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17 novembre 2019

Venise en danger : et les vénitiens se mirent à prier...(1)


"Et la lumière se divise à l'arc-en-ciel rompu des pleurs
Car nulle part comme à Venise on ne sait déchirer les fleurs
Nulle part le cœur ne se brise comme à Venise la douleur
Chante la beauté de Venise afin d'y taire tes malheurs"

Ces vers d'Aragon,  ils me viennent sur les lèvres à chaque fois qu'on évoque l'acqua alta et les risques qu'elle représente pour la Sérénissime, qu'elle blesse un peu plus à chacune des marées trop fortes et des tempêtes qui semblent devoir se produire bien plus souvent qu'avant. J'y songe aussi lorsque, les deux premiers jours de novembre, les bateaux pour San Michele, l'île des morts sont bondés et que leur silhouette alourdie par la foule de vénitiens qui se rendent sur la tombe des leurs, les bras chargés de fleurs. Il y a toujours quelque chose de pathétique dans cette vision. Une île lumineuse et noire où le blanc des pierres de l'église, le rouge des briques du mur d'enceinte et la masse obscure des cyprès se reflètent dans l'eau toujours agitée par les marées et le vent. 

Cette année, pour la première fois depuis longtemps, un pont flottant a été érigé qui permettait aux vénitiens de se rendre au campo santo comme en pèlerinage. Le pathétique demeure quand, sous un ciel bas et tristement grisâtre, les remous de l'eau d'un vert de vase, le vent glacé, on regardait toutes ces silhouettes avançant silencieusement vers l'île.

Rien en dépit du mauvais temps ne semblait présager que la Sérénissime allait frôler une catastrophe identique ou pire que celle de 1966. Rien n'annonçait encore l'immonde acqua granda de ces derniers jours. Rien ne laissait présager ce triste retour à une réalité que le monde ignore et que les vénitiens éloignent de leurs pensées.
La Chiesa di San Michele in isola. Huile de Roger de Montebello. © Roger de Montebello
L'union de l'esprit et du sensible
La terreur de sombrer est pourtant bien présente. A l'image du peuple chinois d'aujourd'hui que leurs maîtres ont choisi d'asservir avec un nouvel opium, l'argent à tout prix, dès le lendemain de la répression de 1989, les balles, les baïonnettes et les chars d'assaut, les emprisonnements - les vénitiens se sont un peu laissés porter pour la plupart. La protection de l'Unesco, la renommée universelle de leur ville, l'afflux de millions de portefeuilles en même temps que le chantier pharaonique du MOSE (1) qui allait protéger définitivement la lagune et ses îles du déluge et nous en sommes là. Novembre 2019, Venise n'est pas encore sûre de pouvoir être épargnée et définitivement coulée...

Ce fut hélas un joli rêve ce MOSE qui sauverait la lagune à tout jamais de l'invasion des eaux, car aujourd'hui, le barrage n'ayant jamais été terminé à ce jour (1), il semblerait que rien ne pourra arrêter les flots destructeurs, si une malheureuse conjonction de fortes marées, de vents violents et de fortes pluies déferlait sur la lagune, identique ou supérieure à cette acqua granda de 1966 qui faillit emporter l'essentiel de la cité des doges comme elle faillit détruire Florence et alerta le monde entier. De nombreux experts firent part de leur doute bien avant le début des travaux et les voix ne se sont jamais taries pour critiquer au mieux l'insuffisance du modèle choisi, au pire son inefficacité qui semble évidente. 

© open online. 17/11/19
Le philosophe Massimo Cacciari, lors maire de Venise, fut de ceux-là Carlo Giupponi, professeur d'économie de l'environnement à l'Université de Venise est clair : "Avec l'accélération du changement climatique, la capacité d'adaptation de la ville est mise à dure épreuve !". Répondant aux questions d'un journaliste, l'universitaire qui est aussi recteur de l’Université internationale de Venise de San Servolo, est un expert internationalement en science et gestion du changement climatique, il détaille ses objections qui laissent dubitatif :

Au fil des siècles, explique le professeur Giuponni à , dans sa chronique de ce jour sur le site de l'AGI, "Venise s’est toujours adaptée aux phénomènes naturels auxquels elle a été exposée, et notamment ce phénomène de montée du niveau de la lagune sur laquelle elle a été construite il y a plus de mille ans, mais maintenant, avec l’accélération des phénomènes, son adaptabilité est mise à rude épreuve et même le projet MOSE, pourtant conçu il y a moins de vingt ans ne sera pas capable de faire face aux changements climatiques actuels."

