19 décembre 2007

Au royaume des reflets


Venise est le royaume des reflets. Pas des faux-semblants, le trompe-l’œil s'il ests ouvent présent n'est qu'un écrin, un moyen, un faire-valoir. Partout la nature domine. elle est simplement travestie, maquillée, alourdie parfois aussi par tant d'ornements, bijoux de prix ou de pacotille, l'illusion triomphe.
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Photo inédite de Pierre. © Décembre 2007. Droits Réservés.

18 décembre 2007

Take a walk on the wild side


15 Décembre 1982
[...] Je n’ai pas encore assez d’argent pour rentre en France. Il fait très froid. Venise semble vide. Les facs ont fermé hier. Déjà pleins d’étudiants sont repartis dans leurs familles. Il fait nuit tôt. Des vapeurs de brume s’élèvent des canaux. A la lumière des réverbères, cela donne l’impression d’être dans les limbes. Et ce silence… Je marche dans les rues sans but précis. Il est presque minuit. Lou Reed chante dans mon walkman "Take a walk on the wild side". Le saxophone résonne dans ma tête. J’ai l’impression que le musicien est là au coin de la rue, près du kiosque. Tout brille, le sol, les parois des vieux palais délabrés. "Take a walk on the wild side"...
[...] Mes pas seuls dans la ville endormie. Tout à l’heure, au Do Draghi, vin chaud et crostini, la chaleur enfumée n’avait pas la même consistance. Stefano est rentré chez ses parents à Ancône, Betti est à Castelfranco… Ils me manquent. "Perfect day" maintenant dans mes oreilles. La pointe de la douane est un endroit magique à cette heure de la nuit. Un bateau parfois, la ville éclairée comme un décor de tragédie. San Giorgio, tout blanc, et au loin le Lido. En été, on croise des amoureux, des fumeurs solitaires, des groupes qui bavardent et rient. 
[...] Ce soir il n’y a personne. Même pas un de ces chats faméliques qui vivent dans les entrepôts abandonnés de la Punta della dogana. Un vaporetto qui accoste à la Salute rappelle que la vie existe toujours ici. Venise bouge encore. A peine. Les cheminées recrachent partout de la fumée. Il fait vraiment froid. Humide. Une heure sonne au campanile de San Zaccaria. D'autres cloches lui répondent. Je suis tout au bout de Venise, loin de tout. Ici le silence se fait encore plus lourd. Plus grave. Les maisons sont basses. La nuit plus noire encore. Je viens de croiser un chien étonné de rencontrer un humain. Il a hésité un instant puis a repris son chemin, se retournant une ou deux fois. Je vais bientôt rentre. Il fait froid. "Take a walk on the wild side". Dans une semaine c’est noël, je serai en France, en famille. Le sapin, le vieux chat endormi près du feu, notre mère, les enfants, la famille. 
[...]Et puis je reprendrai le train, Bordeaux-Vintimille, la nuit, puis la journée seul dans un compartiment. Il y a si peu de monde après la frontière sur cette ligne en hiver. Et la magie de nouveau : en pénétrant sur la lagune, le train sifflera. La fenêtre grande ouverte, j’humerai à pleins poumons cet air unique qu’on respire ici. Je marche dans la nuit. Mes pas me ramènent vers la fondamenta delle Capucine ou j’ai élu domicile. Rosa, ma petite chatte grise doit m’attendre derrière la porte.[...]

Juste pour rêver


Quand l'été s'en reviendra, quand la chaude lumière d'avril fera resplendir les façades des palais et que miroiteront à nouveau dans l'eau claire et bleue comme le ciel les campaniles, nous irons de nouveau par les calle, les rughe et les campi, avec cette petite musique dans la tête. Mais de qui est-ce déjà ? Ces cordes endiablées, ces flûtes doucereuses qui chantent comme chantent les oiseaux. Venise alors nous apparaîtra rayonnante et joyeuse.


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1 commentaire:

venise86 a dit…
J'ai découvert des droits de propriété là où je croyais le monde libre à condition d'être civilisé, et de nommer les sources... j'ai eu envie d'avoir une cigarette sous la main...

