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19 août 2019

Ciao Ragazzi

Il y a parfois des pensers inattendus qui nous ramènent loin en arrière et, l'âge venant, on se complairait vite à trouver que tout était mieux alors ; plus fort, plus vrai, plus beau. Travers que les jeunes gens dénoncent quand nos émotions font de ces tout et de ces rien qui remontent de plus en plus souvent chez ceux qui vieillissent et ne se sentent plus dans l'action, dans le feu de l'action, dans le feu tout court. 

Ciao Ragazzi est une chanson poignante qui nous prit à la gorge dans nos années lycéennes. C'était dix ans après le drame du barrage de Vajont. Personne ne parlait alors d'écologie, mais notre professeur d'histoire avait décidé de nous présenter les limites que le progrès et la technique représentaient, en nous décrivant quelques unes de ces catastrophes évitables que l'appât du gain et le mépris de certaines élites laissent parfois se produire. 

L'idée de tous ces innocents morts ensevelis par la boue dans leurs maisons pulvérisées par la force de la vague qui déferla sur la petite vallée tranquille (qu'un ordre de dernière minute mais entrepris trop tard venait d'ordonner d'évacuer) m'avait bouleversé, comme la plupart de mes camarades... Vajont, c'était dix ans plus tôt. Le professeur termina son cours en nous faisant écouter cette chanson, écrite par Adriano Celentano pour saluer les jeunes rescapés de cette terrible catastrophe

C'était près de Belluno, non loin de Venise où le glissement de terrain dans la vallée où un barrage périclitait, avec des parois poreuses et qui bougeaient depuis longtemps. Le 9 octobre 1963, plus d'un millier de personnes périrent en quelques minutes, submergées par une masse de terre, de roches, d'eau et de boue qui pulvérisa tout sur son passage... Il y avait beaucoup d'enfants et de jeunes gens parmi les victimes. parmi la population dont de nombreux enfants. Je me souviens de l'effet que les paroles du chanteur firent en moi, et du silence qui suivit l'audition. Je revois le geste du professeur, ému lui aussi, qui appuya sur le bouton du magnétophone à cassettes qu'il avait utilisé.



Ciao ragazzi ciao
Perché non ridete più
ora sono qui con voi.
Ciao ragazzi ciao
voglio dirvi che
che vorrei per me
grandi braccia perché
finalmente potrei
abbracciare tutti voi.

Ciao ragazzi ciao
voi sapete che che nel mondo c'è
c'è chi prega per noi
non piangete perché
c'è chi veglia su di noi.

E dico ciao
amici miei
e voi con me
direte ciao
amici miei
direte ciao

07 août 2019

Les vénitiens, les chats et la tendresse d'un regard : Nicolas Cytrynowicz, photographe.

Les hasards des promenades sur internet à la recherche de nouveautés, de sons, d'images qui pourraient varier un peu l'ordinaire des jours, offrir aux lecteurs de Tramezzinimag un autre regard, des idées différentes, matière à réflexion, soutien à nos états d'âme, rire ou nostalgie... La très belle voix de la splendide Lizz Wright, pleine de poésie, accompagnait mes pérégrinations hier soir à la recherche de photographies que je ne trouvais pas. Puis soudain, une trouvaille. Un site qui n'est plus alimenté depuis quelques années, avec en légende de l'image - nostalgique -  de Venise (la rambarde en fer forgé d'un pont de Venise) sur laquelle je suis tombé, cette phrase de François Mauriac que m'avait envoyé Antoine il y a fort longtemps :
"On ne quitte pas Venise, Monsieur, on s'en arrache. 
Un séjour à Venise c'est une étreinte."
Évidemment, si ça commence ainsi, il y a de fortes chances que l'auteur du site, un certain Nicolas Cytrynowicz, soit une belle personne. En phase avec l'esprit Tramezzinimag. Au fil des pages de son blog, j'ai glané quelques bijoux. Des clichés très simples, tous imprégnés d'un respect et d'une grande poésie. En voici quelques exemples (à visionner en écoutant la merveilleuse chanson de Miss Wright, «Reaching for the moon» ci-dessous). Des deux, vous me direz des nouvelles.