Déjà il y a 350 ans, l'ingénieur en hydraulique Benedetto Castelli, appelé par le doge à étudier les phénomènes de marée pour protéger Venise des hautes eaux, expliquait combien barrer la route aux fortes marées était une tâche difficile qui ne suffirait pas toujours. Auteur du fameux traité "De la mesure des eaux vives" - un ouvrage paru en 1628, qui initia la science hydraulique moderne -, il avait déclaré au sénat et au doge qu'il fallait s'en remettre à la nature plutôt qu'à croire pouvoir la contrer.
"Les vents seront toujours sourds, la mer sera constante dans son inconstance, les rivières seront très têtues..."
L'alluvion du 12 novembre avec ses 187 centimètres, presque aussi forte qu'en 1966 était-il exceptionnel ? demandait le journaliste. La réponse du professeur Giupponi est édifiante :
"Les événements extrêmes sont de plus en plus fréquents. La situation de ces derniers jours à Venise est similaire à celle qui a provoqué l'an dernier la tempête Vaia (qui, fin octobre, a frappé l'Italie, avec de graves dégâts en Vénétie, ndlr) : fortes précipitations associées à un fort vent de sirocco. Si, en mille ans, un phénomène comme celui-ci a pu se produire plusieurs fois, le fait que cela se produise deux années de suite est significatif. "
Au cours de la conversation chez lui à Venise, Carlo Giupponi montre la photo de la porte d'un édifice médiéval dont les marches se perdent dans l'eau du canal, soulignant la marque que la lagune a laissée sur le mur, au moins dix centimètres plus haut que le niveau de l'époque où le bâtiment a été construit. Mais qu'est ce que cela signifie ? interroge le journaliste :
"Ce la signifie qu'au-delà des données objectives que nous sommes capables de mesurer aujourd'hui, nous avons une idée de la hausse du niveau de l'eau et de la capacité d'adaptation de Venise à s'y adapter en comparant les images actuelles avec celles des peintures anciennes. Au cours des dernières décennies, l’eau a augmenté en moyenne de 5,6 millilitres par an. Au phénomène global d'élévation du niveau de la mer s'ajoutent à Venise des phénomènes naturels spécifiques à sa lagune ainsi que le résultat d'actions humaines, telles que l'excavation des canaux et l'exploitation de la nappe phréatique. La ville s’est toujours adaptée aux changements naturels, mais cette capacité a une limite : elle risque de ne plus pouvoir suivre l’accélération des phénomènes. "
 Sur la différence entre l'acqua alta de ces derniers jours et celle d’il y a 53 ans, il ajoute :
"Celle de 1966 était due à la superposition de deux marées combinées au Sirocco, ce qui était une combinaison très rare à l'époque. Maintenant, au lieu de cela, cette conjonction de différents facteurs se produit de plus en plus souvent, mettant à l'épreuve la capacité de Venise à faire face à l'urgence ".
Qu'en sera-t-il avec l'achèvement de Moïse, la situation sera-t-elle sous contrôle ?
"C’est un projet particulièrement rigide qui a été conçu dans un contexte environnemental différent d'aujourd'hui. Ainsi, il risque de ne pas pouvoir s'adapter aux changements en cours. En particulier, il ne prend pas suffisamment en compte le facteur vent qui accroit désormais l’effet du phénomène. De plus, les travaux effectués pour la construction du MOSE ont à leur tour provoqué un changement sur les marées affectant le Lido qui  sont maintenant plus rapides,  montent plus vite avec des courants plus forts. Tout cela rend beaucoup plus difficiles les prévisions dont la ville a besoin pour se préparer et se mettre à l'abri "
Les panneaux du MOSE

Pourquoi beaucoup de Vénitiens ne croient pas en l'efficacité du projet MOSE ?
"Les Vénitiens ont une dent contre le MOSE parce que ce projet a absorbé la plupart des fonds qui auraient normalement dû servir à assurer la propreté des canaux et à mettre en place tout ce qui aurait permis à la ville d'affronter l'acqua alta. Depuis une vingtaine d'années, l’entretien ordinaire des canaux financé jusqu'alors par les sommes versées à la suite de la Loi Spéciale adoptée juste après novembre 1966, n’est plus effectué."
En tant qu'expert du changement climatique, pensez-vous que nous pouvons encore être optimistes quant à l'avenir ? s'aventure à demander le journaliste.
"Tous les graphiques sur les phénomènes économiques, sociaux et même naturels montrent une accélération générale au cours des dernières décennies. Ce qui était valable dans le passé en terme de prévisions, n’est plus valable. Dans un tel contexte, si vous voulez être pessimiste, vous en toutes les raisons.
Mais si vous voulez rester optimiste, vous devez alors vous concentrer sur la définition de notre époque géologique, l'Anthropocène (NDT : voir note 3). Cela signifie que l'homme est l'un des principaux facteurs de l'évolution géologique et que notre capacité à contrôler les problèmes est plus grande que par le passé. D'un côté, nous avons créé ces problèmes, de l'autre nous ne sommes plus à leur merci. Nous avons donc besoin de plus de conscience et de responsabilité. Tout le monde peut faire sa part. D'une part, la science déclenche des alarmes, que le politique n'écoute généralement pas, car l'horizon temporel des scientifiques est trop long pour intéresser les politiciens qui se concentrent sur les prochaines élections.
Par ailleurs, pour cette même raison, les citoyens peuvent influer considérablement sur les choix des responsables politiques, dans la mesure où ils votent pour eux. Il existe un lien direct. C'est pourquoi le rôle de mouvements tels que les "Vendredis pour l'avenir" et la très critiquée Greta Thunberg me semble important. "

à suivre...






Remerciements à Francesca Venturi et à l'AGI.

1- Le MOSE (acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico) est un barrage mouvant qui permettra de fermer les ouvertures de la lagune sur l'Adriatique et devrait contenir les eaux des grandes marées. Depuis l'origine le projet est réputé inadapté et insuffisant au vu de la montée générale des eaux avec la fonte extrêmement rapide des glaciers et de la calotte glaciaire.

2- A l'image de nombreux projets souvent imposés par des politiciens alléchés par la manne financière pour leur parti ou pour leur profit personnel dont on découvre la trace un peu partout dans la péninsule.

3- L'Anthropocène est un néologisme construit à partir du grec ancien ἄνθρωπος (anthropos, être humain) et καινός (kainos, nouveau, suffixe relatif à une époque géologique), en référence à une nouvelle période où l'activité humaine est devenue la contrainte géologique dominante devant toutes les autres forces géologiques et naturelles qui avaient prévalu jusque-là. 

