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18 mars 2018

Et si montrer le beau devenait criminel ?

Portrait de Mila Esmeralda née à Venise, le  20/10/2012. © gruppo 25 aprile.

30 millions de touristes par an à Venise, cela fait un peu plus de 558 visiteurs pour un habitant (si nous nous en tenons au chiffre déjà dépassé de 53. 672 habitants rescapés de la grande hémorragie vers la terraferma). Imaginons la scène, cauchemardesque, de 535 personnes qui envahissent le salon de cette vieille dame, le chat effrayé qui se jette par la fenêtre dans l'eau du canal voisin, la pauvre vénitienne qui suffoque et les touristes qui braillent, remuent dans tous les sens, laissent papiers gras et canettes vides sur les napperons en dentelle... Pire encore, pensez à un vaporetto un matin avec seulement quatre passagers et soudain arrivent en se bousculant  2.140 touristes armés de leur sac à dos et de leurs téléphones fixés sur les perches que leur ont vendu les vendeurs clandestins, habiles et souples bengalis qui eux aussi dont tendance à se démultiplier ces dernières années partout dans le centro storico (on en recensait 2379 en 2014 . L'enfer de Dante en pire....

Alors est-ce bien raisonnable de continuer de diffuser des images de Venise ? Est-ce encore légitime de montrer la beauté de la Sérénissime et d'encourager les barbares à poursuivre leur invasion ? La beauté est à tout le monde, et voyager est un droit qu'on ne peut réserver à quelques uns mais peut-on laisser les hordes se démultiplier et emporter sur leur passage toute vie réelle sur les sites qu'elles piétinent chaque jour sans plus jamais de véritable interruption ? C'est un vrai questionnement. Fondamental aussi, car il s'agit désormais de la mise à mort quasi certaine d'une univers de vie, d'un monde qu'on étouffe sans rien faire d'autre que se lamenter ou réunir des colloques et des commissions qui pérorent sans que ne jaillissent les solutions pour éviter cette catastrophe humanitaire que personne ne semble prendre vraiment au sérieux. Jamais dans l'histoire de la Sérénissime, le niveau d'habitants aura été si bas. même après les grandes épidémies de peste. 

Bien sur, on insiste sur la nécessité de considérer la population vénitienne dans son ensemble, c'est à dire celle de l'agglomération entière avec les alentours du mainland. Cela peut leurrer et rassurer de savoir que la métropole vénitienne voit sa population augmenter avec l'apport de nombreux étrangers. Cela revient à réduire le centre historique, Venise elle-même, celle qu'on vient voir de partout, l'ancienne capitale d'une des plus puissantes et riches républiques de l'histoire, vaste empire commercial, démocratie quand partout ailleurs les peuples étaient écrasés par la féodalité et les monarchies absolues, incroyable fourmilière innovante et active, à un quartier périphérique d'un centre urbain qu'on voudrait semblable à toutes les mégalopoles modernes existantes ou en devenir. 

Il y a parmi les édiles, des excités qui rêvent de métro souterrain, de gratte-ciels, d'exposition universelle et aspirent à une croissance exponentielle du tourisme, juteux pourvoyeur de devises pour certaines entreprises internationales, sans retombées sur les petites activités locales et donc sur les habitants. Mais à entendre certains experts, le dernier vénitien aura quitté sa ville, la vraie, la Sérénissime toujours dressée deux mille ans ou presque après sa fondation, en 2059... Il quittera le centro storico avec sa valise et le regard qu'il jettera sur la ville vide de vénitiens sera un regard de colère et de haine. 


La question est donc pertinente : montrer ce qu'il y a de beau devient dangereux à partir du moment où donner à voir un lieu, qu'il soit célèbre ou méconnu, recommander une bonne adresse, fournir des idées d'itinéraires et publier des guides alléchants, répandre des photographies et des vidéos des sites touristiques, tout cela revient à condamner à terme l'authenticité, la vie, l'existence même de ce qu'on donne à voir. Cas de conscience donc. Je ne prétends pas qu'il faille entraîner un corps de mercenaires qu'on munirait de lanternes,  corps moderne de codega dont on dit que parfois, payés au prix fort, ils induisaient en erreur (fatale) leurs clients avec leurs lanternes pour les faire tomber dans les eaux glacées des canaux, pas plus que former le personnel de l'ACTV au kamikaze et leur enseigner à faire sombrer leurs vaporetti, modernes bétaillères aquatiques remplis de veaux hagards, aux heures de pointe avec leur chargement... Ma colère m'égare mais les amoureux de Venise savent de quoi je parle, qui connaissent sa fragilité et répugnent à la voir se transformer jour après jour en parc d'attractions, avec de plus en plus de boutiques pour touristes ne vendant que de la pacotille qui jaillissent à la place des commerces de nécessité et les maisons qui se vident, les volets tirés sur des foyers abandonnés que remplacent peu à peu partout des logements pour touristes, des hôtels de luxe et des B&B. Il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir et comment rester indifférents à cette chronique de mort annoncée ?