 

 
Vous connaissez ma fibre investigatrice. Bien que n'étant aucunement de la trempe du flamboyant Flavio Foscarini (ceux qui auront suivi mes avis et auront lu la Vestale de Venise me comprendront - et les autres qu'attendez vous pour courir le faire ?), j'ai voulu en savoir plus sur l'homme qui a ce regard aussi doux sur les gens, sur Venise. J'ai découvert des pages très belles sur les chats, des photographies de voyage à travers le monde. Je puis vous dire que le photographe vit dans l'est de la France, qu'il travaille ou a travaillé pour aider les autres à se mieux porter mentalement par de l'accompagnement personnel (comme les journalistes, voilà que je flotte dans l'à-peu-près. 


Trois photographies m'ont particulièrement ému et serviront de conclusion à l'hommage que je souhaitais adresser à ce monsieur, l'une représente un jeune garçon et un chat, quelque part en Chine, en 2010, je crois. Il s'agit de Thomas, le fils du photographe. Devenu un talentueux photographe bien engagé dans cet art aujourd'hui (voir ICI), l'autre une jeune fille au regard très beau et la dernière, Nicolas Cytrynowicz lui-même, sur la dernière page de son blog, avec pour seule légende "Au-revoir".
   
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
©Nicolas Cytrynowicz
Mes remerciements à Nicolas Cytrynowicz pour la publication de ses photographies et à son fils Thomas.




23 décembre 2018

La disparition d'une grande dame du livre : Adieu Vilma Bertoni

Vilma Bertoni, propriétaire avec son mari Ezio Tarantol, de la fameuse Tarantola, la librairie du campo San Luca qui fut, pendant huit décennies, un lieu-phare de la vie intellectuelle vénitienne. La dame avait 90 ans. elle s'en est allée paisiblement, dans sa maison de San Zaccaria, entourée par ses deux enfants, Maria Rosa et Bruno, qui géra la librairie avec sa mère  après la mort du père. 

La pétulante signora Bertoni fut pendant de nombreuses années un personnage incontournable du livre de la Cité des Doges. Rentrer dans la Tarantola était un vrai bonheur. Je n'en suis jamais sorti sans un ou deux livres, souvent découvert grâce à la libraire.Nous y allions en bande et c'était toujours un moment formidable. uste en face, de l'aure côté du campo, Le café était tenu par Rosa Salva. le campo était l'un des lieux où nous nous retrouvions le soir, pour la passeggiatta. La Cassa di Risparmio était ma banque. J'ai toujours conservé le livret bleu avec le lion de Saint-Marc en relief. De l'autre côté, habitait l'architecte Michel Regnault de Lamothe. C'est lui qui m'amena pour la première fois à la Tarantola. Il venait récupérer un livre qu'il avait commandé. En l'attendant, je parcourais les rayonnages et découvrit ce jour-là la poésie de Mario Stefani que je devais rencontre chez Graziussi quelques années plus tard. Tout un univers cette libraire, et autour d'elle, ce campo. Après la fermeture de la librairie, la fille de la signora Bertoni ouvrit une boutique d'artisanat de qualité qui ne démarra jamais. Il y eut ensuite une boutique de verrerie faite en Chine, une sorte de bazar, quincaillerie discount qui ne fonctionna pas davantage et baissa rideau au bout de quatre mois... Quelques mois plus tard, en plein mois d'août, la librairie revint, spécialisée désormais dans les ouvrages sur Venise. Là non plus ça n'a pas fonctionné et pour la énième fois, le local a fermé...

18 décembre 2017

Isabelle Khana déploie ses ailes pour Venise (Suite et fin)

Pluie de messages et de commentaires sur la première partie de ce billet consacré aux malheurs de Venise et à cette jeune femme passionnée qui cherche de toute son énergie comment aider les vénitiens au mieux et tenter ainsi, comme la plupart d'entre nous, de renverser la vapeur. Écrites sur une table d'un café de Milan, entre deux trains, il est vrai que ces lignes respirent un certain pessimisme. Trop vite mis en ligne avant de monter dans le train qui allait me ramener en France où je n'avais vraiment pas envie de retourner, le texte aurait mérité d'être revu et adouci. Mea culpa donc, chers lecteurs.