17 décembre 2007

Carnets (2)

J'ai toujours été fasciné par ces gens qui peuvent, avec une plume ou un crayon, donner vie en un instant aux paysages qu'ils rencontrent et aux êtres qui les entourent. Leurs ébauches, leurs croquis, ces dessins imparfaits qui remplissent leurs carnets sont toujours remplis de vérité, sans ces rajouts que l'artiste ne peut éviter dans l’œuvre aboutie qu'il offre aux regards sur les cimaises des galeries ou des musées. Ne trouvez-vous pas fascinants les dessins de Dürer, ceux de Michel-Ange, du Carpaccio, de Canaletto ou de Guardi ? Dans la maladresse d'un trait trop rapide, dans les ratures et les gribouillages, il y a toute l'humanité de la création artistique. Ce tâtonnement qui rend l'artiste plus qu'humain et montre la fébrilité qu'il y a à créer, comme si la main était possédée par cette fièvre de création. "Vite, vite dessiner..." C'est pour cela que l'exposition "Détour" du Moleskine Project m'a fasciné. Je recherche depuis tous les croquis réalisés sur le vif à Venise. En voici un exemple superbe : "Quaderni veneziani", le journal dessiné d'une jeune femme brésilienne, Mariadel, en visite dans les musées de la Sérénissime.









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1 commentaire:


La Mariana a dit…

J'ai beaucoup apprécié l’œuvre musicale servant de fond sonore au défilé de ces beaux dessins ! Peut-on savoir quelle est cette œuvre ? Merci d'avance. Et bravo et merci pour votre blog que je visite régulièrement, étant moi aussi passionnément amoureuse de Venise ! ...

16 décembre 2007

Venise sur un air de joie

Tellement d'ouvrages décrivent les monuments vénitiens et les chefs d’œuvres qu'ils contiennent, les milliers de cartes postales qui partent chaque année de Venise représentent la plupart du temps ces lieux emblématiques que sont la Piazza, le pont des soupirs, la façade de San Marco ou le Rialto... Au fur et à mesure de mon cheminement sur TraMezziniMag, une évidence s'est fait jour peu à peu : le charme de Venise, la mélancolie de ceux qui l'ont quitté, la joie de ceux qui y séjournent c'est cette manière unique de vivre comme n'importe où ailleurs et pourtant avec quelque chose de totalement différent. 
C'est le quotidien, la vie de tous les jours, les petits riens. Je me dis souvent quand je suis au milieu des vénitiens, que la musique que j'entends en les voyant vivre ce n'est pas tant du Vivaldi ou du Monteverdi, accompagnements musicaux que je réserve pour mes promenades solitaires davantage vouées à la contemplation des pierres qu'à l'observation des humains, c'est un de ces airs de "light music" anglo-saxonnes des années 30, ces musiques de fox-trot ou de swing toujours remplies de joie et de simplicité, comme les chansons de Sam Browne ou Charlie Barnet. Je pense aussi à Gary Williams, chanteur d'aujourd'hui que nousé coutons assez souvent quand nous sommes à Venise. L'expression d'une joie de vivre sans affectation ni mièvrerie. Écoutez et vous me comprendrez.
Mais trêve de bavardage, feuilletons ensemble cet album de tous les jours : Été comme hiver, la vie se répand chaque jour dans Venise. Même envahie par les hordes de touristes, la ville est une fourmilière et ses habitants vont et viennent comme partout ailleurs, avec l'extraordinaire différence qu'apporte l'eau omniprésente, la multitude de ponts, l'absence des voitures, et ce décor unique dont chaque vénitien, quelque soit son âge et sans en avoir l'air, est conscient.



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2 commentaires:
S.Schiavoni a dit…
BOnjour, merci pour ce blog très sympathique! Je découvre et redécouvre Venise que j'adore. C'est une ville magnifique. Mon nom de famille est Schiavoni, je pense que ça vous rappelle quelque chose! Bonne continuation, je repasserai par là, c'est sur!
Lorenzo a dit…
vous y êtes bienvenu !

15 décembre 2007

Venise selon Zoran Music

Venise au petit matin c'est aussi ça :

Je ne voudrais pas abuser des ressources que YouTube peut offrir mais là, je ne peux m'empêcher de vous faire partager ce superbe moment vénitien. Filmé à la sauvette par Francesca depuis la fenêtre de son appartement au 3e étage d'un immeuble, un vendeur de fleurs que tout le monde connaît à Venise essaie d'attirer le client. Il vient d'un village de terre ferme et prétende depuis toujours que la marchandise vient de son jardin. Il ne fait pas très chaud, les gens vont à leur travail, prennent un café et repartent, les livreurs passent et repassent avec leurs chariots qui débordent de marchandises, les ménagères vont au marché, des mamans conduisent leurs bébés à la garderie... Parmi ce va et vient incessant, notre homme chante, apostrophe les passants, les invitant à acheter ses plantes en répétant souvent aux bourgeois qu'il voit passer cette fameuse phrase: "Ma ti ga na casa Ciò!?!" (Mais tu n'as pas de maison ?), sous-entendant par là pour y mettre ses belles plantes et ses jolies fleurs. 

