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24 mai 2018

Lectures, considérations diverses et cousinage...

Lire le dernier Joël Dicker à l'ombre d'une glycine centenaire avec comme fonds sonore le pépiement des oiseaux, un ciel bleu sans nuage. Une douce paix comme je les aime. Bien sûr, il est encore très tôt. les touristes ne sont pas encore levés ; certains entament leur petit-déjeuner, les pendulaires s'excitent à l'approche du pont. Celui de leur liberté et notre aliénation. Bientôt l'été, la plage, le silence de la mer à l'aube ou au crépuscule quand tous s'en sont allés.. Mille rêveries qui me prennent soudain à l'ombre de la vieille glycine...

Joël Dicker, jeune auteur talentueux qui a l'âge de ma fille aînée, m'agace un peu. Non pas parce qu'il semble éructer avec tellement de facilité plusieurs centaines de pages sans jamais lasser le lecteur, non pas non plus parce qu'il a réellement du talent. Un vrai talent, fait d'une maîtrise de la langue, d'une imagination polymorphe, d'un enthousiasme et d'une énergie incommensurables. On ne peut que s'en réjouir pour lui et pour ses lecteurs. Non, il m'agace parce qu'il me met face à mes lâchetés, mes abandons, mes faiblesses. Comme Léo, le voisin du narrateur du roman commencé ce matin, Le Livre des Baltimore, un vieil homme qui enrage de voir le jeune écrivain qu'il apprécie et admire, passer ses journées à faire du sport ou à rêvasser et qui pourtant n'arrête pas d'engranger les succès littéraires, quand lui reste incapable d'avancer dans son roman, toujours bloqué devant son cahier n°1 qu'il ne parvient pas à remplir. 


Ce fils de libraire et de professeur de français écrit bien, il a beaucoup lu aussi et avance sur son chemin avec beaucoup d'assurance. Cela interpelle l'écrivain procrastinateur, qui fait le sourd aux appels réitérés de ses personnages. Ils ne cessent de frapper à sa porte mais lui sait bien que s'il répond, s'il les laisse rentrer, tout son univers sera envahi, bousculé, piétiné. il devra les loger, les nourrir, les aider, les écouter. car ils se feront entendre et, pareils à nos enfants adolescents qui se rebiffent et doivent le faire, ils nous cracheront mille vérités à la figure et ne nous laisseront plus jamais en paix. Sauf à mettre le point final à leur histoire dont nous ne savons encore rien, ou pas grand chose...

Bref, hauts les cœurs, il faut se remettre au travail. Écrire à Venise, sur Venise finalement est une douce chose. Mais pas une mince affaire. Tout le monde nous attend au tournant. S'il s'agit de fiction, nos personnages ;  si c'est d'histoire que nous voulons parler, les redites et les conclusions hâtives, les interprétations hâtives menacent et l'erreur comme l'approximation ne pardonnent pas. Il suffit de se promener au fil des blogs et des sites pour retrouver mille contre-vérités, des idées et des faits inventés, détournés, tout un ramassis d'à-peu-près qu'il ne faudrait pas renforcer en les citant ou en les décrivant à notre tour. Non, Venise c'est un sujet difficile. Allez, remettons-nous au travail.


En attendant de vous offrir du nouveau, chers lecteurs, TraMeZziniMag , vous propose pour vous occuper, outre de lire l'excellent roman de Joêl Dicker, d'aller jeter un coup d’œil sur un site dans lequel nous nous sommes investis au propre comme au figuré. En dépit de quelques erreurs et approximations, Cool Cousin est une communauté virtuelle dont le principe nous a tout de suite séduit. L'objectif est de mettre en contact des voyageurs potentiels avec des cousins à travers le monde qui proposent leur vision de la ville où ils vivent. 

Totalement dans la logique qui est la nôtre, ce Spirito del Viaggiatore qui sera bientôt le titre d'une collection d'ouvrages consacrés au voyage comme mode et conception de la vie et de la obligatoire à ces gogos du XXIe siècle pour qui seul le paraître compte ainsi que l'avoir et vendent leur âme à la mode et à l'argent. L'esprit Cool Cousin , c'est privilégier l'être, voir et entendre l'autre et penser le voyage comme une formation, une découverte autant des autres justement avec leurs différences, et de soi :  https://www.coolcousin.com/cities/venice/

05 mai 2017

Aux pieds de Santa Maria del Rosario, par un matin d'avril...


"19 avril 2014. Levé tôt ce matin pour profiter du silence de la ville et retrouver mes lieux d'autrefois. Il fait frais encore et je rencontre peu de monde. Devant l'Accademia, quelques passants pressé de monter dans le vaporetto, un balayeur, le marchands de journaux qui ouvre son kiosque. Quelques barques qui passent. Mes pas me portent vers le ponton-terrasse du Cucciolo, devenu aujourd'hui celui du restaurant de la Calcina. Envie de retrouver cette vue que j'aime tant. Les Zattere.Les Gesuati où si souvent je retrouvais Rebecca, Violaine, Stefano, Pippo, Pier..." (Journal. Extrait)


Santa Maria del Rosario, plus connue à Venise comme l'église des Gesuati. On passe devant, en marchant le long des Zattere, ces quais qui longent le canal de la Giudecca. Les jours de grand soleil, les jeunes s'installent sur ses marches, face au soleil. Parfois hélas, l'ombre d'un de ces maxi navi monstrueux fait passer le flamboyant fronton du jour à la nuit, l'espace d'un instant. Quelques étudiants lèvent leur poing en direction du paquebot. Les passagers agglutinés sur les ponts face à la ville, la dominant, ne comprennent pas ces gestes ni ces cris et prennent des photos, agitent leurs mains en signe de bonjour ou d'au-revoir selon la direction du plantureux navire. 

