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12 septembre 2019

Venise au quotidien : en être pour comprendre


Le touriste qui découvre Venise ressent presque toujours une grande fascination. Tout le surprend, le déroute et l'enchante. Quand il revient,la fascination demeure, comme aussi l'enchantement. Il aura pris des habitudes, saura quel bateau le mènera plus rapidement à tel endroit de la ville, le café où le café est le meilleur et l'accueil toujours bienveillant. Mais il n'aura pas forcément pénétré le quotidien des vénitiens. Il est facile de suivre celui de la ville, au rythme des cloches, des allers et venues des vaporetti, retenir les horaires d'ouverture des magasins, mais aller au même pas que les vénitiens nécessite une longue familiarité avec la vie de tous les jours. Il y a toujours beaucoup d'émotion quand on peut enfin avoir la chance de vivre avec des vénitiens, comme eux. On comprend alors tellement mieux ce qu'est vraiment cet endroit unique où l'on a appris au fil des siècles à surmonter mille difficultés et où on sait bien vivre, sous la plus belle lumière, les plus jolis reflets, les plus beaux silences urbains habités par une rumeur heureuse. On sent alors que notre cœur palpite au diapason des milliers d'autres et qu'on est en train, qu'on pourrait et donc qu'on peut, devenir et demeurer un vrai bon vénitien... Et là, c'est l'extase, l'incommensurable bonheur, la joie !

07 août 2019

(S)comparse : une" venezianità" d'Alberto Rossi

En écho à un billet (ICI) retrouvé - qui fut publié en mai 2007 et avalé avec l'ancien Tramezzinimag en juillet 2015 - dont la vidéo n'est plus lisible en ligne (*), je viens de recevoir cette vidéo que je suis ravi de partager avec mes lecteurs :


  
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(*) Le site Kewego après avoir été racheté par Picksel a été fermé bien entendu, puisqu'il proposait un visionnage gratuit et sans publicité donc ne rapportant pas d'argent...Vous voyez de quoi je veux parler, cet insupportable état d'esprit, la débectante mentalité du tout profit/tout pognon qui s'est emparée des mentalités depuis quelques années - les années de la Finance reine et tyran ! Laissez-nous crier, tant que cela est possible sans risquer la prison ou la torture : Mort aux Tyrans ! (Un jeune ici publierait une série de smileys et de hashtags !).

15 avril 2019

Capsule, la nouvelle rubrique carte blanche de Tramezzinimag


A maintes reprises des contributeurs, célèbres ou inconnus, sont venus enrichir le contenu de TraMeZziniMag. A chaque fois, c'est une sensibilité nouvelle, une vision différente. Des mots, des sons  ou des images toujours souvent différents, apportent un regard rafraîchissant et original qui contribue à rappeler que Venise n'appartient à personne en particulier et que "si chacun en a sa part, tous nous l'avons en entier"...

C'est ainsi que nous sommes heureux de vous proposer une nouvelle rubrique, simplement baptisée Capsule.

Le terme nous arrive du Québec où il désigne toute “production écrite, orale ou audiovisuelle qui traite, de manière condensée, d’un sujet ou d’un thème donné”.  

Dans notre idée, il s'agit de laisser carte blanche à nos invités. Pour inaugurer cette rubrique, c'est Ilona Gault, jeune musicienne d'origine française qui vit depuis plusieurs années à Venise - qu'elle connait comme sa poche - où elle enseigne le piano à Piano piano a Venezia, l'école qu'elle a créée et à l’Accademia di Musica Giuseppe Verdi

Dans cette première capsule, notre invitée évoque un sujet typiquement vénitien : l'acqua alta et la manière dont les vénitiens en sont avertis. A la différence du discours habituel passablement mortifère, elle a choisi d'aborder la montée des eaux en musicienne, au travers d’une sorte de "petit prélude sonore"  au spectacle visuel qui suit et que tout le monde connait. 

Ce spectacle pour les touristes - le bonheur des photographes - mais véritable calamité pour la cité des doges et ses habitants, Ilona Gault nous propose de le penser autrement. Une petite leçon d'harmonie...

12 février 2019

La posture d'un dilettante : et si Venise bougeait vraiment ?



Plus de 23.000 étudiants suivent leurs études à Venise, Si quelques uns habitent dans leur famille, dans le centre historique ou sur la terraferma, la majorité vit dans des appartements exigus car les résidences universitaires ne sont pas assez nombreuses, le plus souvent mal logée, à plusieurs par chambre pour un loyer moyen de 400 euros le lit... Plusieurs milliers d'étrangers possèdent un appartement dans le centre historique ou bien le loue à l'année. Retraités, artistes, écrivains, mais aussi entrepreneurs et fonctionnaires ils vivent le même quotidien que les vénitiens, connaissent les mêmes difficultés, pâtissent des mêmes dysfonctionnements. Pourtant aucun d'eux n'a le statut de résident. Il faut montrer patte blanche pour cela. Réfléchissons à ce qui pourrait devenir la réalité de demain si les responsables de la cité prenaient à bras le corps la problématique du repeuplement en intégrant ces populations nouvelles...

Ces nouveaux résidents apporteraient leur vision de la situation, leurs témoignages, leurs idées aussi seraient d'une grande aide... et leurs voix au moment des élections et des décisions communautaires ! Prendre en considération leurs besoins autrement qu'en terme d'offre touristique temporaire obligerait à des mesures qui feraient peut-être grincer a l'inizio, mais finiraient par convaincre tout le monde. Une ville pour vivre n'a pas que besoin d'argent. elle a besoin d'enfants qui jouent sur les places, de vieillards qui les regardent, de commerces de proximité, de médecins, de crèches, de transports abordables et bien organisés. Quand la dynamique urbaine est relancée, stimulée, elle se déploie et s'initie une nouvelle prospérité. Il suffit d'avoir le courage de changer de paradigme et d'aller de l'avant, même en tâtonnant. Tout le monde au final est gagnant. Électeurs et élus. 

Après-midi studieux aux Crociferi, février 2019  © Lorenzo Cittone/Tramezzinimag 2019.

Mais qu'est-ce qu'un français d'origine vénitienne, même pas fonctionnaire international ou spécialiste des milieux et des politiques urbaines (quoique : mon DEA d'Administration et Vie Locale à Sciences Po abordait tout cela et Venise parfois était un exemple étudié, tant par l'extraordinaire propension à inventer et créer des réponses et des solutions à des situations inédites et souvent compliquées là où nos cités pataugeaient, au propre comme au figuré dans la boue, que par l'énormité des difficultés liées au monde moderne et au fait que Venise insula continuait de se sentir comme telle même avec cet appendice fatal qu'est le double pont, celui du chemin de fer et l'autre pour l'automobile)...