On utilise cette phrase dans beaucoup de circonstances à Venise : pour saluer un bon ami, pour lui demander s'il va bien, pour l'encourager à arrêter de travailler et à rentrer chez lui. On l'entend dans les stades à l'intention des joueurs adverses. Il y avait sur le campo della Guerra un camelot qui hurlait souvent cette phrase quand notre fleuriste s'approchait pour l'inviter à décamper. Ils ne se supportaient pas. 

Depuis le petit homme répète toujours cette phrase. Parlant moitié en dialecte, "no ga schei" (Trad. : il n'a pas d'argent), moitié en italien, sa voix est familière à tous ceux qui fréquentent les rues de Venise, le matin. Vous remarquerez l'activité fébrile, le rythme rapide des gens qui passent. Une ruche. Tous se connaissent plus ou moins. "Tous des braves gens mais qui n'achètent rien" dit notre homme philosophe. trop tôt, pas encore de groupes de touristes. La vie quotidienne à Venise. Un moment ordinaire. Un régal.



En cliquant sur le lien ("voix"), vous pouvez entendre l'un des derniers enregistrements de ce sympathique personnage. Avec l'autorisation de mes amis de Venessia.com, voici le texte du monologue. On dirait du Goldoni
"Ma no gavé 'na casa, cio'! Maaaama mia dami 100 lire che in America voglio andaaar... Soréa, vuto 'na bea pianta?! Varda, par el moroso de la moglie...varda che regàeo che ti ghe fa, varda, varda...Varda che bea, varda...garantita tre ani, Sa' ! Vara che altro, vara...Vara che altro, vara...Ma voialtri no gavé na casa vostra?Vara, garantita tre ani, vara che bea, garantita tre ani...No eà more mai come Prodi, questa Sa'!"
Traduction (approximative) : "Mais vous n'avez pas de maison, bon sang... Bonne mère, donnez moi 100 lires que j'aille en Amérique... Ma sœur, tu veux une belle plante ? Regarde, par l'amour de ma femme... regarde quel cadeau que tu te fais, regarde,mais regarde... Regarde comme elle est belle, regarde... garantie trois ans, tu sais !... regarde celle-ci, regarde... Mais vous autres vous n'avez donc pas de maison à vous ? Regarde, garantie trois ans, regarde comme elle est belle, elle durera trois ans... C'est pas comme Prodi celle-là, tu sais !"

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4 commentaires:


Anonyme a dit…
J'écoute Vivaldi, Editions Glossa, un petit bijou vous dis-je ! Merci Lorenzo. Plus doux à l'oreille que notre sympathique ambulant fleuri. M.17
Florence a dit…
Pour moi il n'y pas de plus doux à l'oreille que ce dialecte...... Ca me rappelle tant quand le marchand de fruits et légumes criait pour avertir de sa présence, et mon grand-père, qui avait quelques difficultés à se mouvoir, descendait son panier et ses quelques lires au bout d'une corde et faisait sa commande par la fenêtre. Avec Tramezzinimag, les souvenirs d'enfance reviennent... Merci! Je fais partie d'une chorale italienne. Nous chantons des chansons traditionnelles et bien sûr "Quei mazzolini di fior" mais avant celle-ci, que chante notre personnage ?? Je ne la connais pas. A presto Florence
J@M a dit…
Sympathique... Un régal de la vie quotidienne !
Gina Paillette a dit…
Je lis depuis peu ce blog et n'avais pas encore poussé jusqu'aux archives de 2007. La fameuse chanson "mama mia dami 100 lire", je ne l'ai plus entendu depuis que le poste de ma grand-mère (à Noventa Vicentina) a décidé de ne plus lire les cassettes audio quasiment cinquantenaires (!)... mais j'ai toujours la version "maison" par ladite grand-mère, il va falloir que je l'enregistre pour garder ces précieux souvenirs...

14 décembre 2007

On ne peut plus en douter, l'hiver est là


Le brouillard intense qui couvrait la lagune ces derniers jours et ce froid mordant qui s'est répandu plus vite qu'une rumeur, la campagne toute blanche au petit matin, ce sont les signes de l'hiver. Dans un peu plus d'une semaine ce sera Noël. Venise va s'enfoncer dans un demi-sommeil qui plaît beaucoup aux poètes. Mais la froidure de nos jours n'a rien à voir avec ce que connurent nos ancêtres. Ma grand-mère me parlait des parties de patin à glace sur la lagune gelée et on voit sur certains tableaux du XVIIIe siècle, des vénitiens aller jusqu'à Murano en traîneau ou à pied. J'ai retrouvé ce petit reportage qui date de 1929. Il y avait encore des felze sur les gondoles et on se chauffait au feu de bois dans les maisons. On n'avait pas vu un tel spectacle depuis plus de cent ans...

