roman prometteur qui a pour but de faire connaître Valerio Mieli en France, mais qui est aussi un pari artistique. Alors que de plus en plus de livres sont adaptés au cinéma, ici, c’est le film qui a donné lieu à un roman. Dix Hivers à Venise permet de faire un lien entre la littérature et le cinéma, l’écriture scénaristique et l’écriture romanesque, et offre déjà de riches discussions interdisciplinaires."


Recette Gourmande : 
Broccoli fantasia dalla nonna
C'est une recette classique que j'ai goûté pour la première fois dans une petite trattoria aujourd'hui disparue du côté du ghetto dont les fourneaux étaient tenus par une vieille dame toujours affairée qui m'avait pris en amitié quand j'habitais calle dell'Aseo. J'ai eu la surprise de la trouver dans la bible que les lectrices connaissent sûrement, Il Cucchiao d'argento, la bible de la cuisine italienne parue pour la première fois en 1950 et sans cesse éditée depuis dans plusieurs langues. Ma recette habituelle est un peu différente puisque j'ajoute une aubergine que je fais revenir en même temps que les poireaux.
Ingrédients :  1 joli brocoli bien vert,  2 petits poireaux, 1 aubergine,  2 belles gousses d'ail  1 verre de vin blanc sec bio,  1/2 verre de crème épaisse,  fromage râpé (parmesan ou grana padano ou même Cheddar de qualité of course !) à volonté,  1 cuillère à soupe de farine, du beurre frais, huile d'olive,  sel  et poivre.
Mettre de l'eau à bouillir avec du sel ou un cube de bouillon, y blanchir les brocolis séparés en petits bouquets et laisser refroidir. 
Pendant ce temps, faire revenir l'ail, l'aubergine et les poireaux émincés dans de l'huile d'olive (deux bonnes cuillères à soupe voire plus selon la taille des légumes). 
Dès qu'ils deviennent transparents, retirer les gousses d'ail et ajoutez la farine, remuer. Laisser légèrement colorer. 
Arroser ensuite de crème fraîche épaisse, saler et poivrer et bien mélanger. 
Ajouter en dernier le brocoli, mouiller avec le vin, couvrir et laisser mijoter une dizaine de minutes. 
Mettre le tout dans un plat de cuisson beurré. Saupoudrer de parmesan fraîchement râpé, et ajouter des morceaux de beurre. Cuire au four préchauffé à 200 degrés jusqu'à ce que la préparation soit bien dorée. 
Au sortir du four, le gratin doit être doré mais pas sec. 
Servez  immédiatement sur de la polenta coupée en morceaux et recouvrir si vous aimez de l'ail préalablement haché. 
Ce savoureux gratin est parfait en plat unique avec une salade d'endives par exemple, mais aussi avec un poisson ou un rôti de viande blanche.
 

09 mai 2020

Des légumes sur un bateau

Federico en livraison pendant le confinement
En dépit du confinement, Venise continue de vivre. Les jeunes agriculteurs de Donna Gnora ont donc décidé de poursuivre leurs livraisons et fruits et légumes. la jeune entreprise engagée dans l'agriculture biologique et la défense de l'environnement livre ainsi depuis quelques années ses produits locavores en barque pour la plus grande satisfaction de leurs clients dont je suis. Ainsi, chaque semaine - et maintenant encore en dépit du coronavirus - la barque accoste dans différents points du centre historique. Pour ma part, c'est la plupart du temps à San Samuele, aux pieds du Palazzo Grassi, qu'avec d'autres, j'attends leur arrivée pour récupérer les fruits et légumes commandés, parfois avec un pain (il est délicieux) ou des confitures qu'ils fabriquent avec leur production de fruits.


Ils sont la preuve, ces jeunes agriculteurs déterminés et passionnés, que la tradition et la modernité peuvent se rejoindre et apporter à notre société de bien bonnes choses. La joie et la bonne humeur quand on voit approcher la barque, les échanges sur le temps, les idées de recettes, tous ces petits riens qui créent le vrai lien social, Donna Gnora y contribue. 

On est loin de l'univers anonyme et aseptisé des grandes surfaces remplies de produits manufacturés à des milliers de kilomètres, à base de légumes et de fruits issus de l'agriculture intensive et chimique, bourrés de pesticides et d'antibiotiques, qu'on fait venir au détriment de la planète des quatre coins de celle-ci.

Quel bonheur de savoir que la pêche qu'on va déguster a été cueillie tôt le matin ou peut-être la veille dans un verger entretenu dans le respect de la nature, sans produits chimiques dangereux, et que ce verger est à quelques kilomètres à peine et n'aura pas transitée par des entrepôts frigorifiques pour traverser ensuite l'Europe jusqu'à Venise... 

(Écrit le 16/02/2020)


12 septembre 2019

Venise au quotidien : en être pour comprendre


Le touriste qui découvre Venise ressent presque toujours une grande fascination. Tout le surprend, le déroute et l'enchante. Quand il revient,la fascination demeure, comme aussi l'enchantement. Il aura pris des habitudes, saura quel bateau le mènera plus rapidement à tel endroit de la ville, le café où le café est le meilleur et l'accueil toujours bienveillant. Mais il n'aura pas forcément pénétré le quotidien des vénitiens. Il est facile de suivre celui de la ville, au rythme des cloches, des allers et venues des vaporetti, retenir les horaires d'ouverture des magasins, mais aller au même pas que les vénitiens nécessite une longue familiarité avec la vie de tous les jours. Il y a toujours beaucoup d'émotion quand on peut enfin avoir la chance de vivre avec des vénitiens, comme eux. On comprend alors tellement mieux ce qu'est vraiment cet endroit unique où l'on a appris au fil des siècles à surmonter mille difficultés et où on sait bien vivre, sous la plus belle lumière, les plus jolis reflets, les plus beaux silences urbains habités par une rumeur heureuse. On sent alors que notre cœur palpite au diapason des milliers d'autres et qu'on est en train, qu'on pourrait et donc qu'on peut, devenir et demeurer un vrai bon vénitien... Et là, c'est l'extase, l'incommensurable bonheur, la joie !

