19 janvier 2006

Berlusconi Par Ignacio Ramonet


Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008 publia en février 2002 dans les colonnes du mensuel, cet article sur Silvio Berlusconi. Au moment où cet affairiste habile et manipulateur s'est emparé de nouveau du pouvoir et fait main basse sur l'économie, les finances et les médias de son pays, TraMeZziniMag qui défend la constitution italienne, la liberté du peuple italien et une vision de la société largement en phase avec celle du Monde Diplomatique a sollicité la faveur de pouvoir publier cet excellente analyse. Quand les loups - ou bien sont-ce des rats - s'emparent du pouvoir politique, la démocratie est en danger et avec elle les acquis sociaux, le droit et la liberté d'expression, l'égalité et la fraternité menacées.
 
De toutes les formes de « persuasion clandestine »,
la plus implacable est celle qui est exercée
tout simplement par l’
ordre des choses.
- Pierre Bourdieu.
En Italie, l’ordre des choses a persuadé de manière invisible une majorité d’électeurs que le temps des partis traditionnels était terminé. Cette conviction s’est enracinée dans un constat : le système politique connaît, depuis les années 1980, une dégénérescence accélérée. Certains parlent de « gangrène » et de « putréfaction ». La corruption s’est généralisée et a pris des proportions hallucinantes. Le système de pots-de-vin a coûté au pays plus de 75 milliards d’euros... Le financement occulte des partis a favorisé un fabuleux enrichissement personnel des principaux dirigeants politiques, en particulier des socialistes et des démocrates-chrétiens. « Quiconque avait des yeux pour voir, a pu affirmer Indro Montanelli, se rendait compte combien le niveau de vie des hauts responsables contrastait avec leurs déclarations de revenus (1). »

Dès 1992, une avalanche d’affaires sont révélées par l’opération « Mani pulite » (Mains propres) et le juge Antonio Di Pietro. L’ancien président du conseil et chef des socialistes, Bettino Craxi, accusé de s’être enrichi illégalement, démissionne dans le plus grand désordre, conspué par une foule hargneuse qui tente même de le lyncher... A son tour, M. Giulio Andreotti, lui aussi ancien président du conseil et principal dirigeant de la Démocratie chrétienne est inculpé, traîné dans la fange, accusé de « collusion avec la Mafia », de « complicité d’assassinat »...

La chute de ces deux géants fait tanguer l’ensemble du système politique, qui voit en l’espace de quelques mois des centaines de députés, de sénateurs et d’anciens ministres voués aux gémonies, frappés par les scandales, poursuivis par les juges et vilipendés par les médias... Accusée de malversations de toutes sortes, la classe politique au pouvoir se retrouve décapitée, désavouée par l’opinion publique, et sombre dans le discrédit. « Le vide est tel, la panique si forte, écrit Eric Joszef, que certains craignent ouvertement un coup d’Etat (2).  »

Au milieu de ce grand naufrage, ce n’est pas par un coup d’Etat, mais par le recours à une sorte d’hypnose télévisuelle collective, que M. Silvio Berlusconi, allié déjà aux postfascistes d’Alliance nationale et aux xénophobes de la Ligue du Nord, remporte une première fois les élections et devient président du conseil de mai à décembre 1994. Cette expérience du pouvoir sera un échec. Mais il n’a pas découragé M. Berlusconi, accusé lui-même d’affairisme, de combines louches et de tripotages, qui, pour redevenir chef du gouvernement en mai 2001, a pu compter sur ses nombreux atouts.

Quels atouts ? En premier lieu ceux que lui offre son immense fortune, la quatorzième du monde et la première d’Italie (3). Une fortune bâtie à partir de rien, grâce à la protection, au départ, de son ami socialiste Bettino Craxi. A coups de manigances, il réussit d’abord dans l’immobilier, puis dans la grande distribution et les supermarchés, ensuite dans les assurances et la publicité, et enfin dans le cinéma et la télévision. Il devient, avec le groupe Bertelsmann, Rupert Murdoch, Leo Kirsch et Jean-Marie Messier, l’un des empereurs des médias en Europe.

M. Berlusconi va mettre à profit sa richesse fabuleuse et la formidable puissance que lui confèrent, en matière de violence symbolique (4), ses chaînes de télévision pour démontrer, à l’heure de la mondialisation, une équation simple : quand on possède le pouvoir économique et le pouvoir médiatique, le pouvoir politique s’acquiert presque automatiquement (5). Et même triomphalement puisque son parti, Forza Italia, a obtenu le 13 mai 2001 environ 30 % des voix aux élections législatives, devenant ainsi la première formation politique d’Italie...

Démagogue et populiste, M. Berlusconi ne s’embarrasse pas de scrupules. En matière d’alliés, il n’a pas hésité à pactiser avec l’ex-fasciste Gianfranco Fini et le raciste Umberto Bossi. Ces trois hommes constituent le triumvirat le plus grotesque et le plus nauséeux d’Europe. Au point que, dès avant ces élections, un hebdomadaire britannique, rappelant les accusations portées par la justice italienne contre M. Berlusconi, estimait qu’un tel dirigeant n’était « pas digne de gouverner l’Italie », car il constituait « un danger pour la démocratie » et une « menace pour l’Etat de droit (6) ».

Ces sombres prédictions se sont révélées justes. Après le pitoyable effondrement des partis traditionnels, la société italienne, si cultivée, assiste assez impassible (seul le monde du cinéma est entré en résistance) à l’actuelle dégradation d’un système politique de plus en plus confus, extravagant, ridicule et dangereux. Avec la gouaille d’un bonimenteur de foire et grâce à son monopole de la télévision, M. Berlusconi met en place ce que Darío Fo qualifie de « nouveau fascisme (7) ». Toute la question est de savoir dans quelle mesure ce modèle italien si préoccupant risque de s’étendre demain à d’autres pays d’Europe...

© Ignacio Ramonet
Février 2002.
Avec l'aimable autorisation du Monde Diplomatique.

