10 novembre 2005

Le véritable maître de Venise




"Venise; tes ombres ont été les gardiennes de tes premiers trésors : palais et leurs opulences, églises et leur faste, Arsenal et son orgueil. Elles t'ont sauvée de toi-même et de l'envie des autres. Les amants sont venus à l'encontre de la ville sur l'eau - une ville en l'air n'étant pas encore érigée. Nul pouvoir, pas même celui des doges, n'égale celui de ton passé. Et les lions de Saint-Marc ne se sont pas prosternés devant les autres saints. en ton sein a germé la semence de Rome et de Byzance, de l'Europe et du Levant, d'un Occident sans repos et d'un Orient languissant."   

Predrag Matvejevitch, 
L'Autre Venise
traduit du croate par Mireille Robin et l’auteur
Fayard, 2004



posted by lorenzo at 21:51

09 novembre 2005

Faire son marché à Venise

Dans tous les pays du monde, à la ville comme à la campagne, il y a des marchés. L'atmosphère y est souvent très roborative. Les plus chagrins se dérident au milieu des étals de fruits et de légumes, parmi cette foule bon enfant le plus souvent qui traîne, regarde les marchandises, compare, discute. Nulle agressivité sur un marché, ce n'est pas comme dans ces grandes surfaces impersonnelles ou derrière son caddie, la ménagère énervée part en guerre contre ceux qui hésitent dans les rayons, contre la caissière trop lente ou le produit qui manque bien sur quand on en a besoin. 

A Venise, plus encore qu'ailleurs, aller faire son marché est un réel plaisir. D'abord parce que on se retrouve vite hors du temps : pas de camion, d'odeur de tuyaux d'échappement, d'embouteillages. Lorsque vous habitez de l'autre côté du grand canal, le meilleur moyen d'y arrivere st de prendre le traghetto, ces gondoles avec deux gondoliers qui vous transportent d'une rive à l'autre pour quelques centimes depuis mille ans. Il y a aussi le pont du Rialto toujours gorgé de monde comme il l'était déjà au Moyen-âge. Les ruelles sont remplies de monde et les marchands de fruits, de légumes, les bouchers, les poissonniers, les charcutiers rivalisent d'ingéniosité pour présenter leur marchandise aux vénitiennes tirant leur chariot. Mais d'autres lieux plus paisibles abritent aussi de petits marchés : le campo santa Margarita avec un des meilleurs poissonniers de la ville et un fleuriste sympathique, la barque delle erbe à deux pas, près du pont des Pugni de San Barnabà, les marchands des quatre saisons de la Lista di Spagna, ceux du campo Santa Maria Formosa, ceux encore de Castello, sur la Via Garibaldi... Un univers vivant, pittoresque où l'on trouve une marchandise qui échappe encore aux règlements imbéciles établis par les fonctionnaires obtus du Parlement européen.
J'ai connu aussi lorsque je vivais là-bas un petit "fruttariol", en bas de chez moi. Son échoppe était pareille que celles des gravures d'autrefois, quelques mètres carrés où s'entassaient des caisses légumes et de fruits variant selon la saison. La provenance était repérable aux étiquettes sur les caisses : Mazzorbo, Padoue, Vicenza... Les pêches en été comme les poires en automne étaient toujours des délices. Elles arrivaient le matin en bateau de tous les ilôts maraîchers de la lagune et parfois de villages des environs sur le delta du Pô ou de la Brenta. Les plus exotiques étaient les oranges de Siçile ou les pommes de terre du Piémont. La chicorée venait de vérone, les choux et les carottes de Torcello ou d'une île-jardin du nord de la lagune... Rien à voir avec ces fruits insipides et ses légumes calibrés que l'on trouve dans nos supermarchés aseptisés ! Quelquefois, il avait de beaux œufs énormes, provenant d'une ferme de San'Erasmo. Deux jolies statuettes de pierre brillantes comme du fer luisaient de chaque côté de sa devanture comme deux hiératiques gardiens. Dans sa boutique se retrouvait les vieilles dames du quartier, les étrangers qui résidaient dans les beaux immeubles de Dorsoduro et les cuisiniers des trattorias du coin. Une famille en quelque sorte. Le marchand ne parlait que le vénitien et j'étais très fier quand il m'accueillait le matin me gratifiant d'un très sonore "Buon di, sior Lorenzo, xe cosa ti vuoi, oggi?"... 



posted by lorenzo at 23:21

08 novembre 2005

Urgences, urgences...