27 mai 2019

Quelques douceurs pour supporter le monde

On dit qu’en Irlande, on passe en revue chaque jour les saisons. L’été surprend au lever du soleil puis soudain la pluie fait rage et la froidure vient mordre comme pendant l’Avent puis le redoux d’avril réchauffe un peu. C’est un peu ce que nous vivons ici. Avec en plus l’Acqua alta, inattendue en cette période de l’année. 

Mais ailleurs, personne n’est mieux loti. L’iconoclaste et grotesque président américain continue de prétendre qu’il n’y a pas de changement climatique ni de danger pour la planète. Je plains de tout cœur les américains qui l’ont encore à leur tête pour quelques mois - voire même qui risquent d’en reprendre pour quatre ans - mais après tout cela reste leur problème et peut-être ce peuple mérite-t-il son sort comme nous méritons le nôtre, after all.- Népotisme et corruption, ploutocratie et gilets jaunes pour la France. Le fourbe et fallacieux Matteo Salvini, Berlusconi qui n’en finit pas de mourir et les néo-fascistes qui appellent à la haine raciale, pour l’Italie. De quoi pleurer. 

Pour nous remonter le moral, mettons un disque. La jeune Emmanuelle Bertrand au violoncelle et Pascal Amoyel pour l’accompagner dans de délicieuses romances et sonates, respectivement de de Richard Strauss et de Max Reger. Des œuvres de jeunesse que les deux renieront parce que trop tournées vers Brahms et Mendelssohn mais qui sont remarquables de créativité, pleines de fraîcheur et de force en même temps. La musique envahit la maison. Le thé fume dans la théière. Envie de faire des gâteaux. Il y a déjà des scones mais si nous réalisions des biscuits ? Pas n’importe lesquels, des Zaletti, à l’ancienne comme ce qu’on trouve parfois encore dans la campagne vénitienne chez de veilles cuisinières talentueuses et des Ricciarelli de Toscane.

Zaletti della Nonna.
Il vous faudra 250 g de farine de maïs jaune, 100 g de farine de maïs blanche, 300 g de raisins de Corinthe, 250 g de sucre roux, 6 œufs frais, 1 litre de lait frais entier, 100 g de beurre, 2 citrons non traités, 1 gousse de vanille bien fraîche elle aussi et du sel, pour les biscuits et 4 jaunes d’œuf, 80 g de de sucre, 2 cuillères à soupe de farine, la moitié d’un litre de lait et un citron non traité. Je trouve à Venise un lait entier bio qui vient des montagnes du Trentin. Un délice avec son arrière-goût d'amandes.

Tout d’abord, il vous faut porter le lait à ébullition avec une pincée de sel et la gousse de vanille que vous enlèverez avant de verser en pluie les farines mélangées et tamisées. Mélangez soigneusement avec une cuillère de bois. Hors du feu, ajoutez le sucre et le beurre. Mélangez vigoureusement jusqu’à obtenir une pâte bien amalgamée. Laissez reposer deux heures et régalez-vous du mouvement lent de la sonate pour violoncelle du jeune Strauss - qu'il compose à dix-neuf ans !). Que ces notes suaves, presque sensuelles ne vous empêchent pas de préparer une crème pâtissière. Pour cela, il vous faut une casserole à bords hauts dans laquelle vous commencerez par mélanger les jaunes d’œuf avec le sucre jusqu’à ce que celui-ci soit complètement fondu. Ajoutez alors petit à petit les deux cuillerées de farine, puis en suivant le lait bouillant et le zeste de citron râpé. Il ne faut pas arrêter de remuer même une fois la casserole sur le feu. 

Mélangez au rythme de l’Allegro Vivo de la sonate du jeune Richard, jusqu’à ce que ça bouillonne. Il faut compter environ trois minutes avant d’éteindre le feu. Laissez refroidir pendant que le violoncelle attaque le premier mouvement - Agitato - de la sonate de Reger. Il est temps d’incorporer à la préparation lait et farine du début, les œufs l’un après l’autre, le reste des citrons râpés, puis la crème pâtissière refroidie et enfin, les raisins ramollis au préalable dans un mélange d’eau tiède et de grappa, ¾ d’eau pour ¼ d’alcool) soigneusement égouttés.

Sur une plaque de cuisson beurrée et farinée formez des losanges de 5 cm de diamètre environ et d’une épaisseur d’environ 2 cm. Certains font de simples disques (de la même taille). Faites cuire environ 30 minutes à four chaud. 

Au sortir du four, les saupoudrer de sucre glace. Ils se servent traditionnellement tièdes mais sont aussi très bons froids trempés dans du chocolat chaud ou ramollis dans une bonne grappa artisanale. Vous m’en direz des nouvelles.
 

Ricciarelli
Ce sont des petites douceurs qu’on trouve en Toscane et qui se vendaient autrefois aussi à Venise, dans une pâtisserie du côté de San Alvise que tenait une très vieille dame. Ma grand-mère paternelle faisait une confiserie à peu près semblable mais dont l’origine remontait à l’époque où Istanbul était encore Constantinople...

Il faut pour les réaliser 250 g de sucre glace, 150 g d’amandes douces épluchées et 15 d’amandes amères, 1 œuf et une vingtaine d’hosties (mais oui, cela se trouve dans les commerces spécialisés).
 
Émonder les amandes en les plongeant dans de l’eau bouillante et les faire sécher en les passant rapidement au four. Lorsqu’elles seront refroidies, les réduire en poudre au mortier. Les mélanger au sucre glace. Monter les blancs en neige ferme et ajouter délicatement et peu à peu la pâte d’amande avec une cuillère en bois. Quand la pâte devient trop dure pour être manipulée avec la cuillère la malaxer sur le plan de travail saupoudré de sucre glace.