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Notes

(1) Cité par Eric Joszef, Main basse sur l’Italie. La résistible ascension de Silvio Berlusconi, Grasset, Paris, 2001, p. 37.
(2) Ibid, p. 41.
(3) La revue américaine Forbes estime la fortune de M. Berlusconi à 14,5 milliards d’euros.
(4) « La violence symbolique est cette forme de violence qui s’exerce sur un agent social avec sa complicité. » Pierre Bourdieu (avec Loïc J. D. Wacquant), in Réponses, Seuil, Paris, 1992, p. 142.
(5) Démonstration également faite par M. Michael Bloomberg, milliardaire américain, propriétaire de la chaîne planétaire d’informations économiques en continu Bloomberg TV, qui a dépensé plus de 77,5 millions d’euros pour sa campagne électorale et a pu ainsi réaliser son rêve de devenir, depuis le 1er décembre 2001, maire de New York...
(6) The Economist, Londres, 28 avril 2001.
(7) Darío Fo, « Le nouveau fascisme est arrivé », Le Monde, 11 janvier 2002.

Amoureux de Venise, connaissez-vous l'Avogaria ?

Ce lieu magique est la démonstration accomplie que la tradition, l’histoire, le passé peuvent se mêler avec beaucoup de bonheur au modernisme le plus élaboré. Ce restaurant situé au 1629 Dorsoduro, entre la chapelle San Ludovico (lieu d’expositions d’art contemporain dont je vous reparlerai) et San Barnaba, est selon moi le plus esthétique de tous ceux qui existent à Venise. Une atmosphère raffinée et élégante, un public très choisi visiblement conscient du choix qu’ils font en venant dîner ici, une cuisine mêlant tradition et innovation à l’italienne, un accueil incomparable. Bref un endroit où il fait bon venir.
Avec le Harry’s dolce, le Caffé Orientale, et le loundge dont j’ai déjà parlé, l’Avogaria (dont la métamorphose date de 2002) fait partie de ces restaurants "lounge" de qualité internationale, tant par ce qu’on y sert que par la beauté moderne et raffinée des lieux. Ouvert en 1986 je crois, il a été restauré par l’architecte Francesco Pugliese, frère complice de la cuisinière, qui a su mettre en valeur les vieux murs typiques de brique vieux de 400 ans, par des panneaux de couleurs denses et du mobilier et des accessoires ultra contemporains.
Mais, contrairement à ce qui se retrouve dans les créations de beaucoup de nos prétentieux et redondants architectes hexagonaux, tout à l'Avogaria est harmonieux, chaleureux, et surtout confortable. Ici on ne trouve pas de trace de ce snobisme qui veut que la beauté n’ait rien à voir - surtout pas - avec le confort dont la recherche est jugée trop vulgaire. On se sent bien à l’Avogaria, véritable lieu Feng-Shui, non seulement parce que Mimmo Piccolomo, le gérant, est accueillant sans affectation, parce que la cuisine inventive et sensuelle d’Antonella Pugliese fait des merveilles pour nos papilles, plongeant ses racines dans la richesse culinaire des Pouilles, parce que la carte des vins est riche et gourmande, parce que les végétariens y sont bienvenus, dorlotés et ravis, mais aussi et dès l’entrée, parce qu’on y est bien assis, parce que la lumière est agréablement nuancée, l’acoustique onctueuse et la compagnie le plus souvent de bon aloi.
Un cadre slowfood (http://www.slowfood.com/) de toute évidence. L’addition n’est pas toujours légère certes (compter au minimum 50 € par personne), mais une soirée entre amis, entre amoureux, pour le plaisir ou les affaires, vaut bien que l’on allège son portefeuille. Je vous recommande leur site que j’ai mis en lien, il vous donnera une idée parfaite des lieux. Manquent le parfum des mets et la saveur des vins (ils ont un délicieux Moscato di Trani !)… Sans conteste, l’un des meilleurs restaurants de la ville !


Il est prudent de réserver soit par téléphone, soit par mail. Fermeture hebdomadaire le mardi. 

posted by lorenzo at 13:08

19 janvier 1806, le début du racket napoléonien, jour de deuil à Venise !

Quelqu'un a proposé de faire du 19 janvier, un jour de deuil pour Venise. La raison ? Il y a exactement deux cents ans, jour pour jour, Napoléon revenait à Venise dix ans après sa première razzia. Devenu le premier empereur républicain de l'histoire, entouré d'une pompe éminemment supérieure à celle des doges que seulement Bokassa, l'empereur africain fantoche surpassera au XXe siècle, avec l'aide de Valéry Giscard d'Estaing (vous savez celui au joli nom d'emprunt, comme disait le général de Gaulle), n'ayant plus les Habsbourg sur les bras, Bonaparte put faire enfin main basse sur la ville, réalisant ce qu'Attila ne put faire : il pilla systématiquement tous les trésors de la Sérénissime mais aussi mit en place une politique de racket maffieuse enevrs les habitants. Il bouleversa tout, ruina tout. Il fit abattre des quartiers entiers, des églises, des palais, réalisant de nouvelles avenues comme la Via Eugenia (aujourd'hui la Via Garibaldi).

