26 septembre 2022

Venise comme délicieux antidote et autres considérations (2/2)

Chronique du 2 juillet 2022, entre San Marco et Milano centrale...

 
Fin de ces quelques jours de juin à Venise. Bientôt les retrouvailles avec le quotidien bordelais et sa grisaille, les tensions et les incompréhensions au quotidien dans un univers dont je me sens désormais si peu solidaire... Après de belles rencontres et de jolis moments de partage, il faut rentrer et reprendre tout où je l'avais laissé. Hélas. Mais quelque chose a changé. Deux ans de crise sanitaire et la preuve irréfutable au quotidien de l'incohérence, de la bêtise généralisée et médiatisée, de l'incompétence aussi de la plupart de ceux qui dirigent le monde - ou s'imaginent le faire - ce monde qu'ils contribuent, par leur médiocrité et leur inculture, à enfoncer dans le chaos ; et puis la certitude renforcée, évidente qu'en dépit des changements qu'on sent aussi en Italie libérale et matérialiste, le peuple de la péninsule demeure un peuple heureux, joyeux, accueillant et bienveillant. C'est une évidence : on vit et continuera de vivre mieux en Italie.
 
Mes lectures, autant que mes rencontres avec des êtres charmants, brillants, aux idées claires et aux opinions salutaires, ont fait de ces quelques jours volés à la routine et aux préoccupations de mon quotidien en France, un moment précieux, revigorant, roboratif... le dernier article de Thierry Guinhut , sur son blog consacré aux « peintures et paysages sublimes» cite l'excellent texte sorti en 2009 de Alain Mérot (« Du paysage en peinture dans l'Occident moderne ») déjà cité dans Tramezzinimag mais avalé lors de la suppression du premier blog par Google. et l'intellectuel de pointe...
 
 
Évoquer Nico Naldini avant que j'oublie. Un lecteur discret et fidèle de Tramezzinimag, jeune universitaire rencontré par hasard (?) l'autre jour à la Querini évoquait dans notre conversation la personnalité du parent de P.P.Pasolini, disparu il y a deux ans à l'âge de 91 ans. Notre échange qui devenait trop animé pour ne pas perturber les autres lecteurs de la salle où nous étions installés, nous le poursuivîmes dans le jardin, ou plutôt sur la partie de la jardin dévolue à la brasserie du musée. Le café y est bon marché, les pâtisseries agréables. Nous avons abordé le sujet difficile de l'engagement des artistes dans la société et plus particulièrement des poètes. En référence à Pasolini bien entendu et Naldini en suivant dont on connait moins le travail. Notamment au service de la langue frioulane.
 
Que le sage ou le poète intervienne dans les affaires politiques est une vieille histoire qui débute bien avant l’invention du mot « intellectuel ». Terme qui n'est pas très vieux finalement puisqu'il apparait seulement à la fin du XIXe siècle, dans le triste contexte de l’Affaire Dreyfus... Cette fin de siècle a décidément embourbé la pensée avec des mots nouveaux, des pensers (joli mot au masculin apparu la première fois chez des écrivains esthètes de la toute fin du siècle) tout sauf progressistes et innovants pour l'Humain... Tout ce qui complique la réflexion et finit par nécessiter une préparation, une formation spécifique, éloigne de la spontanéité d'où jaillissent parfois des idées neuves, vraiment inédites et vraies...
 
L'intellectuel donc, en Italie comme en France, ne cessera pas d’être l’enjeu de luttes de classement : organique ou universel, chien de garde ou garant de l'idéal démocratique, animal médiatique ou expert. L’élaboration par Michel Foucault de la notion d’intellectuel spécifique entre bien sûr dans ce jeu. On peut s'en servir de référent, de base pour la réflexion. Mais, à condition de ne pas la prendre trop au sérieux. Ne convient-il pas de la reprendre à une époque de forte démonétisation/désacralisation de la posture ? En la liant à une politique de la subjectivité, Foucault nous invitait à ne pas renoncer à l’exercice d’une véritable fonction critique pour toujours exprimer un rapport au vrai, medium nécessaire à la vie démocratique...
 