Lorsque la pâte est homogène l’abaisser au rouleau sur une épaisseur de 1à 2 cm et fabriquer des disques de la grandeur des hosties. Sur la plaque du four disposer les hosties et déposer sur chacune un disque de pâte. Couvrir avec un linge et laisser reposer une heure dans un endroit frais.

Faire cuire 30 minutes dans un four modérément chaud sans que les biscuits brunissent. Sortir du four et laisser refroidir. Saupoudrer de sucre glace. Ma grand-mère mettait la pâte à cuire dans un moule rectangulaire en tôle. Elle découpait ensuite la pâte en carrés. Accompagnés d'un grand verre de lait ou d'une tasse de chocolat chaud et bien épais, cela faisait les délices de nos après-midi dominicales, l'hiver...


Sonates pour violoncelle et piano
Richard Strauss, Max Reger
Emmanuelle Bertrand, violoncelle
Pascal Amoyel, piano 
Harmonia Mundi,
2005

18 novembre 2018

Ma Venise gourmande

La cuisine vénitienne et ses spécialités, tout le monde connait. Risotto à l'encre de seiche, bacalà mantecato, spaghetti aux clovisses, pasta fagioli, risi bisi, et tant d'autres plats délicieux s'offrent aux amateurs de bonne chère un peu partout. On parle moins souvent des douceurs traditionnelles, ces desserts qui sont pour les vénitiens autant de réminiscences des goûters et des fêtes de leur enfance. 

Le mois de novembre qui est déjà bien entamé, offre par exemple, l'occasion de goûter des pâtisseries traditionnelles. L'une est dégustée le jour des défunts, on la nomme la Fava dei morti. elle n'est pas spécifique à Venise mais on la prépare dans la région d'une autre manière qu'ailleurs dans la péninsule.

© CSI MultiMedia by Cristina Bruno e Alfredo Pustetto - .
Viendra ensuite les pains d'épice à l'effigie de Saint Martin que les enfants s'arrachent et qui décorent joliment les vitrines pour la fête du saint, le 11 novembre. Vous trouverez ICI la page d'un site fort sympathique qui en donne la recette mais aussi un modèle pour réaliser le moule. Remerciements aux auteurs au passage pour l'emprunt de l'image mais aussi pour leur site !)

Puis l'hiver sera là, le pandoro et le panettone feront leur apparition, on se régalera de zabaion à la maison, de crema fritta et la froidure ramènera les bonnes odeurs qui s'échapperont des fourneaux, celles de la torta della nona ou de la tarte aux amandes... 

Bien qu'un certain nombre de lieux mythiques aient disparu, les pâtisseries sont encore assez nombreuses à Venise. Certaines sont très réputées. en voici un petit guide, établi selon nos préférences et qui ne concerne que le centro storico. Il y a en a aussi de très recommandables à Mestre, au Lido et ailleurs dans les environs. Mais celles que nous vous présentons sont faciles d'accès, vous les trouverez au fil de vos pérégrinations dans les rues de la Sérénissime. Avec le temps du chocolat chaud, l'envie de cappuccino bien mousseux, les tiramisù, les strudels et kiffels et autres pastine exercent une forte attraction. 


Pour vous mettre en bouche, et parce que ce joli dimanche, froid mais ensoleillé que nous venons d'avoir, m'a donné des envies de cuisiner, j'ai servi aujourd'hui pour dessert du repas dominical, le fameux Flan Nanny (déjà présenté sur le blog avec d'autres recettes de saison. Le lien est ICI). Point besoin de mesures exactes. il s'agit de faire du porridge avec des flocons d'avoine, du sel et du sucre, de l'eau et du lait (à l'irlandaise) ou seulement du lait, de la vanille, et, quand celui-ci est cuit, y ajouter délicatement des blancs battus en neige bien ferme avec du sel et du sucre, et en dernier du rhum, selon les goûts. mais c'est meilleur quand on sent bien le parfum du bon vieux rhum. Cette fois-ci, pour changer, j'ai remplacé la vanille par de la cannelle. On met l'appareil au four - J'ai choisi la formule individuelle qui cuit plus vite qu'un grand moule à soufflé - à feu vif, le temps que le dessus prenne une jolie couleur dorée et que les blancs cuisent. Attention à ne pas laisser trop longtemps sinon on se retrouve avec une sorte de gâteau un peu sec. Si cela arrivait, il vous suffit de rajouter immédiatement au sortir du four quelques cuillères de lait battu avec du rhum. Le flan Nanny est délicieux quand il est onctueux, solide et consistant mais assez souple et crémeux en bouche sans être liquide. Il ne faut surtout pas ajouter au porridge les jaunes qui à tous les coups transformerait votre préparation en cake. C'est aussi bien bon avec des raisons secs. C'est meilleur servi tiède. Will, mon jeune hôte britannique gourmand, a décidé de le baptiser le pudding Lorenzo.

25 août 2018

Revenir est toujours une joie


"Venezia è un adolescente delle bellisime carne dorate"
Mario Stefani

Il y avait bien longtemps que je ne m'étais pas absenté autant. En général, je ne reste jamais loin de Venise. Je ne peux pas. L'éloignement m'est toujours une souffrance. La cité des doges occupe mes pensées, à peine revenu, je ne songe qu'à repartir. Tout me ramène depuis toujours en pensée vers elle. Achaque instant son image peut surgir, il suffit d'une cloche qui sonne, une musique, une lumière, un objet,pour que surgisse mon désir d'elle. Un besoin plutôt...

Jusqu'à mes promenades dans les venelles médiévales de la charmante petite ville (heureusement encore boudée par les touristes) où je suis très souvent.  J'y retrouve la même atmosphère particulière que dans les rues de la Sérénissime, dans ses quartiers excentrés où les hordes ne passent jamais. Bref, je suis resté bien trop longtemps éloigné - depuis mai ! - et je ne devrais pas. Le manque était devenu intenable, d'autant que je sais bien qu'il n'y aura jamais aucun risque d'overdose. 