Que dire des Vu Cumpra, ces africains toujours souriants qui sont là parfois depuis des années et qu'on ostracise aujourd'hui, surtout s'ils ont le malheur d'être musulmans. Toute cette population pourrait s'adjoindre statistiquement aux 52.895 habitants officiellement reconnus du centre historique. On atteindrait alors plus de 80.000 habitants qui participeraient, par leurs impôts pour certains, par leur engagement à rendre la vie quotidienne plus belle et plus agréable, à redonner à la cité des doges une dynamique qui commence à sérieusement lui manquer. 

La Sérénissime a connu bien des déboires au cours de son existence. Les épidémies de peste ont emporté des dizaines de milliers de gens. Venise au Moyen-âge comptait déjà 100.000 habitants. Plus que Londres ou Paris à l'époque ! Il y a dans les Archives de la République un document très précis qui recense la population de la ville pour l'année 1586. Il est très intéressant en ce qu'il nous donne une idée de comment la société vénitienne était organisée à la fin du XVIe siècle :

Maggior Consiglio par Antonio Diziani
La ville comptait alors 148.000 habitants. Ce chiffre est d'autant plus édifiant pour ceux qui connaissent la structure de Venise. Bâtie à la fois sur des îles et sur pilotis, la superficie de l'agglomération était peu ou prou celle que nous connaissons aujourd'hui, voire même un peu plus petite.

Le recensement parle de 38.000 hommes, 40.000 femmes, 29.000 enfants de sexe masculin, 24.000 de sexe féminin, 3.860 serviteurs, 6.000 domestiques. La classification reste proche de celle établie du temps de l'administration impériale. (Les servi étant décomptés comme catégorie à part, peu ou prou comme on continuera de le faire pour les esclaves dans les colonies jusqu'au XIXe siècle).

6.039 nobles parmi lesquels 1.300 siégeaient au Maggior Consiglio, 7.600 citoyens, riches mais pas nobles - on ne parlait pas à Venise de bourgeois et 119.000 personnes formant le peuple. S'ajoutent 2.507 moines et 1.205 frères (il y a une nuance entre les dominicains et les carmes par exemple), 536 prêtres, 447 mendiants, 1.111 pauvres en hospice. Enfin, 1.694 juifs sont recensés, sans détail sur leur nationalité. 

Qu'il y ait eu  près de trois fois plus d'habitants qu'aujourd'hui donne à réfléchir. Venise rabaissée au rang de grosse ville de province (l'agglomération qui englobe la terraferma compte plus de 900.000 habitants dont le centre historique n'est administrativement qu'une zone urbaine parmi les autres).


Giuseppe Marchiori, Giovanni Comisso, Peggy Guggenheim, Emilio Vedova e Giuseppe Santomaso à Ca'Farsetti
Avec la bénédiction de l'élite intellectuelle de l'époque, Peggy Guggenheim fut fait citoyenne d'honneur (depuis, il y en a eu d'autres). Que dire de ces français (mais aussi des anglais, des allemands, des suisses ou des russes) qui vivent ici depuis longtemps pour certains d'entre eux, qui connaissent la ville parfois mieux qu'un vénitien de Mestre ou de Marghera, qui aiment la ville et qu'on croise tous les jours dans les rues, ne pourraient-ils pas eux aussi être citoyens à part entière ? Ils font beaucoup pour la ville et sont parfaitement intégrés... Leur intégration officielle au nombre des vénitiens ouvrirait de nouvelles opportunités. Bon nombre sont propriétaires et la plupart paient taxes et impôts à Venise. Plusieurs milliers d'autres vivent selon l'adage "When in Venice, live as venitians do"

Je ne me souviens pas des chiffres du temps où je faisais office de drogman au Palazzo Clari, à la grande époque de notre présence et de notre engagement sur la Lagune, mais nous étions nombreux déjà et parmi nous, pas des moindres, d'anciens ambassadeurs, des académiciens et bien sûr l'ombre protectrice et discrète du président François Mitterrand qui vivait ici un secret d’État, secret de Polichinelle que chacun respectait. Le français était encore la langue de l'élite et la première langue enseignée dans les établissements secondaires. L'Alliance Française avec sa présidente de l'époque, Madame Couvreux-Roché contribuait au rayonnement culturel de la France. La Mostra du Cinéma était francophile autant que francophone, sous la houlette de Daniel Toscan du Plantier, d'Unifrance et de Jack Lang. Il y avait toujours de l'argent pour soutenir ces initiatives,  car ceux qui gouvernaient connaissaient le poids et l'importance de la culture, du savoir, de l'esthétique et des bonnes relations entre les deux peuples cousins... 

Mais les temps ont changé. Il faut beaucoup d'énergie, la science des réseaux bien assimilée, et de la débrouillardise, pour continuer à défendre notre présence et notre langue.  L'Alliance Française dont l'équipe se démène pour proposer, outre les cours de français, des expositions, des lectures, des projections et des rencontres passionnantes, ne survit qu'avec l'aide de ses mécènes et la contribution des adhérents ; les locaux du consulat avec le joli jardin (qui pourrait devenir un lieu délicieux pour des concerts ou des lectures à la belle saison) est menacé. Aucun subside pour la représentation sinon les recettes des actes d'état-civil... Le gouvernement actuel trouvant le loyer trop cher, souhaiterait réduire sa dotation. La somme tolérée correspond pourtant à peine à ce que dépense un étudiant pour un studio où il vit seul... On est en train de tomber très bas tout de même, ne trouvez-vous pas ?  

La représentation diplomatique, qui n'est plus seulement aujourd'hui qu'honoraire, si elle échoit encore à des français vivant à Venise sera proposée un jour, comme c'est déjà le cas pour de nombreux pays, à un chef d'entreprise ou un commerçant du cru. Pourquoi pas me direz-vous, c'est l'air du temps ? Mais devra-t-il comme le doge se devait de le faire, puiser dans sa fortune personnelle pour entretenir un semblant de palais, pour recevoir dignement et donner une image de la France autre que celle orchestrée dans les médias par le gouvernement italien actuel dans sa guéguerre contre la France. On ne sait plus le français parmi les adolescents, j'en fais le constat tous les jours sur les campi, dans les bars... L'anglais est partout et bientôt le chinois, le russe. 

Je me souviens de ces discussions quand j'étais étudiant avec des amis vénitiens, plusieurs authentiques Nobile Huomini descendants des plus grandes familles, dans un sabir mêlant le vénitien, l'italien et le français. C'était l'époque ou Mc Donald's ne satisfaisait que les touristes de passage et qui changeait de place sans cesse (à Santo Stefano là où se trouve maintenant la pharmacie, sur la Salizzada du Fondego dei Tedeschi, puis au pied du pont du Rialto...) et les hordes de touristes disparaissaient de novembre à mai, au pointe que l'assessorat au tourisme avait inventé "Venezia d'Inverno" (aka "Venise en Hiver", "Venice in Winter") qui proposait des remises substantielles dans les hôtels de luxe (à l'époque les palaces de la Ciga Hotels notamment), des concerts-cocktails ou des goûters au  palazzo Mocenigo pas encore devenu un musée, et mille autres choses pour attirer les visiteurs pendant la saison creuse...