Selon Wikipedia, il s'agirait de "la période durant laquelle l'influence de l'être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu'elle est devenue une « force géologique » majeure capable de marquer la lithosphère. La période la plus récente de l'anthropocène est parfois dite la grande accélération, car de nombreux indicateurs y présentent des courbes de type exponentielle. [...] Les activités humaines ont la capacité de provoquer des modifications importantes de l'environnement terrestre, notamment via l'agriculture intensive et la surpêche, la déforestation et les forêts artificielles, les industries et les transports, l'évolution de la démographie et l'urbanisation, la fragmentation écologique, la réduction ou destruction des habitats, la pollution, non plus seulement ses formes locales et transitoires (ex : les marées noires) mais surtout des formes globalisées à caractère pérenne (composition atmosphérique ; omniprésence des microplastiques, pesticides et perturbateurs endocriniens ; etc.), l'augmentation exponentielle de la consommation et donc de l'extraction des ressources fossiles ou minérales (charbon, pétrole, gaz naturel, uranium, etc.), le changement de cycle de certains éléments (azote, phosphore, soufre), l'exploitation du nucléaire comme énergie ou comme arme, etc.


21 octobre 2019

La reine Mathilde visite la 58e Biennale

C'était il y a un peu plus d'un mois, un après-midi de septembre, gris et pluvieux mais tranquille, qui a vu la reine des belges en visite à la Biennale, quelques semaines avant la fin de cette 58e édition particulièrement intéressante. Le reportage ci-dessous semble vouloir ne montrer que la tenue de sa Majesté, sans que soit mis en avant l'intérêt de la souveraine pour la création artistique contemporaine et les connaissances du couple royal. La Reine prend un réel plaisir lors de ces visites, marchant sur les pas de la reine Fabiola. La reine Mathilde s’ implique très fortement dans la vie culturelle du royaume.

La reine a ainsi visité le pavillon de la Belgique, avec l'exposition "Mondo Cane" (Monde Chien) de Harald Thys et de Jos De Gruyter, mais aussi l'exposition Luc Tuymans au palais Grassi, intitulée “La Pelle”  (la Peau), et celle de la belgo-zaïroise Otobong Nkanga à l'Arsenal.

La reine a ainsi parcouru les hauts-lieux de cette Biennale tournée sur les évènements du monde, ces horreurs qui marquent peut-être l’inéluctable avancée de nos civilisations vers leur terme ; La crainte d'une catastrophe finale et le déploiement permanent de mille complexités qui peuvent effrayer ou au contraire ouvrir les esprits à d'autres possibles. La voie ouverte peut-être enfin pour reléguer dans loin dans nos souvenirs, les tristes images d'une humanité décharnée, trop longtemps dénuée de compassion et d'empathie, où les hommes en courant après le mirage du progrès et de la croissance s’enfoncèrent dans un délire auto-destructeur. Une biennale qui aurait pu s'intituler "Et si les dinosaures s'étaient auto-détruits imités demain par les hommes ?" 

La reine a certainement son avis là-dessus et gageons que les conversations dont on n'entend hélas que de lointaines bribes ne portaient pas seulement sur le mauvais temps ou le bonheur d'être à Venise. Mais, comme il se devait, la souveraine ne s'est jamais départie de son sourire et de sa bonne humeur.

© Getty Images Entertainment / Olivier Matthys, 2019

08 juillet 2019

Cette fois encore, on n'est pas passé loin de la catastrophe !


Comment rester poli et mesuré devant les images publiées il y a quelques heures et qui montrent un de ces monstres marins qu'on persiste à appeler paquebots mais qui ne sont que des HLM de pseudo-luxes pour gogos incultes qui viennent "faire" Venise comme on fait caca, se répandent pour quelques heures dans la ville comme une diarrhée immonde et repartent sans avoir rien compris de la Sérénissime, sans même avoir contribué à l'économie locale puisque, hormis quelques fanfreluches fabriquées en Chine et une canette de Coca et des graines de maïs transgéniques pour nourrir les pigeons de San Marco sans comprendre pourquoi c'est interdit... 

Bref, avec le mauvais temps, un véritable déluge ce dimanche sur la lagune, et en dépit des trois remorqueurs, un monstre marin a littéralement frôlé la rive des Esclavons et des Sette Martiri, menaçant d'écraser un bateau et de démolir les quais de pierre. La tempête faisait rage, autre preuve de là où notre monde en est arrivé, toujours pour les mêmes raisons : l'appât du gain, le fric, le pèze, l'oseille et le pouvoir qui va avec. Le croisiériste Costa a de la chance. Il n'y a pas encore de morts, mais cela va venir et très vite. Pas besoin d'être devin, il suffit d'une mauvaise conjonction, non pas des astres, mais de la météo, des marées et du vent, de l'âge du capitaine et de l'humeur des vénitiens aussi. Car, se lèveront un jour des gens désespérés, déterminés qui s'en prendront aux passagers, aux marins sous-payés, aux vigiles, bref à tous et à n'importe qui. La violence se déchaînera. 

Ou bien, plus logiquement et mathématiquement plus plausible, une autre erreur de pilotage, un écran mal lu par un marin distrait, et ce sera le choc, le navire horrible, building de tôle et de verre plus haut que les palais qu'il nargue, avancera lentement vers la piazzetta, l'étrave pareille à des ciseaux, découpera le quai, les dalles de pierre et de marbre comme si elles étaient de papier, les colonnes s'écrouleront sur le pont du navire, la foule des croisiéristes, affolée hurlera sous la violence du choc, les débris de verre et les monceaux de pierres vénérables. La statue de San Todoro explosera au milieu de la salle à manger du navire, tuant des centaines de pauvres abrutis qui ne comprenaient pas l'hostilité des vénitiens quand ils passèrent devant le palais des doges. Les flots libérés pénètreront sur la piazzetta et une vague gigantesque ira se jeter contre les arcades de la Piazza, emportant tout sur leur passage, tables et chaises, touristes surpris par le raz de marée, les échafaudages s'écrouleront, la tour de l'horloge s'effondrera comme une partie de la basilique... Peut-être qu'à ce moment-là, devant les images des journaux télévisés de toute la planète, repris sur tous les médias sociaux instantanément, le monde s’émouvra de la situation et que les responsables politiques réagiront. 