« C’est incroyable, papa » me disait ce matin ma fille Constance (huit ans), en parlant de sa sœur aînée, « Margot n’est pas contente parce qu’ils ont ouvert de nouveau les urgences pour des jeunes qui font du feu dans les voitures et elle dit que cela va faire comme le 11 juillet »… Je n’ai pas compris tout de suite ce qu’elle voulait dire. Et puis une vieille dame affolée rencontrée sur le chemin de l’école qui criait à la cantonade « c’est la guerre civile » m’a permis de traduire les propos déformés par ma petite fille : l'état d'urgence, les incendies de voitures et le 11 septembre... 
J’ai éclaté de rire, laissant la vieille dame éplorée devant tant de légèreté « alors que l’heure est grave »… J’ai ri devant ce bon mot innocent qui m’a simplement rappelé, s’il était besoin, combien nous devrions relativiser les évènements et prendre du recul. Oui la situation est préoccupante, oui le désarroi que traduit ces manifestations inadmissibles ne peut que dérouter et nous interroger. Mais, dans ma prise de position contre la constitution européenne, lorsque je prétendais que le oui entraînerait de gros désordres, tout le monde se gaussait. Le non a au moins empêché que ce qui se passe en ce moment soit démultiplié et se déroule dans d’autres lieux et d’autres milieux que nos banlieues et avec une bien plus forte intensité . 
Je crains hélas que ces piteux évènements ne soient que la preuve de l’inanité de nos dirigeants, nationaux et européens; leur incapacité à gouverner, puisque gouverner c’est prévoir. A force de manquer de conviction, à force de se mettre lâchement à la traîne des puissances ultra-libérales, étatiques ou multinationales, voilà ce que l’on récolte. En politique comme dans tout autre domaine, l'expérience prouve qu'il est vain de suivre lâchement les modes. A trahir ce qu'on est vraiment, on est toujours puni.
Point d’homme providentiel (je suis convaincu que les gens ont besoin d'un sage, une figure paternelle à la tête de l'Etat, arbitre et référence, loin de toutes les querelles partisanes), point de discours engageant la nation pour que tous se mettent au travail pour cohabiter, coopérer et bâtir ensemble la société dont nos enfants auront besoin pour vivre et prospérer. Au lieu de ça, nous avons des combats de chefaillons, méprisables apparatchiks de droite ou de gauche, qui ne songent qu’a conserver ou conquérir le pouvoir, pour leur propre intérêt ou celui de leur caste. La gouvernance liée à tout ce qui est économique et entre les mains des financiers et des agences de notation (comment avons-nous pu accepter cela ?)

Et pour rajouter à cette trivialité, les médias, qui font monter la pression comme le pâtissier fait monter sa crème. Plus on parle de ces évènements, plus ils se développent, plus la population se met à craindre et à réagir et les passions se réveillent. La part la moins belle en chacun de nous s’éveille. Le monde est encore rempli des remugles de cette peste brune que cinquante ans de relative tranquillité n'ont pas totalement effacé... Il y a longtemps que je n’ai pas entendu autant de propos racistes et xénophobes, autant d’insanités sur les jeunes, les arabes. Et tout cela parce que des bandes de voyous organisées, sans autre motivation que la violence pour la violence, sortent dans la rue et cassent. Les autres, ceux qui peinent, ceux qui sont en situation précaire et remplissent leurs obligations sociales – et ils sont la majorité – risquent maintenant de vivre les pogroms comme les juifs en Pologne ou en Russie il n’y a pas si longtemps… 
Oui, le bon mot rigolo de ma petite dernière n’est finalement pas anodin. Il me rappelle que face à tout événement, même grave, il faut prendre du recul et chercher à comprendre pour se faire sa propre opinion et qu’il faut toujours garder son sang-froid. Non, ce n’est pas la guerre civile comme les journaux chinois ou américains l’annoncent à leurs concitoyens, les priant d’éviter de se rendre en France. C’est simplement une plaie purulente qui saigne depuis longtemps mais qu’on n’a jamais su ou voulu soigner. Comment guérir une blessure quand à chaque instant, le soignant en ravive une autre par sa maladresse et son incompétence. 