Il s'agissait d'introduire l'entretien informel que j'ai eu avec cette sympathique et charmante parisienne dont tout le monde parle. Isabelle Khana, dont le combat pour Venise a attiré l'attention des médias italiens et par ricochet des réseaux sociaux. Introduit par un ami, la dame qui était encore quelques jours à Venise avait un peu de temps pour que nous puissions faire connaissance. Rendez-vous fut pris sur le campo Santo Stefano pour un café. Elle m'avait fait comprendre que ce serait entre deux rendez-vous. Cela tombait bien, j'avais aussi d'autres engagements dans l'après-midi.
Le soleil brillait sur la ville. Nous nous sommes retrouvés aux pied du Cagalibri, sur le campo envahi par les jolies petites échoppes en bois fraîchement peintes en blanc du marché de Noël qui s'apprêtait. Une rencontre sans protocole ni chichis, entre passionnés de Venise, qui ne devait durer que le temps d'un café mais mais qui s'est poursuivie tout l'après-midi, caminando par les rues de la ville. Petit passage sur la Piazza où les étudiants recevaient leur diplôme en grand pompe puis vers Castello où la fondatrice de l'association Les Ailes de Venise avait rendez-vous avec le ferramento dont j'oublie toujours le nom, qui fournit en produits de nettoyage et peintures une autre association, vénitienne celle-là, Masegni e Nizioletti fondée par Alberto Alberti et Fabio Zambon.


Impossible de ne pas être sous le charme d'Isabelle. Son enthousiasme et sa détermination d'abord. Derrière un sourire plein de bienveillance et d'empathie, se cache un caractère trempé. L'action entreprise avec son association est évidente pour elle. Son amour pour Venise en est la source. Comme beaucoup d'entre nous, elle est tombée dans ce merveilleux puits sans fond qui nous rend complètement inconditionnel de la Sérénissime sans qu'on s'y soit attendu. Elle y a plongé avec joie et bonheur. Non, cela n'était pas dû à un quelconque retour de bâton, genre divorce ou rupture, pas d'échec professionnel (Isabelle Khana travaille pour une compagnie d'assurances). Aucun pathos ; ni fuite, ni échappatoire ; son combat pour Venise lui vient du cœur. Simplement. Mari et enfants la soutiennent tout en gardant une certaine distance pour cet engouement qui pourrait sembler démesuré à d'autres. Elle me confie que ses enfants sont amusés et fiers de voir leur maman dans la presse (article dans le Corriere della Sera, dans le Gazzettino...). Ils apprennent l'italien. Il n'y a pas de hasard.
Le combat est légitime, les moyens mis en œuvre conséquents : une association au joli nom, une pétition, et plein de projets comme autant de work in progress qu'il ne revient pas à TraMeZziniMag de dévoiler. Bref, cette jeune femme, rayonnante et solaire, a des ressources, elle déborde d'idées. Et puis, derrière sa réflexion, les stratégies qu'elle élabore, les objectifs qu'elle poursuit, il y a une belle âme. La regarder parler de sa famille, après avoir parlé de son amour pour Venise, puis de revenir à ce dernier, ne laisse pas de place au doute. Isabelle Khana est sincère et amoureuse. De la beauté, de l'art, de Venise mais pas comme une esthète, un pur esprit. Mère de famille, femme de son temps, elle sait bien que la beauté d'une ville, ses trésors et son histoire ne suffisent pas pour qu'elle passe l'épreuve du temps. Il lui faut la vie au quotidien, l'intendance et l'organisation d'une vie semblable à ce qui fait vivre tous les centres urbains du monde. Or, Isabelle l'a vite perçu, l'intendance ne suit pas vraiment à Venise. 

Manifestation à la Visconti l'autre jour à la Fenice pour protester contre la confiscation de l'immobilier du centre historique au profit d'hôtels et au détriment de l'habitat.


D'instinct, elle sait qu'il ne sert à rien de vouloir s'imposer. Les gros sabots ne remplaceront jamais les bottes et les cuissardes vénitiennes, même avec la meilleur volonté du monde. En se rapprochant des associations existantes à Venise qui défendent la survie de la ville, cherchent à freiner l'exode de ses habitants ( à peine un peu plus de 53.000 habitants aujourd'hui quand nous étions près de 90.000 il y a trente ans - et près de 200.000 avant la chute de la République !) à défaut d'assurer son repeuplement, Isabelle s'est faite le porte-drapeau de tous ceux qui partagent le combat des vénitiens : contre le moto ondoso, les Maxi Navi, la confiscation des espaces et bâtiments publics privatisés pour devenir d'énièmes hôtels de luxe, la disparition des commerces de proximité et le vandalisme (les tags et autres graffitis souillent la ville). Comment ne pas souscrire à son discours. On m'avait brossé le portrait d'une sorte d'aventurière là où je vois une passionaria (sans le côté désespéré et excessif qu'on associe trop souvent à ce terme). Rien de politique, aucun narcissisme exacerbé, aucune course à la médiatisation, bien au contraire. La dame s'en serait passée mais elle a vite compris combien cela pouvait devenir un atout et donner à ses projets une plus grande lisibilité. Si elle connait ses capacités, elle sait aussi ses limites. Elle ne cache ni ses faiblesses ni ses doutes : Isabelle Khana est modeste. En plus de ça, elle aime la poésie et elle se risque à me dire qu'elle écrit un peu. Pas assez à son gré et, toujours selon elle, rien qui ne mérite qu'on s'y attarde. Là, je ne l'ai pas crue.