Ce 19 janvier 1806, commençait la démolition de la petite église San Geminiano construite par Sansovino qui faisait face à la basilique San Marco pour aménager un salon de bal dans son palais. Enrageant de ne pas voir la lagune depuis son bureau, il fit démolir les antiques magasins de grains que connurent Marco Polo et Carpaccio et aménage au à la place les jardins de ce qu'il appela "son palais royal". La liste des terribles exactions dont s'est rendu responsable le caporal corse, et son administration, serait trop longue à énumérer ici. Trop longue pour être oubliée aussi. Et, dans cette société qui inventa le concept néo-bourgeois du "décorum", totalement indifférente à ce qui n'avait pas un rapport avec l'argent, pas une seule voix ne s'est élevée. Silence absolu sur les rapines, les taxes somptuaires pour les manteaux de cour de l'entourage de Buonaparte, pour la construction de nouvelles gondoles entièrement recouvertes d'or, sur la fermeture et le pillage des couvents. Voilà un silence bien préoccupant. Un silence avilissant. Venise alors n'aurait été que l'ombre d'elle-même ? Serait-elle arrivée dans ces dernières années du XVIIIe siècle à un tel degré d'inertie et de déliquescence pour se laisser dépouiller sans un soupir, sans un cri de révolte ? Ce manque de réaction n'est-il pas la preuve de la marginalité extrême dans lequel le sentiment d'appartenance à une communauté spécifique avait pu tomber, combien la fierté de se dire "vénitien" ne voulait plus rien dire ? 
Les coups mortels assénés par l'infâme parvenu qui domina l'Europe pendant trop d'années à cette ville unique et à sa culture reste aujourd'hui tolérée, voire digérée. Prenons l'exemple du démantèlement des deux lions avec le doge qui surmontaient les grandes fenêtres d'apparat du Palais ducal. Il fallut attendre 1896 pour que l'Etat Italien, à la demande expresse du roi, commande au sculpteur Giovanni Bottasso, le grand groupe représentant le Doge Gritti agenouillé devant le lion de Saint Marc, destiné à remplir le vide laissé au-dessus de la fenêtre en ogive qui donne sur la Piazzetta. Regardez bien, l'autre grande fenêtre, celle sur le Bassin de Saint Marc demeure vide, comme une cicatrice rappelant aux passagers des paquebots qui passent chaque jour devant la piazza les tortures infligées à la Sérénissime par un monarque parvenu et vaniteux. Tant qu'un lion n'y sera pas remis (aux français de le faire et ce serait en projet), il faut comprendre que les authentiques fils de Venise gardent un certain resentiment vis à vis de notre pays ! comme le souligne Sergio Dall'Omo dans un article du Gazzettino (initulé assez durement "Napoleone, l'ignavia e la vergogna", c'est à dire "Napoléon, la lâcheté et la honte"...). Il termine son papier en disant " tant que restera vide ce trou au-dessus de la grande baie ogivale sur le bassin, il y aura au moins "un" vénitien pour crier honte à napoléon !").
Mais s'il n'y avait que cela... Et les chevaux de la basilique démantelés pour orner l'arc de triomphe des Tuileries, les tableaux, dont le grand Véronèse volé au couvent de San Giorgio, devenu aujourd'hui une des pièces maîtresses des coillections d'art italien du Louvre, les ornements sacerdotaux des églises et des couvents, l'or et l'argenterie des familles patriciennes, leurs bijoux, etc... Un pillage en règle qui dura tout au long de l'administration française et qui explique pourquoi bon nombre de patriciens et de religieux accueillirent avec un soupir de soulagement l'annonce de la domination autrichienne. Eux au moins ne pillèrent pas. Peut-être parce qu'il n'y avait plus grand chose à piller. Mais les Habsbourg n'ont jamais été des barbares corses parvenus...
Une dernière chose avant de clore le triste chapitre de l'occupation française. Je suis vénitien. Le vénitien a pour ennemi héréditaire le génois. Napoléon était corse. La Corse était génoise d'origine, de pensée et d'idées. Gênes était donc l'ennemie jurée de Venise. Indirectement, les actes de Napoléon, sa gestion, ses décisions, tout déborde de cette haine profonde et sui generis du génois pour la Sérénissime. Mais, les siècles passant, on commence à comprendre ce que fut vraiment ce tyran, un habile politicien, certainement un fin tacticien, mais rien d'autre après tout qu'un voleur d'idées, un chef prétentieux et mégalomane, un parvenu pilleur et escroc, qui sut avant tout enrichir sa famille et ne s'encombra jamais d'aberrations ni de contradictions sous le prétexte de servir la France... Un menteur, un voleur. Adultère, mauvais joueur, il ruina Venise comme il ruina la France et les français. Bref, un usurpateur à trois sous qui ne mérite pas de dormir aux Invalides ni même qu'on en parle.

Il est à la mode aujourd'hui de demander pardon à ceux que l'on a trahi ou fait souffrir. Cette attitude hypocrite dépasse souvent le ridicule. Il serait bon pourtant, pour effacer les tristes souvenir du 19 janvier 1806, que la France rende à Venise certaines pièces emblématiques, comme on lui fit rendre le quadrige qui a retrouvé sa place depuis le règne de Louis XVIII dans la basilique. Je pense au Veronese du Louvre qui serait mieux dans la grande salle de San Giorgio qu'à Paris ! Mais c'est une autre histoire. Nous réparons du mieux que nous pouvons par les nombreuses initiatives des différents comités qui s'acharnent depuis des années à la sauvegarde de Venise. Œuvres d'art, monuments, bâtiments privés, la France contribue beaucoup. Cela ne fait hélas pas oublier l'Attila des temps modernes ! 


Illustrations :
1- "Napoléon 1er préside la régate sur le grand canal, 2 décembre 1807" par Giuseppe Borsato, Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
2- "Napoléon 1er roi d'Italie" par Andrea Appiani, Ile d'Aix, Musée Napoléonien.
3- Caricature de Napoléon d'après une gravure russe, 1807 par George Cruikshank

18 janvier 2006

La Pescheria


Lorsque j'habitais Calle dell'Aseo, dans cette maison dont la façade est toute en brique sculptée, je me rendais souvent au marché de poisson du Rialto. Les étals de légumes du Rio Terrà San Leonardo me fournissaient en fruits et en légumes frais débarqués de San Erasmo, l'île maraîchère de la lagune, mais j'aimais me promener au milieu des nombreux bancs du marché du Rialto. Aujourd'hui encore, tout est pareil et bien que la Municipalité, pour répondre aux normes européennes, envisage bientôt de changer les comptoirs, le marché reste tel qu'il fut il y a vingt ans, déjà le même qu'au début du siècle.

Si vous prenez le traghetto au pied du palazzo Sagredo, à Cannareggio, vous débarquez au pied du marché , à deux pas du pont du Rialto. La Pescheria est l’une des composantes essentielles du marché principal de Venise. Cette halle gothique abrite depuis des siècles de nombreux poissonniers et c'est un véritable régal pour les yeux. 

Une promenade au marché ne pourra que vous ouvrir l'appétit et vous donnera envie de mijoter de bons petits plats... C'est bien pour ça d'ailleurs que je recommande à tout le monde de louer un appartement plutôt que d'aller à l'hôtel. Le plus souvent la dépense sera la même voire inférieure et le plaisir unique...

Il faut s’y rendre le matin tôt, et observer l’animation de ce lieu magique. Faisons la promenade en compagnie du photographe Barry Rau qui est l’auteur des magnifiques photos en noir et blanc que je présente ici (droits réservés).
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Ah! la Pescheria... On peut trouver là toutes les variétés de coquillages et de poissons de la lagune, de l’Adriatique et, de nos jours, du monde entier : Pêchés dans la mer toute proche, moules, calamars, poulpes, scampi, canocchie (cigales de mer).  