Me voilà donc de retour. Pour peu de temps, contingences matérielles obligent. Pourtant ce court passage 21 jours m'est un bonheur. De vraies vacances. Di solito (2) je passe les mois d'été ici, mais cette année tout a été tourneboulé. Mais peu importe,n'ayant rien de particulier à faire, je dispose de tout mon temps pour errer, lire, rêvasser - une activité obligatoire pour moi depuis toujours, comme mes lecteurs le savent - me baigner, dormir. "Napping sulla terrazza" (3), comme me disait ce jeune visiteur anglo-japonais rencontré dans le cloître de San Franceso della Vigna, quand je lui détaillais les genres d'activités auxquelles je m'adonne ici en ce moment. Un régal bien que les chaleurs soient cette année bien plus pesantes qu'à l'accoutumée. Rien d'original donc : se sentir en vacances, paisible, détendu, sans réel objectif ni contrainte. Se laisser vivre, simplement. Ce à quoi tout le monde aspire, n'est-ce pas. 

Bien entendu, ce serait mentir que de prétendre que vivre à Venise est toujours facile. A moins de n'avoir pas à compter, de faire partie de cette toute petite communauté de very happy few, grands propriétaires qui se partagent la ville, il est de plus en plus difficile de trouver à se loger, de se maintenir dans les lieux quand rien ici n'est jamais vraiment clair, sûr et que les nécessités du quotidien deviennent ardues à satisfaire. Il faut aller de plus en plus loin pour trouver du vrai pain, du dentifrice ou des lacets. Les nouveaux doges et maîtres de la cité, les milliardaires étrangers et les chevaliers d'industrie rachètent et transforment les bâtiments, contribuant sans vergogne à vider la Sérénissime de ses véritables habitants, la livrent en pâture à un tourisme de masse qui arpente les rues et les campi sans jamais en pénétrer l'âme. Ces pauvres gens arpentent la ville sans comprendre qu'ils ne sont pas dans un parc d'attraction, ni un musée mais dans un vrai lieu de vie, un endroit où on naît, on grandit, on vit, on travaille et on meurt. Mais je crains qu'il faille rectifier mes propos. Venise est désormais un lieu où on essaie de vivre. où on survit... Jusques à quand ? Le compteur qui marque au jour le jour le nombre des résidents du centre historique, le triste exemple de Dubrovnik désormais presque totalement vidé d'habitants, ne nous porte pas vraiment à l'optimisme... Mais laissons ces propos qui nous embarqueraient vers des horizons bien sombres. 

Laissons pour la saison froide et les ciels bas, tout ce qu'il y a à dire, les vérités qui fâchent sur ce qu'une insane petite minorité a fait de cette ville, sur cette mise à mort programmée tout à fait en phase avec l'ultralibéralisme et la démocrature. Ce concept bassement mercantile à courte vue qui, peu à peu et sans complexe aucun, s'insinue partout dans notre pauvre monde en pleine déliquescence et s'apprête à faire un sort aux valeurs humanistes, au sens du partage, de l'accueil... Jamais mieux qu'à Venise le célèbre "après nous le déluge" que le Bien-Aimé aurait lancé pour justifier la fuite en avant qui mena la France à la catastrophe, ne prend toute sa dimension. Triste et accablant constat. 

Mais bon, ce sont les derniers jours de l'été. Tout ici le rappelle. Il fait très chaud dans la ville. Après ma visite quotidienne aux chats de San Giovanni e Paolo, je me suis installé pour lire le journal et travailler, dans l'ancien cloître des Crociferi, aux Gesuiti.. Il n'y avait encore presque personne à mon arrivée. Peu de bruit alentour. C'était il y a deux heures. Maintenant les résidents de la foresteria (4) viennent prendre leur petit-déjeuner ; peu à peu les lieux se remplissent d'une population bigarrée, de tous âges et de toutes origines. Pourtant rien à voir ici avec l'embarras insupportable de l'area Marciana (5) envahis par les hordes de touristes hagards et déjà dégoulinants. Je vais rester encore un peu du coup. Cet ancien couvent transformé depuis quelques années en résidence très branchée pour étudiants l'hiver et touristes l'été est un des endroits où j'aime venir écrire, tôt le matin. 

Avec son café sélect et ses jeunes et avenantes serveuses au délicieux sourire, l'endroit est agréable et de plus en plus fréquenté. Le charme des vieux murs y est pour beaucoup bien sûr mais l'air qu'on y respire et le vénitien qu'on y parle toujours évitent à l'endroit de ressembler tout à fait à ces lieux qu'on trouve partout dans le monde et sur tous les continents. Il y règne une atmosphère vénitienne authentique. On y parle le dialecte avant l'italien ou l'anglais, le café qu'on y sert est un des meilleurs de la ville, parmi les cocktails proposés, le Bellini (6) que les jolies petites serveuses concoctent avec gourmandise, est délicieux. 

Un joli lieu pour le farniente. Avec ce ciel tellement bleu, le soleil trop ardent que tempère heureusement un petit vent qui rafraîchit, les standards de jazz que diffusent discrètement les hauts-parleurs, tout ici concourt à rendre tout plus léger. 

Même la polémique qui fait rage ici après la tragédie du viaduc de Gênes et la chasse aux sorcières qui s'en suit (que la presse locale contribue à déployer mêlant les incroyables déclarations des actuels dirigeants du pays aux allégations les plus invraisemblables), le retour décomplexé des néo-fascistes, la montée d'un racisme inconnu jusqu'alors en Italie et une hargne de la population, ne parviennent pas réellement à entamer la tranquillité des derniers jours du mois d'Auguste.