Les autorités, timidement, se rangent aussi à l'avis des experts du monde entier. Conscients du danger imminent, ils proposent quelques vagues solutions annoncées tambour battant mais bien vite oubliées. Combien de projets enterrés qui pourtant seraient autant d'amorces de solutions. En revanche les modernistes utopistes continuent d'avancer avec leurs projets pharaoniques. Comme par exemple, après le M.O.S.E. qui a permis d'absorber des milliards de capitaux et ne servira certainement pas à grand chose quand la calotte glaciaire aura fini de fondre, l'idée de la sublagunare jamais vraiment abandonnée, aussi folle que l'exposition universelle rêvée par le ministre De Michelis dans les années 80 ou le gratte-ciel phallique d'un Cardin cacochyme mégalo...

On parle de tourisme alternatif en haut lieu, on publie plaquettes et plans avec des itinéraires différents qui partent de Chioggia ou de Caorle, on invoque le soutenable et la décroissance, on propose - sérieusement - des virées à la découverte de l'archéologie industrielle, on dresse des listes de commerçants, restaurants, hôtels et campings affiliés au mouvement Slow Food, on lave vert autant qu'on peut avec  le projet lagunaè, initié en 2014 en vue de l'exposition universelle de Milan (Venice to expo 2015) par l'EBT (Ente Bilaterale Turismo de la Province de Venise, structure créée en 1991 avec pour mission la formation et l'accompagnement des acteurs du tourisme local), une de ces organisations dévoreuses d'argent et de papier glacé qui font grand bruit puis disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues comme dans les films prophétiques de Dino Risi ou de Vittorio De Sica... Deux terribles décennies de berlusconisme ont montré toutes les conséquences de la primauté de l’argent et Venise a été très vite contaminée... Alors, que faire ???


20 décembre 2017

Un affreux cauchemar...


L'autre nuit, après un dîner trop copieux et une longue discussion avec d'autres féals, afficionados de Venise, j'ai fait un cauchemar. Un de ces songes odieux qui vous réveille au milieu de la nuit, suant et transpirant, les cheveux dressés sur la tête. Je venais d'apprendre horrifié qu'une municipalité devenue hystérique avait transformé d'un coup de baguette magique la cité des doges en un monopoly géant. Laissez-moi le partager avec vous. Comme un remède réconfortant.

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Un être hybride que je reconnus être le maire grâce à son couvre-chef hybride, à la fois corno du doge et haut de forme des banquiers d'avant la crise de 29, sur lequel on lisait le mot  SINDACO en lettre d'or, occupait tout mon champ de vision. Cette énorme créature avait parfois le visage de Trump puis celui de Berlusconi, mais toujours avec mèche et moustache à la Adolf et une grimace à la Mussolini, fumait un énorme cigare. Il trônait, assis dans le plus simple appareil à califourchon sur une barrique que des nains vêtus comme des gondoliers, tous aussi laids que lui s'efforçaient d'éventrer pour en faire jaillir des pièces de monnaie, La population était dans des sortes de cage et tendait la main en dehors des grilles pour quémander je ne sais quoi. Tous hurlaient. 

© Ludovico de Luigi
Le sol était couvert d'un tapis n'en finissant plus de de se dérouler, recouvrant à la vitesse de la marée les masegne des calle et des campi avec des cases imprimées comme au Monopoly. Tous ceux qui s'opposaient à la progression du tapis sur lequel avançait le cortège du maire suivi d'une foule de types en redingote noire et hauts de forme les poches débordant de billets de banque de toutes les couleurs. En décor de fond, se mêlant aux façades des palais du grand canal et des monuments que je voyais défiler, s'écrouler, se redresser, des montagnes de détritus avec à leur sommet les Pink Floyd et des diables qui ricanaient. Comme à mon habitude j'évitais les voies prises par les touristes pour aller mon chemin. Je devais me rendre chez des amis apparemment. Arrivé devant leur porte je tombais nez à nez avec le maire habillé en groom. Le palazzo était devenu une auberge de luxe. Aux fenêtres d'horribles vieilles édentées montraient leur poitrine siliconée en ricanant. Je me retrouvais devant Rosa Salva devenu un Burger King observant les frères dominicains d'en face que rudoyaient des policiers habillés comme les moudjahidines de Daech vers la basilique transformée en mosquée. Des livres et des tableaux brulaient au pied du Colleone.
J'avais faim, un passant édenté me recommanda le fast food : "ils donnent les restes aux résidents, vas y tu pourras trouver de quoi manger". J'allais pieds nus, comme les vénitiens que je croisais. partout des papiers de couleurs tombaient du ciel avec une seule inscription "Voglio vivere al paese". Et soudain un énorme flux de touristes déboula, emportant tout sur son passage. Je me réveillais au moment où un cri affreux emplissait l'air "le Mose, il a cédé, les touristes vont nous noyer !" Affreux, mais authentique, j'en étais retourné comme un gosse qui a vu de le diable dans son sommeil. Des hordes de touristes déboulèrent dans un grondement assourdissant, celui de centaines de milliers de valises à roulettes...