Mais on va encore m'accuser de regarder en arrière avec nostalgie et regrets. J'essaie seulement de rappeler ce qui fut pour ceux qui n'ayant pas connu cette époque pourraient s'imaginer que tout a été comme il est maintenant. Ce n'était pas forcément mieux, mais la civilisation respirait encore sans assistance artificielle...


08 février 2019

Chute d'anges. La preuve par l'image

Ce n'est pas un cliché du premier panonceau qui prévenait les passants du danger qu'il y avait dans les années 50 à passer trop près de la Salute, mais sa version dans les années 68, quand tout en Italie, comme en France, était joyeusement décalé. En tout cas, pour le lecteur qui contestait l'authenticité de la chose, Tramezzinimag présente cette photographie de Giorgio Lotti datée de 1968. 

© Giorgio Lotti, 1968
L'état des sculptures était tel qu'un simple coup de vent ou les vibrations provoquées par les cloches faisaient tomber les anges qui ornaient les volutes des façades. Quelques années plus tard, des facétieux, se souvenant du panneau affiché devant l'église : "Attention, Chute d'Anges" imprimé par la municipalité et qui avait été repris par plusieurs journalistes, ont complété le panneau officiel par le même bon mot. Il serait intéressant de savoir si à l'origine le texte affiché avait été rédigé par un fonctionnaire spirituel ou un curé plein d'humour !

18 novembre 2018

Ma Venise gourmande

La cuisine vénitienne et ses spécialités, tout le monde connait. Risotto à l'encre de seiche, bacalà mantecato, spaghetti aux clovisses, pasta fagioli, risi bisi, et tant d'autres plats délicieux s'offrent aux amateurs de bonne chère un peu partout. On parle moins souvent des douceurs traditionnelles, ces desserts qui sont pour les vénitiens autant de réminiscences des goûters et des fêtes de leur enfance. 

Le mois de novembre qui est déjà bien entamé, offre par exemple, l'occasion de goûter des pâtisseries traditionnelles. L'une est dégustée le jour des défunts, on la nomme la Fava dei morti. elle n'est pas spécifique à Venise mais on la prépare dans la région d'une autre manière qu'ailleurs dans la péninsule.

© CSI MultiMedia by Cristina Bruno e Alfredo Pustetto - .
Viendra ensuite les pains d'épice à l'effigie de Saint Martin que les enfants s'arrachent et qui décorent joliment les vitrines pour la fête du saint, le 11 novembre. Vous trouverez ICI la page d'un site fort sympathique qui en donne la recette mais aussi un modèle pour réaliser le moule. Remerciements aux auteurs au passage pour l'emprunt de l'image mais aussi pour leur site !)

Puis l'hiver sera là, le pandoro et le panettone feront leur apparition, on se régalera de zabaion à la maison, de crema fritta et la froidure ramènera les bonnes odeurs qui s'échapperont des fourneaux, celles de la torta della nona ou de la tarte aux amandes... 

Bien qu'un certain nombre de lieux mythiques aient disparu, les pâtisseries sont encore assez nombreuses à Venise. Certaines sont très réputées. en voici un petit guide, établi selon nos préférences et qui ne concerne que le centro storico. Il y a en a aussi de très recommandables à Mestre, au Lido et ailleurs dans les environs. Mais celles que nous vous présentons sont faciles d'accès, vous les trouverez au fil de vos pérégrinations dans les rues de la Sérénissime. Avec le temps du chocolat chaud, l'envie de cappuccino bien mousseux, les tiramisù, les strudels et kiffels et autres pastine exercent une forte attraction. 


Pour vous mettre en bouche, et parce que ce joli dimanche, froid mais ensoleillé que nous venons d'avoir, m'a donné des envies de cuisiner, j'ai servi aujourd'hui pour dessert du repas dominical, le fameux Flan Nanny (déjà présenté sur le blog avec d'autres recettes de saison. Le lien est ICI). Point besoin de mesures exactes. il s'agit de faire du porridge avec des flocons d'avoine, du sel et du sucre, de l'eau et du lait (à l'irlandaise) ou seulement du lait, de la vanille, et, quand celui-ci est cuit, y ajouter délicatement des blancs battus en neige bien ferme avec du sel et du sucre, et en dernier du rhum, selon les goûts. mais c'est meilleur quand on sent bien le parfum du bon vieux rhum. Cette fois-ci, pour changer, j'ai remplacé la vanille par de la cannelle. On met l'appareil au four - J'ai choisi la formule individuelle qui cuit plus vite qu'un grand moule à soufflé - à feu vif, le temps que le dessus prenne une jolie couleur dorée et que les blancs cuisent. Attention à ne pas laisser trop longtemps sinon on se retrouve avec une sorte de gâteau un peu sec. Si cela arrivait, il vous suffit de rajouter immédiatement au sortir du four quelques cuillères de lait battu avec du rhum. Le flan Nanny est délicieux quand il est onctueux, solide et consistant mais assez souple et crémeux en bouche sans être liquide. Il ne faut surtout pas ajouter au porridge les jaunes qui à tous les coups transformerait votre préparation en cake. C'est aussi bien bon avec des raisons secs. C'est meilleur servi tiède. Will, mon jeune hôte britannique gourmand, a décidé de le baptiser le pudding Lorenzo.

30 septembre 2018

Van Gogh et Tintoret, la dérision et la joie : Venise au quotidien


Van Gogh et Tintoret, les églises en piteux état comme les mentalités, le regard triste des jeunes migrants africains contraints de mendier au coin des rues, l'indifférence des passants, les hordes de barbares qui arpentent la Piazza, le compteur de la pharmacie Morelli qui continue son chiffrage à rebours des vénitiens qui restent, et le rire des enfants qui jouent sur les campi le soir après l'école, tandis que de partout les cloches répandent leur chant joyeux qu'accompagnent les mouettes de leurs cris stridents... Venise au quotidien. C'est la fin de l'été. Bientôt l'automne et le temps va changer, hésitant quelques semaines encore entre la douceur des soirs d'août, le joli mois d'Auguste où sonne souvent le tonnerre, et la froidure insidieuse des matins sombres qui sera notre lot en novembre. Sauf manifestation inattendue mais prévisible du changement climatique. Peut-être devrait-on commencer de parler de révolution climatique...