Vous verrez aussi de l'espadon dont la grande aiguille est souvent fièrement dressée sur l'étal, du thon, des anguilles, des anchois frais et des sardines, de magnifiques crabes et de belles écrevisses aussi. J'en ai l'eau à la bouche. De quoi me décider à vous donner quelques recettes typiques réalisables même en dehors de la lagune, avec de la bonne polenta !

Que diriez-vous d'un risotto al nero ce surprenant plat royal avec sa couleur noire profonde, obtenue grâce aux poches d'encre fraîches des petites seiches ? 

En automne il faut goûter les très recherchées moeche, ces petits crabes mous récoltés durant quelques jours seulement pendant leur mue et frits, entiers et vivants, en beignets. Le goût et la rareté rappellent nos pibales médocaines (que les puristes des deux bords me pardonnent !). 

Magnifiques, les poissons sont parfaits simplement grillés (un régal avec un pesto de roquette ou de basilic et persil citronné, par exemple) ou cuits à la vapeur avec de l'ail ou du fenouil. A ce propos, j'ai le souvenir d'un plat de poisson à la vapeur cuit avec du fenouil, des noix, de la pancetta et de l'ail simplement recouvert d'une sauce faite de mascarpone, de fenouil et de câpres fraîches. Sublime ! 

Tonn'aglio alla veneziana. 
(La photo de l'espadon est de Edda du Campiello. Qu'ils soient tous les deux remerciés) 

Cette recette très simple est aujourd'hui souvent reprise dans des restaurants elle nécessite un poisson très frais et doit être servie dès la fin de la cuisson. C'est une merveille. pour l'accompagner, deux solutions, des losanges de polenta grillés dans la même poêle pour les imbiber du parfum de la sauce aillée ou de la polenta en purée cuite avec une gousse d'ail au lait. On peut aussi servir une fricassée de légumes verts et du riz blanc aillé.
  • Il vous faut de beaux filets de thon si possible tranchés sur les flancs (ils ressemblent en taille et en couleur à des morceaux de bavette), du vinaigre balsamique, 4 gros oignons rouges, 1 bonne gousse d'ail, du basilic frais ou à défaut de la ciboulette et du persil frais , de l'huile d'olive, sel et poivre. 
  • Pelez les oignons et les hachez finement. Faites les blondir à l'huile dans une sauteuse. Ils doivent être à peine croustillants et ne pas trop foncer. Les sortir du feu.
  • Poêlez les filets de thon de chaque côté dans un fond d'huile ou mieux sans graisse. Réservez au chaud. Déglacez la poêle avec le vinaigre balsamique
  • Pelez et hachez les gousses d'ail, les herbes et faire cuire dans le vinaigre en veillant bien à ne pas caraméliser la sauce et l'ail. Remettre le thon dans la poêle et ajoutez les oignons frits.
  •  Salez et poivrez. Servez immédiatement avec de la polenta ou du riz très chaud. 
 Une cuisinière vénitienne que je connais ajoute des morceaux de crustacés et leur jus à la poêlée d'ail. Je n'ai encore jamais essayé.
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Le vin que je recommande n'est pas vénitien, mais sarde, c'est un extraordinaire vin blanc que Mister Parker classe parmi les meilleurs de la Pénisule. Per una volta, je suis d'accord avec lui ! Il s'agit d'un Vermentino Costamolino d'Argiolas 2004. Ce délicieux vin de Sardaigne, que l'on trouve aux environs de 8 euros, a une saveur très particulière pas du tout "aseptisée" pour le goût international) qui se marie aussi bien avec les pâtes qu'avec un plat comme mon tonn'aglio
Vous sentirez un goût de noisettes et de fruits, voire de fleurs qui, mélangé aux humeurs assez fortes du tonn'aglio se transformera en fruits d'été. Hum, je ne saurai décrire le plaisir que nous avons eu à le déguster avec ce plat ! Essayez par vous-même ! Je n'ai aucune action dans la maison !

17 janvier 2006

La flamme olympique arrive à Venise sous la neige

"La flamme olympique est arrivée aujourd'hui à Venise, où elle restera jusqu'à demain. Elle poursuivra ensuite son périple via Trieste. Le relais de la flamme des Jeux Olympiques de 2006 à Turin en est à son 39e jour. Les Jeux débuteront pour leur part dans 24 jours. Aujourd'hui, la flamme olympique s'est offert une promenade en gondole sur le Grand Canal. Ce soir, Venise laissera éclater sa passion pour les Jeux au cours d'une fête organisée place Saint-Marc. Et pour figurer parmi les relayeurs dans cette ville de canaux baignée par les eaux de l'Adriatique, quel meilleur choix que Federica Pellegrini, médaillée d'argent dans le 200m nage libre aux Jeux Olympiques de 2004 à Athènes! Ce sont 10.001 relayeurs qui porteront la flamme jusqu’à Turin, où elle arrivera le 10 février 2006".
(communiqué de presse).

Aujourd'hui, 39e jour des pérégrinations du flambeau olympique, après Vicence et Padoue, c'est au tour de Venise d'accueillir avec les honneurs ce symbole millénaire d'une tentative souvent galvaudée d'amitié et de paix universelles. Arrivée par la Brenta, passant le long des villas palladiennes qui borde cette rivière, la flamme portée par Alex Zanardi, pilote automobile (handicapé depuis 2001 des suites d'un accident).

Le cortège de treize barques historiques utilisées pour les grandes cérémonies et de gondoles, défilant le long du Grand Canal, est passé sous le pont du Rialto, où une foule de curieux et les enfants des écoles voisines l'ont applaudi. La neige qui tombait avec intensité rendait la cérémonie d'accueil dans la Sérénissime encore plus somptueuse et magique. la Flamme a reçu un accueil incroyable, certainement grâce aux athlètes que se sont relayés pour la porter pendant la journée parmi lesquels Manuela Levorato, cycliste médaillée olympique, Dorina Vaccaroni, championne, d'escrime médaillée elle aussi, Francesco De Piccoli, médaille d'or de boxe aux Jeux de Rome 1960. 


Et puis le comique Fabrizio Fontana, l’acteur vénitien Lino Toffolo et les deux derniers porteurs de la flamme de la journée, les cousins Igor et Rudi Vignotto, plusieurs fois vainqueurs de la régate historique de Venise, qui ont conduit la flamme sacrée jusqu'au site de la cérémonie nocturne qui a eu lieu, comme il se doit, Place Saint Marc.