Il règne ici, c'est évident un malaise certain devant ce qui se passe partout en Europe, l'effarant exemple de la situation en France, les prises de position de l'Eglise locale mélangeant le discours évangélique à la défense des valeurs ultra-libérales, diffusant un message impossible à entendre au sujet des migrants avec le "on ne peut pas accueillir tout le monde" du cardinal Scola, le patriarche de Venise. Scandaleux message quand il est sorti de son véritable contexte - habitude courante des journalistes d'aujourd'hui - formule qui est comme un crachat au pied de la Croix, un déni du véritable message du Christ, qui laisse à croire aux esprits simples qu'abrutissent les images ostentatoires et choisies des médias qui attisent la peur et la méfiance de l'autre.Triste rappel des terribles années noires du fascisme et de sa chute..."Père, Père, pourquoi t'ont-ils abandonné ?" dirait le crucifié aujourd'hui.

Mais ne nous engageons pas dans cette direction qui va encore susciter des commentaires acerbes et me valoir encore bien des ennemis. il est vrai que ce blog n'a plus subi de cyberattaques, ni de censure depuis deux ans... Je ne cherche à provoquer personne. Je suis en vacances. il fait bon, la musique s'est adoucie et l'ancien chiostro se remplit peu à peu de touristes et d'étudiants. Paisibles, tous sont attablés à l'ombre des parasols et des arcades. La musique est douce et joyeuse à la fois. La vie reste belle en dépit de toutes ces raisons qu'on a d'être en colère, ou tristes, ou effrayés par ce qui attend notre monde demain... Cet après-midi, un petit tour en barque dans les barènes (7) et demain matin à l'aube, la plage à Malomocco. La vie tout simplement.

Notes

1- : "Venise est un adolescent aux belles chairs dorées..." 
Vers célèbre du poète vénitien Mario Stefani (page 15) de son ouvrage Elegie veneziane, préfacé par Giovanni Tita Rossa paru en 1971 et jamais encore traduit en français. Certainement l'un des meilleurs ouvrages de Stefani qui y dépeint son amour pour Venise, son quotidien et son peuple. 
2- : Habituellement.
3-: Faire la sieste sur la terrasse.
4-: Auberge de jeunesse ou littéralement maison pour étrangers.
5-: La zone qui entoure San Marco (piazza, piazzetta, Schiavoni et rues adjacentes).
6-: Cocktail inventé par Cipriani au Harry's Bar fait de champagne ou prosecco et de jus de pêches blanches, le tout très frappé).
7-: Bandes de terre et petits îlots incultes souvent recouverts par l'eau lors des marées sur lesquels poussent une végétation spécifique dont les fleurs fournissent le pollen qui permet de réaliser un excellent miel.

24 mai 2018

Lectures, considérations diverses et cousinage...

Lire le dernier Joël Dicker à l'ombre d'une glycine centenaire avec comme fonds sonore le pépiement des oiseaux, un ciel bleu sans nuage. Une douce paix comme je les aime. Bien sûr, il est encore très tôt. les touristes ne sont pas encore levés ; certains entament leur petit-déjeuner, les pendulaires s'excitent à l'approche du pont. Celui de leur liberté et notre aliénation. Bientôt l'été, la plage, le silence de la mer à l'aube ou au crépuscule quand tous s'en sont allés.. Mille rêveries qui me prennent soudain à l'ombre de la vieille glycine...

Joël Dicker, jeune auteur talentueux qui a l'âge de ma fille aînée, m'agace un peu. Non pas parce qu'il semble éructer avec tellement de facilité plusieurs centaines de pages sans jamais lasser le lecteur, non pas non plus parce qu'il a réellement du talent. Un vrai talent, fait d'une maîtrise de la langue, d'une imagination polymorphe, d'un enthousiasme et d'une énergie incommensurables. On ne peut que s'en réjouir pour lui et pour ses lecteurs. Non, il m'agace parce qu'il me met face à mes lâchetés, mes abandons, mes faiblesses. Comme Léo, le voisin du narrateur du roman commencé ce matin, Le Livre des Baltimore, un vieil homme qui enrage de voir le jeune écrivain qu'il apprécie et admire, passer ses journées à faire du sport ou à rêvasser et qui pourtant n'arrête pas d'engranger les succès littéraires, quand lui reste incapable d'avancer dans son roman, toujours bloqué devant son cahier n°1 qu'il ne parvient pas à remplir. 


Ce fils de libraire et de professeur de français écrit bien, il a beaucoup lu aussi et avance sur son chemin avec beaucoup d'assurance. Cela interpelle l'écrivain procrastinateur, qui fait le sourd aux appels réitérés de ses personnages. Ils ne cessent de frapper à sa porte mais lui sait bien que s'il répond, s'il les laisse rentrer, tout son univers sera envahi, bousculé, piétiné. il devra les loger, les nourrir, les aider, les écouter. car ils se feront entendre et, pareils à nos enfants adolescents qui se rebiffent et doivent le faire, ils nous cracheront mille vérités à la figure et ne nous laisseront plus jamais en paix. Sauf à mettre le point final à leur histoire dont nous ne savons encore rien, ou pas grand chose...

Bref, hauts les cœurs, il faut se remettre au travail. Écrire à Venise, sur Venise finalement est une douce chose. Mais pas une mince affaire. Tout le monde nous attend au tournant. S'il s'agit de fiction, nos personnages ;  si c'est d'histoire que nous voulons parler, les redites et les conclusions hâtives, les interprétations hâtives menacent et l'erreur comme l'approximation ne pardonnent pas. Il suffit de se promener au fil des blogs et des sites pour retrouver mille contre-vérités, des idées et des faits inventés, détournés, tout un ramassis d'à-peu-près qu'il ne faudrait pas renforcer en les citant ou en les décrivant à notre tour. Non, Venise c'est un sujet difficile. Allez, remettons-nous au travail.