 
En ces temps d'élection où l'avenir d'un pays dépend de l'humeur et de l'énergie de son peuple, l'intellectuel de pointe comme disent les italiens est plus que jamais une figure nécessaire face aux politiciens à l'esprit alourdi par leur ego et les poches remplies par des influenceurs en tout genres, faussement préoccupés de leurs administrés qui les dérangent, démagogues patentés bien éloignés du quotidien des « gens ». Phénomène universel et de toujours ? Il suffit de relire Les Annales de Tacite pour se rendre compte que déjà dans sa décadence, le monde romain avait ses profiteurs habiles démagogues, menteurs patentés, profiteurs et complètement détachés du Bien Public... à Athènes avant eux... Ils n'avaient pas les écoles de commerce où se précipitent aujourd'hui toute la jeunesse aveuglée par la rutilance magnifiée du veau d'or... 

 
Combien la jeunesse est belle. J'observais de la fenêtre de la cuisine deux garçons qui jouaient au ballon dans le cortile de la maison d'en face. Un panier de basket et les deux à tour de rôle tentaient de marquer. Mais assez vite, le plus jeune des deux se mit à dribbler avec un ballon de foot avec acharnement. Sa musculature déjà puissante - il devait avoir quinze ou seize ans - le vieillissait. Je pensais à la beauté de la jeunesse, à son côté éphémère dont on n'est conscient que bien longtemps après l'avoir perdue. Ce jeune vénitien, brun, bronzé, à l'aise dans son corps, je ne l'avais jamais vu. Dans le quartier, même en n'y vivant plus à l'année je connais la plupart des gens. J'ai vu souvent une dame d'un certain âge franchir le portail,  une jeune maman aussi avec un bébé et une fillette d'une dizaine d'années. Mais jamais je n'avais croisé ces deux adolescents. J'ai su pourquoi ils m'étaient inconnus quand je les croisais quelques heures plus tard dans la ruelle... 
 
 
Je revenais de la plage. Le joueur de foot sortait de la cour avec sa mère. Je les saluais en italien. ils me répondirent courtoisement, en anglais... Le garçon n'est donc pas vénitien, c'est un américain et ses parents ont loué un appartement dans l'immeuble. Celui avec la terrasse et l'énorme climatiseur qui surplombe d'une des fenêtres. Les vénitiens sont souvent musclés et à l'aise dans leurs mouvements parce que la marche et le canotage, mais aussi la proximité de la mer les aident à dessiner leur corps très tôt. Cette vigueur, ce bronzage, cette aisance dans les mouvements, tout cela pouvait laisser croire que je voyais s'égayer sous mes yeux un vrai fanciullo d'ici, V.O.C. (Vénitien d'Origine Contrôlée) pas un de ces jeunes américains protéinés au beurre de cacahuètes et entraînés. Quant au bronzage, le nombre de jours d'ensoleillement sous le soleil vénitien, fabrique à tous un hâle parfait dès la fin du mois de mai.Pas besoin de vivre en Floride ou à San Francisco.
 

A Venise, mais ailleurs aussi, presque tout est sali par l'appât du gain. « Ce n'est pas nouveau » me rappelle une amie, fille et petite-fille de marchands. « Venise était au Moyen-Âge déjà était ce que New York est depuis le début du XXe siècle, la capitale du business où on venait du monde entier pour tenter de s'enrichir». Là encore, la Sérénissime a été un modèle, un exemple. Je suis tenté de souligner que cela ne devrait pas être un modèle et un exemple à suivre.  Et si sa chute, l'effondrement de sa civilisation offrait l'avant-goût de ce qui attend le système économique mondial actuel, basé sur le profit, la croissance et l'exploitation ? 
 
Schei, schei, e schei ancora... Hors le pognon point de salut ! Shakespeare a vu juste et universel quand il dépeint le juif Shylock qui ose dénoncer l'hypocrite morale chrétienne de l'époque. L'argent faisait son bonheur mais l'humain demeurait. C'est là qu'il nous faut prendre peur pour l'avenir de notre civilisation : toutes ces guerres qu'on ne pensait imaginer revenir à quelques encâblures de nos terrasses de café, depuis ce XXe siècle meurtrier, la montée des terrorismes, d’État ou religieux, la fuite en avant du toujours plus et l'ensevelissement des repères éternels, spirituels, philosophiques... L'arrivée au pouvoir de milliardaires avides, l'enrichissement de plus en plus colossale de certains et l'appauvrissement de tous les autres. L'Inquisition pourchassait le diable sans jamais l'avoir. Aujourd'hui, le diable est toujours et encore à l’œuvre.
 