Demain, la flamme olympique partira pour Trieste et parcourra le Frioul. Parmi les villes qu'elle traversera, citons Udine, San Donà di Piave et Portogruaro. Elle arrivera vers 19 heures 30 dans la métropole la plus orientale de la Péninsule, dans cette grande ville où la Borà, vent terrible, peut atteindre les 150 km/h, portée par le dernier des tédophores italiens, la championne de ski sur herbe, Cristina Mauri, jusqu'au plus bel écrin possible pour l'ultime cérémonie italienne avant Turin : la Piazza Unità d’Italia.

En tout, plus de 175 porteurs se seront relayés ; une liste à la Prévert, comme Tania Romano, championne mondiale de patinage à roulettes, Valentina Turisini, médaillée de tir aux pigeons aux Jeux d'Athènes en 2004, et Riccardo Dei Rossi, deux fois champion du monde d'aviron et médaillé à Sidney en 2000, le champion de ski de fond Giorgio Di Centa et son homologue féminine, Gabriella Paruzzi (médaillée olympique à Salt Lake City). 

La flamme ira ensuite en Slovénie, puis en Autriche avant d'entrer en Savoie et de rejoindre Turin où elle sera accueillie par le Président de la République italienne et par SAR le Prince de Savoie, émérite athlète amateur, héritier de la Couronne d'Italie, entourés de nombreuses personnalités pour qui le symbole olympique est un signe qu'existe dans ce pays une alternative au néo-fascisme rampant imposé par Berlusconi et sa clique. Mais cela n'engage que moi...

16 janvier 2006

Les Brèves de Tramezzinimag (1) : Notizie di Venezia

Le Gazzettino de ce matin rappelait au bon souvenir de l’administration l’état d’un des ponts emblématiques du quartier San Marco. Il y a un peu plus d’un an que les gondoliers de l’embarcadère voisin de San Zaccaria signalaient à l’administration l’état pitoyable du ponte del vin, situé sur la rive des esclavons, au pied du palais Dandolo, l’actuel Hotel Danieli, à deux pas de Saint Marc.
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Quelque chose a bien été fait pour protéger les splendides chapiteaux endommagées. Un filet tenu par une sorte d’échafaudage prévient la chute des pierres dans l’eau. Aujourd’hui le pont se presente aux touristes tout de crèpe vêtu, en deuil de sa splendeur. Mais à part cela, rien. 
 
La toile peu à peu se désagrège augmentant l’impression de misère du monument... Passage obligé pour qui débarque à Venise entre les jardins de la Biennale et Saint Marc. Et les passagers des navires venus du Tronchetto ou de Punta Sabbioni ne peuvent pas ne pas voir cette triste verrue. Il s’agit pourtant d’un lieu inévitable par où tout le monde passe et qui ne peut être caché aux visiteurs. Gageons que cet article fera bouger les services concernés ! 
 
A propos du ponte del Vin, je cherche depuis des années une photographie de ce pont avec des marchands de bonbons et d'eau parfumée, qui au début du siècle arpentaient les Esclavons pour vendre leur marchandise aux visiteurs et aux passants. C'est un magnifique cliché qui a aussi été éditée n carte postale, aux alentours de 1880. Si un de mes lecteurs sait où trouver un exemplaire, qu'il me le fasse savoir.

Voici pour les italianisants l’intégralité de l’article :

“Anche un ponte è, per la città, un biglietto da visita importante. Purtroppo non è il caso della situazione che si può constatare al Ponte del Vin, ai piedi di Palazzo Dandolo - vicino all'Hotel Danieli - ovvero a pochi passi dall'area marciana.
E' passato un anno da quando i gondolieri dello stazio, adiacente alla fermata del vaporetto di San Zaccaria, hanno detto all'amministrazione che è necessario intervenire. Qualcosa è stato fatto nel senso che "il ponte è stato fasciato" per evitare che i preziosi capitelli si staccassero e precipitassero in acqua, come è accaduto invece l'anno passato al ponte degli Scalzi.
Qualche anno fa Franco Mazzon, gondoliere, insieme a un suo collega, ha consegnato a una vigilessa una colonnina che si era staccata proprio dal Ponte del Vin ma da allora poco è stato fatto. I mesi passano e a oggi il ponte si presenta con crepe, evidentissime, che lentamente si sgretolano e aumentano a dismisura.
La città si presenta agli occhi dei "foresti" con un ponte che in realtà è un passaggio obbligato per chi sbarca dai lancioni negli approdi dislocati in Riva degli Schiavoni, arrivando dal Tronchetto e da Punta Sabbioni e, vuole raggiungere, in una splendida passeggiata, Piazza San Marco.”
posted by lorenzo at 01:54

Giovanni Bellini, la Madonna degli Alberetti

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1487
Huile sur panneau, 74 x 58 cm
Galeries de l'Accademia, Venise

13 janvier 2006

Carnevale di Venezia 2006


Comme je vous l'avais annoncé cette année le Carnaval aura lieu du 17 au 28 février.Le thème sera certainement sur la Chine, l'Orient et le théâtre mais rien n'est encore (à ma connaissance) officiel. je vous tiendrais informé. Plusieurs associations organisent des séjours pendant cette période mais il faut savoir que tout est pratiquement plein, voyages en groupe, voyages associatifs, séjours genre FRAM ou ACIT... 

Si vous voulez être décemment logés, préparez votre voyage de 2007 ! Je suis bien entendu toujours à la disposition de ceux qui voudraient concocter un séjour sur mesure pour 2006 (sauf la période du carnaval déjà complète donc) et pour 2007.

La Description de San Marco par Michel Butor

La description de San Marco par Michel Butor ..."Ah ! La gondola, gondola ! - Oh ! - Grazie ! - Il faut absolument que je lui rapporte un très joli cadeau de Venise ; pensez-vous qu’un collier comme celui-ci lui ferait plaisir ? Mais oui, c’est lui ! C’est bien lui ! Décidément, on rencontre tout le monde ici ! Garçon ! Garçon ! Cameriere ! Un peu de glace s’il vous plaît ! - Oh ! - Et vous, où êtes-vous logés ? Vous n’avez pas eu trop de difficultés ?"...