L'église des Gesuati est construite sur l'emplacement de la chapelle conventuelle de l'ordre des Jésuates de Saint Jérôme installés à Venise depuis 1400. Cette communauté occupa les lieux jusqu'à la dissolution de l'ordre en 1668. Les dominicains les remplacèrent. Ce sont eux qui firent ériger à partir de 1726 l'église actuelle avec sa somptueuse façade, par l'architecte Giorgio Massari


L'intérieur, de conception classique, abrite quelques merveilles, à commencer par le somptueux plafond de G.B. Tiepolo (1696-1770), constitué de trois fresques : l'Institution du Rosaire, La Gloire de Saint Dominique et Saint Dominique agenouillé bénissant un frère. Ces trois chefs-d’œuvre qui marquent les débuts du peintre, sont entourés de fresques plus petites  quasi monochromes dépeignant les épisodes des Mystères du Rosaire, que la tradition dominicaine fait naître d'un don de la vierge à Saint Dominique.

Une autre œuvre de Tiepolo mérite l'attention du visiteur. Il s'agit d'une toile représentant la Vierge en compagnie de Sainte Catherine de Sienne, Sainte Rose de Lima et Sainte Agnès, toutes les trois dominicaines. 


Giambattista Tiepolo est certainement le plus grand peintre vénitien du XVIIIe siècle, meneur de l'école rococo, sans jamais aucune faiblesse aucune démission ni concession. Il a donné le meilleur de son œuvre dans une Sérénissime en pleine décadence économique et politique qui venait de perdre avec la Morée toute influence géopolitique sur la Méditerranée et commençait de se replier sur elle-même et son glorieux passé. Succédant au mélancolique Piazzetta, peut-être davantage marqué que lui par cette déliquescence de leur patrie qui commença de son temps, Giambattista amplifia la dimension dramatique et réaliste introduite par son maître dans ses scènes de genre puis dans ses tableaux religieux, faisant de leur style une suite sublimée de l’œuvre du Caravage, en donnant plus de solidité, de présence charnelle dans la peinture des personnages aériens. Je me souviens avoir lu quelque part que Tiepolo "apporta à la pose théâtrale typique du rococo une grandeur olympienne"...  


Tout le monde sait qu'il eut un fils, Giandomenico (1727-184) qui resta fidèle à son père tout en inventant une tonalité différente, parfois inquiétante pour ne pas dire inquiète à ses sujets en apparence frivoles comme celles conservées Ca'Rezzonico, dans les petites salles du 2e étage et qui proviennent de la villa des Tiepolo à Zianigo, près de Mira. Acquises par la ville en 1910, elles ont été remontées dans ces délicieuses petites salles qu'on croirait avoir toujours été décorées ainsi. Le Monde nouveau et les saltimbanques sont les deux plus connues. Sur l'une, datant de 1791, GianDomenico s'est représenté ainsi que son père.

Mais revenons à l'église. L'architecte s'est largement inspiré des plans du Redentore, situé juste en face, à la Giudecca. Ordre corinthien de la façade, chœur imposant surmonté d'une coupole et mêmes campaniles jumeaux ,tout comme la disposition intérieure, tout rappelle l'église de Palladio. En pendant des peintures de Tiepolo, on peut admirer des toiles de Piazzetta et notamment l'un de ses chefs-d’œuvre, datant de 1739, qui représente des saints dominicains. On peut aussi admirer dans l'église un ensemble de sculptures et de statues toutes de G.M. Morlaiter, l'un des artistes rococo les plus talentueux de son temps.


Combien de fois me suis-je assis sur les marches des Gesuati, au soleil. C'était un de nos points de rencontre quand, le portefeuille vide, nous n'avions pas de quoi nous offrir un gianduiotto ou même un macchiato sur la terrasse du Cucciolo ou de Nico. On y révisait nos cours, on fumait, on discutait, refaisant sans cesse le monde, entre deux cours, épiloguant aussi sur nos amourettes. Là c'était le lieu de rendes-vous du jour. celui de la nuit était sur le campo San Fantin, sur les marches de la Fenice. A l'époque, le bar Al Teatro était aussi tabacs et marchand de journaux. Les prix étaient plus que raisonnables et nous allions y chercher nos verres de vin ou de bière que nous sirotions en groupe sur les marches du théâtre. entre ces deux lieux, celui du jour et celui de la nuit, nous avions San Lucà et San Bartolomeo pour la passeggiata. Là nous étions sûrs de retrouver tous les amis. Plus tard, surtout en début de mois quand notre bohème était mieux nourrie et nos portefeuilles encore fournis, nous allions au Cherubin, puis au Haig's, en face du Gritti, tous deux disparus. 

Plus tard encore dans la nuit, il n'y avait que l'embarras du choix, si tous les cafés et les bars étaient fermés depuis longtemps, la ville entière était à notre disposition. Cortile et sottoporteghi abritaient bien des moments forts et fervents de nos petites vies. Et dans le silence absolu de la nuit vénitienne nous rentrions chez nous, seuls le plus souvent, cohabitation oblige.  Parfois, quand le temps se faisait clément, seul ou en bonne compagnie, nous allions rêver sous le lampadaire de la Pointe de la Douane. Face à San Marco, san Giorgio et la Giudecca, les baisers étaient plus doux et les pensées plus belles...