Les membres de l'association Masegni e Nizioletti au travail du côté de San Bartoloméo en novembre dernier. ©
J'étais tellement pris par notre échange que je l'emmenai par un grand détour du côté de Rosa Salva à San Giovanni e Paolo au lieu de la conduire directement du côté de la Salizzada della Gatte où elle devait se rendre... Nous nous sommes quittés là, après un dernier sourire et un chaleureux au-revoir devant la devanture du marchand de couleurs, bien décidés à reparler de nos combats pour la Sérénissime.
Une amie italienne que je n'avais pas croisé depuis longtemps sortait d'une boutique voisine. Quand je lui expliquai ce que je faisais par là et avec qui, cette commère me lança : "Mon pauvre ami, tout cela sent le calcul et l'ambition. Pourquoi fait-elle tout cela sinon ?" Ah ! les bonnes langues bourgeoises... "Si cela lui donne des ailes et que ces ailes aident Venise à reprendre son envol, alors tant mieux !" ai-je répondu sans réfléchir, l''esprit rempli encore de tout ce dont nous avions échangé en chemin, Isabelle Khana et moi. J'avais loupé un rendez-vous, passé l'après-midi à arpenter les rues de Venise et la nuit allait tomber. Pourtant, je me sentais ravi. De cet échange imprévu.  Ravi aussi d'avoir cloué le bec à cette vénitienne presque jamais à Venise, qui n'a encore jamais relevé les manches de son manteau de vison pour aller effacer les graffitis qui enlaidissent les murs de la cité des doges! Le bref échange avec ma vieille amie revêche eut pour décor la calle où se trouve le Laboratorio autogestito Morion. Tout un symbole.

Comme les ailes des gabbiani qui ont inspiré le nom de son association... 




16 décembre 2017

Tanto sono sublimi e maestosi che nulla più...

On inaugurait hier une bien belle exposition du côté des Zattere. L'Accademia di Belle Arti lançait les célébrations du bicentenaire de la mort de Giacomo Quarenghi, l'architecte vénitien à l'origine de la splendeur de Saint Petersbourg, "La Didattica all'Accademia di Belle Arti di Venezia ai tempi di Giacomo Quarenghi". C'est au Magazzino del Sale n.3, du 15 décembre 2017 au 28 février 2018.

La classe d'architecture de l'Accademia di Belle Arti née en même temps que l'établissement, une des rares décisions sensées de Buonaparte quand il s'empara de Venise, aura dès sa création et jusqu'aux vingt premières années du XIXe siècle, une réputation internationale, car influencée - impulsée en jargon d'aujourd'hui - par les travaux de l'architecte bergamasque, un des piliers du mouvement palladien qui  devint l'architecte favori de la grande Catherine II à seulement trente ans et, par ses réalisations, il fit du style palladien l'architecture noble par excellence en Russie. Paul Ier le nomma architecte de la cour, et Alexandre fit lui aussi appel à son talent.

Quarenghi revint en Italie couvert de lauriers et d'honneurs. Il passa le reste de sa vie à diffuser les canons d'une architecture pleine de majesté et de grâce, imposante et sobre à la fois que l'on n'a jamais cessé d'admirer depuis. C'est à son talent que le monde doit la beauté de la ville des tsars miraculeusement échappée à la griffe iconoclaste des bolchéviques, avec Bordeaux et Versailles, le plus bel ensemble d'architecture classique du XVIIIe siècle au monde encore existant.



08 décembre 2017

Isabelle Khana déploie ses ailes pour Venise (1)


Il y a toujours beaucoup de bonheur à faire de nouvelles rencontres, surtout lorsqu'elles sont fortuites. Venise qui est un village offre souvent ce genre d'opportunités. On y croise des gens que le hasard nous permet de connaître alors qu'ailleurs dans le monde, nous n'aurions jamais connus...  