Il y avait à Bordeaux une grande librairie aujourd'hui disparue, dans une petite rue du centre. Des coins et des recoins regorgeaient de livres anciens, parfois rares souvent épuisés. J'avais quinze ans, je préférai ces rayons éloignés à ceux du rez-de-chaussée où s'étalaient les nouveautés. Je n'avais pas encore idée combien Venise serait dispensatrice d'un fluide vital qui n'a pas cessé depuis de m'alimenter et me permet de vivre. Or un jour, parmi les livres d'occasion présentés sur une table, je remarquais un ouvrage peu épais, d'un format assez inhabituel, dans la collection blanche de Gallimard. Il était recouvert de ce papier cristal qui enveloppe aujourd'hui encore tous les brochés de ma bibliothèque et que j'ai de plus en plus de mal à me procurer. L'auteur : Michel Butor, le titre : Description de San Marco. Pour ma plus grande joie et aussi pour mon malheur, je l'ouvris... Je fus soudain plongé dans un univers sonore incroyable et les mots très vite firent place à une musique inconnue, faite de tous les sons qui peuvent assaillir le voyageur quand il fait étape place Saint-Marc, un matin d'été, devant la basilique. Cette juxtaposition de bruits, de paroles, de notes musicales, elle transparait incroyablement dans le texte de Butor. La présentation même du livre évoque cette sonorisation du texte et provoque une lecture à deux temps : la description scientifique de la basilique enrichie des commentaires de l'auteur, visiteur esthète et curieux, et le fonds sonore, vivant, parfois trépidant, qui est rendu par un agglomérat de paroles qui s'enchevêtrent et forment un bruit de fonds. 

Le livre refermé, j'avais vraiment l'impression de revenir d'une promenade à Venise. L'été qui suivit, mes parents, en route pour Istanbul, nous y emmenèrent. Ce fut un choc tel que je suis convaincu aujourd'hui d'en avoir été transformé tout entier. Plus rien dans ma vie depuis lors n'a eu le même goût. Toutes les expériences de mon adolescence, les découvertes, les victoires comme les défaites, je les ai ressenti, assimilé, digéré à travers ce prisme-là que le texte de Butor a mis à jour en moi. Délicieux poison instillé par des mots qu'autrefois je savais par cœur... Rien, de ce que j'ai pu lire depuis sur Venise (comme sur San Marco) ne m'a paru aussi vivant, aussi fort, aussi vrai et bouleversant que le beau texte de Michel Butor. N'en déplaise à ceux qui railleront mon lyrisme, je ne serai pas ce que je suis sans ce livre.

J'avais quinze ans à peine et déjà Venise m'assaillait. Ce n'était pas le hasard auquel je ne crois guère. On m'expliqua bientôt que mes ancêtres étaient vénitiens et que ceux de ma race depuis les origines y étaient attachés. Marchands, marins, soldats ? Ils s'installèrent à Constantinople et de vénitiens devinrent italiens au XIXe siècle. Pour les différencier des cousins de Rome ou de Florence, ne lisaient on pas "di Venezia" dans les vieux documents administratifs de la Sublime Porte pour désigner mes descendants directs parmi mes aïeux.
Voilà peut-être un explication rationnelle de cet émoi lorsque pour la première fois, tout rempli encore de cette lecture, je posais le pied sur le sol de Venise, emplissant mes poumons d'un air que chaque fibre de mon corps reconnaissait. J'ai ressenti cela aussi mais avec moins d'acuité à Istanbul comme à Rhodes, à Corfou, à Capri... Partout où les miens ont vécu... Mystère du sang, mystère de la mémoire d'un temps que je n'ai pas connu mais dont je suis pourtant imbibé... De cet ouvrage je ne puis rien dire d'autre. J'ai découvert un texte de Dominique Hasselmann qui en donne une exégèse affinée comme je n'aurai jamais pu en produire. Il met en avant cette description musicale se fondant parmi les mots des pierres et des oeuvres de ce lieu magique. L'ouvrage n'est-il pas dédié à Igor Stravinsky ?

10 janvier 2006

Jeux d'hiver sur la Piazza


Giorgio Giacobi, palle di neve a San Marco, 1954
Il neigeait souvent et beaucoup à Venise l'hiver jusque dans les années 60. En cinq ans de vie vénitienne, j'ai connu trois hivers très rigoureux où la neige recouvrit tout pendant une bonne semaine. Rien à voir cependant avec les froids quasi-sibériens racontés par les chroniques de l'ancien temps ou ces frimas que Bellotto ou Guardi ont montré dans certains de leurs tableaux. celui par exemple où l'on voit des tas de gens en train de glisser et patiner sur la lagune entre les Fondamente Nuove et le cimetière de San Michele. 

La lagune était entièrement prise par les glaces et il fallait briser l'épaisse couche dans laquelle les bateaux étaient pris si on voulait tenter d'avancer sur les canaux à l'intérieur de la ville. Souvent un épais brouillard comme encore de nos jours s'emparait de la ville la rendant encore plus magique et mystérieuse. Autrefois, il y avait le Codega. C'était le nom des lanternes et de ceux qui les portaient. Les rues n'étant pas éclairées, on louait les services de porteurs de lanternes qui vous guidaient de chez vous au théâtre, à l'église ou vers la Piazza, vous évitant de tomber à l'eau ou de faire de mauvaises rencontres. Parfois, certains de ces faquins étaient payés pour vous égarer ou vous mener dans un coin coupe-gorge où effectivement vous l'aviez tranchée...
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Il fallu attendre 1732 pour que 835 réverbères, "i ferrai", soient installés. Ce qui mit fin à la corporation des porteurs de lanterne. Avant de sombrer dans l'oubli, ils essayèrent de résister, notamment en sabotant ces réverbères publics. En 1796, il y avait 1954 réverbères. Ils furent électrifiés longtemps après l'unification de l'Italie, en 1887 seulement.
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Mais revenons à la neige et au brouillard. En février 1981, ma mère était venue pour le Carnaval. Elle logeait au Concordia, le seul hôtel qui a des fenêtres sur la Piazza. Il neigeait dru. La Piazza était blanche et les masques vêtus de noir qui déambulaient renforçaient cette impression magique. Soudain le brouillard s'est mis à tomber. Il devait être 18 heures ou 19 heures. Il faisait très froid. Je l'avais accompagné jusqu'à sa chambre en attendant le dîner. La vue de sa fenêtre était superbe. 