Matteo Salvini s'en est retourné avec sa kyrielle de conseillers, de gardes du corps aux faciès de voyous et les soldats armés jusqu'aux dents ; brassage de vent, effets de manche et clichés façon jet set, comme ils font tous, ces fantoches grotesques qui partout s'emparent du pouvoir, mentent et trahissent à qui mieux mieux le peuple, entraînant le monde dans une scandaleuse fuite en avant nourrie par la peur, la propagande, le rêve et le clinquant. Démocrature, fascisme rampant ? La haine en tout cas qui pointe son nez de nouveau, même ici, à Venise... Les médias n'ont retenu que la beauté vénusienne de sa compagne. Cela ne vous rappelle rien ? On a eu un peu le même en France et puis juste après la version opposée mais tout aussi nauséabonde. Et le monde regarde médusé ces incultes et leurs filles de joie accaparer le pouvoir et tout saccager...

L'égérie du vice-premier Matteo Salvini ou le retour des satrapes
 
L'Italie entre les mains d'un gouvernement populiste, le premier d'Europe occidentale... En tout cas le premier qui dit son nom. Cela ne durera pas, du moins faut-il l'espérer. Les italiens méritent tellement mieux que ça... Mais passons aux choses sérieuses, et parlons de ceux qui font vraiment bouger les choses sans regarder les résultats des sondages ni de la bourse. Ceux qui ont de véritables convictions et le sens de l'autre... 

Car finalement, tout tient encore le coup ici. La jeunesse est active, joyeuse. insolente à souhait, elle est l'hormone de vie qui s'insinue partout dans les rues de la ville. Contrairement à leurs aînés, ces jeunes gens déterminés agissent, construisent, inventent, et innovent. Peu à peu cette dynamique s'empare des esprits. Il n'y a pas d'alternative : agir, avancer ou laisser mourir la Venise authentique en même temps que meurent nos libertés... Il faudrait des heures pour détailler toutes les initiatives nouvelles qui font bouger les choses à Venise, du logement aux constructions navales, des jardins partagés à la création d'un tourisme solidaire, des manifestations culturelles inédites au dépoussiérages des traditions et des rites... Venise avec eux se réinvente et l'argent pas plus que la politique n'entre en jeu ! TraMeZziniMag tout au long des prochains mois détaillera leurs actions, leurs initiatives, tous les nouveaux projets en cours d'élaboration. Vous verrez, il y a pléthore d'idées et de perspectives réjouissantes....

Plus que jamais, le Poseïdon de l'Arsenal tient ferme son trident. Non - même si l'envie nous prend -  ne pas s'en servir pour empaler ces  touristes iconoclastes qui se répandent partout et ne voient rien autour d'eux qu'à travers leurs smartphones... Je pense à Cees Nooteboom qui s'est inspiré de la statue pour sa Lettre XX dans ses rutilantes Lettres à Poséidon, magnifiquement traduit en français par Philippe Noble.


Cees Nooteboom
Lettres à Poséidon
Actes Sud
2013


Poséidon, Venise
Photographie Catherine Hédouin
© 2018

27 août 2018

Un matin comme les autres. Chroniques d'un été vénitien (2)

Vivre en pleine conscience les instants les plus bénins de nos jours érigés en ouvrage d'art, work in progress toujours inachevé, l'écoulement des heures où les tâches du quotidien prennent le masque d'évènements sacrés. Le premier café du jour d'habitude est un moment de calme. j'aime bien le prendre en dehors de la maison, surtout en cette saison. Un de mes endroits favoris depuis quelques mois, surtout lorsque le temps s'avère doux comme aujourd'hui, est le café de la Foresteria des Crociferi. L'endroit est tranquille, ombragé, et on a le choix entre une terrasse sur l'eau ou le cloître de cet ancien couvent garni de tables et de chaises longues. L'accueil y est vraiment sympathique et attentionné. Le café et les viennoiseries qu'on y trouve sont parmi les meilleurs de la ville. Bref, l'endroit idéal pour reprendre les notes de la veille, lire le journal, répondre aux courriels du jour avant que de vraiment commencer la journée. Depuis chez moi, il ne faut pas plus de dix minutes à pied pour y parvenir et quand j'arrive au comptoir pour passer ma commande, il n'y a guère que trois ou quatre personnes. Les touristes ne se lèvent pas très tôt. Fort heureusement. Mais, ô surprise, une longue queue ce matin tout le long du bâtiment sur le campo, depuis la caserne des carabiniers jusqu'à l'intérieur du bâtiment... Etudiants venus demander une chambre pour la rentrée prochaine ? Touristes ? 

De loin cette foule en cet endroit était pour le moins étrange. Il s'agit en fait d'un casting géant pour un film que se tournera à Venise. Secret bien gardé jusqu'à hier sur le titre du film. Il s'agit en fait de la suite de Spiderman, qui devrait s'intituler Far from Home avec toujours Tom Holland que dirigera Jon Watts. Des gens de tous âges et des deux sexes attendent depuis un long moment déjà que le réalisateur et son équipe fassent leur choix. Le film devrait sortir sur les écrans pendant l'été 2019 aux Etats-Unis. Pas vraiment le genre de cinéma que la Mostra met en compétition mais visiblement l'idée d'y participer ayant fait se déplacer autant de personnes, L'homme-araignée, interprété depuis Captain America : Civil War, par le jeune Holland, connu sur les réseaux sociaux pour ses gaffes et ses non-révélations, trop nombreuses et pertinentes pour ne pas être orchestrées par de très bons professionnel est très populaire en Italie !



Inutile de dire, que du coup, les lieux sont aussi bruyants que le marché du Rialto vers 11 heures ou le hall de Santa Lucia les jours de grosse affluence - ce qui représente beaucoup de jours dans l'année, vous le savez... Mais qu'importe, la  nous apporte des solutions. C'est un casque aux oreilles que j'écris et déguste mon macchiato à la température parfaite, au goût onctueux, et le croissant qui l'accompagne. Fait d'une délicieuses pâte de brioche, jaune, veloutée et remplie d'une confiture d'abricots artisanale, il a des relents des petits-déjeuners d'autrefois à la campagne. La foule est bon enfant, patiente, les gens plaisantent, bavardent entre eux et de temps à autre la file avance. Un entre soi bien sympathique. Il y a là plus d'une centaine de vénitiens, un petit 500e de la population de Venise... 


Décidément, la ville s'est depuis quelques jours placée de nouveau sous le signe du cinéma. La Mostra commence demain soir. Déjà hier, nous avons foulé le tapis rouge traditionnel. Non pas encore celui du Festival, la fameuse Mostra dont c'est la 75e édition (gloups, terrible nostalgie : les éditions auxquelles j'étais accrédité pour un quotidien français portaient les numéros 42 et 43 mais chi se ne frega...), mais celle du mythique Hôtel des Bains rouvert pour l'occasion par la COIMA, l'actuelle propriétaire de l'Excelsior et des Bains. 