La bonne chère, les bons vins et nos débats de la veille sur comment faire pour sauver Venise mais aussi les autres métropoles menacées par le tourisme Unesco et la spéculation immobilière, comment lutter contre les puissances financières qui ne songent qu'au profits immédiats et se battent le coquillard de l'impact sur la nature, sur l'avenir des générations futures, sur la protection de la faune,d e la flore, des savoirs ancestraux, de la vie tout simplement... Ceux qui sont régulièrement à Venise le savent bien, le tourisme de masse, ces foules qui viennent à Venise sans vraiment savoir où ils vont ni pourquoi ils y vont, détruit peu à peu le tissu social traditionnel et emporte au passage les outils de la vie quotidienne. 

© Ludovico de Luigi
Plus assez de logements, plus de commerces de proximité, de moins en moins d'école et de services de soin et d'aide, de plus en plus de bâtiments publics cédés à des grosses compagnies pour en faire des résidences de luxe ou des hôtels... J'en passe. Certains des convives du fameux dîner prônaient la mise en place d'un numerus clausus. Les moins concernés disaient qu'augmenter fortement la taxe de séjour et limiter avec des contrôles draconiens la location de chambres et d'appartements aux touristes étaient la solution, d'autres proposaient de clôturer l'area marciana (la piazza, la basilique et le palais des doges) et d'y regrouper les boutiques de colifichets pour les touristes qu'on organiserait par strates, des basiques aux objets de grand luxe, et de mettre en place un accès payant et limité par jour. d'autres inventaient déjà un Veniceland à côté sur la terre ferme ou sur l'Adriatique, qui reprendrait les lieux phares en fac-similé : les campaniles, les palais les plus célèbres et y mêlerait un centre commercial comme on en voit surgir partout avec les mêmes enseignes, les mêmes estaminets, en soignant le côté couleur locale. Un fac-similé comme pour les grottes de Lacaux... R., le plus pessimiste annonçait avoir mis sa maison familiale en vente pour une somme rondelette, préférant acheter un studio en montagne, un appartement en bord de mer et une maison sur la terre ferme et offrir à ses deux enfants des études à l'étranger... "De toute façon nos enfants ne resteront pas. Il n'y a aucun avenir pour eux sauf à renoncer à vivre bien ou faire le gondolier, le serveur ou la femme de chambre" renchérit sa femme...
Rappelez vous la sombre prédiction d'Otto de Habsbourg que je cite souvent : "Prenons garde de ne pas laisser venir un monde qui feraient de nos enfants les garçons de café des touristes des grandes puissances" Combien il avait raison. c'est lui aussi qui décrivait, horrifié, la désertification des centres urbains historiques. "Voyez, nous disait-il, les magasins disparaissent les uns après les autres et bientôt il y aura partout à leur place des garages, des logements, des banques" prophétisait-il. Partout le libéralisme a grignoté la vie quotidienne, les moins bien lotis financièrement ont été chassés vers les périphéries et peu à peu on a ainsi tué les villes... La prolifération des tags et autres graffitis dans les rues de Venise n'est qu'une anticipation de ce que le centre historique est en train de devenir : un désert. Paradoxe bien triste, ce désert est parcouru chaque année par près de 30.000.000 d'individus qui piétinent en masse des lieux-symbole connus du monde entier : le pont Rialto, la piazza, la Riva dei Schiavoni devant le pont des Soupirs... San Marco est le sestiere de Venise où il y a désormais le moins de résidents... On parle depuis des années de permettre à ce tourisme de masse, ces hordes de barbares dont nous parlons depuis plus de trente ans de se répandre partout dans la ville, dans le but d'éviter l'étranglement du centre historique mais dont on sait bien que la vraie conséquence, loin de contenir le nombre de visiteurs, permettrait de l'accroître encore davantage, ne laissant bientôt plus un m² disponible pour la vie quotidienne de ses habitants, contraints de partir ou de résister... 