15 avril 2017

La Venise mineure et ses trésors méconnus (1)

"Squero San Andrea", Dessin de Andrew Fisher Bunner, 1885.
Encore un titre redondant. Certainement l'effet de l'hiver qui pointe son nez et peu à peu embrume l'horizon et donne à la Sérénissime un aspect magique et mystérieux. Le froid dehors, un thé fumant et de bons muffins anglais à côté de l'ordinateur, Pagina 3 à la radio, avec la voix chaude du passionnant Paolo Faustini pour accompagner la mise en route matinale... Tout concourt n'est-ce-pas à l'activation empressée et joyeuse des neurones. Et l'idée est venue : lancer une série de sujets qui peu à peu reprendront ceux qui avaient été traités sur l'ancien blog et dont il ne reste que le titre et des bribes dans mes carnets. L'idée aussi d'en faire un jour une suite de Venise de près et de loin. Les lecteurs jugeront au fil des parutions si cela en vaut la peine. 

En attendant, et pour le bonheur de me promener avec vous dans notre chère città, si nous allions du côté de San Giovanni e Paolo. Plus précisément dans un lieu peu connu et pas souvent visité mais qui pourtant garde dans ses murs  le témoignage de cette Venise authentique qui peu à peu s'efface et que nous sommes nombreux à vouloir protéger et à tenter de faire renaître avec nos mots. Il s'agit du squero vecio sur le rio dei Mendicanti.


Occupé depuis de nombreuses années par la Remiera Generali, c'est un lieu très vivant où se déroulent souvent des manifestations de qualité, présentations d'ouvrages consacrés à Venise et à la plaisance, soirées, dîners. Le club est actif et organise de nombreuses randonnées nautiques sur la lagune et participe à toutes les compétitions,  des grandes régates aux courses moins connues des visiteurs. 

le squero est très ancien. On en voit déjà l'emplacement dessiné dans le grand plan de Venise réalisé par De Barbari dont on peut voir les nombreuses plaques de bois qui servirent à l'imprimer, au Musée Correr. A deux pas, avec ses deux façades sur le rio et l'autre sur la fondamenta, se dresse un des palais Bragadin qui a perdu son jardin etr ses dépendances. Il fut la demeure de l'inénarrable comte Emilio Targhetta d'Audiffret dont nous avons souvent parlé dans Tramezzinimag. Il n'en occupait qu'une petite partie mais son talent avait fait de son appartement un palcoscenico somptueux. C'est en sortant de cette maison que Casanova se fit interpeler par la police d'Etat. En face du squero, c'est Vivaldi qu'on devait voir passer quand il se rendait à la Scuola dei Mendicanti, aujourd'hui insérée dans l'hôpital

18 novembre 2016

La Venise d'avant


L'église de la Pietà que l'on peut voir aujourd'hui sur le quai des Esclavons n'est pas celle où Antonio Vivaldi dirigeait les jeunes musiciennes du couvent. L'église qu'il connut et où eurent lieu les nombreux concerts qu'on venait écouter de toute l'Europe a été démolie et reconstruite entre 1745 et 1760, donc après sa mort (survenue en 1741 à Vienne. L'Ospedale où vivaient les jeunes filles que faisait travailler le prêtre roux a été remplacé par un palais aujourd'hui transformé en hôtel, l'Albergo Metropole. La gravure ci-dessus montre l'entrée de la chapelle de l'Ospedale della Pietà telle que Vivaldi et ses jeunes musiciennes l'ont connue et la première église démolie. Entre l'église d'alors et le bâtiment de l'hôtel, la calle della Pietà existe encore, peu ou prou telle que Vivaldi l'aura connue. Jusque dans les années 1740, deux passages communiquaient entre l'Ospedale où vivaient les enfants et l'église exactement au niveau de la tribune des choristes. L'ancien passage au fond de la ruelle, qui liait les bâtiments de l'institution sert toujours. 

L'oratoire qu'on voit sur la gravure, à droite de cette ruelle donnait sur le parloir. La porte-tambour qui contenait un berceau (à l'origine une sorte de lavabo) existe encore. Appelée la ruota dgli Innocenti. Cylindre de bois tournant sur des rails qui permettait de déposer un bébé sans être vu mais aussi de enfants un peu plus grands. On peut la voir ouvrant sur le mur de l'hôtel qui est celui de l'ancien orphelinat. Placée à l'origine directement sur la Riva degli Schiavoni, puis près du ponte dei Bechi, endroit plus discret mais surtout adjacent à la salle des nourrices où on allaitait les nouveaux-nés. Autres vestiges visibles désormais par le public : la cour du couvent avec son puits et le magnifique escalier hélicoïdal avec sa rampe ancienne qu'empruntaient les jeunes filles pour rejoindre leurs dortoirs. Cour et escalier font partie de l’hôtel depuis les années 90, quand il a été agrandi. 


On peut encore voir aussi deux simples colonnes de pierre, vestiges de l'ancien oratoire, dans le hall de l'hôtel. Est-ce l'esprit du prêtre roux qui fit décider Pierluigi et Elisabeth Beggiatole, propriétaires de l'hôtel depuis la fin des années 50, d'organiser régulièrement des concerts de musique de chambre ou des récitals de chant dans un salon à côté du hall ? Certainement. D'autant que l'esprit de la musique y vibre en permanence puisque la salle se trouve à l'emplacement exact de l'ancien oratoire où Vivaldi retrouvait ses élèves. Mais ce fut surtout à la mémoire de leur fils, jeune musicien au talent prometteur, mort dans un accident de voitures.


Il y aurait mille autres choses à dire sur l'Ospedale. Expliquer comment ces orphelins vivaient, comment tout était organisé. Des trois institutions similaires de la République intra-muros, seule la Pietà accueillait les enfants abandonnés. Il fallut en 1548 le rappel d'une bulle du pape Paul III, gravée dans la pierre près de l'entrée, pour rappeler à l'ordre les gens tentés d'abandonner en toute discrétion leur enfant alors qu'ils avaient les moyens d'assurer leur subsistance. Loger et nourrir, élever, soigner, éduquer, tout cela coûtait fort cher et la république, bienveillante, ne pouvait tolérer qu'on profite des œuvres charitables quand on pouvait soi-même faire face aux besoins des autres. 