Après plusieurs années de mystère et de silence, des projets de résidence de luxe, des rumeurs de démolition et de pillages, c'est officiel : d'ici 2025, l'Hôtel des Bains retrouvera sa splendeur d'antan et ouvrira de nouveau ses salons, ses chambres, son restaurant et ses plantureux jardins au public. Une belle nouvelle. Le prétexte de cette réouverture temporaire, une exposition organisée sans grands moyens qui retrace en quelques centaines de photos et de documents fac-similés l'histoire de la Mostra depuis sa création en 1932 jusqu'à nos jours. On y retrouve des photographies en noir et blanc de vedettes célèbres, d'hommes politiques et des scènes de films cultes. 


Le public vient surtout pour revoir les salles, les plafonds décatis, les peintures écaillées. Fatigué mais toujours splendide, de cette flamboyance classieuse des vieilles demeures nobles. Les terrasses sont ouvertes au public et le mobilier de jardin a retrouvé sa place. les statues et les vases de pierre sont toujours à leur place et le jardin - relativement - entretenu. Au vernissage qui a eu lieu hier, il y avait le ban et l'arrière-ban du monde du cinéma, le président de la Biennale, les dirigeants de la COIMA, et une bonne partie de la société vénitienne. On n'y a pas vu le maire Brugnaro, dont on chuchote qu'il boude l'initiative parce qu'il aurait préféré un énième programme immobilier bon pour les caisses des partis qui le soutiennent. Mais ce ne sont que des potins auxquels il ne faut surtout pas porter attention. 


En tout cas,  en foulant le tapis rouge du péristyle, votre serviteur a retrouvé avec une certaine nostalgie, des bribes de son passé vénitien. Ma rencontre sur la terrasse avec Hervé Guibertles clichés qu'il m'avait montré dans sa chambre aux persiennes viscontiennes, nos échanges sur Venise, Matzneff et Visconti, le garçon dégingandé qui l'accompagnait, boudeur, les propos désabusés de Ionesco à sa femme, Charlotte Gainsbourg presque bébé encore  la grande réception de Daniel Toscan du Plantier avec Unifrance dans les jardins pour je ne sais plus quel film ou simplement pour célébrer l'omniprésence de la France et de son cinéma à Venise, notre arrivée avec Fabienne Babe  que poursuivait de ses assiduités ordonnées par la production du bellâtre Rob Lowe en talonnettes, et Agnès la fille du consul... La présentation du film Il Sapore del grano, filmé dans l'appartement que j'occupais Calle Navarro, à Dorsoduro et dont le héros porte mon prénom en hommage aux soirées passées à élaborer le scénario avec Gianni Da Campo et puis la rencontre avec Marina Vlady, l'une des protagonistes du film... Les années joyeuses. Une autre vie, un autre monde dont le souvenir après tout n'intéresse personne. Juste des souvenirs dont l'évocation m'émeut...




15 août 2018

Petits bonheurs tranquilles. Chronique d'un été vénitien (1)


Ferragosto à Venise. 15h. 30. Depuis la terrasse de la maison. Après le déploiement des cloches pour fêter le madone, de nouveau le silence. Le temps orageux qui couvrait la lagune a laissé place à un vrai beau temps du mois d'Auguste : le vent venu de la mer rafraîchit l'air et éclaircit le ciel redevenu d'un bleu pur. Plus un nuage. Autour de moi, je sens la vie qui palpite. Pourtant tout semble au ralenti. Bruits de vaisselle à l'Acqua Pazza, le restaurant voisin. le service est fini. les serveurs bavardent en défaisant les tables. Il y a encore quelques clients qui s'attardent. Le bruit du trafic sur le Canalazzo, la trace d'un avion haut dans le ciel. Peu de monde dans la rue. 

C'est le 15 août. Toute l'Italie vit au même rythme. Tout le monde est parti. A la plage, à la campagne... Il n'y a guère que les touristes pour arpenter les rues et donner l'image d'une ville à cet ensemble de bâtisses, de monuments, de campi et de calle écrasées par le soleil. Le mois d'Auguste. La brise fait danser les franges du parasol, quelques mouettes se disputent sur l'altana voisine, de l'autre côté deux chats font la sieste à l'ombre... Je voulais aller à la plage mais il fait tellement chaud. Il doit y avoir tellement de monde... j'irai certainement demain ou après, tôt le matin, quand les touristes dorment encore et que le soleil ne chauffe pas encore trop? Se baigner au petit jour ou à la nuit tombée du côté des Murazzi, un régal vraiment.

Le calme de ce jour de fête envahit tout. Envie de rester dans cette paix, les gestes lents, laisser le livre glisser sur le sol et s'assoupir doucement, se sentir partir avec la caresse du vent parfumé des senteurs marines. Le silence de la ville.  "Tutto il resto è noia" chante Franco Califano. La musique provient d'une fenêtre ouverte de l'autre côté de la maison, un homme en débardeur fume une cigarette en écoutant la chanson. Nous nous saluons en silence. un geste de la main. En bas dans la cour des voisins, une famille de touristes est venue chercher la fraîcheur. Un chien aboie sur la place. Le gondolier n'est pas là. C'est Ferragosto...

18 mars 2018

Et si montrer le beau devenait criminel ?

Portrait de Mila Esmeralda née à Venise, le  20/10/2012. © gruppo 25 aprile.

30 millions de touristes par an à Venise, cela fait un peu plus de 558 visiteurs pour un habitant (si nous nous en tenons au chiffre déjà dépassé de 53. 672 habitants rescapés de la grande hémorragie vers la terraferma). Imaginons la scène, cauchemardesque, de 535 personnes qui envahissent le salon de cette vieille dame, le chat effrayé qui se jette par la fenêtre dans l'eau du canal voisin, la pauvre vénitienne qui suffoque et les touristes qui braillent, remuent dans tous les sens, laissent papiers gras et canettes vides sur les napperons en dentelle... Pire encore, pensez à un vaporetto un matin avec seulement quatre passagers et soudain arrivent en se bousculant  2.140 touristes armés de leur sac à dos et de leurs téléphones fixés sur les perches que leur ont vendu les vendeurs clandestins, habiles et souples bengalis qui eux aussi dont tendance à se démultiplier ces dernières années partout dans le centro storico (on en recensait 2379 en 2014 . L'enfer de Dante en pire....

Alors est-ce bien raisonnable de continuer de diffuser des images de Venise ? Est-ce encore légitime de montrer la beauté de la Sérénissime et d'encourager les barbares à poursuivre leur invasion ? La beauté est à tout le monde, et voyager est un droit qu'on ne peut réserver à quelques uns mais peut-on laisser les hordes se démultiplier et emporter sur leur passage toute vie réelle sur les sites qu'elles piétinent chaque jour sans plus jamais de véritable interruption ? C'est un vrai questionnement. Fondamental aussi, car il s'agit désormais de la mise à mort quasi certaine d'une univers de vie, d'un monde qu'on étouffe sans rien faire d'autre que se lamenter ou réunir des colloques et des commissions qui pérorent sans que ne jaillissent les solutions pour éviter cette catastrophe humanitaire que personne ne semble prendre vraiment au sérieux. Jamais dans l'histoire de la Sérénissime, le niveau d'habitants aura été si bas. même après les grandes épidémies de peste. 