"Marinello chiude".
Ce furent les premières paroles que prononça un ancien voisin du temps où j'habitais Cannaregio, calle del'Aseo précisément. Marinello, c'est une institution. LE marchand de chaussures du quartier et d'au-delà. Installé juste à la fin de la guerre, le magasin fait partie depuis toujours du paysage commercial de Cannaregio. Au moment où j'écris ces lignes, je devrais mettre cela au passé car Marinello vient de fermer ses portes après plusieurs semaines de liquidation. Je venais juste de rentrer. Après quelques semaines en août avec ma fille et son ami, j'avais laissé Venise infestée de touristes juste avant la Mostra du Cinéma. Il y avait bien ces affichettes annonçant des soldes , mais je n'y avais prêté aucune attention. En novembre, c'était devenu notoire : le magasin allait fermer ses portes à jamais.Un de plus qui serait transformé en boutique pour touristes ou en restaurant...
J'avais connu le même choc il y a quelques années quand Petenello, le magasin de jouets et autres articles du campo Santa Margherita avait baissé son rideau. Un vrai chagrin tant ses vitrines remplies de jouets en bois, de petits objets adorés par les enfants, était une des composantes du campo. Ses rayons remplis de boîtes aux trésors et le vieux comptoir débordant de babioles où j'aimais farfouiller depuis toujours allait me manquer... Comme Petenello, j'ai toujours connu Marinello. Comme le marchand d'estampes près du Goldoni, le vendeurs de livres anciens sur le campo Santi Apostoli, et tel boulanger, tel charcutier, tel marchand de fruits, la minuscule rôtisserie près du Ghetto où certains jours les volailles à peine livrées attendaient leur triste sort dans des cages de bois sur le sol de la calle. Le seul endroit à l'époque où on trouvait des frites (maison) à emporter pour accompagner les poulets rôtis.
Installé par Bruno Marinello en 1946 à côté du Teatro Italia (transformé depuis peu en supermarché), après des années de chalandage à deux pas de là, avec son  Banco del Popolo sur le Rio Terà San Leonardo, le magasin devint vite une affaire familiale. Chaque jour après l'école, Bruno initiait ses deux fils Paolo et Robert qui reprirent l'entreprise après la disparition du fondateur. Le commerce devint vite prospère, surtout à partir des années 80 quand le magasin se modernisa et s'agrandit. Tout le quartier venait s'y chausser. Amateur de football et de basket, il fut le premier à proposer un choix complet de chaussures de sports. Il fallait monter à l'étage pour trouver le modèle convoité et toute la jeunesse sportive des environs grimpa un jour ou l'autre l'escalier du magasin. Ah les chaussures de foot de Marinello ! Le négoce devint vite le fournisseur des clubs sportifs du quartier, notamment l'Alvisiana de San Girolamo. Même le curé de la paroisse portait des tennis de chez Marinello sous sa soutane. Comme nombre de ses collègues d'alors, il n'hésitait pas à participer aux parties de foot ou de basket dans la cour du presbytère. Il suffirait d'interroger les gens de ma génération pour confirmer combien ce magasin était un passage obligé pour tous les garçons de Cannaregio et au-delà. Le nouveau tourisme a eu raison de l'affaire. La concurrence des magasins chinois, les franchises des grandes marques internationales, les centres commerciaux de la périphérie, tout cela mis ensemble a poussé les frères Marinello à prendre leur retraite. 
Renseignement pris auprès de Mattio, le fils de Paolo Marinello, il y aura un restaurant à la place des chaussures. Sic transit gloria mundi.

09 août 2017

Des supports publicitaires inattendus inventés à Venise

© Emiliano Roveri - Août 2017. Tous Droits Réservés.
Mais où va-t-on si les ducs d'Albe deviennent des supports publicitaires ! C'est une photographie d'Emiliano Roveri qui fait poser cette question sur la Toile...

Le cliché a fait le tour du net vénitien aujourd'hui. Un cliché assez surprenant. Comme le précise la plateforme du Gruppo 25 aprile dans un article daté de ce jour, il ne s'agit pas d'un ex-voto ni d'une de ces petites chapelles miniatures que dressaient autrefois un peu partout les pêcheurs et leurs familles,  au milieu de la lagune, pour rappeler aux passants un évènement survenu là et remercier la vierge d'avoir sauvé leur bateau en difficulté.