Lorsqu'il m'arrive de faire visiter à des amis cette partie de Venise, je constate que mes hôtes ont toujours la même réaction dans ces lieux. Est-ce la personnalité du musicien et le fait que ses compositions soient si populaires ? Est-ce l'émotion que provoque l'idée de ces abandons systématique d'enfants pauvres ou illégitimes ? Mais tous mes visiteurs ressortent assez émus de leur passage dans ces lieux. Plus que ça, ils en repartent avec la sensation que les lieux sont peuplés, vivants et qu'il ne serait pas surprenant, par une de ces failles spatio-temporelles dont rêvent les romanciers et les enfants, de croiser un jour de jeunes orphelines dans leur uniforme rouge de l'époque,dont le rire diaphane contrasterait avec la tristesse de leur condition ou, bien plus triste, une femme cachée par sa bauta qui actionnerait la porte-tambour pour y déposer furtivement un tout petit être avec comme seul bien la moitié d'une image sainte ou d'une carte à jouer (seul signe permettant si besoin était un jour de rompre l'anonymat de l'enfant et lui rendre son nom et son état légitime)... 
 

10 octobre 2016

Franz Kafka à l'Hôtel Gabrielli-Sandwirth, c'était il y a cent ans aujourd'hui

Archives de TraMeZzinimag I 
(billet paru le 13/09/2013)


Le 15 Septembre 1913, Franz Kafka est à Venise. Il loge à l'hôtel Sandwirth, dont les fenêtres donnent sur le Grand canal. La journée a été chaude, belle. Le jeune homme écrit à son aimée, Felice Bauer. C'était il y a exactement cent ans aujourd'hui. L'hôtel où il descendit, devenu le Gabrielli-Sandwirth fête cet anniversaire. Ce n'est qu'une simple lettre parmi les deux cents qu'il écrivit à la jeune femme, mais elle a été rédigée sur le papier à lettres de l'hôtel qui n'a pas changé depuis. Toute une histoire. 

..La manifestation consacrée à l'auteur de La Métamorphose se déroulera sous l'égide de l'éditeur allemand Klaus Wagenbachgrand, grand connaisseur et collectionneur en même temps qu'éminent expert de l’œuvre de l'écrivain dont il est le grand spécialiste. Des lettres de l'écrivain seront lues par l'acteur et musicien Ulrich Tukur, qui vit à Venise et a eu l'idée de cette manifestation. 


..C'est en 1912, dans la maison de la famille de son ami Max Brod que Franz Kafka rencontre Felice Bauer. Elle a 25 ans, un visage pur, les yeux un peu mélancoliques, le nez légèrement aquilin. C'est elle qui donne pour la première fois l'envie de se marier à ce jeune homme presque trentenaire, qui partage sa vie entre le travail dans une caisse d'assurance et l'écriture. Il est profondément atteint par cette rencontre car, se faisant une haute idée du mariage, il n'avait jamais jusqu'à ce 13 août 1912, rencontré une femme qui semble correspondre autant à son idéal d'épouse. 
"Se marier, fonder une famille, accepter tous les enfants qui arrivent, les soutenir dans le monde incertain et même les guider un peu, c'est, j'en suis persuadé, la tâche la plus élevée qui puisse réussir à un homme."
..Lui vit à Prague, la jeune femme à Berlin. Une correspondance abondante s'engage alors. Au début tout flotte dans l'indécision. Felice hésite. Le caractère de Franz lui semble trop singulier. elle le pense inapte à la vie de tous les jours. Elle aimerait ne plus avoir de rapports avec ce garçon tellement imprévisible. Lui, quand il prend la mesure des réticences de son aimée, redouble d'effort pour la persuader de l'épouser. Ils vont ainsi se rapprocher, s'éloigner, se fiancer, rompre, se retrouver...  
"Ma vie a quelque chose de l’asile d’aliénés… Je suis enfermé non pas dans une cellule mais dans cette ville… J’implore la plus chère des jeunes filles… Mais en fait je n’implore que les murs et le papier."
..Kafka adresse une première lettre à Felice Bauer quelques jours après leur rencontre. Cette lettre aura un double effet immédiat pour son auteur. En une nuit, et en plein état d’exaltation, Kafka écrit Le Verdict, texte considéré comme inaugural de sa vocation d’écrivain. 

..Cette première lettre à Felice marquera l’interruption de son Journal, qu'il ne reprendra qu’en février 1913. Dans les lettres qu'il écrit à la jeune femme, on découvre un Franz Kafka levant le voile sur ses sentiments les plus intimes. On y trouve des considérations sur l'écriture comme sa lettre du 20 décembre 1912 : 
"Je sens que lorsque je n’écris pas, une main inflexible me repousse hors de la vie". 
Il est perpétuellement en proie à des désirs opposés, balancé entre le désir de l'épouser, parce que cela correspond à son devoir de fils et de juif, que le mariage pourrait l'installer dans la vie sociale, et la conviction que cette union sera sa chute et formera un obstacle terrible à sa liberté d'écrire. Mais lorsqu'elle ne lui écrit pas, il est malheureux. Lorsqu'elle lui écrit, il est saisi de doute... Il se demande comment il pourra organiser sa vie avec cette femme. Lourd dilemme :  
"Il est même improbable que je m'entende à vivre avec quelqu'un, mais je suis incapable de supporter seul l'assaut de ma propre vie, l'offensive du temps et de l'âge, les timides incitations à écrire, les insomnies, l'imminence de la folie - tout cela je ne puis le supporter seul. Peut-être, ajouterai-je naturellement, l'union avec Felice donnera à mon existence davantage de force pour résister." 