Bien sur, on insiste sur la nécessité de considérer la population vénitienne dans son ensemble, c'est à dire celle de l'agglomération entière avec les alentours du mainland. Cela peut leurrer et rassurer de savoir que la métropole vénitienne voit sa population augmenter avec l'apport de nombreux étrangers. Cela revient à réduire le centre historique, Venise elle-même, celle qu'on vient voir de partout, l'ancienne capitale d'une des plus puissantes et riches républiques de l'histoire, vaste empire commercial, démocratie quand partout ailleurs les peuples étaient écrasés par la féodalité et les monarchies absolues, incroyable fourmilière innovante et active, à un quartier périphérique d'un centre urbain qu'on voudrait semblable à toutes les mégalopoles modernes existantes ou en devenir. 

Il y a parmi les édiles, des excités qui rêvent de métro souterrain, de gratte-ciels, d'exposition universelle et aspirent à une croissance exponentielle du tourisme, juteux pourvoyeur de devises pour certaines entreprises internationales, sans retombées sur les petites activités locales et donc sur les habitants. Mais à entendre certains experts, le dernier vénitien aura quitté sa ville, la vraie, la Sérénissime toujours dressée deux mille ans ou presque après sa fondation, en 2059... Il quittera le centro storico avec sa valise et le regard qu'il jettera sur la ville vide de vénitiens sera un regard de colère et de haine. 


La question est donc pertinente : montrer ce qu'il y a de beau devient dangereux à partir du moment où donner à voir un lieu, qu'il soit célèbre ou méconnu, recommander une bonne adresse, fournir des idées d'itinéraires et publier des guides alléchants, répandre des photographies et des vidéos des sites touristiques, tout cela revient à condamner à terme l'authenticité, la vie, l'existence même de ce qu'on donne à voir. Cas de conscience donc. Je ne prétends pas qu'il faille entraîner un corps de mercenaires qu'on munirait de lanternes,  corps moderne de codega dont on dit que parfois, payés au prix fort, ils induisaient en erreur (fatale) leurs clients avec leurs lanternes pour les faire tomber dans les eaux glacées des canaux, pas plus que former le personnel de l'ACTV au kamikaze et leur enseigner à faire sombrer leurs vaporetti, modernes bétaillères aquatiques remplis de veaux hagards, aux heures de pointe avec leur chargement... Ma colère m'égare mais les amoureux de Venise savent de quoi je parle, qui connaissent sa fragilité et répugnent à la voir se transformer jour après jour en parc d'attractions, avec de plus en plus de boutiques pour touristes ne vendant que de la pacotille qui jaillissent à la place des commerces de nécessité et les maisons qui se vident, les volets tirés sur des foyers abandonnés que remplacent peu à peu partout des logements pour touristes, des hôtels de luxe et des B&B. Il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir et comment rester indifférents à cette chronique de mort annoncée ?


Les autorités, timidement, se rangent aussi à l'avis des experts du monde entier. Conscients du danger imminent, ils proposent quelques vagues solutions annoncées tambour battant mais bien vite oubliées. Combien de projets enterrés qui pourtant seraient autant d'amorces de solutions. En revanche les modernistes utopistes continuent d'avancer avec leurs projets pharaoniques. Comme par exemple, après le M.O.S.E. qui a permis d'absorber des milliards de capitaux et ne servira certainement pas à grand chose quand la calotte glaciaire aura fini de fondre, l'idée de la sublagunare jamais vraiment abandonnée, aussi folle que l'exposition universelle rêvée par le ministre De Michelis dans les années 80 ou le gratte-ciel phallique d'un Cardin cacochyme mégalo...

On parle de tourisme alternatif en haut lieu, on publie plaquettes et plans avec des itinéraires différents qui partent de Chioggia ou de Caorle, on invoque le soutenable et la décroissance, on propose - sérieusement - des virées à la découverte de l'archéologie industrielle, on dresse des listes de commerçants, restaurants, hôtels et campings affiliés au mouvement Slow Food, on lave vert autant qu'on peut avec  le projet lagunaè, initié en 2014 en vue de l'exposition universelle de Milan (Venice to expo 2015) par l'EBT (Ente Bilaterale Turismo de la Province de Venise, structure créée en 1991 avec pour mission la formation et l'accompagnement des acteurs du tourisme local), une de ces organisations dévoreuses d'argent et de papier glacé qui font grand bruit puis disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues comme dans les films prophétiques de Dino Risi ou de Vittorio De Sica... Deux terribles décennies de berlusconisme ont montré toutes les conséquences de la primauté de l’argent et Venise a été très vite contaminée... Alors, que faire ???


21 février 2018

Projection publique : The Venetian Dilemma

Réalisé en 2004, un documentaire présentait au monde une image inédite de Venise face à un tourisme de masse dont la croissance exponentielle n'échappait déjà à personne. Il y avait les gens avisés qui mettaient face à face la diminution de plus en plus rapide de la population vivant dans le centre historique et les affairistes au pouvoir qui prétendaient moderniser la ville pour la redynamiser et la faire entrer dans le monde de demain. 

C'est l'époque où on parlait d'un métro souterrain pour permettre une liaison entre l'aéroport et l'Arsenal en 7 minutes, mettant Venise à 80 minutes de Paris par exemple. Les élus qui se frottaient d'avance les mains parlaient de 5.000 créations d'emploi dans des secteurs de pointe. L'époque où la municipalité, alors propriétaire des 2/3 du parc immobilier du centre historique, s'empressait, quand des locataires âgés quittaient leur logement, de faire briser à coup de masse les tuyauteries et les installations sanitaires pour éviter que ces appartements soient occupés. C'est l'époque où commencèrent les autorisations de transfert d'usage des bâtiments historiques, l'époque où de nombreux propriétaires cédèrent à prix d'or leur demeure familiale pour en faire des hôtels. où partout fleurissaient des échafaudages. Partout on rénovait, nettoyait, aménageait mais tous ces bâtiments restaient vides quand des centaines de famille réclamaient un logement décent pour continuer à vivre chez eux. C'est l'époque où les commerces de proximité, boulangeries, épiceries, boucheries, se transformaient les uns après les autres en bars et en restaurants, puis en commerce de masques, rarement tenus par leurs propriétaires. Pourtant les chinois et les bengalis n'étaient pas encore là... 