Soudain tout s'est éteint. Les lampes de la chambre, les réverbères, la place, les vitrines, les boutiques. Une panne générale sur toute la ville. C'était une sensation extraordinaire. Le blanc de la neige, la brume qui répandait dans l'air comme des reflets de l'eau, la lune qui essayait de percer de ses rayons cette couche cotonneuse et le silence. Un silence incroyablement plein. Après la stupeur des premiers moments, on commença à voir des lampes-torche, des faisceaux de lumière ça et là dans le vide immense de la nuit, vers le Palais des Doges et la Marciana. Je ne sais plus combien de temps cela a duré. Nous sommes sortis, évidemment. Les gens étaient dans les rues, certains commerçants fermaient en hâte leur magasin. On entendait de loin en loin des cloches et les cornes de brume. Des injures aussi, de gens qui se bousculaient ou glissaient. 

Beaucoup de rires et de chuchotements aussi comme dans une gigantesque partie de cache-cache. C'est je crois le meilleur souvenir de son séjour qu'avait gardé ma mère. Le lendemain, la neige avait commencé de fondre. Il n'y avait plus de brouillard. L'électricité était revenue. La magie restait et le souvenir d'un rêve comme on en a souvent à Venise. Le carnaval commençait après ce somptueux préambule improvisé.

08 janvier 2006

"Io non voglio più" leur dit Napoléon...

Georges Jules Victor Clairin, les troupes françaises à Venise
"Ce ne fut pas notre armée qui traversa réellement la mer, ce fut le siècle; il enjamba la lagune, et vint s'installer dans le fauteuil des doges, avec Napoléon pour commissaire"... Cette belle phrase de Chateaubriand résume et explique en quelques mots la chute de Venise. "Io non voglio più" dit Napoléon aux ambassadeurs de la Sérénissime, venus entamer des pourparlers. Venise était pourtant un exemple de démocratie (toute relative certes) mais elle aurait pu survivre aux tempêtes que fit naître la révolution française... Elle n'était déjà plus que l'ombre d'elle même. Mais quelle ombre rayonnante.


Que serait-elle devenue si Napoléon l'avait laissée autonome avec ses antiques lois et sa marine ? Elle aurait était bien utile comme en 1797 où elle repoussa les turcs redevenus prétentieusement agressifs et ambitieux pour les marches de l'Europe (comme les russes, cela leur reprend parfois mais toujours à leurs dépens). 
- Elle serait restée cette même cité touristique qu'elle était déjà depuis presque deux cents ans. 
- Elle serait redevenue la banque de l'Europe, le refuge des émigrés, des aventuriers et des banqueroutiers. 
- Une certaine tolérance aurait permis à ses éditeurs de publier des ouvrages interdits ailleurs. 
- L’Autriche se serait parfois rapprochée d'elle, d'autres fois, menaçante, elle lui aurait tourné le dos. 
- A défaut d'armée terrestre, sa marine et surtout son or, auraient servi indifféremment le camp des monarchies ou celui de la jeune République française... 
- Peut-être que le doge Manin aurait eu un successeur et peut-être aussi que le "corno" aujourd'hui encore serait porté dans une petite république où les traditions ne seraient pas qu'une comédie pour touristes... 

Mais ne rêvons pas. Venise n'est plus un État, c'est une simple ville, presque une bourgade qui a du mal à continuer à vivre avec les hordes de visiteurs, l'invasion dangereuse de ces navires gigantesques, chaque année plus nombreux, et cet immobilisme obligé et consenti qui la maintient dans le passé pour le ravissement de ses touristes. Partout ailleurs les villes ont un "quartier historique", à Venise on parlerait plutôt du "quartier moderne" avec Mestre la laide et moderne. C'est là son dilemme. Être une vraie ville capable d'offrir à ses habitants tous les services qu'on attend d'un espace urbain ou rester figée dans un passé conservé, pour le plaisir des visiteurs ? Hélas, les touristes d'aujourd'hui et l'âpreté au gain facile des vénitiens "autrefois peuple de marchands, aujourd'hui peuple de boutiquiers" semble vouloir acheminer inexorablement la Sérénissime vers la disneylandisation d'un des plus beaux lieux urbains du monde. Prions pour que cela ne soit pas !

04 janvier 2006

03 janvier 2006

Libreria Venexiana

Je voulais recommander ici deux ouvrages parus chez un éditeur indépendant, les Editions "La Bibliothèque", (distributeur : les Belles Lettres), dans une collection élégante au titre alléchant "les écrivains voyageurs" : "Récits vénitiens" de Henry de Regnier et le fameux "Venise" de Jean Lorrain. Deux textes introuvables que tous les amoureux de Venise se devraient d'avoir lu.
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Henri de Régnier, Récits vénitiens
préface de Gérard-Julien Salvy
Ed. La Bibliothèque
Écrivain fin de siècle, admiré de Proust, romancier, poète, essayiste, vénitien de coeur, auteur de Chroniques vénitiennes, Henri de Régnier n'a écrit que ces fictions sur la cité des Doges. L’ouvrage est formé d’une longue nouvelle, "L’Entrevue", qui faisait partie d’un ensemble intitulé "Histoires incertaines" (Mercure de France, 1919), et d’une courte nouvelle, "Le Café Quadri". Ces textes ont certainement été écrits par Régnier au Palais Dario où il fut souvent reçu et qu'il a décrit dans "l'Altana ou la vie vénitienne".
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Né en 1864 et mort en 1936, vénitien de cœur, Henri de Régnier, admiré de Proust, fut romancier, poète, essayiste. Ami des frères Goncourt, de Remy de Gourmont qui fit de lui cette description : "Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins, dallés comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques, cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon, seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux: les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses dernières œuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi finis : oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or, et lac mort, jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse qui va devenir nocturne"...
Voici un court extrait de la prose de notre vénitien de cœur : "À Venise, on est difficilement malheureux et facilement heureux. Je ne faisais rien de particulier, je ne travaillais pas, je n’allais ni dans les musées ni dans les églises, et mon temps passait délicieusement. J’errais à travers les rues, je visitais les antiquaires, je fumais des Virginia. [...] D’année en année, j’y ai accumulé tant de souvenirs ! Souvenirs tristes, souvenirs très doux... Décidément, je suis atteint de folie vénitienne. [...] Il semble que d’ici, dans la sorte de bien-être égoïste, paresseux et triste où l’on vit, l’on supporterait mieux qu’ailleurs l’oubli, l’ingratitude, l’injustice. Venise est une sorte de labyrinthe, où les chagrins ont plus de peine à vous trouver. Tout ne vous y arrive qu’en reflets, en échos. Chaque journée est un peu comme une fin de vie. [...] Plus je la connais, plus Venise contente mon goût pour le silence, la couleur, la lumière."
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Jean Lorrain, Venise
Préface d’Éric Walbecq
Editions La Bibliothèque