 Mais un peu plus loin il avoue sa peur de se lier, de se perdre dans un autre être, car il ne serait plus jamais seul et il sait qu'il a besoin de la solitude pour écrire. 
"Devant mes sœurs j'ai été souvent, surtout par le passé, un homme tout autre que devant les gens. Hardi, aventureux, puissant, étonnant, ému, comme je ne le suis d'ordinaire qu'en écrivant. Si grâce à ma femme je pouvais être tel devant tous ! Mais ne serait-ce pas autant de pris sur mon art ? Tout, mais pas cela, pas cela ! Seul, je pourrais peut-être un jour abandonner vraiment mon poste. Marié, je ne le pourrai jamais."
..Finalement, le 12 août 1913, Franz envoie la première lettre de rupture à la jeune femme. Elle lui répond par trois lettres successives qui le font changer d'avis. Le 18 août il annonce à son ami Brod qu'il a demandé la main de Felice. Une nouvelle crise éclate l'année suivante, en 1914. Felice ne veut plus entendre parler de lui. Il notera dans ses carnets : 
"S'il était possible d'aller à Berlin, d'être son maître, de vivre au jour le jour, en mourant de faim aussi, mais en donnant libre cours à mes forces, au lieu de lésiner ici ou plutôt de dévier vers le néant. Si Felice le voulait, si elle venait à mon secours."


..Peu après, les fiançailles de Franz et Felice ont lieu à Berlin et un appartement pour le jeune couple est loué à Prague. Une nouvelle rupture survient en juillet de la même année également à Berlin suivie d'une explication pénible avec les parents de Felice. Mais le silence ne dure que deux mois et la liaison se rétablit peu à peu et le projet de mariage resurgit. La Grande guerre éclate et Franz espère se marier après la fin du cataclysme. Les secondes fiançailles ont lieu. Franz ne cesse de se tourmenter par des doutes et par des remords à l'égard de Felice, mais il poursuit avec acharnement son œuvre littéraire. En août 1917, il est pris pour la première fois d'une forte toux accompagnée de crachement de sang. On diagnostique très vite une tuberculose pulmonaire. Il explique sa maladie psychiquement, comme liée à sa fuite devant le mariage. Il la nomme capitulation définitive. C'est pour lui comme une délivrance. En décembre 1917, Felice arrive à Prague et cette fois-ci la rupture est définitive. Il raccompagne Felice à la gare et se rend ensuite au bureau de son ami Max devant qui il éclate en sanglots. 
"Ce fut la seule fois que je l'aie vu pleurer, écrira Max Brod, je n'oublierai jamais cette scène, l'une des plus émouvantes qu'il m'ait été donnée à vivre." 
..Le combat entre le besoin d'amour et la peur de l'amour est fini, mais c'est la littérature qui gagne. Ce sera elle qui sera désormais la véritable maîtresse de l'écrivain et ne cédera sa place privilégiée dans son existence qu'à la Mort... Finalement, la rencontre avec Felice Bauer aura libérée toute la puissance créatrice de Kafka. Nous lui devons de magnifiques lettres. 


25 septembre 2016

Sur mes pas d'autrefois...

Réédition d'un billet publié sur TraMezziniMag I, le 9 mai 2007 :


Cette photo empruntée au magnifique site Venice Daily Photo, montre le portique de la Corte del Sabion, qui permet de passer de la fondamenta où se trouve aujourd'hui la boutique de la Guggenheim (à mon époque la galerie de Bobo Ferruzzi où je travaillais) au campiello qui débouche sur la calle Navarro, où j'ai habité jusqu'à mon retour en France en 1986. 

Au bout de la corte vivait une vieille femme qui nourrissait (et abritait) une nombreuse colonie de chats. L'écrivain Dachine Rainer, aujourd'hui disparue, attendrie par ces chats abandonnés souvent faméliques, m'avait chargé de distribuer à la vieille femme une assez forte somme d'argent pour veiller à l'entretien des petits orphelins. Puis la dame a été expulsée. 

On m'a dit qu'elle s'était installée à Cannaregio, non loin du Teatro Italia avec ses chats. Parmi eux, Rosa, ma jolie petite chatte grise aux beaux yeux verts, jamais retrouvée quand je suis revenu Calle Navarro pour la ramener en France avec moi... Venise est ainsi remplie de lieux pittoresques qu'il faut apprendre à découvrir. Ouvrez l’œil, visiteurs ! 

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3 commentaires : non archivés par Google. 

10 septembre 2016

Le plus ancien ghetto du monde a 500 ans


29 mars 1516. La Sérénissime après un certain nombre de réunions, conversations, rencontres au sommet de l’État, décide d'imposer aux juifs de Venise de se regrouper à l’extrémité nord de la ville, dans la contrada San Girolamo, sur un terrain appelé Geto, vaste terrain formant une île borée par des canaux. Il fut décidé que l'accès à ce lieu serait limité à deux portes, ouvertes le matin et refermées le soir. Les habitants n'étaient autorisés à le quitter que dans la journée, pour vaquer à leurs occupations et devaient porter un signe distinctif, rond jaune apposé sur leur vêtement ou béret jaune... Seuls les médecins pouvaient sortir la nuit pour se rendre au chevet des chrétiens malades. 
C'était il y a cinq cents ans. Le premier ghetto venait de naître. Son appellation sera désormais associée à tous les lieux de ségrégation dans le monde, à tort ou à raison. Cet anniversaire a été l'occasion de nombreuses manifestations sur place et dans le monde. Tramezzinimag abordera plusieurs thématiques qui ont fait l'objet de publications, de conférences ou d'exposition. 