Mais il sera trop tard. La Sérénissime aura reçu un coup fatal. Si l'accident reste isolé, si le temps n'est pas trop mauvais, elle sera peut être sauvée et pansera ses blessures, pleurera ses milliers de morts et se refera une beauté encore plus artificielle. Et l'exode des vénitiens reprendra de plus belle. Les touristes hésiteront à revenir, et le changement climatique achèvera de faire mourir la lagune sans laquelle la cité des doges ne saurait survivre. Les politiques à Rome et les affairistes de partout, flairant le filon, lèveront des fonds et détourneront une fois encore des milliards de dollars qui n'arriveront jamais jusqu'aux organisations qui œuvrent vraiment pour la Sauvegarde de Venise. Il ne parviendront à rien qu'à des malversations supplémentaires comme ils en ont l'habitude, mais un gigantesque complexe d'attraction verra enfin le jour face à la ville meurtrie. 

Disneyland nouveau genre qui attirera les gogos du monde entier acheminés à prix d'or... par maxi navi évidemment, et qui débarqueront au milieu d'une foule de déshérités et de migrants malades que l'Imperator Salvini aura abandonné à leur sort dans des îles abandonnées par les ultimes vénitiens, sans qu'aucun des multi-milliardaires qui tirent les ficelles du G20 ne se sentent en rien concernés ni le moins du monde responsables...  

Ironie et sourire (jaune). Colère surtout ! Qu'attendez-vous, Ragazzi, pour réagir avec détermination, force et violence s'il le faut et reprendre la destinée de la Sérénissime entre vos mains !


13 mai 2019

Notre-Dame : ce que dit la charte de Venise (petit cours à l’usage de Franck Riester)

Franck Riester devant l’Assemblée Nationale le 10 mai 2019 pour la discussion de la loi d’exception pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris
Tramezzinimag ne peut résister à présenter à ses lecteurs l'excellent et roboratif article de Didier Rykner paru vendredi 10 mai dernier dans La Tribune de l'Art, le jour même de l'intervention du ministre devant l'Assemblée Nationale. Texte qui donnerait du baume au cœur si les faits qui l'ont inspiré n'étaient pas d'une tristesse profonde. L'inanité mentale de nos dirigeants, leur inculture, voire leur bêtise donne envie de pleurer. Ce ministre qui n'a de rapport à la culture que celui qu'il co-signa avec Alain Chamfort sur la musique et le commerce, ferait un excellent concessionnaire automobile. Son père serait ravi qu'il prenne sa suite. Pourquoi ne le nommerait-on pas ministre des transports plutôt ? Après tout n'est-il pas diplômé d'une école de gestion. Nous sommes vraiment à l'ère des affaires et du pognon. Alors, l'art, la sauvegarde des monuments historiques, là-haut, ils s'en tapent le coquillard. Moi ça me rappelle "House of Cards"...
"Le débat aujourd’hui à l’Assemblée Nationale sur la loi d’exception a souvent été accablant. Entendre le ministre de la Culture expliquer que la charte de Venise dirait « très clairement » que « les restaurations doivent être distinguées de l’original » et que « les gestes architecturaux contemporains sont permis » prouve que celui-ci, une nouvelle fois, raconte n’importe quoi.

Que dit donc la charte de Venise. Il nous faut revenir à ce texte et l’examiner pour bien comprendre qu’il n’y a en réalité aucune ambiguïté. Nous prendrons les phrases qui concernent ce sujet pour les analyser.

On lit dans l’article 9 : « [La restauration] s’arrête là où commence l’hypothèse, sur le plan des reconstitutions conjecturales, tout travail de complément reconnu indispensable pour raisons esthétiques ou techniques relève de la composition architecturale et portera la marque de notre temps. »

La restauration de la flèche, qui est un élément constitutif du monument tel qu’il a été classé monument historique (donc tel qu’il doit être restauré), n’est en aucun cas hypothétique. La flèche est parfaitement documentée par les photographies et relevés récents, ainsi que par les plans de Viollet-le-Duc qui sont entièrement conservés. De plus, cette flèche est encore en partie conservée, dans ses parties d’ailleurs qui auraient été les plus difficiles à refaire, à savoir les sculptures de la base et le coq qui la surplombe.
La seule possibilité d’un élément portant la marque de notre temps (donc d’un « geste contemporain ») pourrait porter sur un « travail de complément » qui serait « indispensable » à cette flèche ou à la cathédrale, « pour raison esthétique » ou « pour raisons techniques ». Ce n’est évidemment pas le cas.

On lit dans l’article 11 : « Les apports valables de toutes les époques à l’édification d’un monument doivent être respectés, l’unité de style n’étant pas un but à atteindre au cours d’une restauration. » Le caractère « valable » de l’apport de la flèche de Viollet-le-Duc a été reconnu de longue date, ne serait-ce que par le classement de la cathédrale avec la flèche.

On y lit également : « Lorsqu’un édifice comporte plusieurs états superposés, le dégagement d’un état sous-jacent ne se justifie qu’exceptionnellement et à condition que les éléments enlevés ne présentent que peu d’intérêt, que la composition mise au jour constitue un témoignage de haute valeur historique, archéologique ou esthétique, et que son état de conservation soit jugé suffisant. Le jugement sur la valeur des éléments en question et la décision sur les éliminations à opérer ne peuvent dépendre du seul auteur du projet. » Il n’y a donc aucune raison d’éliminer la flèche de Viollet-le-Duc qui doit être restaurée. Cet article seul suffit à empêcher la construction d’une nouvelle flèche.

Les articles 12 et 13 ne s’appliquent que :

- s’il faut remplacer une partie manquante, et ce n’est pas le cas car la partie manquante, qui ne manque qu’en partie seulement, doit être restaurée,

- ou si une adjonction était nécessaire, ce qui n’est pas le cas puisque aucune raison esthétique ou technique ne l’impose comme le dit l’article 9.