En attendant de vous offrir du nouveau, chers lecteurs, TraMeZziniMag , vous propose pour vous occuper, outre de lire l'excellent roman de Joêl Dicker, d'aller jeter un coup d’œil sur un site dans lequel nous nous sommes investis au propre comme au figuré. En dépit de quelques erreurs et approximations, Cool Cousin est une communauté virtuelle dont le principe nous a tout de suite séduit. L'objectif est de mettre en contact des voyageurs potentiels avec des cousins à travers le monde qui proposent leur vision de la ville où ils vivent. 

Totalement dans la logique qui est la nôtre, ce Spirito del Viaggiatore qui sera bientôt le titre d'une collection d'ouvrages consacrés au voyage comme mode et conception de la vie et de la obligatoire à ces gogos du XXIe siècle pour qui seul le paraître compte ainsi que l'avoir et vendent leur âme à la mode et à l'argent. L'esprit Cool Cousin , c'est privilégier l'être, voir et entendre l'autre et penser le voyage comme une formation, une découverte autant des autres justement avec leurs différences, et de soi :  https://www.coolcousin.com/cities/venice/

24 février 2018

Un adagio pour accompagner la douce lenteur d'un dimanche...

Je ne sais pas vous, mais sauf à de rares occasions, fêtes carillonnées ou retrouvailles familiales, le dimanche reste toujours pour moi un moment privilégié, une pause dans un quotidien dont le rythme ne nous appartient pas toujours. L'Ancien Testament nous rappelle que Dieu, satisfait - et fatigué - par sa Création, se reposa la septième jour. Avec un pareil exemple, comment oser courir, s'exciter, s'éparpiller ce jour-là aussi ? Le jour du Seigneur, quelle jolie formule. Le dimanche est bien un jour spécial. 

Même sans plus aucune obligation professionnelle, sans les contraintes de temps et de résultats d'avant, il m'aura fallu des années pour oublier cette sensation terrible du dimanche soir, ce frisson de dépit et de tristesse à l'idée de devoir reprendre le collier dès le jour suivant. Tous ceux que la retraite - mais non le retrait - a délivré d'un quotidien d'obligations ont savouré ce moment où, enfin, chaque jour pouvait être comme un dimanche. la liberté totale. La disponibilité d'une page blanche... Bref, le dimanche, le vrai, celui qui arrive après le samedi, son antichambre animée, s'impose comme le plus joli jour de la semaine. Je souhaite à tous la douce torpeur qui me prend le dimanche et que j'entretiens avec gourmandise. Une sorte de ralenti sur image, une méditation continue où tout prend une ampleur nouvelle : les cloches qui appellent les fidèles, les oiseaux qui s'égayent dans les tilleuls sous mes fenêtres, le parfum des fleurs sur la table du salon, le chat qui ouvre un œil et s'étire en soupirant... 

Tout prend une autre saveur. Le petit-déjeuner apprêté, petits plats dans les grands - prendre le temps -, les fenêtres grandes ouvertes si le temps le permet, un bon livre entre les mains. le thé fumant... A tout cela, il faut une musique ample et sereine, puissante et harmonieuse. L'adagio pour hautbois, violoncelle et orgue de Domenico Zipoli, pièce composée pour l'offertoire et l'élévation de la messe, traduit à la perfection ce que je parviens bien mal à décrire avec les mots. Si vous l'entendez pour la première fois, un conseil : fermez les yeux, laissez pénétrer les harmonies et vous sentirez votre respiration se caler peu à peu sur le rythme pur et tranquille de la musique. Un morceau de paradis.
Ce prêtre toscan ne le fut jamais en réalité. Il mourut très jeune, loin de l'Italie, n'ayant pu être ordonné faute d'un évêque dans le diocèse. Au vu de ses talents musicaux, le maître de Chapelle du duc de Florence auprès de qui il étudiait la musique, l’envoya à Naples où il se perfectionna avec Alessandro Scarlatti. Il poursuivit sa formation à Rome en 1709  avec Bernardo Pasquini. Son talent et sa jeune renommée lui permirent de devenir et il devint maître de Chapelle du Gesú. C'est apparemment en fréquentant la communauté des jésuites qu'il décida d'entrer en religion. 


Il composa pendant ces années romaines plusieurs œuvres très appréciées. Ainsi en 1712 on joua ses Vespri e Mesa per la festa di San Carlo, et l’année suivante son Oratoire Sant’Antonio di Padova. Puis en 1714, l’Oratoire Santa Caterina, Vergine e Mártire fut acclamé. Sa renommée prenait une ampleur telle qu'on venait l'écouter de toute l'Italie. . Son destin de musicien semble tracé. Pourtant, il en avait décidé de prendre une autre voie en suivant la formaztion théologique auprès de la Compagnie de Jésus. Ainsi quelques mois après la parution en 1716 de ses Sonate d’intavolatura per organo e cimbalo, Domenico Zipoli, âgé seulement de 27 ans par pour Séville où il entre au noviciat de la Compagnie, le 1er juillet.  Répondant à son souhait, le Provincial envoie le jeune novice dans les colonies espagnoles d'Amérique du sud. Un an plus tard, le 13 juillet 1717, il débarque à Buenos Aires en compagnie de 54 jésuites, parmi lesquels se trouve l’historien Pedro Lozano 

En 1724, sa formation religieuse terminée au séminaire de Cordobà, il aurait dû être ordonné prêtre mais aucun évêque n'étant alors disponible, il fut nommé maître de chapelle, chef de chœur et organiste de la cathédrale.  Il continua de composer et très rapidement, ses œuvres furent célèbres dans toutes les Réductions des territoires espagnols, au Paraguay et au Pérou. Atteint de tuberculose, il mourut près de Cordobà, au monastère de Santa Caterina, le 2 janvier 1726, à l'âge de 37 ans.
Son œuvre lui a survécu et demeure l'une des plus belles du genre parmi toutes les compositions nées dans les Amériques espagnoles d'alors. Le baroque d'outre-atlantique reste assez méconnu mais recèle de véritables trésors. Les jésuites, jusqu'à leur Expulsion, bâtirent en même temps que de magnifiques églises, des orgues et des instruments de musique, des écoles de musique s'ouvrirent dans de nombreuses villes, des enfants furent formés au chant, partout des chœurs animaient les offices et illustraient les nombreuses fêtes et processions. Aujourd'hui encore, la musique de Zipoli est souvent interprétée comme cet adagio qu'on joue autant pour les mariages que pour les obsèques partout en Amérique du sud. Son ampleur et sa sérénité en font un outil de méditation qui émeut et nourrit.