Nous reparlerons entre autres du superbe documentaire "Geto", écrit et réalisé par Regina Reznik dans les années 80 dont j'avais écrit avec quelques amis la version française, jamais encore diffusée et de l'excellent ouvrage de Donatella Calabi, "Ghetto de Venise, 500 ans" qui vient de paraître chez Liana Levi.

15 février 2016

Un parfum de Craven A (2)


Antoine se dirigeait vers le campo. Il y avait peu de monde encore dans les rues. Des retardataires se hâtaient de franchir le portone du Palazzo Recanati, siège du lycée artistique. Il se sentait paisible et détendu. Pas de cours pour lui, aujourd'hui, le professeur avait prévenu de son absence. Après la colazione avec ses amis, ce sera de longues heures à la bibliothèque. Betti préférait celle de Ca'Foscari, Stefano et lui, les hautes salles de la Querini Stampalia. Il se répétait ces vers de Rimbaud découverts la veille en exergue d'un roman médiocre qu'on lui avait offert :
C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie.
- Était-ce donc ceci ?
- Et le rêve fraîchit.
Je ne sais plus qui a écrit que c'est dans le sombre de la nuit qu'il est beau de croire à la lumière. Propos d'un ravi, d'un fou de dieu ou d'un pauvre illuminé qui ne voudrait pas voir la vie comme elle est, terrible et absurde ? Niaiserie ? Certainement pour bon nombre de nos contemporains dans un monde devenu difficile et où les repères s'effacent rendant nos pas hésitants. Quiconque a vécu assez longtemps à Venise a fait l'expérience de cette rédemption de l'âme. Même sujet au doute, au désarroi ou à la peine, la guérison se fait soudaine des plus douloureuses blessures qu'un cœur peut avoir à endurer. Il suffit la plupart du temps d'aller dans les rues de la Sérénissime, la nuit plus particulièrement et de marcher jusqu'à ce que la fatigue et l'instinct nous pousse à rentrer...


Je ne connais pas de chagrin qui ne s'efface ou du moins reprenne miraculeusement place parmi les simples dysfonctionnements de l'existence, après deux bonnes heures de promenade nocturne des Fondamente Nuove à la pointe de la douane - exception peut-être de l'horrible période où la municipalité avait autorisé un milliardaire iconoclaste à remplacer le lampadaire des amoureux et des pêcheurs qui siège depuis Fançois-Joseph à l'extrême pointe des Zattere, aux pieds de la Fortune dorée des magazzini qui abritent ses collections d'art contemporain, par un adolescent et une grenouille) - quand les touristes ont regagné leurs pénates et que la nuit s'étend sur la ville. Pas un cri, plus un appel, les cloches même se sont tues et l'absence de véhicules à moteur, tout concourt à faire des lieux un monde de silence habité mais vide aussi. Cet endroit unique produit une atmosphère unique, "un cas de beauté, un paysage mental" écrit Paolo Barbaro dans son Lunario veneziano. Nous sommes sur une île et sur une île, on est bien plus seul avec soi-même que sur la terre ferme. cela ouvre au poète un univers de cauchemar ou de rêve. 

Antoine lisait de la poésie la nuit dans son petit taudis de la calle del'Aseo. Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, La Tour du Pin... Mallarmé était son préféré. Quand les vers du poète faisaient remonter en lui mille rancœurs ou des désirs inattendus, il partait le long des ruelles, traversait San'Alvise et arpentait le pas vif le pavé des quais qui font face aux îles. Il avait ainsi besoin de marcher, longtemps. Le casque de son walkman emplissait ses oreilles des mêmes musiques : Après un rêve de Fauré pour les moments de grande nostalgie, le Gloria et le Magnificat de Vivaldi pour les jours de fougue et de détermination, la sonatine de l'Actus Tragicus de Bach ou, plus prosaïquement, les chansons de Simon &Garfunkel ou bien encore le "Walk in the wild side" de Lou Reed dont il comprendra le sens que bien plus tard, arrivé à l'âge adulte et bien loin de Venise...
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser:
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts:
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul
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Il était arrivé en Italie sans vraiment savoir pourquoi. Il fuyait les derniers mois où le deuil et le chagrin s'étaient emparés de sa vie. La mort de son père, son échec à l'université, sa rupture avec celle qu'il avait tant aimé... Rien que de très banal. Pourquoi Venise ? L'appel du sang ? Trop romantique. La facilité ? Il y était venu tant de fois depuis son enfance ? Il aurait été bien en peine de trouver une réponse. Il savait seulement qu'il lui fallait être là. Pour revivre. Pour se construire. Et il avait croisé Anna. Enfin.

à suivre.

15 août 2015

"La canzone dei vecchi amanti" par Franco Battiato

La très belle version en italien de la chanson de Jacques Brel, qui s'échappait l'autre soir d'une fenêtre ouverte, dans une ruelle improbable de Canareggio, du côté de San Sebastiano, comme un retour en arrière... La voix de Franco Battiato résonnait sur les murs hauts et étroits ; les magnifiques paroles semblaient vouloir s'envoler et se répandre dans la ville endormie. Je remontais la rue à la recherche d'un peu de fraîcheur, porté par la musique. Soudain les cloches se sont mises à sonner, se répondant les unes aux autres, puis des mouettes lancèrent leur cri, un volet claqua, une mère appela son enfant qui ne répondait pas. Le vent se leva, doux et parfumé... Je venais de mettre mes pas dans les pas du garçon que j'étais trente ans plus tôt. Qui était le doux, le tendre, le merveilleux amour qui occupait mon cœur cette nuit-là, dans les années 80 ? Plusieurs noms me viennent aux lèvres en même temps qu'un sourire ému... Est-ce à cause de la musique qui accélère ma respiration, est-ce à cause du vent qui soudain s'est levé sur les Fondamente Nuove, mais j'ai comme des larmes dans les yeux ?... 