Il s'agit en réalité d'un duc d'albe (qu'on appelle ici bricole) utilisé - abusivement - comme support publicitaire ! Si, si. On peut se demander si l'installation du panneau s'est faite avec l'autorisation de l'administration municipale, auquel cas il s'agirait d'un fait sans précédent qui ferait se retourner les provéditeurs de San Marco dans leur tombe. 

A contrario, s'il s'agit bien d'un usage abusif et que ce type d'affichage commercial reste interdit, l'administration doit agir rapidement et en sanctionner l'auteur. Le Gruppo 25 aprile s'interroge à ce sujet, se demandant avec un humour désabusé s'il ne s'agissait de la dernière trouvaille de l'administration en question pour financer l'entretien courant des pali et des bricole de la lagune dont on a remarqué qu'il laissait à désirer depuis pas mal de temps... 

Et si par malheur, l'utilisation à des fins publicitaires devenait possible, on assisterait à la défiguration de la lagune. Les chenaux qui parcourent les eaux autour de la Sérénissime auraient vite la laideur du bord des routes nationales de la péninsule ou de certains endroits de France... Et, comme le dit l'auteur de la remarque, attendons-nous aussi qu'aux prochaines élections, les ducs d'albe soient transformés en panneau d'affichage avec la photo en grand format des candidats en lice... 

Décidément nous vivons une époque moderne et l'appétit du lucre n'a plus aucune limite. Envie de crier «Mamma li barbari ! »Mieux vaut en rire.

25 juillet 2017

San Cristoforo e il Santo bimbo decollato


L'une des maisons que j'ai eu le bonheur de fréquenter puis d'habiter à Venise, à deux pas de Santa Maria Formosa abrite dans son androne, une de ces entrées souvent majestueuses des palais vénitiens, une très belle statue de bois sculpté. Usée par le temps, c'est un travail qu'on peut situer entre 1650 et 1700. L'enfant Jésus a perdu la tête. Et le saint qui le porte sur son épaule en semble marri. Sa contrariété a toujours eu un sens pour moi. Cette tristesse convient bien à notre temps. Son regard et sa tête un peu penchée n'expriment pas vraiment de la mélancolie, ni un chagrin qui ne sied pas à un homme de Dieu. Il s'agit bien plutôt du regret de constater la faiblesse des hommes, leurs erreurs sans cesse répétées et rarement assumées. 

Quant à l'Enfant-Roi, on peut penser qu'il a perdu la tête en voyant jour après jour défiler devant lui notre bêtise. Nous courrons sans cesse après des chimères, prétentieux et veules à la fois, nous bâtissons des édifices sur du sable et lorsque, par un prodige - qu'enfant je ne m'expliquais qu'en pensant à l'intervention bienveillante du Père céleste -, nos ancêtres édifièrent Venise avec patience et détermination sur de l'eau et du rêve, il entendait leurs chants de louange et de joie monter vers le ciel. Puis soudain l'esprit de lucre, l'envie, la passion, l'égoïsme prirent le dessus. L'innocence des premiers temps bafouée a fait perdre la tête à ce Jésus dont le visage devait être éclairé par un merveilleux sourire, pareil à celui de sa sainte mère, proche aussi de celui de son cousin en sagesse, ce merveilleux prince-bouddha qui sourit quand le cœur de celui qui le contemple est pur ou simplement apaisé. 

Plus prosaïquement, j'enrage à l'idée que des mains indélicates aient pu oser arracher cette tête innocente. Élégamment montée sur un socle de marbre  avec une tige de laiton, elle aura attiré bien vite la convoitise d'un amateur d'art ancien à la vitrine d'un antiquaire sans scrupule. Il y en a moins qu'avant à Venise mais il en reste quelques uns qui ne sont jamais très regardants sur l'origine des objets qu'on leur propose... Mais une fois encore ces propos n'engagent que votre serviteur. 
 

23 juillet 2017

Plongeon interdit dans le grand canal : encore des touristes qui violent les règles à Venise

Une fois encore, et pas plus tard que ce matin aux alentours de 6 heures, de jeunes touristes étrangers ( ressortissants belges) ont montré leur méconnaissance  des us et coutumes de la cité des doges. Surpris par la police qui a été prévenue par des passants, un groupe de jeunes gens avait entrepris de plonger depuis le pont de Calatravà qui unit la Piazzale Roma à la gare Santa Lucia. Un  des endroits les plus dangereux ( par sa hauteur et la fréquence des bateaux qui passent par là). Aussitôt interpelés par les forces de l'ordre, ces jeunes abrutis semblaient ne pas comprendre ce qu'il y avait de répréhensible - et encore moins de dangereux - à se jeter dans l'eau du grand canal !  