Voilà exactement ce que dit la charte de Venise, très bien écrite et qui s’applique sans problème au cas de Notre-Dame. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Quant à entendre Franck Riester expliquer que le choix d’une restauration à l’identique (nous parlons évidemment de l’aspect extérieur de la cathédrale, tout le monde le comprend ainsi) doit être celui des spécialistes quand il s’obstine à écarter les scientifiques du débat, c’est franchement dérisoire. C’est bien le gouvernement qui a décidé, dès le lendemain de l’incendie, de lancer un concours pour la « reconstruction de la flèche », alors que la restauration d’un monument historique ne peut, dans notre code du patrimoine, donner lieu à un concours. C’est bien le gouvernement donc qui oriente les débats dès le début. Décidément, ce ministre de la Culture ne comprend rien à sa mission ni à la restauration des monuments historiques. "
Didier Rykner

10 février 2019

Side by Side, qu'elle est jolie à Venise la résistance au poison brun !


"Nous avons des songes ; la vie tout entière ne pourrait-elle pas être un long rêve ?" écrivait Schopenhauer. Cette phrase résonne comme un écho à la lecture des poésies d'un vénitien dont l’œuvre devrait être traduite en français, pour qui rêve et réalité, loin de se confronter bien que contradictoires, se chevauchent et se complètent dans les petites choses comme dans les grandes actions.

C'est ainsi que Francesca Brandes présente dans sa préface, Dove vivere è sognare (Où vivre et rêver"), le dernier volet d'une trilogie poétique idéale que l'écrivain Valter Esposito consacre à la force des sentiments humains, conforte l'impression que sa réflexion poétique est un cheminement, sans appartenir à un style spécifique. La réalité pour l'auteur, se révèle dans son absolue impermanence surtout quand elle touche à la représentation du sujet.  

Mais qui est cet auteur dont Tramezzinimag avait beaucoup aimé il y a quelques années un très beau texte, Il silenzio del pesce luna ? Né en 1959, Valter est journaliste de formation. il  a écrit dès 1985, pour la Nuova Venezia et à la Gazzetta dello Sport notamment. Il est aujourd'hui responsable du service de presse du Pôle des Musées du Veneto. L'humanité qui déborde de ses strophes illustre bien ce que nous venons de vivre aujourd'hui avec cette manifestation baptisée Side by Side et qui pendant plus de deux heures, du parvis de la gare de Santa Lucia jusqu'au campo Sant'Angelo, plus de 5.000 personnes ont défilé.

Side by side, quelle jolie marche que celle-là... Et qui ne fait que commencer.

© Stefano Mazzola
Tambours en tête, tous âges, toutes confessions, toutes origines, vénitiens, africains, main dans la main et dans la joie, la foule des manifestants allait le long des calle et des campi de la Sérénissime, accompagnés par une dizaine de policiers bon-enfants (quand en France la proportion est plutôt inversée avec des milliers de policiers sur les dents pour quelques groupes de manifestants...). , tous pour montrer au gouvernement néo-fasciste de Rome que le peuple italien refuse le racisme, l'ostracisme, l'indifférence ! Des écologistes, des associations d'aide aux migrants, des migrants, des partis politiques démocratiques, des clubs sportifs, des paroisses avec leur curé, des syndicats, des groupes d'étudiants, des retraités, des intellectuels, des gens de la campagne et d'autres de la ville... 

Une longue marche où palpitait le bonheur d'être ensemble, la joie de se sentir solidaires et de posséder une force inattaquable, celle qu'impulse la fraternité et la bienveillance. Des familles entières marchaient, de vieilles dames en manteau de fourrure, des écoliers, des lycéens, des gens venus de tous les horizons pour défendre ce qui est notre patrimoine commun : l'amour. La seule réalité intangible et vitale. Deux belles heures qui réchauffent le cœur et aident à garder espoir, à continuer de croire dans l'humanité et penser aux meilleurs possibles qu'on puisse imaginer, un monde fraternel où personne ne serait abaissé, méprisé, rejeté, où la solidarité serait plus forte que les intérêts, le partage plus fort que le profit, le bonheur plus important que le rendement et le travail, la souffrance abolie et partout le sourire... Une grande joie vraiment et beaucoup d'espérance !


Dès 14 heures, la foule s'est faite très dense sur le parvis de la gare de Santa Lucia. Après de nombreuses interventions qui toutes dénoncèrent l'ignoble décret Sicurezza de Matteo Salvini qui du jour au lendemain mettra hors-la-loi des milliers de demandeurs d'asile à qui seront retirés leurs papiers, qui perdront tout droit au logement et aux aides d'urgence qui leur permettent de survivre, sans plus aucun accès autorisé à un accompagnement administratif et social. Tous les intervenants ont appelé la population à s'opposer à cette loi immonde et à la désobéissance. 


Plus de deux heures après la marche à travers la ville, la manifestation s'est terminée sur le campo Sant'Angelo (l'arrivée et les discours d'envoi devaient avoir lieu sur le campo Manin, aux pieds de la statue de ce vénitien courageux qui appela à la résistance et à la révolte pour défendre la liberté, mais le trop grand nombre de participants obligea de poursuivre jusqu'au campo voisin, bien plus grand), ou en dépit d'une ambiance joyeuse, tous étaient conscients de l'immonde qui se répand peu à peu, avec ce climat d'intolérance et de haine qui s'insinue à travers la guerre que livre l'actuel gouvernement aux O.n.g. qui n'ont plus aucune aide de l’État, la fermeture des ports et les déportations de masse, avec la création de véritables camps de concentration pour les migrants. Jusqu'où iront-ils ?
Cette IIIe Marche pour l'Humanité a montré qu'existe une autre Italie qui refuse la barbarie, du Nord au Sud, de Venise à Palerme, de Rome à Riace et Lodi. Jour après jour des réseaux de solidarité se mettent en place, des actions de secours mutuel voient le jour. Partout la résistance et la désobéissance  au décret, partout des gens se lèvent pour faire front à l'ignominie. Côte à côte, side by side, contre la politique raciste de l'actuel gouvernement, contre les mensonges et la peur, pour construire une société accueillante et solidaire qui refuse l'exclusion sociale et protège les droits de chacun. Rien d'autre que les principes fondamentaux qu' en Italie comme dans trop de pays en Europe, on bafoue effrontément tout comme le firent nazis et fascistes ! Là au moins, ça vaut vraiment le coup de se mettre en marche !