Il en fut ainsi très souvent pendant les années vénitiennes. Arrivé sans aucune recommandation, sans lien autre que ceux du sang et du cœur, livré pour la première fois à moi-même, je n'avais aucune attente particulière, pas d'ambition. Je ne fuyais rien. J'étais venu là où une voix intérieure m'avait suggéré d'aller.  A Venise, la ville des miens. Entre les mains de la Providence... J'ai déjà raconté dans ces colonnes et ailleurs ces belles rencontres dont certaines ont vraiment permis à ma vie de prendre un tour dont je n'avais même pas rêvé. Je ne suis plus le jeune homme timide et hésitant qui avançait pas à pas dans un épais brouillard. Ma vie est faite et pour l'essentiel j'ai laissé avec soulagement beaucoup de choses derrière moi. Rien à prouver, rien à régler, la disponibilité d'une page blanche. Rien n'a changé donc vraiment changé - la page demeure souvent trop longtemps blanche et la venue des mots laborieuse - et c'est peut-être cela qui facilite les rencontres qu'il m'est donné de vivre.

Il en a été ainsi avec Isabelle Khana. Quelques jours avant de l'appeler, j'avais eu le bonheur de croiser enfin deux de mes fidèles lecteurs, blogueurs eux aussi - et pas n'importe lesquels, puis qu'il s'agit des très sympathiques inventeurs du blog Hic sum, hic maneo plus connu des lecteurs de TraMeZziniMag comme le blog de kate et René. Les doutes et les interrogations qui sont mon lot depuis l'interview pour la RTS il y a deux ans, faisaient fondre sur moi des torrents de nostalgie qui paralysaient toute décision, toute action. Les questions innocentes de mon ami journaliste - il me faisait l'honneur de faire de mon expérience vénitienne le sujet de son reportage pour une grande radio francophone - m'ont vraiment interpelé. Je prenais chacune d'elles comme autant de flèches qui toutes m'atteignaient au cœur. Qu'avais-je fait de tout ce vécu ? Que restait-il finalement de ce lien fusionnel avec ma ville, qu'en avais-je fait qui puisse contribuer à sa défense ? Depuis le reportage, secoué par les nombreuses marques d'affection d'auditeurs et de lecteurs, j'ai appréhendé mes séjours sur tout un autre mode. 

Mon italianité portée depuis longtemps comme un oriflamme s'avérait avant tout aux couleurs de la Sérénissime et ceux de mon sang qui marchèrent avec Garibaldi le firent avec l'espoir que Venise redevienne la république libre et puissante qu'elle fut pendant plus de mille ans, au sein d'une Italie unie et fédérale. Avec mes mots et mon cœur, à mon niveau, avec mes modestes possibilités, je devais continuer de dire mon amour pour Venise, clamer cette passion et faire connaître les maux qui, aujourd'hui plus que jamais, risquent de la faire disparaître. J'avais longtemps évité les français de Venise. A quelques exceptions près, j'évitais ces happy few qui font que ma Venise, la cité des miens depuis toujours, semble de plus en plus souvent une ville française. Entendre parler ma langue maternelle partout dans les rues me hérissait au point que même avec mes propres enfants ou des amis en visite, dès que nous étions au milieu de vénitiens, je prenais l'accent pour qu'on ne me croit pas français. Prenant à Venise sans rien lui donner, je me sentais imposteur et voleur. Et repartir vers la France me rendait malheureux et triste mais soulagé. Je fuyais.

Aujourd'hui tout cela s'est apaisé. J'ai vieilli et je n'ai plus rien à prouver ; Rien en moi à défendre des autres dont l'opinion m'importe peu. Et je sais que, Dieu voulant, avec mes mots, je puis être un relais, un media et contribuer ainsi à alerter le monde de la situation de Venise, à faire bouger les choses...
D'aucuns préfèreraient que je me range à leur choix de dissuader toutes les velléités de voyage à Venise. "Non, non, ne venez pas à Venise, c'est devenu E.P.O.U.V.A.N.T.A.B.L.E ! N'y-allez surtout pas ! Passez votre chemin, malheureux !"... Nous le faisons tous déjà plus ou moins inconsciemment, en répandant ce que nous pouvons constater de négatif et de regrettable qui caractérise la ville aujourd'hui quand on l'a connu avec près de 100.000 habitants et un tourisme plus respectueux, soutenable. Mais de quel droit priverait-on le reste de l'humanité de la possibilité de venir sur la lagune et de prendre la mesure de ce fantastique univers qui s'offre aux visiteurs ? Partout ailleurs les mêmes interrogations divisent. Le label Unesco utilisé comme un support marketing par des villes du monde entier  en quête de nouvelles ressources, les incroyables facilités qui permettent de voyager désormais à moindre coût et de plus en plus vite, ouvrent à tous la possibilité de visiter le monde. Mais dans le forfait voyage personne n'a pensé inclure un mode d'emploi, un guide des usages et convenances. On continue d'envahir les lieux comme des conquérants et ce sont les vénitiens, qui finalement en font les frais, réduits à quelques 53.000 irréductibles, mais jusqu'à quand ?
à suivre.