"La plus grande émotion de ma vie" , écrit Jean Lorrain à sa mère en découvrant Venise. Texte rare où retentit cet accord unique entre Venise, ses palais, ses lagunes et cette écriture fin de siècle dite décadente.
Saint-Marc précieux, gorgé comme une phrase de Huysmans ou de Lorrain. C’est la même orfèvrerie...
Jamais auparavant Jean Lorrain n’avait écrit aussi longuement sur une ville. Venise est LA Ville, "Ma Ville" comme il le dit régulièrement à ses correspondants dans ses différentes lettres. Son enthousiasme n’est nullement feint, il est le reflet d’un dernier amour pour une ville, comme Paris fut pour lui au milieu des années 1880 un nouvel espoir. Venise marque donc une apothéose dans sa vie.
Mais peu de gens aujourd'hui lisent le sulfureux Jean Lorrain, né en 1855 et mort dans les bras de sa mère en 1906. Ethéromane, homosexuel, snob décadent, le Paul Duval (son vrai nom) de Fécamps devint un des rois de la vie parisienne fin de siècle. Rémy de Gourmont disait de lui : "...L'auteur de tant de chroniques a été très prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'épuiser, et l'arbuste a gardé assez de sève pour fleurir avec persévérance : ce sont alors des poèmes, des contes, de petites pages où l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple, - du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. Né dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cessé d'aimer son pays natal et d'y faire de fréquents voyages. S'il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde "de l'obole, de la natte et de la cuvette", dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, ..., s'il a chanté (à mi-voix) ce qu'il appelle modestement "des amours bizarres", ce fut au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l'art pur; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation. Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un écrivain purement sensuel et qui ne s'intéresserait qu'à des cas de psychologie spéciale. C'est un esprit très varié, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le mystérieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il évoque le passé ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale ; elle est même si singulière qu'on est surpris jusqu'à l'irritation par l'imprévu, quelquefois un peu brusque, qui nous est imposé. Il est, même quand il n'est que cela, le rare chroniqueur dont on peut toujours lire la prose, même trop rapide, avec la certitude d'y trouver du nouveau. Il aime le nouveau, en art, comme dans la vie, et jamais il ne recula devant l'aveu de ses goûts littéraires, les plus hardis, les plus scandaleux pour l'ignorance ou pour la jalousie. A tous ces mérites qui font de M. Lorrain un des écrivains les plus particuliers d'aujourd'hui, il faut joindre celui de poète".
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Repris seulement en 1921 dans un volume de voyages publié à un tirage limité, ce texte fut originellement publié dans la Revue illustrée en deux livraisons en 1905. L’ouvrage, dans une typographie et un papier soignés, comporte trois gravureS.

Compleanno : Happy Birthday Sir Georges !


Je sais, cela n'a rien à voir avec Venise, mais c'est aujourd'hui les 80 ans d'un monsieur extraordinaire, compositeur, chef d'orchestre, producteur, critique : Sir George Martin, le producteur des Beatles qui ne s'est jamais contenté de produire des disques, mais qui a dirigé, modifié, amélioré le son de nombreux musiciens. Je pense à la qualité musicale d'un disque pourtant dit de "variétés" comme l'enregistrement du "Here there and eveywhere" de Paul Mc Cartney interprété par la canadienne Céline Dion.


Happy Birthday, Sir George !

Puisque vous insistez... Blinis express et (mini) panettone

Une lectrice me demande dans un mail la recette du panettone. Je ne sais pas si la mienne est l'authentique, mais elle n'est pas difficile à réussir, bien qu'assez longue, et le résultat est probant puisque tout le monde en redemande. Dans la foulée, voici aussi ma recette de blinis express, quand il faut concocter au dernier moment un dîner select et que les magasins sont fermés....
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Mini panettone
Pour 12 petits panettone, il faut 600 g. de farine, 3 cuillères à soupe de sucre roux, 40 g. de levure fraîche (se trouve en cube), 25 cl de lait frais, 120 g de beurre, 4 oeufs, noix muscade, citron, raisins de Corinthe, fruit confit frais, sel.
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Faire tiédir le lait. Hors du feu y faire dissoudre la levure. Mélanger la farine, le sucre, les œufs, les raisins secs, une pincée de noix muscade , une pincée de sel et le zeste du citron. Bien mélangez jusqu'à obtenir une pâte lisse. Ajoutez le lait avec la levure et mélangez le tout. C'est plus facile avec un robot mais cela peut se faire à la main. Couvrez l'appareil obtenu et laissez reposer 30 minutes dans un endroit chaud. Dans un four préchauffé à 180° C, faire cuire les petits panettone pendant 20 à 30 minutes dans des petits moules à brioche ou mieux dans des moules en bois fin comme on en trouve dans le nord de l'Italie que vous aurez au préalable beurrés et farinés. Laissez tiédir avant de démouler. Nous les enveloppons de papier de soie retenus par des noeuds de raphia, après les avoir recouvert de sucre glace. La version sans raisins et fruits confits ressemble au pandoro que les enfants souvent préfèrent. En tout cas c'est délicieux avec du chocolat chaud ou un bon cappuccino !
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Blinis express
Il faut pour une douzaine de blinis, un pot de yaourt turc ou bulgare, la même quantité de farine, deux cuillères à café de baking powder (ou, mais c'est moins bien, un sachet de levure chimique), du sel et un œuf.
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Mélanger les ingrédients jusqu'à obtenir une pâte lisse à peine plus épaisse qu'une pâte à crêpe normale. Mettre au frais 1 heure à reposer. Faites les blinis dans une petite poêle graissée. Ils gonflent, prennent une jolie couleur jaune doré et sont délicieux. Quand on sait que la véritable recette demande plusieurs heures de travail...

posted by lorenzo at 20:42