S'il est vrai que de tout temps, les eaux de la Sérénissime ont attiré les voyageurs, si les enfants se baignaient l'été devant la porte de leur maison, si Byron allait parfois rendre visite à ses amies à la nage, le contexte était différent. Mais comment les étrangers de passage, écrasés par la chaleur et qui confondent facilement Venise avec n'importe quelle cité balnéaire, ne seraient pas tentés de se rafraîchir dans ces eaux bien attirantes ? L'absence ou le manque de bancs et de toilettes, de corbeilles et de poubelles, et avant tout de panneaux précisant ce qui est interdit et ce qui est autorisé, rendent les choses difficiles. Souvenez-vous l'argument de ce touriste allemand ou hollandais qui, interpelé par la police parce qu'il circulait en vélo sur la Lista di Spagna, a r2torqué aux policiers "Mais montrez-moi les panneaux qui indiquent que la circulation des deux roues est interdite ?". Logique non ? Si nul n'est censé ignorer la loi, cette règle vaut-elle pour des étrangers arrivant à Venise. Il faut un minimum de culture et d'éducation pour saisir qu'il ne s'agit pas d'une ville comme les autres et que donc, on ne peut y déambuler ni y vivre comme ailleurs. Longtemps, les vénitiens tentaient d'expliquer cela à leurs hôtes. Devant le développement massif de l'invasion touristique et la croissance de la mauvaise éducation, ils ont le plus souvent baissé les bras...

Cet incident suscite une fois encore la polémique. Le maire Luigi Brugnaro, a aussitôt réclamé une "loi spéciale' qui autoriserait une garde à vue d'au moins une nuit pour les jeunes vandales pris en flagrant délit qui sévissent dans Venise (les infractions sont nombreuses, comme par exemple les tags, les tenues inadéquates, le camping sauvage dans les rues, ou comme ici plongeon et la baignade dans les eaux de la lagune), certains réclament même le bannissement des indélicats et une interdiction de séjourner de nouveau dans la ville ! D'autres voudraient que soient installées des caméras de surveillance partout... Sans tomber dans l'excès, il est évident que des mesures s'imposent mais ne doivent-elles pas porter davantage sur la prévention et l'éducation des visiteurs ?


Ce qui est terrible c'est que devant la croissance incontrôlée du flux touristique des incidents comme celui de ce matin risquent de se produire de plus en plus souvent et nécessiteront de nombreuses interventions de la police ou des pompiers. Les jeunes belges qui se sont jetés dans le grand canal ne réalisaient pas le danger. Si autrefois les jeunes vénitiens, pour se faire admirer des filles et gagner quelques pièces, longeaient souvent dans les canaux, si on laissait les enfants barboter l'été dans les quartiers retirés, si souvent - j'en étais - des jeunes organisaient un bain de minuit du côté des Fondamente Nuove ou de la Giudecca, la situation n'était pas la même. L'eau ne contenait pas toutes les saletés qui en font un poison dangereux et la circulation maritime était bien moindre, avec des embarcations lentes et menées à l'aviron... Les temps changent et la vingtaine de millions de visiteurs annuels face à une population réduite au chiffre le plus bas de son histoire pose un problème d'organisation compliqué. 

TraMeZziniMag depuis sa création défend l'idée d'une prise en main du flux touristique, de la mise en place de règles claires qu'il faudra médiatiser et en même temps la prise de conscience par les autorités d'une réflexion à long terme pour que la ville redevienne un lieu de vie quotidienne pour ses habitants, et non pas une réserve visitée par des millions de curieux à qui on oublie de dire que Venise n'est ni un musée ni un parc d'attractions. Non messieurs-dames, il n'y a pas d'horaires d'ouverture et de fermeture, mais en revanche, il existe des règles dont la plupart découlent du simple bon sens, de l'éducation et du respect des autres.






















08 mars 2017

Les vénitiens et le racisme ordinaire




Au risque de passer une fois encore pour un réactionnaire, (au sens négatif qu'emploient les bien-pensants - quand j'y vois une qualité et un état d'esprit progressiste), les récents évènements montés en épingle presque continuellement par les médias internationaux et la tension qui se fait jour dès qu'on évoque la empêtrés dans la règne violence et la pauvreté, en servant d'enjeux politiques et de matière aux journalistes pour faire vendre leurs feuilles de chou trop souvent indigestes et cela n'est bon pour personne.