27 janvier 2019

"Making a real difference" avec Cool Cousin, l'autre manière de découvrir la Venise de ceux qui y vivent

Lancée il y a un peu plus d'un an, l'application Cool Cousin, inventée par de jeunes et brillants cerveaux fait florès. De plus en plus de cousins la rejoignent présentant ainsi à travers leur profil la ville où ils vivent. A Venise, nous sommes sept, avec des profils ( et des âges) différents. Au 10 décembre dernier, soit 195 jours après avoir été choisi pour y participer, 2596 personnes avaient utilisé ma carte, mes 54 spots avaient déjà été "likés" 3119 fois et une bonne vingtaine de personnes se sont mises en contact avec moi pour des compléments d'informations, des demandes très diverses et des conseils. Une belle dynamique qui s'ouvre à de nombreuses nouvelles villes chaque jour. Montrer la Venise que j'aime, sans rien déflorer de ce qui fait la Sérénissime pleine de vie, accompagner son évolution et les changements qui s'opèrent spontanément le plus souvent à l'initiative des vénitiens eux-mêmes, donner à voir une ville qui palpite et vibre autrement qu'au rythme imposé du flot touristique. Une grande joie et beaucoup d'espoir pour demain.

21 février 2018

Projection publique : The Venetian Dilemma

Réalisé en 2004, un documentaire présentait au monde une image inédite de Venise face à un tourisme de masse dont la croissance exponentielle n'échappait déjà à personne. Il y avait les gens avisés qui mettaient face à face la diminution de plus en plus rapide de la population vivant dans le centre historique et les affairistes au pouvoir qui prétendaient moderniser la ville pour la redynamiser et la faire entrer dans le monde de demain. 

C'est l'époque où on parlait d'un métro souterrain pour permettre une liaison entre l'aéroport et l'Arsenal en 7 minutes, mettant Venise à 80 minutes de Paris par exemple. Les élus qui se frottaient d'avance les mains parlaient de 5.000 créations d'emploi dans des secteurs de pointe. L'époque où la municipalité, alors propriétaire des 2/3 du parc immobilier du centre historique, s'empressait, quand des locataires âgés quittaient leur logement, de faire briser à coup de masse les tuyauteries et les installations sanitaires pour éviter que ces appartements soient occupés. C'est l'époque où commencèrent les autorisations de transfert d'usage des bâtiments historiques, l'époque où de nombreux propriétaires cédèrent à prix d'or leur demeure familiale pour en faire des hôtels. où partout fleurissaient des échafaudages. Partout on rénovait, nettoyait, aménageait mais tous ces bâtiments restaient vides quand des centaines de famille réclamaient un logement décent pour continuer à vivre chez eux. C'est l'époque où les commerces de proximité, boulangeries, épiceries, boucheries, se transformaient les uns après les autres en bars et en restaurants, puis en commerce de masques, rarement tenus par leurs propriétaires. Pourtant les chinois et les bengalis n'étaient pas encore là... 



"Mais qui se nourrit de masque ?" disait avec humour un artisan citant Paolini... Les équipes municipales qui se succédèrent des années 80 à ces années-là eurent toutes la même vision à court terme : faire rentrer de l'argent, développer des projets grandioses pour alimenter les caisses de leurs partis quand il ne s'agissait pas simplement de se remplir les poches. Des voix s'élevaient déjà un peu partout, pleines de bon sens et argumentées qui ont pris de l'ampleur depuis. Tout ce qui se disait devant la caméra de Carole et Richard Rifkind s'est avéré vrai. Mis à part la metropolitana à laquelle nous avons échappé jusqu'ici (mais comme le dit avec un sourire diabolique Roberto d'Agostino, son plus ardent défenseur dans le film "cela se fera un jour inévitablement"). 

Il est difficile de comprendre cet acharnement qui se développe depuis les années 07 partout dans le monde pour détruire, bousculer, modifier au nom d'un mirifique sens du progrès qui serait porteur de tous les bonheurs à venir. Pourquoi l'homme moderne cherche-t-il désormais à tout détruire ? Est-ce inconsciemment pour éviter d'attendre que la nature elle-même se lance dans un grand nettoyage final et définitif ? A la base de toutes ces inepties sur le progrès et la croissance, il y a un seul mot : le profit. Qu'importent les conséquences, il faut à tout prix s'enrichir et tant pis si cela conduit à la destruction de la nature, à l'exil de milliers de gens, à la disparition d'un monde légué par nos anciens qu'ils savaient gérer avec sagesse. 

On l'entend aussi dans le film : Venise n'est pas une ville comme les autres. Construite sur l'eau, avec l'eau, elle impose un rythme urbain totalement différent du rythme des autres villes modernes. On ne peut y intégrer la notion de vitesse car la vitesse désagrège la ville avec le moto ondoso qu'on commençait à pénaliser. Les jeunes parents luttaient pour la création de crèches et de garderie, les commerçants luttaient pour conserver leurs stands sur les campi et éviter qu'ils ne soient transformés en stands de fast food pour touristes.