"Mais qui se nourrit de masque ?" disait avec humour un artisan citant Paolini... Les équipes municipales qui se succédèrent des années 80 à ces années-là eurent toutes la même vision à court terme : faire rentrer de l'argent, développer des projets grandioses pour alimenter les caisses de leurs partis quand il ne s'agissait pas simplement de se remplir les poches. Des voix s'élevaient déjà un peu partout, pleines de bon sens et argumentées qui ont pris de l'ampleur depuis. Tout ce qui se disait devant la caméra de Carole et Richard Rifkind s'est avéré vrai. Mis à part la metropolitana à laquelle nous avons échappé jusqu'ici (mais comme le dit avec un sourire diabolique Roberto d'Agostino, son plus ardent défenseur dans le film "cela se fera un jour inévitablement"). 

Il est difficile de comprendre cet acharnement qui se développe depuis les années 07 partout dans le monde pour détruire, bousculer, modifier au nom d'un mirifique sens du progrès qui serait porteur de tous les bonheurs à venir. Pourquoi l'homme moderne cherche-t-il désormais à tout détruire ? Est-ce inconsciemment pour éviter d'attendre que la nature elle-même se lance dans un grand nettoyage final et définitif ? A la base de toutes ces inepties sur le progrès et la croissance, il y a un seul mot : le profit. Qu'importent les conséquences, il faut à tout prix s'enrichir et tant pis si cela conduit à la destruction de la nature, à l'exil de milliers de gens, à la disparition d'un monde légué par nos anciens qu'ils savaient gérer avec sagesse. 

On l'entend aussi dans le film : Venise n'est pas une ville comme les autres. Construite sur l'eau, avec l'eau, elle impose un rythme urbain totalement différent du rythme des autres villes modernes. On ne peut y intégrer la notion de vitesse car la vitesse désagrège la ville avec le moto ondoso qu'on commençait à pénaliser. Les jeunes parents luttaient pour la création de crèches et de garderie, les commerçants luttaient pour conserver leurs stands sur les campi et éviter qu'ils ne soient transformés en stands de fast food pour touristes.


Le film, qui se contente de montrer sans aucun commentaire, mais visiblement avec une grande empathie pour les vénitiens et pour la ville, s'il éveille la conscience du spectateur et l'aide à se ranger du côté des habitants, se termine sur une note d'espoir. On assiste même, et c'est un bien joli symbole, à la naissance - par césarienne - d'un petit vénitien... Et puis, comme souvent à Venise, tout finit à l'heure du spritz avec une chanson reprise à la cantonade :  
Tutto è cambiato ormai,
Venezia no, Venezia no non cambia mai.  
Cambiano le città, Venezia no,
Venezia no non cambierà...

01 juillet 2017

La Véritable Venise. Journal juillet 2016 (extraits)

© Benefica Biribiri, Venezia 2016
Avez-vous jamais ressenti cette emprise des sens qui soudain surgit et nous inonde en un instant de pensées biscornues et terrifiantes ? Plus rien n'est clair dans notre esprit et pourtant, derrière ce  fatras d'idées et d'images un peu floues qui nous  envahit, une grande lumière demeure, prête à jaillir. On ne la sent que peu à peu, prémices d'un renouveau de la joie après les fureurs de la tempête. Quand les éclairs jaillissent de partout et font trembler la terre, que la pluie tombe drue poussée dans tous les sens par le vent furieux, on aperçoit toujours quelques tâches discrètes de bleu  entre les nuages, puis soudain  tout redevient clair et lumineux ; le grondement de l'orage laisse la place aux oiseaux qui s'égaient ; l'horizon délavé s'encadre d'un arc en ciel somptueux... C'est cette image qui m'est venue l'autre jour au détour d'un campo éloigné du parcours des hordes.  

J'avais fui cette foule que j'essaie de ne pas condamner et qui autant que vous ou moi, a le droit d'être ici, mais j'avais terriblement besoin de calme. Revenu depuis peu, je retrouvais la ville écrasée par une chaleur étouffante comme en août. J'avais du mal à reprendre mes marques. Était-ce le souvenir encore proche d'une série de déconvenues et d'ennuis difficiles à gérer en France ? Je ne me sentais pas bien. Pourtant tout aurait dû soigner ma peine et effacer ma tristesse. Mon statut de résident était enfin validé J'avais deux mois devant moi à Venise, l'appartement de Sant'Angelo m'attendait tel que je l'avais laissé et j'allais revoir bon nombre des contacts connus à l'occasion du reportage pour la radio suisse (Voir ICI). Huit longues semaines à partager entre le farniente et l'écriture...  Je ne suis pas du genre insatisfait. Un rien me rend heureux et aucun de mes chagrins ne dure vraiment. On parle aujourd'hui d'une forte propension à la résilience. Pour moi, c'est simplement de foi dont il s'agit et donc de confiance. Mais là, rien n'y faisait.

Tout est parti de cette longue conversation avec un ami vénitien, la première de ce séjour. Le vin était bon et les ciccheti délicieux. Nous avons parlé de la Véritable Venise. Je venais de passer en revue tout ce qui à mes yeux montrait un renouveau proche et je lui détaillais toutes les initiatives qui allaient dans le sens d'une reprise en main de leur destin par les vénitiens. Il me répondit en dialecte, avec un mélange de colère et de chagrin, que tout cela n'était qu'illusion. Don Quichotte contre les moulins et le compte-à-rebours depuis longtemps enclenché. La véritable Venise... Pour moi l'excellent travail des associations et des individus pour changer le destin de la ville montrait bien que tout était en train de changer. Pour lui, on assistait "à l'enlisement définitif et la mort de la Sérénissime n'était plus qu'une question d'années. Peut-être même est-elle déjà morte cliniquement" me dit-il en me resservant un verre de ce Soave merveilleux qu'il m'a fait découvrir quelques années auparavant.

"D'un côté certes, tout est réuni pour que les choses changent en mieux. l'argent est là, la menace aussi et le bon sens, la colère du peuple, l'effarement des gens de bien qui appréhendent autre chose que la tentation de faire facilement du schei ! (le fric en vénitien). Ils n'hésitent plus à agir et résister face à des édiles corrompus ou sots (il a employé un terme beaucoup plus imagé). Certains craignent pour leur vie et ne se déplacent plus qu'entourés par des gardes du corps comme dans un film de gangsters des années 50 (nous ne nommerons personne mais les lecteurs vénitiens de TraMeZziniMag et les Fous de Venise qui vivent ici ou fréquentent régulièrement la cité des Doges sauront de qui mon vieil ami voulait parler), Sauf que dans la réalité quotidienne, la réalité vraie, le scénario est minable [...] Une poignée de privilégiés auto-célébrés bloque toute évolution - malgré tout ce qui peut se dire au Quirinale ou au Palais Chigi - et dispose encore de réseaux alléchés par les cadeaux et autres générosités que ces messieurs et ces dames savent dispenser généreusement et toujours au bon moment, toujours à bon escient... Bref, la corruption à Venise et la bêtise - son meilleur allié - des mafieux de tout poils qui veulent que rien ne change mêlées au désir de certaines élites locales de rester entre soi suscitent des solidarités mal placées qui bloquent tout toujours et partout..."  