16 octobre 2017

Quand Goethe revint à Venise (2)

" En outre je dois avouer en toute confidence 
que mon amour pour l'Italie 
a subi par ce voyage un coup mortel. "

Printemps 1790. Quatre ans après son premier séjour à Venise, Goethe va revenir chez les castors. Presque contre son gré. Les temps ont changé. l'esprit du poète aussi. Revenu par obligation, sa vision n'est plus la même et ce qu'il en dira complètement opposé à l'image qu'il en donna après son premier voyage. Qu'est ce qui a ainsi pu transformer le thuriféraire abasourdi, Émerveillé en 1786 par tout ce qu'il découvrait de la ville des castors, pourquoi est-il devenu à ce point critique, distant et presque méprisant ?

Le Voyage en Italie qui fut largement remanié - et qui ne parut qu'en 1816 - ne donne aucun élément qui pourrait expliquer ce revirement. S'il s'agit bien pourtant d'un journal, il ne reprend pas tout ce que contenaient les carnets du poète qu'il tenait presque au jour le jour. La célébrité de Goethe l'obligeait à continuer de façonner son image de grand écrivain ou plus simplement de répondre aux attentes de son public. Nos auteurs contemporains n'ont rien inventé.
Certes la situation politique a changé. L'Europe est en effervescence, un monde nouveau tente de s'imposer, pas encore dans la rage, les cris et les larmes ; la vie même de Goethe n'est plus la même. Mandé sans pouvoir refuser à la rencontre de la Princesse Amélie duchesse douairière de Saxe Weimar, la mère de Charles-Auguste (grand ami de Goethe), qui revenait de Rome. il ne pensait qu'à son idylle avec Christiane Vulpius, qu'il épousera quelques années plus tard et à l'enfant qui venait de naître quelques mois auparavant. Comme la duchesse tardait - elle n'arrivera finalement que début mai, le poète qui s'ennuyait, reportait de jour en jour sa mauvaise humeur sur tout ce qu'il voyait. Il occupa ses loisir à écrire au jour le jour et sans ordre précis des petites pièces qui formeront les Épigrammes vénitiennes . Il est possible qu'un peu de mauvaise humeur se soit mêlée aux ennuis de l'attente : on s'expliquerait ainsi le ton acerbe de certaines épigrammes, traits satiriques et presque méchants dirigés contre toutes les classes de la société, en particulier le clergé et la noblesse, le peuple n'étant pas non plus épargné. Il s'y moque du caractère italien, de l'art d'exploiter l'étranger ou de la malpropreté des rues. Tout ce qui l'émerveillait en 1786 était en 1790 revu avec un œil critique et négatif.


On est donc loin du premier séjour longuement préparé. Goethe appréhendait alors la Sérénissime avec la joie d'un enfant, rempli des souvenirs construits par son imagination. Il marchait sur les pas de son père et se réjouissait de tout ce qu'il voyait comme un enfant sait le faire. Tout ce qu'il nota alors était imbibé de cet esprit d'enfance qui traduit tout en joies et en bonheurs. Quatre ans plus tard, l'esprit de Goethe n'est plus à la jubilation. Il aimerait mieux être chez lui et il est père à son tour. L'état d'esprit qui est le sien lors de ce second séjour, forcé et qui se prolonge bien plus qu'il ne l'avait souhaité, n'a plus rien à voir et sa rage se traduira dans ses écrits puisqu'il reverra sa copie écrite en 1786 en supprimant de ses notes mille détails heureux pour les remplacer par des détails et des faits à charge contre les vénitiens.