L'universitaire et musicienne Evangelina Burchard, spécialiste de la musique des jésuites a consacré au musicien toscan un article publié en 2013. Dans lequel elle explique :

[...] Son œuvre musicale américaine eut un grand retentissement et une très forte reconnaissance dans les réductions, comme le raconte Lozano, où « des heures avant que ne joue Zipoli, l’église de la Compagnie se remplissait, tous désireux d’écouter ces harmonies aussi nouvelles que supérieures ». Comme le confirme également le Père Peramás dans son livre publié en 1793 « De vita et moribus » (se trouvant en Italie suite à l’expulsion des jésuites), « certains prêtres excellents dans l’art de la musique étaient venus d’Europe, enseignèrent aux indiens des villages à chanter et à jouer des instruments. Mais personne ne fut plus illustre ni prolifique que Dominque Zipoli, autre musicien romain, dont la parfaite harmonie des plus douces et des plus travaillées pouvait s’imposer. Les vêpres qui duraient toute l’après-midi étaient particulièrement exquises. Il composait différentes œuvres pour le temple, qu’on lui demandait par courrier jusqu’à la ville même de Lima »…

Dans une lettre du père Jaime Olivier datée de 1767 (année de l’expulsion) on lit : « Tous les villages ont leur musique complète d’au moins 30 musiciens. Les sopranos son très bons, en effet ils sont choisis parmi les meilleurs voix de tout le village, les faisant participer depuis leur plus jeune âge à l’école de musique. Leurs maîtres travaillent avec une grande rigueur et attention, et méritent réellement le titre de maître ; en effet ils connaissent la musique avec perfection et la composent parfaitement ; bien qu’ils n’en aient pas besoin puisqu’ils possèdent des compositions parmi les meilleurs d’Italie et d’Allemagne, mais également des œuvres du frère Zipoli…

Les instruments sont excellents ; il y des orgues, des clavecins, des harpes, des trompes marines et trompes de chasse, beaucoup d’excellents clairons, violons, contrebasses, bassons et chimirias. Dans toutes les fêtes, il y avait dans l’après-midi des avant-vêpres solennelles avec toute la musique divisée en deux chœurs ». L’influence de Zipoli ne se limite pas seulement à Córdoba. Le vice roi du Perou sollicita depuis Lima ses compositions.
En 1959, le musicologue Robert Stevenson trouva une Messe en Fa pour chœur à trois voix, deux violons, orgue et orgue continue de Zipoli dans les Archives Capitulaire de la ville de Sucre en Bolivie. Un autre travail, publié en 1994 par le Docteur Piort Nawrot, présenta une compilation de Musique de Vêpres de Domingo Zipoli et autres maîtres jésuites anonymes correspondant aux Archives épiscopales de Concepción de Chiquitos, Santa Cruz (Bolivie). De même, Nawrot réalisa d’autres travaux de recompilation comme la Messe des Apôtres de Zipoli.

Sa musique fit de nombreux et fervents admirateurs de son vivant comme après sa mort.

11 février 2018

Un dimanche gourmand

L'hiver a ses désagréments mais il a aussi ses délices. Cuisiner en est un, associé dans l'esprit de beaucoup d'entre nous aux petits bonheurs de l'enfance. Le rite du repas dominical par exemple, les bonnes odeurs qui s'échappent de la cuisine, les bruits familiers de la table qu'on dresse, le feu qui crépite dans la grande cheminée... Quand on a grandi dans cette ambiance paisible et joyeuse, les dimanches d'hiver, même lorsque le temps reste morose, le ciel gris et bas, sont autant de haltes précieuses dans la coulée des jours. Préparer le repas du dimanche devient comme un hommage à ceux qui m'ont appris ces joies simples et la passion des bonheurs tranquilles loin de la fureur du monde. 
 
C'est avec ces pensées que j'ai passé une partie de la matinée à préparer un plat traditionnel dans mon enfance et qui le reste encore aujourd'hui dans bien des familles : le poulet en cocotte, appelé à Venise, il pollo in tecia. Laura Zavan dans son excellent opus paru il y a quelques années (1) en donne la version de sa famille. La nôtre est un peu diverse, mais je rejoins la présentation qu'elle en fait :  
«C'est une recette populaire très répandue en Vénétie ! Les animaux de basse-cour ont toujours été présents sur les terres de la lagune. le poulet était le plat du dimanche de nos arrières-grands-parents, et aussi de mon enfance. Ce poulet ruspante (de ferme) est servi avec des pommes de terre ou de la polenta pour saucer tout le jus !» 


Dans ma jeunesse, lorsque j'habitais un piano terra dans la calle del Aseo, à Cannaregio, il y avait dans une rue voisine une rôtisserie ouverte le dimanche. Les jours précédents on voyait devant la boutique des cages en bois remplies de volatiles gloussant leur angoisse d'être sur le pavé de la ville, ce qui ne devait ne présager rien de bon à leur cerveau affolé. L'odeur des bêtes en train de rôtir doucement dans d'immenses rôtissoires se répandait dans tout le quartier, se mêlant aux odeurs de pain du boulanger voisin et celle du torréfacteur. Vivant seul, loin de ma famille et rarement invité ce jour-là, j'allais régulièrement acheter un demi-poulet avec des pommes de terre frites dans la graisse des volailles ou de la polenta grillée. Cela ne coûtait presque rien et faisait mes délices hebdomadaires.