Même en relativisant ses propos et en faisant la part des choses, le constat de mon vieil ami est tristement vrai : "Lo sai benissimo," me lança-t-il sur le chemin du retour, "Venise est officiellement la ville d'Italie où vivre coûte le plus, presque un point ! (0,6% pour être précis). La ville se vide tous les jours de ses habitants les moins fortunés, ceux qui n'ont pas la chance d'être propriétaires et même, depuis quelques temps, ceux qui le sont aussi tant il devient difficile de vivre au quotidien dans le centre historique. Ainsi les plus âgés encore valides, les jeunes ménages avec des enfants s'en vont même s'ils y travaillent. Pour la première fois, il y avait des places libres dans les crèches à la dernière rentrée et certaines classes des écoles sont loin d'être remplies, on en ferme aussi dans certains quartiers... Tout est plus cher que sur la Terraferma, les services nécessaires à la vie quotidienne se font de plus en plus rares... Tu dois faire des kilomètres pour trouver un boulanger ou un cordonnier ! L'invasion permanente des touristes, l'arrivée des chinois venus blanchir l'argent des mafias d'Asie et d'ailleurs, l'inaction des pouvoirs publics, tout concourt au désastre [...] Paradoxalement, les plus nantis se retrouvent aussi avec des difficultés quand ils veulent vendre leurs maisons. A plus de 10.000 euros le mètre carré sur le Grand Canal, va trouver un repreneur sauf à ce que le palazzo soit somptueux et chargé d'histoire et puisse être transformé en hôtel de luxe ! On dit que Johny Depp, qui aurait besoin de liquidité, ne parvient toujours pas à vendre son palais Donà, pourtant un petit bijou ! Ce sont les acheteurs désormais qui font les prix, autre exemple qui prouve que Venise n'appartient déjà plus aux vénitiens ! Il fulminait.

Mon ami, dont l'allure distinguée et la haute taille contrastent avec les gesticulations qui accompagnent ses propos m'énonçait tout cela avec une vois de stentor. Il laissa peu à peu tomber sa colère et ses yeux se firent tristes. Nous avons croisé peu de vénitiens, surtout des étrangers qui nous dévisageaient avec perplexité. 
"Demande donc aux agences qui s'en rongent les ongles ! Le marché immobilier ne présente une image dynamique que par le fait que certains immeubles qui appartiennent à la Ville ou à la Région ont trouvé preneurs. Toujours des institutions ou de riches fondations. Cela dope les chiffres mais la réalité vraie montre un marché moribond. Seul le produit exceptionnel finit par trouver acquéreur. Combien de maisons vides, tu as vu le nombre de volets fermés et de rideaux baissés. Il y en a de plus en plus. Le désert cette ville. Impossible de trouver à l'achat un bien en dessous de 4500€ le m² ! Si cela continue encore à ce rythme  dans les prochaines années, il n'y aura plus de marché immobilier à Venise. Même de grandes compagnies hôtelières vendent leurs biens ici, comme Hilton qui a mis les Mulini Stucky en vente ! Ah oui, tu as raison, le monde change à Venise mais pas en bien, pas en bien !"

Comme les touristes croisés quelques minutes auparavant, c'est rempli de  perplexité que j'ai quitté mon vieil ami au seuil de sa maison. Rempli de doutes aussi. Situation est-elle grave au point que rien ne puisse être entrepris pour renverser la tendance ? Est-il vraiment trop tard et la chute inéluctable ? Venise a toujours su rebondir et je passe ma vie à répandre l'idée-force qui est comme le générique de TraMeZziniMag : Venise est depuis toujours un laboratoire d'innovations et d'inventivité qui peut servir au reste du monde ! Je veux continuer d'y croire et contribuer, modestement, avec mes pauvres moyens  à ce renouveau. La part du colibri n'est-ce pas. Pourtant cette discussion m'a réellement ébranlé. La Véritable Venise, c'est le nom auquel j'avais pensé pour une des futures collections de la jeune maison d'édition. Publier des textes courts, inédits ou déjà parus en Italie et ailleurs, sur la Venise des vénitiens, qu'ils soient de sang, de souche ou de branche. Mais si tout ce qu'a décrit mon ami et que reprennent de plus en plus souvent les médias, est vrai et que rien n'est entrepris, cette collection ne sera-t-elle pas plutôt un ensemble de récits archéologiques, In Memoriam ? 

En me promenant chaque jour dans cette Venise que j'aime depuis toujours, je sens bien que quelque chose ne va plus vraiment. La Véritable Venise où je suis chaque jour est tellement différente de ce qu'elle fut il y a quelques années encore. Période bizarre où tout semble rester comme avant mais où beaucoup de choses disparaissent, avec des situations qui s'enveniment ou régressent ; où les initiatives les plus inventives et prometteuses  sont interrompues ou combattues ; où plus personne ne semble croire à un futur viable et soutenable. Faut-il se résoudre à baisser les bras et remettre les clés à Disney, aux mafias chinoises ou à d'autres pire encore. Tout semble se mêler pour étouffer mon enthousiasme et tiédir ma foi : les quatre kilomètres de bouchon aujourd'hui sur le pont de la Liberté et la Piazzale Roma prise d'assaut par les autocars et les voitures des touristes, l'ultimatum de l'Unesco qui promet de retirer la Sérénissime du Patrimoine de l'Humanité si une véritable réflexion et des propositions sérieuses assorties d'effet ne sont pas engagées avant février prochain... Register écrivaient mes ancêtres huguenots sur les parois de la Tour de Constance où Louis XIV les avait fait enfermer. Register ai-je envie de crier aux vénitiens de tous âges. 

C'est ce mot qui m'est venu à l'esprit quand j'ai entendu ces jeunes voix qu'accompagnaient plusieurs instruments.  Les murs des immeubles du campiello San Cassiano renvoyaient joliment cette musique joyeuse. Les campi de Venise ont souvent une acoustique très chaude.  L'absence de ce fonds sonore mêlant bruits de moteurs automobiles et klaxons qui  étouffe tous les autres sons dans les villes modernes permet que se déploie sans décibels superflus et dérangeants la musique en Live. Cet agréable moment fut mon arc-en-ciel après l'orage et la tempête. Un signe d'espoir jailli au détour du chemin. Les jeunes gens qui donnaient cette aubade a l'aperto sont tous vénitiens. Le public présent l'était aussi en majorité. Quelques touristes égarés s'étaient arrêtés. Puissent-ils avoir ainsi pris la mesure de La Véritable Venise ! 
(Journal de Venise, 17/07/2016)

© Benefica Biribiri, Venezia 2016.