Le film, qui se contente de montrer sans aucun commentaire, mais visiblement avec une grande empathie pour les vénitiens et pour la ville, s'il éveille la conscience du spectateur et l'aide à se ranger du côté des habitants, se termine sur une note d'espoir. On assiste même, et c'est un bien joli symbole, à la naissance - par césarienne - d'un petit vénitien... Et puis, comme souvent à Venise, tout finit à l'heure du spritz avec une chanson reprise à la cantonade :  
Tutto è cambiato ormai,
Venezia no, Venezia no non cambia mai.  
Cambiano le città, Venezia no,
Venezia no non cambierà...

Aux vénitiens la politesse

Voilà un document oublié qui rend aux vénitiens la priorité sur toutes les entités officielles ou non qui cherchent à "éduquer" les touristes mal élevés qui, l'été le plus souvent, se laissent aller et se répandent dans le centre historique comme une coulée liquide, mélange de soda, de sueur et de méprise sur l'endroit où ils débarquent, une sorte de junk place avec de la junk food, des commodités, de l'ombre et de la pacotille bon marché qu'ils ramènent en souvenir, pressés de tout voir avant la fermeture de ce parc d'attraction où les figurants sont renfrognés et bien impatients. Les esprits chagrins verront dans le texte de l'affiche des remugles d'une bien mauvaise époque pour l'humanité, quand on chuchotait que les murs avaient des oreilles, que l'ennemi partout veille et que tout un peuple était assimilé à travers le monde comme un ramassis de parias dangereux responsable du malheurs de tous.

Traduction de ce manifesto de la célèbre Compagnia de Calza i Antichi, pour ceux qui ne lisent pas l'italien :

Vénitien éduque tes touristes 
Ne délègue pas à d'autres 
tes devoirs 
de maître de maison

Conseille
Raisonne
Informe
Habille le touriste mal éduqué

Toi à Venise tu y vis

23 juillet 2017

Plongeon interdit dans le grand canal : encore des touristes qui violent les règles à Venise

Une fois encore, et pas plus tard que ce matin aux alentours de 6 heures, de jeunes touristes étrangers ( ressortissants belges) ont montré leur méconnaissance  des us et coutumes de la cité des doges. Surpris par la police qui a été prévenue par des passants, un groupe de jeunes gens avait entrepris de plonger depuis le pont de Calatravà qui unit la Piazzale Roma à la gare Santa Lucia. Un  des endroits les plus dangereux ( par sa hauteur et la fréquence des bateaux qui passent par là). Aussitôt interpelés par les forces de l'ordre, ces jeunes abrutis semblaient ne pas comprendre ce qu'il y avait de répréhensible - et encore moins de dangereux - à se jeter dans l'eau du grand canal !  

S'il est vrai que de tout temps, les eaux de la Sérénissime ont attiré les voyageurs, si les enfants se baignaient l'été devant la porte de leur maison, si Byron allait parfois rendre visite à ses amies à la nage, le contexte était différent. Mais comment les étrangers de passage, écrasés par la chaleur et qui confondent facilement Venise avec n'importe quelle cité balnéaire, ne seraient pas tentés de se rafraîchir dans ces eaux bien attirantes ? L'absence ou le manque de bancs et de toilettes, de corbeilles et de poubelles, et avant tout de panneaux précisant ce qui est interdit et ce qui est autorisé, rendent les choses difficiles. Souvenez-vous l'argument de ce touriste allemand ou hollandais qui, interpelé par la police parce qu'il circulait en vélo sur la Lista di Spagna, a r2torqué aux policiers "Mais montrez-moi les panneaux qui indiquent que la circulation des deux roues est interdite ?". Logique non ? Si nul n'est censé ignorer la loi, cette règle vaut-elle pour des étrangers arrivant à Venise. Il faut un minimum de culture et d'éducation pour saisir qu'il ne s'agit pas d'une ville comme les autres et que donc, on ne peut y déambuler ni y vivre comme ailleurs. Longtemps, les vénitiens tentaient d'expliquer cela à leurs hôtes. Devant le développement massif de l'invasion touristique et la croissance de la mauvaise éducation, ils ont le plus souvent baissé les bras...

Cet incident suscite une fois encore la polémique. Le maire Luigi Brugnaro, a aussitôt réclamé une "loi spéciale' qui autoriserait une garde à vue d'au moins une nuit pour les jeunes vandales pris en flagrant délit qui sévissent dans Venise (les infractions sont nombreuses, comme par exemple les tags, les tenues inadéquates, le camping sauvage dans les rues, ou comme ici plongeon et la baignade dans les eaux de la lagune), certains réclament même le bannissement des indélicats et une interdiction de séjourner de nouveau dans la ville ! D'autres voudraient que soient installées des caméras de surveillance partout... Sans tomber dans l'excès, il est évident que des mesures s'imposent mais ne doivent-elles pas porter davantage sur la prévention et l'éducation des visiteurs ?


Ce qui est terrible c'est que devant la croissance incontrôlée du flux touristique des incidents comme celui de ce matin risquent de se produire de plus en plus souvent et nécessiteront de nombreuses interventions de la police ou des pompiers. Les jeunes belges qui se sont jetés dans le grand canal ne réalisaient pas le danger. Si autrefois les jeunes vénitiens, pour se faire admirer des filles et gagner quelques pièces, longeaient souvent dans les canaux, si on laissait les enfants barboter l'été dans les quartiers retirés, si souvent - j'en étais - des jeunes organisaient un bain de minuit du côté des Fondamente Nuove ou de la Giudecca, la situation n'était pas la même. L'eau ne contenait pas toutes les saletés qui en font un poison dangereux et la circulation maritime était bien moindre, avec des embarcations lentes et menées à l'aviron... Les temps changent et la vingtaine de millions de visiteurs annuels face à une population réduite au chiffre le plus bas de son histoire pose un problème d'organisation compliqué. 