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Anonyme a dit…
La pluie vient de cesser à l'instant, il fait effectivement très froid ce soir. M.17
Florence a dit…
Ma grand-mère, début du XXe siècle, allait de Venise à Murano à pied sur la glace de la lagune. Les bateaux ne pouvaient circuler, vue l'épaisseur. Ce n'est une légende...... Florence

13 décembre 2007

Et si vous restiez dîner ? au menu ce soir : l'agneau délicieux de Xavier

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ma dernière recette testée ce soir avec une de mes filles : , inspiré de l'excellent ouvrage Les petits dîners de Xavier que mes enfants m'ont offert pour mon anniversaire. 

Il vous faut une belle tranche de gigot d'agneau par personne que vous désosserez et que vous couperez en cubes, de la menthe fraîche et du basilic ciselés, de la coriandre et des quatre épices, de la semoule et de la polenta que vous préparerez en purée. Faites revenir dans une poêle les morceaux de viande en remuant bien pour qu'ils grillent vite sans brûler et conservent un aspect rosé en dedans. Salez et saupoudrez de coriandre et de quatre épices. Disposer dans chaque assiette de la polenta en purée ou de la semoule préparée avec du beurre (je fais cuire les deux dans de l'eau salée à laquelle j'ajoute un cube d'Oxo ou à défaut un bouillon Kub). Déglacer le jus de la poêle avec du vinaigre balsamique, nappez-en les morceaux de viande et ajoutez du basilic et de la menthe, à profusion. Servir aussitôt. J'accompagne ce plat d'un petit bol du bouillon dans lequel la semoule a été cuite, salé à point et décoré de feuilles de menthe. Avec un vin rouge un peu charpenté, c'est délicieux. En entrée, il y avait simplement des gressins autour desquels nous avions enroulé des tranches de coppa fumée. 

Comme dessert, un tiramisu aux framboises de Constance, dont je vous livrerai le secret une prochaine fois. Gardons quelques uns de nos secrets pour nourrir les prochains billets de Tramezzinimag !

12 décembre 2007

Une belle histoire

Dans ce monde si froid où trop souvent seul l'appât du gain et l'égoïsme prévalent, il y a parfois de jolies choses qui font présager de ce que pourrait être un monde vraiment solidaire et respectueux de l'autre. Cela se passe à Venise et toute la presse transalpine s'en est fait l'écho : grâce à la Fondazione Venezia, une jeune nigériane est devenue une coiffeuse réputée.
 
La manière dont les parruchieri italiens coiffaient ses cheveux ne lui plaisait vraiment pas. Il faut dire qu'avec ses cheveux, cette crinière très drue et crépue propre aux femmes africaines, il semblait difficile de faire tenir une mise en plis. Elle était certaine de pouvoir un jour faire mieux et c'est ainsi qu'elle s'est lancée. Pour Ijeoma Samson-Onuoha, ouvrir son propre salon de coiffure était un rêve apparemment irréalisable que le projet Micro Crédit Social de la Fondazione di Venezia, prolongement historique de la Cassa di Risparmio di Venezia, a rendu possible.

Ijeoma gère maintenant sa boutique à Mestre, faute d'avoir pu trouver un local bon marché dans le centre historique. Ouvert depuis trois mois maintenant, son salon ne désemplit pas, accueillant du matin au soir des clients vénitiens ou étrangers. "Je suis en Italie depuis 1995" raconte-t-elle, "j'ai travaillé huit ans à la polyclinique de Mestre mais mon salaire ne me suffisait pas pour vivre sereinement. J'avais besoin d'une idée, de trouver une autre voie. Un jour, j'étais allé me faire coiffer à Padoue et le résultat fut un désastre. Je savais pouvoir faire mieux et ce fut l'illumination : j'ai demandé s'ils n'avaient pas besoin d'une apprentie. Devant la réponse négative, j'ai pris la décision de suivre une formation spécialisée".
 
A partir de là, ce qui n'était qu'une idée va devenir pour Ijeoma Samson-Onuoha, un objectif. Profitant des jours où elle ne travaillait pas à la clinique, elle suivait assidûment les cours organisés par la Région Veneto et deux ans après, la voilà diplômée et bénéficiaire d'une aide financière de dix mille euros prêtée par la Fondation sur le principe du prêt social, de plus en plus répandu en Italie et à Venise. Un bel exemple de solidarité sans préjugés ni réticences qui honore Venise, cité traditionnellement ouverte aux mondes lointains.