Lors de ce premier voyage, Goethe logeait à l'hôtel "à la Reine d'Angleterre, non loin de la place Saint-Marc" (1). Là, il choisit une locanda, une maison d'hôtes ou pension, l'équivalent des Bed & Breakfast d'aujourd'hui. Appartenant certainement à une famille patricienne qui trouvait ainsi une source intéressante de revenus, elle était gérée par un certain Marco dal Ré selon les registres de l'administration. La Locanda della Tromba  certes située sur le canalazzo n'avait cependant rien à voir avec les établissements fréquentés à cette époque-là par les grands voyageurs fortunés ou qui avaient un rang à tenir. Les plus célèbres ont souvent été cités : le Scudo di Francia, le Gran Bretagna, le Leon Bianco. On peut penser que contraint de par ses fonctions à la cour et par égard pour son ami Charles-Auguste, il devait assumer la plupart des frais de son séjour et cherchait ainsi à réduire ses dépenses.

Mais il ne faut pas croire que les pensions vénitiennes étaient sans confort. Il existait bien dans des quartiers reculés, des établissements moins recommandables mais, comme dans tous les autres domaines, l'administration de la République veillait et la règlementation était sévère. Du moins dans les textes. Il était très facile d'ouvrir une auberge ou une pension. Après avoir rempli un formulaire pour déposer le nom de l'établissement et payé les droits d'enregistrement, il suffisait d'attendre l'autorisation du Maggior Consiglio. Les clients devaient obligatoirement être enregistrés à leur arrivée, et on devait leur remettre un justificatif de résidence ("foglietto di residenza") qu'ils devaient toujours avoir sur eux en cas de contrôle de la police, faute de quoi ils pouvaient non seulement être interpelés mais aussi refoulés aux frontières de l’État. Depuis le XIVe siècle, Venise, véritable centre névralgique de l'Europe, s'était organisée pour accueillir  le plus agréablement possible des visiteurs du monde entier. En 1355, l'organisation des aubergistes, qu'on appelait cameranti, fut créée sur le même modèle que les autres scuole professionnelles sans être pour autant une scuola à part entière (la corporation n'eut jamais de symbole ou d'enseigne spécifique). Ses membres se réunissaient tous les lundis dans l'église San Matteo du Rialto, sur le campo dei Sansoni, disparue dans la tourmente de l'occupation napoléonienne en 1805 puis démolie par les autrichiens en 1815).  On disait à l'époque que les aubergistes et autres tenanciers de gîtes meublés fournissaient de très bons espions au service de l'inquisition d'état. A ma connaissance, cette confrérie n'avait pas d'enseigne particulière.

La Locanda della Tromba avec sa plaque commémorative
Goethe et son valet de pied sont donc installés à la locanda della Tromba. D'après les lettres et les notes qui sont parvenues jusqu'à nous, la chambre du poète donne sur le grand canal. Une exposition récente à l'Institut allemand, montrait la vue qu'il devait avoir depuis ses fenêtres. Son lieu de résidence à Venise était à l'origine l'objet principal de ces lignes mais de digressions en digressions, le lecteur se sera peut-être senti un tantinet égaré. N'est-ce pas normal à Venise après tout, merveilleux dédale dans lequel on se perd délicieusement. (2) 

(à suivre)

_________________________

1  -  Goethe, Voyage en Italie, Edition Slatkine, 1990, p.63
2 - Au passage laissez-moi rappeler avec cruauté que ceux qui dans le labyrinthe des venelles tortueuses et des campi déserts ressentent angoisse et terreur ne doivent pas s'entêter et feraient mieux de quitter la Sérénissime au plus vite, Venise n'est pas faite pour eux - j'espère au passage que la municipalité me sera gré des efforts fournis par TraMeZziniMag pour contribuer à la réduction du trop-plein de touristes au quotidien...

17 juin 2017

Adieu à l'un des vénitiens les plus vénitiens des cinquante dernières années : Alfredo Borsato

 
© Michele Scibilla - 17/06/2017

Triste temps sur Venise ce vendredi. Non pas tant que le ciel fut maussade et le soleil frileux, il faisait très beau. Mais il pleuvait dans le cœur de nombreux vénitiens : La disparition subite de l'un des leurs, emporté à l'improviste par un infarctus, laisse un vide et beaucoup de tristesse.

