"She's leaving home" chantent les Beatles sur BBC Radio 2,
une de mes chansons préférées. Je suis loin de Venise mais la lumière
qui envahit mon bureau, ce soleil ardent d'avril, cette musique, la
tasse de thé fumante avec les biscuits sablés sans lesquels mon builder's tea ne ressemble à rien, et la carte postale de mon filleul Félix
où, avec son écriture un peu malhabile de petit garçon, il me raconte
sa découverte de Venise (qu'il écrit joliment avec un "z"), postée de
Bologne, tout pourrait être transposé là-bas. Comme à Venise, le rayon
de soleil qui éclaire la table de bois ciré fait danser des milliers de
petits grains de poussière, la chope bleue remplie de ce délicieux
liquide couleur caramel (le builder's tea
est un mélange de Ceylan, Kenya et Assam je crois, qui se boit très fort avec du
lait et du sucre) est la même que celle que j'utilise quand je suis
vénitien et les livres qui m'entourent ici parlent tous de la
Sérénissime... Le bonheur de se pencher sur un nouveau sujet, de
rechercher les informations un peu partout dans mes livres, mes
dossiers, choisir les documents qui vont illustrer l'article... Le chat
ronronne à côté de moi. Il est resté un long moment étendu au soleil,
son pelage est brûlant. Il s'est installé sur le scanneur, histoire de
me rappeler qu'il est là et que je lui dois un peu d'attention et
quelques caresses. Les enfants sont en vacances. ils se sont éparpillés
un peu partout, avec leurs amis, je ne les verrai pas beaucoup. Nous ne
partons pas cette année. La vieille maison sur la plage restera
silencieuse. Trop de choses à faire, pas assez de temps. Hélas. Nous
irons peut-être pour le week-end de Pâques. Quant à Venise, ce sera en
Juin ou en juillet. Un projet de documentaire sonore à travailler et la
tournée des agences pour tenter de trouver enfin un nouveau lieu de vie
quelque part où nous pourrons poser nos valises et nous sentir de
nouveau chez nous. Dieu voulant, comme on dit chez moi. Mais il y a
tellement d'autres priorités et les temps ne semblent pas vraiment
propices. Billy Bragg chante "A new England" à la radio. Je sors faire un tour sur le bord de l'eau.
De Venise, les nouvelles n'apportent rien de nouveau. Le temps est couvert, la vieille dame qui servit longtemps chez mes tantes est partie en maison de retraite près de sa fille à Gorizia ; une balustre de marbre s'est détachée du pont du Rialto sur la fondamenta près du palais des Camerlingues. Ce n'est pas la première fois. Ce qui est tristement cocasse, c'est que le groupement des artisans restaurateurs vénitiens a déjà proposé de restaurer le pont gratuitement mais tout est bloqué car l'administration n'a jamais répondu aux interrogations du syndicat et de la municipalité concernant la TVA : aberration de notre époque, bien que les entreprises qui proposent les travaux n'encaisseront pas un centime, elles devront payer de la TVA... Personne n'est capable de modifier cela... Deux nouveaux commerces viennent de fermer. L'un va être transformé en appartement et l'autre sera une boutique de masques. Une de plus. La Ca'Foscari a organisé une soirée au bénéfice du Japon qui a fait venir beaucoup de monde. Les touristes arrivent par vague massive en ces derniers jours du Carême. Il y aura du monde pour Pâques. Le chat vient de changer de place. Il s'est installé entre le clavier et moi. Signe qu'il faut que je m'occupe de remplir sa gamelle. Le ciel est très bleu, il fait très doux. Encore une belle et bonne journée...