Lieux communs, pensée unique et raccourcis.
Une fois encore, on nous impose une façon juste de penser, un mode de réflexion qui s'il ne nous convient pas et que nous refusons d'y souscrire, fait de nous des ennemis du bien commun, de gros méchants nantis égoïstes. A entendre les grands-prêtres de la bien-pensance, nous autres qui nous entêtons à vouloir penser par nous-même et qui savons bien, par instinct, par expérience ou par simple bon sens, ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce qui a de l'importance ou ce qui n'en a pas. Plus que jamais, il nous est enjoint de hurler avec les loups ou de rester chez nous. Surtout ne pas déroger aux instructions subliminales que véhicule la presse et qui servent cette oligarchie qui s'offusque de nous entendre penser autrement que le préconise leur catéchisme.

C'est dit, c'est définitif et in contournable : les italiens (du Nord-Est particulièrement) et notamment les vénitiens puisque c'est d'eux dont il s'agit le plus souvent dans TraMeZziniMag, seraient de méchants racistes qui se cachent derrière leurs particularismes insulaires et voudraient bien faire croire qu'ils sont les plus gentils, les plus accueillants et les moins regardants des peuples d'Europe. Le mal est fait, quelques cris mal interprétés, des âmes trop sensibles qui prennent pour eux des mots ou des attitudes lancées sans aucun arrière-pensée et c'est l'anathème lancé contre tout un peuple. La tyrannie que le monde a connu dans un passé pas si lointain ne procédait pas autrement. Les meilleurs procès, les plus sanglants et les plus radicaux sont ceux qu'on contraint le peuple de faire après que quelques intellectuels jolis parleurs aient inoculé leur venin.

Mes amis, c'est quasiment gravé dans le marbre des nouvelles tables de la loi : les vénitiens sont de méchants racistes, rapaces à la petite semaine, méchantes personnes indifférente  aux malheurs du monde et des immigrants en particulier. Honte à eux !  Shame on them pour reprendre la langue officielle. Et comme du temps de Mussolini ou de Hitler, de Staline, de Mao ou de Fidel Castro. Suit en général une liste de reproches sanglants dressée par des journalistes, des philosophes, des sociologues et des adeptes de la politique de comptoir est soudain reprise par des membres de la population visée. Les premiers à crier au scandale sont des vénitiens. Heureusement, il s'agit d'une petite minorité mais celle-ci est écoutée sans aucun esprit critique et la maîtrise des réseaux sociaux permet à ces tristes sires de donner un écho universel à leurs cris d'orfraie.

Ils ne sont pas les premiers. On n'a plus le droit de traiter son meilleur pote de pédé ou de tata, cela pourrait amener un autre camarade de la cour de récréation à se pendre, parler des africains de couleur - il y en a qui sont blancs aussi - en employant le terme de nègre, dire bougnoul pour arabe, rital ou polac, etc. Tout cela est banni, politiquement incorrect et passible d'un attentat terroriste individualisé que pourrait concocter un pseudo-intello piquée à vif et sur-protéiné aux idées en vogue... 

La discrimination galopante.
Quelle pitié d'en arriver là. Certains, que leur médiocre talent retiendrait dans des postes largement subalternes, ont déjà tout compris et en s'emparant de ce concept fourre-tout "discrimination", se taillent reconnaissance et promotions...  Quelle hypocrisie.  Ne nous voilons pas la face : sous couvert de lutte contre la méchanceté gratuite - qu'on assimile automatiquement à de la discrimination, le business de l'éradication de l'inacceptable racisme est devenu florissant. Pour quelques purs esprits qui agissent vraiment par conviction, des milliers de faux-croisés ne se battent que pour eux. Pour se faire entendre et connaître. Ces gesticulateurs font mousser les choses. Ils se moquent bien de contribuer à faire surgir du racisme là où il n'existerait pas si on n'en parlait pas autant. 

Comme la médecine officielle sponsorisée par les laboratoires qui se contente de traiter les effets d'une maladie sans jamais se donner la peine ni les moyens d'en soigner les causes (question d'argent : faire disparaître le cancer rapportera toujours moins que les traitements et les outils employés pour tenter de le soigner)...  Il en est de même avec ce concept très in gamba (à la mode, fashionable) de discrimination. Mes quatre années d’activité dans le milieu associatif m'ont quotidiennement mis en contact avec ces professionnels de l'indignation. Bien peu étaient sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de leur combat. Beaucoup trop tenaient boutique et lorgnaient médailles et honneurs. Cela ne mériterait qu'un haussement d'épaules si leur militantisme n'empoisonnait pas jusqu'aux plus hautes sphères de l’État, persiflant partout, insufflant une sorte de mystique frelatée qui sème le doute et fait le lit des communautarismes et de la délation. Au "si tu n'es pas avec nous tu es contre nous", mon esprit réplique spontanément "Dieu reconnaîtra les siens"!