Le disparu se nome Alfredo Borsato. Il est mort chez lui, dans le salon de sa maison de Santa Maria Nova, alors que se déroulait sous ses yeux d'amateur passionné, le match de la Reyer, son équipe favorite, qui s'acheminait vers la victoire contre les joueurs de Trento. Il avait 86 ans. Il était bien connu à Venise pour tout ce qu'il y avait entrepris depuis de nombreuses années. la création de la remiera Settemari, l'invention du prix Il Veneziano dell Anno... Ses obsèques qui devaient avoir lieu aujourd'hui dans la merveilleuse église des Miracoli, bijou Renaissance qu'il pouvait voir des fenêtres de son domicile  sur le rio éponyme, se sont déroulées finalement dans la basilique San Zanipolo, au vu de la multitude des personnes pressenties pour accompagner le défunt. Des obsèques de doge.

Pour les lecteurs de TraMeZziniMag qui ne le connaitraient pas, Alfredo Borsato est donc l'inventeur du prix "Veneziano dell'anno", remis pour la première fois en 1978, sous l'administration de Mario Rigo, le maire de l'époque et qui en fut lauréat en 1980). Parmi les derniers lauréats en date, la très sympathique Beatrice (dite Bebe) Vio, championne paralympique d'escrime à Rio de Janeiro en 2016 et le musicien Pino Donaggio, natif de Cannaregio à qui l'on doit quelques unes des plus belles mélodies et musiques de film de ces derniers vingt ans. Comme s'accordent à le rappeler tous ceux qui l'ont connu, c'était un "super vénitien", un "vénitien unique", "speciale" disent aussi les gens quand ils veulent parler de quelqu'un de grande valeur. Bref, un grand monsieur. Mario Rigo le précise quand il s'exclame : "Le vrai vénitien, pas seulement de l'année mais des 50 dernières années, c'est lui Alfredo !."


C'était un homme jovial, doté d'un caractère bien trempé et pas toujours facile. Un amoureux de la Sérénissime, mais pas un de ceux qui pleurent la splendeur passée et se lamentent sur ce monde qui va mal. Il faisait partie de cette catégorie hautement représentée à Venise, des âmes fortes qui ne cessent de croire que le meilleur est toujours possible, qu'il faut sans cesse aller de l'avant. Inventer en restant fidèle. Vénitien de sang et de cœur, il manquera dans le paysage lagunaire. Nombreux ont été les hommages prononcés sur les réseaux sociaux. 


Toute l'association Settemari était là, et de nombreuses autres, des gens connus ou des inconnus, des voisins et des étrangers. Grande émotion lorsque la diesona (gondole à dix rameurs) de la remiera, s'ébranla, portant le catafalque couvert de fleur, devant la foule assemblée. Un dernier hommage rendu à une personnalité hors du commun. Les applaudissements fournis et l'alzarami, le salut des bateliers, au passage de sa dépouille et tous ceux qui suivirent le cortège funèbre jusqu'à son ultime demeure en sont la preuve vivante. 
vidéo © Panathlon Venezia - Facebook.

06 mai 2017

Matisse photographié par Walter Carone




Henri Matisse dans son lit qui dessine sur un mur... Ces mots ont le rythme d'une comptine. L'image a été prise le 15 avril 1950, quelques années avant la mort du peintre. Alité suite à une paralysie, il dessine dans sa chambre-atelier de l'ancien hôtel Régina, sur la colline de Cimiez, à Nice, les motifs destinés à orner la chapelle de Saint-Paul de Vence comme il l'a promis à son amie Monique Bourgeois qui fut son modèle après avoir été son infirmière, devenue religieuse dominicaine. 

J'avais toujours trouvé ce cliché émouvant, rempli de poésie et de dévotion silencieuse, me demandant depuis toujours si son auteur savait ce qui émanait de cette scène prise sur le vif. L’œil derrière l'objectif, il observe l'artiste surprenant un de ses derniers moments de création. L'âge et la maladie vont bientôt l'abattre. En avaient-il l'intuition chacun d'un côté de l'objectif ? Nous, nous savons et cela rend la scène ainsi immortalisée aussi prégnante qu'une peinture religieuse. La date bien lisible sur le calendrier qui semble tourné a posto pour attirer l’œil, Le profil du peintre pareil aux représentations de saint Pierre ou de Saint Marc, tout confère à donner à cette image une résonance sacrée...

Une vieille amie vénitienne vient de m'offrir cette photographie qu'elle gardait posée sur son bureau, près de la fenêtre. La carte qui accompagnait le cadre portait ces mots du peintre s'adressant à Picasso : "Ce que nous cherchons tous à retrouver en art, c'est le climat de notre première communion !"