Vous ai-je mis l'eau à la bouche ? En écrivant ces lignes, la même odeur que dans mes souvenirs d'enfance, flotte dans la maison. Le soleil tente de percer sous l'épaisse grisaille du ciel. Belle lumière de février qui ressemble à celle de Venise. Le chat respire profondément ce parfum plein de promesses et mon écriture se fluidifie devant la perspective, dans quelques heures, du festin qui nous attend. D'autant que j'héberge en ce moment une étudiant chinoise qui découvre les goûts et les usages de la cuisine européenne. aujourd'hui, pas de sauce à l'huître, pas de tamari ni de champignons parfumés, un poulet à la mode della nonna et ses pommes de terres rissolées au jus ou un plat de polenta en crème et une salade du jardin, épinards et roquette. Pour dessert, une tarte aux pommes ou des pomi al forno (pommes du jardin) pour profiter du four qui sera chaud comme il faut pour les bien cuire. 

Pollo in Tecia. 
Prévoir pour un beau poulet fermier que vous aurez fait couper en morceaux, de la pancetta, du bouillon de légumes et d'herbes maison (ou un bouillon cube bio Bauer, production italienne sans aucun additif allergogène), du vin blanc, 1 ou 2 branches de céleri (selon la taille), 2 belles gousses d'ail, 2 gros oignons blans, du persil, du romarin, des feuille de sauge et de laurier, de l'huile d'olive et un beau morceau de beurre, du sel et du poivre.

Éplucher un bon kilo de pommes de terre, les laver et les essuyer. Les couper en gros dés. Les faire cuire à la danoise : dans une casserole mettre les morceaux de pommes de terre, recouvrir d'eau (l'eau doit juste les couvrir), saler modérément et ajouter du romarin frais. 

Quand elles sont presque cuites, jeter l'eau et remettre sur le feu en secouant la casserole pour évacuer l'eau des pommes de terre.  Verser ail, persil et oignon finement hachés dans une poêle large et à fond épais avec de l'huile préalablement chauffée. Faire revenir (environ 3 à 4 minutes) en évitant que l'oignon et l'ail ne caramélisent. Ajouter les pommes de terre. Laisser cuire jusqu'à les dorer, en remuant souvent. Saler et poivrer.

Dans une grande cocotte (en fonte si possible) faire dorer les morceaux de poulet dans l'huile chaude. quand ils sont prêts, les réserver au chaud. Verser à leur place l'oignon finement haché en rajoutant de l'huile si nécessaire, puis quand ils sont presque transparents, ajouter le céleri coupé en petits morceaux, l'ail et les herbes fraîches. Quand l'appareil prend bien, ajouter les morceaux de poulet. Saler et poivrer. 

Après avoir bien remué, mouiller avec un verre de vin blanc (j'utilise un Soave ou un Pinot Grigio de qualité, provenant de l'agriculture biologique, sans antibiotiques ni autres poisons, que je sers en apéritif). Remuer et laisser évaporer quelques minutes. Verser ensuite le bouillon préalablement chauffé. la quantité dépend de la taille de la volaille et de la cocotte. Laisser mijoter à feu doux 30 à 4 minutes. Laura Zavan conseille d'enlever les blancs au bout de 20 minutes. Quand l'odeur se fait extrêmement appétissante, il est temps de retirer les morceaux du feu. 

Les réserver au chaud le temps de cuire les pommes de terre. Faire réduire le jus en ajoutant un beau morceau de beurre frais. Dresser les morceaux de poulet sur les pommes de terre, napper avec tout le jus de façon à imbiber les pommes de terre et couvrir les morceaux qui seront bien brillants en arrivant sur la table.

Bisiol, un des derniers marchands de volailles de Venise. © Catherine Hédouin. 2018. Tous Droits Réservés.

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(1) : Laura Zavan, Venise, les recettes culte. Photographies de Grégoire Kalt. Éditions Marabout, Hachette Livre, 2013.


 

21 juillet 2017

Et si nous reparlions d'Antonella Pugliese



Les lecteurs qui suivent TraMeZziniMag depuis sa création auront noté notre goût pour les lieux authentiques et les personnalités qui les animent. En 2013, je faisais découvrir un restaurant qui était devenu en quelques mois le lieu le plus in gamba de la cité des doges. Sa modernité, le parti-pris esthétique qui avait présidé à sa transformation, la richesse de la carte et l'accueil des plus agréables, en faisait une adresse remarquable en dépit d'une addition moyenne assez élevée. L'Avogaria n'est plus ou du moins est devenu une locanda, un petit Bed & Breakfast de 5 chambres fort agréable au demeurant et qui a sa clientèle. Mis en valeur par l'architecte Francesco Pugliese - le frère du chef Antonella Pugliese - déjà à l'origine du restaurant, c'est un bel endroit. Mais on n'y sert plus de repas. 

Pour retrouver la cuisine inventive et joyeuse d'Antonella Pugliese, il faut se rendre aux fins fonds de Dorsoduro, calle del Vento exactement. C'est d'ailleurs le nom de cette osteria où la jeune femme propose depuis quelques mois, une cuisine largement inspirée des recettes traditionnelles des Pouilles, sa région d'origine matinée d'esprit vénitien. le cadre est plus rustique comme il sied à une osteria, même en ce siècle. On retrouve un je ne sais quoi de l'Avogaria, en plus simple. Moins sophistiquées, les saveurs dans l'assiette n'en demeurent pas moins toujours aussi merveilleuses. Un choix de plats plus réduit que du temps de l'Avogaria mais toujours aussi goûteux. Des prix plus légers aussi et un service agréable sans aucune pesanteur. Les vénitiens ne s'y trompent pas qui fréquentent nombreux ce bel endroit. TraMeZziniMag vous invite à en faire autant.

Osteria Ca' Del Vento 
di Antonella Pugliese 
Dorsoduro 1518, Fondamenta de S. Basegio 
Tél. : 041 850 19 09 
Ouvert tous les jours 
(sauf le mardi) 
de 12h à 15h 
et le soir de 19h à 23h