I had a nightmare.
Je force à peine mes propos et en toute connaissance de cause. S'il s'agissait vraiment - et je sais que des gens sincères et au cœur pur s'emploient jour après jour à lutter contre les ravages du vrai racisme actif, organisé et structuré (ceux-là œuvrent sans but inavouable, sans dessein caché, mais juste pour le bien, par conviction, par humanité véritable, par amour du prochain), celles-là ne sont nullement en cause - d'éviter souffrance et douleur pour les victimes présumées, il n'y aurait rien à redire. Seulement, cette religion nouvelle qu'on essaie de nous imposer dans tout l'occident n'a d'humaniste que le nom. Un jour, leur discours se fera plus clair que relaieront les médias du monde entier, du genre :
" Faites ce que je dis mes amis mais surtout pas ce que je fais... Légiférons pour que soient lavées au savon les bouches de ceux qui oseront dire ces vilains mots méchants mais laissez-nous employer - au black (!) - des migrants clandestins sous-payés et mal logés. Pourfendez les mal-parleurs mais laissez les bien-pensants s'enrichir du commerce des armes et s'empiffrer des ressources naturelles des pays sous-développés, regardez, nos lois le permettent et vous, le peuple souverain, avez mis au pouvoir ceux qui les ont votées..." 
Passez-moi ce coup de gueule, mais cela devient parfois insupportable et tellement, tellement sot. Le racisme n'est pas une chose naturelle. Les enfants vont spontanément vers les autres, tous les autres, sans prévention ni hésitation. Leurs critères de choix : l'échange, la sympathie, la gentillesse, l'échange. cela dure tant qu'à la maison on ne les a pas prévenu contre cette spontanéité, tant qu'on ne leur montre pas une vérité tronquée. Tant qu'on ne leur fait pas peur.

Ce fut longtemps le rôle de l’Église de répandre un message d'amour et de main tendue vers l'autre, notre frère. Hélas l’Église est faite d'humains et les humains se laissent souvent gagner par la soif de domination, le besoin de pouvoir, l'appât du gain,  la jalousie et la haine. Et c'est aussi l’Église qui a classifié l'humanité en purs et en impurs, en Bénis de dieu et en Gentils... De politique il s'agissait alors, pas d'amour. Rien à voir avec le message d'amour et de fraternité des prophètes...

Ascari e schiavoni.
Il y a à Venise peut-être davantage de gens prompts à employer des termes ordinaires à leurs yeux mais violents pour d'autres. C'est le cas par exemple de deux termes bien innocents du langage courant (en dialecte) dont peu à peu le sens a changé. C'est surtout la manière dont on l'emploie, la consonance qui sera appliquée, toutes ces nuances de la linguistique, qui sont autant d'armes contondantes mais aussi d'instruments d'amour et de fraternité selon l'usage qu'on veut en faire. Ainsi les termes Ascari et Schiavoni. le premier, souvent utilisé encore aujourd'hui, en dialecte, devenue une véritable expression proverbiale, et le second quasiment disparu du langage courant d'aujourd'hui. La vidéo ci-dessous, réalisée dans le cadre d'une intéressante exposition qui était présentée en début d'année à Venise, Ascari e Schiavoni, Il Razzismo coloniale a Venezia (*), à l'occasion du 80e anniversaire des lois raciales de l'Anno XV du fascisme) (nous y reviendrons) tente de démontrer que ces termes, sous des airs totalement anodins, inoffensifs, ont pu avoir une connotation raciste et que celle-ci fut lourde de conséquences. Ce fut le cas après 1937 et les lois racistes du Fascisme (**). De quoi rassurez nos lecteurs. Il y a bien des limites dans l'usage qu'on peut faire de certains mots mais diaboliser une liste de vocables sur ce seul prétexte me parait totalement disproportionné et dangereux. Tout est toujours une question de mesure, de raison et donc tout est une question d'éducation.




Notes :
(*) Ascaro : dans son premier sens est un synonyme de soldat indigène des colonies italiennes d'Erytrée et de Somalie (vient de l'arabe askari : soldat). Devenu en langage populaire un être différent, puis bon à rien (se dit des parlementaires qui ne font rien pour le peuple, d'un paresseux, etc.). Schiavoni : les slaves ou esclavons qui furent longtemps mercenaires à la solde de la République de Venise.