C’est le corps entier qui est malade. La tête tout d’abord, puis les membres et quasiment toutes les cellules sont atteintes. Par le doute, par le découragement, maintenant par la crainte. Cela arrange bien du monde en fait, ceux dont le corps est déjà pourrissant et qui préfèrent ne pas être seuls dans l’ambulance. Il n’y a pas de raison. Ceux qui savent être incapables eux-mêmes de résister longtemps au virus. Ils pourront faire accepter plus facilement des traitements de choc pour éviter la contagion. 
Non, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure. Que la sagesse modère nos propos et nos opinions. Les mêmes imbéciles continueront de parader sur les chaînes de télévision pour amuser les français en fin de semaine, les mêmes footballeurs millionaires continueront de taper sans conviction dans leur ballon, les mêmes députés s’endormiront dans l’Hémicycle, les mêmes fonctionnaires européens produiront leurs règlements iniques et la froidure de l’hiver bientôt calmera les flammes. 
Mais attention au printemps qui revient. Il risque de faire très chaud alors, et le Tamiflu social n’est pas encore en fabrication dans notre pauvre hôpital européen, loin s'en faut…
posted by lorenzo at 20:27

04 novembre 2005

Le doge de Venise


Le doge de Venise,
très belle xylographie provenant d'un ouvrage du XVe siècle
(collection particulière)

03 novembre 2005

Cambriolage chez le Comte Morosini

Quand on vit dans un lieu somme toute assez reclus comme est le centro storico de Vensie, on s'intéresse au quotidien de tous. Ragots et rumeurs se répandent au marché, sur le vaporetto, sur les campi, dans les boutiques. Cela participe de la vie en commun et n'est jamais bien méchant. Il y a aussi la lecture des faits divers que publie chaque jour le journal local ; leur commentaire autour du café matinal, dans le café en bas de chez soi. C'est ainsi que j'ai lu dans le Gazzettino d'aujourd'hui, la nouvelle suivante :

DORSODURO. Ladri in azione a San Trovaso, nell'edificio del nobile Agostino. Indagano i Cc di San Zaccaria
Svaligiato palazzo Nani Mocenigo
Sparite tele e preziose stampe per un valore complessivo di circa 150mila euro.

"Clamoroso furto in un prestigioso palazzo di Venezia, a San Trovaso, non distante dalla facoltà di filosofia di Ca'Foscari. A scoprirlo, ieri pomeriggio, è stato il nobile proprietario, Agostino Nani Mocenigo, e subito sono iniziate le indagini dei carabinieri della Compagnia di Venezia.
I ladri hanno approfittato del fatto che l'immobile è rimasto incustodito per alcuni giorni, e hanno trafugato tele e preziose stampe, il cui valore complessivo è stimato in circa 150 mila euro. Si tratta di cinque dipinti ad olio del Cinquecento e Seicento, raffiguranti nobili veneziani, nonché quattordici stampe di varie epoche e raffinati oggetti di argenteria. I ladri sarebbero entrati nel palazzo da una piccola finestra utilizzando una scala. Forse per la fuga si sono serviti di un barchino".

 
Époustouflant vol dans un prestigieux palais de Venise, à San Trovaso, à peu de distance de la faculté de Philosophie de la Ca'Foscari. C'est le propriétaire, le comte Agostino Nani Mocenigo qui l'a découvert hier après-midi et en a aussitôt informé les carabiniers. Les voleurs ont profité de l'absence des gardiens ces derniers jours, pour dérober des toiles et des gravures précieuses, pour un montant estimé à environ 150.000 euros. Il s'agit de cinq toiles du XVe et du XVIe représentant des nobles vénitiens, de 14 estampes de différentes époques et d'objets en argent. Les voleurs seraient rentrés dans le palais par une petite fenêtre en utilisant une échelle. Ils ont vraisemblablement utilisé une barque pour s'enfuir.
Connaissez-vous ce roman policier qui commence par une série de vol dans ce qui fut la ville la plus remplie d'objets d'arts et de joyaux et la moins cambriolée du monde ? Il s'achève par la destruction programmée de la ville et un coup d'état avorté. Nous n'en sommes certes pas là mais quelque chose a changé à Venise. Les touristes affluent toujours autant et d'une manière de plus en plus anarchique et préjudiciable pour la Cité des doges. La vie y est certes de plus en plus difficile, comme ailleurs mais dans des proportions démesurées parfois, pour ceux qui n'ont pas la chance d'être propriétaire de leur logement (à l'étage). 