10 mai 2014

Un Grand Week-end à Venise sur europe 1 ce matin

C'était ce matin sur Europe 1, dans Un Grand Week end, l'émission de Marjolaine Koch qui parlait de l'art contemporain à la Punta della Dogana et de... tramezzini, que votre serviteur a essayé de décrire au micro, mais en quelques secondes c'est bien court. 

Pour ceux que cela intéresse, ces quelques minutes consacrées à la Sérénissime par une journaliste sympathique et passionnée en podcast  ICI

J'en ai dit davantage que ce qui est passé en ligne, mais c'est cela la radio ! L'occasion aussi d'annoncer un prochain billet consacré à ces merveilleux petits sandwiches vénitiens qu'on peut essayer de faire chez soi. A suivre donc !

Ce billet publié sur le site originel
 a suscité 2 commentaires non archivés par Google.

23 août 2013

Connaissez-vous le petit théâtre de la Villa Groggia ?

 «Nullis Haec Domus Improbis Amica Sit» 
(Que Cette maison Ne Soit Amicale Avec Aucun Méchant» 
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Relancé en 2011, le projet socio-culturel "Cantiere Groggia" offre chaque année des spectacles vivants pour les adultes comme pour les enfants. Ainsi, théâtre, musique, danse prennent vie dans ces lieux peu connus des touristes mais très fréquentés par les vénitiens. Avec une capacité de 99 places assises, le petit théâtre Groggia est devenu au fil des années un lieu où s'exprime une véritable créativité. Les potentialités expressives de cet outil ont permis la découverte d'artistes de tout styles et d’œuvres passionnantes. Des modes de communication ou d'intermédiation y ont vu le jour faisant des lieux un véritable laboratoire d'expérimentation culturelle où sont sans cesse mêlés l'ultra-contemporain et le classique, l'universel et le local.Installé dans le petit parc méconnu qui porte le même nom, tout au fond du sestiere, là où le visiteur étranger s'aventure peu, le teatrino, récemment rénové, est avant tout conçu comme lieu de vie citoyen. Salle de spectacle et centre socio-culturel, c'est aussi le siège du Conseil de Quartier de Cannaregio.


Si l'urbanisation de la zone de Sant'Alvise ne débute que dans les premières années du 'XVe siècle, on peut dater la construction des bâtiments et des jardins entre 1500 et 1550. Ils figurent sur le fameux plan de Paolo Forlani, daté de 1566 (Pianta Prospettica della Città e della Laguna), bien que sous une forme architectonique complètement diverse.  
 
Sur cet emplacement se dressait le premier Palazzo Donà, aujourd'hui disparu,dont il ne reste que quelques murs Puis le parc devint un terrain d'entraînement qui a servi aux artilleurs pour leurs exercices jusqu'au milieu du XIXe. On transforma ensuite les bâtiments restés debouts en pôt de bois et l'espace vert abandonné fut qualifié par l'administration comme potager et verger. Vers les années 1880, on construisit des magazzini (hangars), qui abritèrent diverses denrées.
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Puis le terrain et l'ensemble des constructions furent rachetés par le chevalier Giuseppe Groggia, ancien élève de l'Académie des beaux-Arts, sculpteur connu au XIXe dans toute la Vénétie qui fit construire une résidence face à la lagune. Les terrains situés entre la fondamenta et la villa furent aménagés en jardin romantique avec, ça et là, des vestiges reconstitués de l'antique Palazzo Donà. Une fois démoli (en 1823), le palais ne fut pas dégagé et on abandonna les ruines.  
 
Giuseppe Groggia en réutilisa des morceaux pour décorer le parc, donnant ainsi à l'endroit une certaine magie romantique. Derrière la maison, sur le front de lagune on édifia des bâtiments qui abritèrent les entrepôts de la CIGA (que l'on peut encore apercevoir sur les Fondamente Nuove) - cette société hôtelière de grand luxe qui appartenait à l'Aga Khan. Le chevalier Groggia fit bâtir le teatrino sur l'emplacement des anciens magazzini.

 
La construction du petit théâtre aurait été ordonnancée par le cavaliere. D'autres sources cependant le font dater des années 1910. Quelque soit son année d'origine, les constructeurs ont repris  plusieurs éléments de la structure originelle du hangar qui se dressait sur cet emplacement, notamment des parois en briques visiblement anciennes, ainsi que des restes du Palazzo Donà. 
 
Chaque année, la commune y organise, avec l'aide de plusieurs associations locales, une saison culturelle qui attire beaucoup de monde, tous styles et toutes générations confondues.
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Pour en savoir davantage sur les évènements au Teatro Groggia di S.Alvise :

20 juillet 2013

L'été à Venise à l'ombre des arbres et dans le silence des maisons

Lorsque l'été est vraiment, vraiment là à Venise, la vie en ville change inexorablement. Vivre à Venise est un art en temps normal, mais devient presque une science entre ces deux dates-butoir que sont la Festa del Redentore (3e weekend de juillet - précisément aujourd'hui) et la Regata Storica (premier dimanche de septembre). Il fait chaud. Très chaud et l'invasion des touristes est à son comble. Ils ne sont peut-être pas statistiquement beaucoup plus supérieurs en nombre qu'en mai ou juin mais le fait d'avoir eux-aussi à affronter la moiteur de l'air et la puissance du soleil semble démultiplier leur présence. C'est à cela qu'on reconnait que Venise s'enfonce dans la langueur de l'été : touristes dénudés avachis à l'ombre dans les jardins du Palais Royal à San Marco, ou du côté des Giardini à Castello, pieds qui trempent dans l'eau des canaux, arrêts fréquents sur les marches des ponts quand on y trouve un peu d'ombre, odeurs sui-generis du touriste en promenade, mêlées aux relents d'after-shave et de déodorants trop parfumés, bouteilles plastiques et canettes de bière vides qui débordent des cestini le long des rues et sur les campi et flottent sur les canaux... Et puis les trains de gondole jusqu'à pas d'heure qui passent avec les rengaines habituelles dans les canaux lorsque la nuit tombe... D'autres mieux que moi ont décrit la vie touristique de la Sérénissime en été. 