TraMeZziniMag depuis sa création défend l'idée d'une prise en main du flux touristique, de la mise en place de règles claires qu'il faudra médiatiser et en même temps la prise de conscience par les autorités d'une réflexion à long terme pour que la ville redevienne un lieu de vie quotidienne pour ses habitants, et non pas une réserve visitée par des millions de curieux à qui on oublie de dire que Venise n'est ni un musée ni un parc d'attractions. Non messieurs-dames, il n'y a pas d'horaires d'ouverture et de fermeture, mais en revanche, il existe des règles dont la plupart découlent du simple bon sens, de l'éducation et du respect des autres.






















17 juin 2017

Grandi Navi, le référendum d'initiative populaire, c'est demain !

On pourra voter dans de nombreux endroits de Venise, dans le centre historique et à Mestre, mais aussi à Chioggia et à Mira, ce dimanche pour le référendum d'initiative populaire organisé contre les grands paquebots qui envahissent les alentours proches de la cité des doges.


La question est simple et claire : "Vuoi che le grandi navi da crociera restino fuori dalla Laguna di Venezia e che non vengano effettuati nuovi scavi all’interno della Laguna stessa?". (Voulez-vous que les grands navires de croisière restent en dehors de la lagune de Venise et que ne soient pas réalisés de nouvelles excavations dans celle-ci ?).

Les organisateurs n'ont aucune assise officielle mais la consultation, si elle s'avère une réussite en mobilisant la population montrera vraiment la position des vénitiens résidents sur la lagune qui se manifestent de plus en plus, toutes générations confondues, pour sauver leur ville et leur style de vie face au rouleau-compresseur de l'économie touristique ultra-libérale qui asphyxie la ville et n'enrichit que quelques grosses entreprises le plus souvent non vénitiennes.   Le Comitato No Grandi Navi avec l'organisation Ambiente Venezia qui sont à l'origine de cette consultation populaire sans valeur légale à proprement parler, espèrent une grande mobilisation. Un oui massif à la question posée aura un impact important. Autogéré, porté par des citoyens actifs et largement soutenus par la population, les associations organisatrices ne détellent pas. L'enjeu est important, une étape pour en finir avec une dégringolade incroyable qui porte Venise chaque jour un peu plus vers la disneylandisation. Une manière de prendre la température de l'opinion et de forcer les autorités à prendre leurs responsabilités puisque les décisions administratives allant dans le sens d'une protection de la lagune n'ont pas été appliquées ou ont été gelées par des manoeuvres juridiques, sans que personne ne monte réellement au créneau.

Une action qui est largement médiatisée, un geste fort qui ne devrait pas laisser indifférent le gouvernement . Les organisateurs le clament haut et fort :  l'objectif est de «[...] fermare le grandi navi da crociera fuori dalla Laguna !" (pour [...] exclure les grands navires de croisières dans la lagune) et par conséquent "per salvare Venezia e la sua Laguna dalla devastazione di progetti assurdi che prevedono lo scavo di 7 milioni di metri cubi di fanghi più o meno inquinati!» (Pour sauver Venise et sa lagune de la dévastation par des projets absurdes qui prévoient l'excavation de 7 millions de mètres cubes de vase plus ou moins polluée). Les experts internationaux sont tous formels : ces travaux pour approfondir le canal qui amènerait les grands paquebots vers un nouveau port dans Venise endommagerait l'ensemble de la lagune et déstabiliserait complètement un écosystème qui a pu être sauvé et régénéré mais qui reste extrêmement fragile. Il y a tellement d'argent en jeu, de profits en vue pour les grandes sociétés de construction et les armateurs...

C'est ainsi que les électeurs trouveront un peu partout des stands où ils pourront s'exprimer  dès 9 heures et jusqu' à 18 heures. L'originalité de la consultation est qu'elle est ouverte à tous, et que même les non-résidents pourront voter. Un ami gondolier me disait au téléphone, en plaisantant à moitié, que si cette ouverture plaisait beaucoup aux jeunes, il se demandait quelle valeur aurait le résultat si les croisiéristes envoyaient demain leurs salariés, leurs hommes de main et... leurs clients voter Non en masse ! J'ai répondu qu'on n'était pas dans une série de Netflix... Ces gens n'en sont pas encore là dans la vraie vie. Mais chi lo sà ? Il s'agit d'une consultation, pas d'un choix qui engagera automatiquement des décisions administratives. Mais cela aura une grande valeur symbolique. C'est pourquoi TraMeZziniMag invite tous ses amis présents à Venise demain de se rendre à l'un des gazebo (voir la liste complète des lieux de vote ci-dessous)

Le dépouillement aura lieu sur le Campo Santa Margherita à partir de 18 heures, et la proclamation publique des résultats sera suivie d'un concert des Pharmakos, un groupe de talentueux jeunes vénitiens. La démocratie est joyeuse ai-je l'habitude de répéter aux jeunes à qui je parle du droit et du devoir de participer aux élections.
 

Les politiques ne sont pas de reste et certains mouvements ont commenté l'évènement, comme le M5S. La délégation vénitienne des Cinque Stelle  "approuve l'initiative et est heureuse de la possibilité donnée aux citoyens de pouvoir s'exprimer sur un sujet aussi important et d'actualité." Le mouvement a annoncé dans le même communiqué avoir déposé au Parlement une motion pour réclamer l'application immédiate de la loi qui prévoit d'interdire d'accès à la lagune les navires de plus de 40.000 tonneaux sans aucune dérogation pour le passage dans le Bassin de San Marco et le canal de la Giudecca. La loi qui n'a été appliquée que quelques semaines prévoit aussi une définition très précise du cabotage autorisé et du nombre maximum des accès compatibles avec l'écosystème lagunaire. De son côté, le président de la Municipalité de Venise, Andrea Martini, a invité les vénitiens à se rendre nombreux aux urnes. Gageons que l'opération sera un succès. Pour Venise, pour la démocratie, pour Venise et sa lagune.