Non, ce qui est préoccupant, c'est une atmosphère nouvelle qui pousse hélas les vénitiens, comme tous les italiens, au racisme. Des populations nouvelles, et peu souhaitées, de l'autre rive de l'Adriatique, chassées au début par la guerre, puis attirées par les aides et la qualité de vie, se sont installées un peu partout. Avec ces réfugiés qu'il était normal d'accueillir, est arrivée toute une faune de voleurs, d'escrocs, de petites frappes qui, se mêlant aux mêmes version nord-africaine qui sont remontés par la Siçile et Rome, envahissent toute la péninsule et commettent larcins sur larcins.
A Venise, ils mettent le feu aux poubelles, d'autres agressent les touristes et cassent les vitrines. Ils opèrent en bande, sont souvent très jeunes, déterminés, tous en situation irrégulière, arrogants et sans foi ni loi. La misère des pays d'où ils viennent ne les rend même plus sympathiques. Encore moins pardonnables.
Je me souviens en 1983 ou 84, avoir assisté à un gala à la Fenice. Grand tralala sur scène comme dans la salle. J'étais invité dans uen loge. Il y avait là cinq ou six femmes en robe longue. Après le spectacle, une vieille dame repartit seule vers sa maison. Elle portait un diadème de diamants avec le collier assorti et à ses doigts brillaient de somptueuses bagues anciennes. Célèbre figure de la société vénitienne, descendante de doges, elle possède des bijoux historiques somptueux. Il était presque une heure du matin. les rues étaient vides. Je fis un bout de chemin avec elle mais elle refusa que je fasse le détour jusqu'à sa porte. "On ne craint rien à Venise, Monsieur" me dit-elle en souriant. Aujourd'hui si la ville reste relativement sûre, il y a de plus en plus de cambriolages, de magasins pillés...
Qui parlait du retour des barbares ? Nous sommes restés à les attendre comme on attend le retour des saisons. Hélas, ils sont revenus et semblent bien installés et déterminés à faire parler d'eux...  De quoi alimenter les conversations à venir et faire l'affaire de politiciens extrémistes et revanchards...
posted by lorenzo at 21:11

Les veduti par Vera Lewijse

Je vous parle souvent de ce site vraiment très sympathique et parfaitement documenté qu’est La Panse de l'ours, je signale le lien aussi souvent que l’occasion se présente. Cette fois encore, notre auteur a déniché un article effectivement passionnant sur les vedutistes, ces artistes que je mentionnais l’autre jour dans mon article sur Bobo Ferruzzi. Irina, une amie danoise vivant à Venise, m'a aussi signalé ce texte publié dans la Lettre d'Art-Mémoires. Je cite le maître de la panse de l'ours : "Un article passionnant de Vera Lewijse dans la lettre mensuelle d'Art-Mémoires sur cet art pictural des représentations exactes de la ville de Venise(veduti) dont le grand initiateur fut Canaletto. Clair et lumineux, un article à lire absolument".

posted by lorenzo at 19:05

02 novembre 2005

ALBUM

 
posted by lorenzo at 23:25

La citation du jour


" Tout vote est politique et exprime un choix de société."
Jacques Chirac


Une fois n'est pas coutume, je me permettrai un commentaire de la citation du jour : si seulement cette phrase, le Président l'avait prononcée le soir du 29 mai, reprenant à son compte l'élan gaullien qui devrait aujourd'hui de nouveau placer la France à la tête de l'Europe, la vraie, celle des peuples et des nations... 
posted by lorenzo at 23:07

Tentatives de coup d'Etat sur le Net

Lu dans Libération un article à propos de la main-mise des États-Unis sur Internet devenue globale mais de plus en plus contestée.Les Américains sont les maîtres de l'Internet depuis qu'ils l'ont inventé. «D'un point de vue politique et technologique, ils ont les clés du système, affirme un chercheur. Même s'ils n'ont jamais appuyé sur le bouton, Washington a la possibilité de bloquer le réseau et compte bien conserver ce contrôle total.». Washington a le pouvoir de couper en un instant l'accès à tous les sites de la planète. Et de paralyser ainsi l'ensemble des connexions à son avantage...


posted by lorenzo at 22:56

L'entrée du Grand canal vu du pont de l'Accademia


"Un ciel frais lavé par l'orage et poli par un vent jeune et vif. Chaque brisure se festonne de soleil. La ville paraît prête à accueillir toute occasion de joie. Toute étincelle : la lagune crispée, les feuillages dansants, les vitres."
 Liliana Magrini, Carnet vénitien, 1956

posted by lorenzo at 20:55