  
Pour les vénitiens qui restent encore, le rythme de vie change aussi et pas seulement à cause des hordes de touristes. Cela, ils en ont l'habitude. Non la vie change car tout le monde soit s'adapter aux grandes chaleurs, à l'absence de vent, à la rareté de l'ombre. Le vénitien se lève tôt et sort à la fraîche pour aller faire ses emplettes. En plein été, sortir chercher le journal, aller prendre le café du matin et la brioche qui va avec, devient une véritable geste. Bon nombre de cafés et pasticcerie ont installé l'air conditionné. piège terrible et monstre pas très écologique. De quoi attraper une bronchite tellement il y fait froid. Pour ma part, je craindrais davantage une syncope à passer des 18° du local aux 32° de dehors ! Le vénitien, donc, cherche l'ombre, prend des raccourcis inconnus des touristes, là où il fait plus frais, et ne se hâte pas pour ne pas souffrir outre mesure de la chaleur. Les volets sont fermés dès 9 heures, les stores baissés. plus question de boire son jus d'orange sur l'altana ou le balcon. Trop chaud. On rentre les plantes qui risqueraient autrement de bruler littéralement et quand on habite dans les étages supérieurs, l'eau de la douche a du mal à venir à nous. Pas assez de pression et moins d'eau... Rien que de très banal. 

Il y a d'heureuses contreparties : les fleuristes du Rialto baissent plus facilement leurs prix car les pauvres fleurs arrivées pimpantes à l'aube, souffrent vite de l'air bouillant, les étals de fruits et légumes proposent des délices qui parviennent en ville chaque jour depuis les montagnes : myrtilles, groseilles, framboises viennent s'ajouter aux délicieuses pêches, aux abricots et aux raisins cueillis aux alentours de la Sérénissime. Les melons sont parfumés à se damner... Dans les maisons tenues fraîches, il règne une douce atmosphère. Le plus souvent, le terrazzo, ce sol fait d'éclats et de mosaïques de marbre, que je regrette en hiver, s'avère le bienvenu en été. La lumière filtre à peine à travers les persiennes et les stores. Tout invite au farniente, à la sieste. 

Pas un vénitien véritable qui s 'aventure dehors, sauf à y être contraint, entre 13 heures et 17 heures. Le silence dans certains quartiers est un bonheur. Même les oiseaux qui depuis le mois d'avril nous régalent de leurs trilles, se taisent. Seuls les goëlands et les hirondelles crient encore. Puis vient le temps de la passeggiata. On se rend sur les campi les plus frais, on se promène sur les Esclavons ou les Zattere, mais le plus tard possible, lorsque les touristes sont partis dîner voire quand ils sont enfin rentrés se coucher. Les vénitiens aussi vont dîner all'aperto et les trattorie qui échappent encore aux chinois et proposent encore des mets traditionnels à des prix nostrani (vous savez bien, ceux qui n'affichent pas de menu ni de carte en d'autres langues que celle de Dante). Rentré, il faut souvent faire avec les moustiques, le chant des gondoliers (mais bon, cela reste plus sympathique, sauf si vous avez décidé de vous coucher avant minuit !) et plus avant dans la nuit, quand un petit vent frais se faufile discrètement, le bruit des valises à roulettes que les touristes arrivés de nuit traînent avec eux sur le chemin - qu'ils ont le plus souvent du mal à trouver - de leur hôtel.Il y a longtemps que le dernier codega a rendu l'âme et sa lanterne...


Ne croyez-pas que je veuille décrire la Venise du plein été comme un enfer. Il faut toujours garder un œil amusé et n'avoir que des pensées positives. Le propos de ce billet en fait était de parler des endroits méconnus des touristes où il fait bon se rendre quand il fait chaud et qu'on ne veut pas rester enfermé chez soi. L'excellent blog Côté Jardin présente justement un de mes lieux favoris, les jardins du palazzo Bembo. J'ai longtemps habité non loin et ce bel espace tranquille s'ajoute à la liste des espaces verts méconnus - heureusement - de la Sérénissime. 


Le petit square des étudiants, en face de la reprographie et du Bureau des élèves de la Ca'Foscari, le jardin de l'ancien lycée arménien, celui de la maison du peintre Wolf-Ferrari, re-devenu une annexe de la Ca'Rezzonico, et tant d'autres à l'accès plus ou moins libre, plus ou moins régulier...
 
 
La Biennale 2013 permet aussi de pénétrer des cortile arborés et de délicieux petits jardins abandonnés comme on en oublie dans Venise depuis des siècles. Faut-il en dresser la liste ? Nombre des sites cousins et amis de Tramezzinimag ont depuis longtemps publié des billets sur ces lieux. Fort heureusement, la plupart de ces petits paradis ne sont pas ouverts au public, ou du moins ne le sont que sur demande ou pour des occasions particulières. En revanche, la littérature qui leur est consacrée est assez fournie avec des publications le plus souvent de qualité. 
 

[ Note ajoutée le 29/07/2023 :   Il y avait à l'origine neuf commentaires sur ce billet malheureusement perdus lors de la suppression par Google du blog en juillet 2015. Huit ans plus tard en dépit de nombreuses interventions et une procédure qui n'avance pas, aucune réponse de Google concernant la disparition du blog et de toutes les archives de Tramezzinimag...:]