Dans le train qui me ramène en France, un jeune moine copte égyptien, sourit en regardant deux petites filles qui jouent, adorablement spontanées mais en même temps attentives aux autres et ne dérangeant personne. Certains travaillent, d'autres dorment ou lisent. Et dans mes oreilles le Beata viscera de Perotin dit Perotinus Magnus, « discantor  optimus » dans un enregistrement découvert récemment à Venise par l'ensemble Tonus Peregrinus... Un heureux mélange de genres pour effacer la tristesse d'avoir dû quitter une fois encore Venise mais aussi le regret, une fois encore, de laisser derrière moi cette atmosphère joyeuse et apaisée qu'on ressent partout en Italie - même au milieu de la foule de l'immense gare de Milano Centrale. Est-ce seulement une histoire de climat comme le suggérait Montesquieu ? 
 
Ici aussi pourtant, la montée - qui semble irrémédiable - des partis fascistes comme un peu partout en Europe, la peur des gens, la haine de l'autre, la méfiance vis à vis de l'étranger qui reprend de la vigueur et se généralise... Mais il y a autre chose, un truc dans l'ADN de l'Italie qui dans toutes les aventures de ce peuple transforme à la fin les tragédies en comédie, les larmes en rire !
 
Bien plus que tout cela, bien au-delà d'une histoire de journées ensoleillées, de rires et de danse, il y a un peuple qui a du coeur, de la sagesse et beaucoup d'esprit. Ce sont les paroles de cette merveilleuse chanson de Gianmaria Testa écoutée en boucle ces derniers jours, délicieux remède sans effets secondaires et qui guérit de toutes les nostalgies et apaise toutes les tensions...
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
Salirà il sole del mezzogiorno
Passerà alto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Ti porto ancora
Se ancora mi vuoi
Salirà il sole del mezzogiorno
E passerà alto, molto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Dall'altra tasca ti porto
Se vuoi
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
 
E con la mano, che non vede nessuno
Con questa mano ti saluterei

10 août 2022

La magie de Venise ce sont aussi ses montagnes


Ayant assez de temps cette fois pour ressortir de mes cartons certaines de mes affaires oubliées depuis février 2020, j'ai retrouvé une clé USB dans laquelle j'avais l'intention de collationner toutes les images concernant l'apparition magique des Dolomites depuis le Centro Storico. Malheureusement cette année-là, je n'avais pas eu le temps de tous transposer sur la clé et je m'étais promis de la ramener en France pour y ajouter les centaines de clichés sur le même thème que j'avais sur le disque dur de mon vieux PC. J'avais évidemment oublié la clé à Venise et le premier confinement nous est tombé dessus... Le retour prévu pour lancer la maison d'édition et décider d'un local, était fixé au...15 mars... Il aura fallu plus deux dans avant que de rouvrir cette clé et, entre autres retrouvailles, retrouver ces images de l'ami Claudio Baoretto et celles de Marco Contessa notamment !
 






La célèbre vue de Venise et de sa lagune publiée en 1493 par Hartmann Schedel dans son magnifique ouvrage  Le Cronache di Norimberga montre la cité lacustre comme elle apparaissait aux visiteurs à la fin du XVe siècle, dans ce Moyen-Âge finissant qui s'apprêtait à laisser la place à la somptueuse Renaissance. 
 

Hartmann Schedel. Vue de Venise Die Schedelsche Weltchronik, 1493

On y voit en arrière plan des collines et des monts. Ce sont les Dolomites. Un regard distrait pensera aussitôt aux limites de la connaissance à l'époque de l'allemand. Défaut de perspectives,naïveté des artistes de cette période somme toute considérée comme assez primitive encore. Le touriste lambda qui arrive par le Pont della Libertà édifié au XIXe siècle par l'occupant autrichien et dont on dit ici qu'il a rattaché le monde continental à la république permettant au reste de l'univers d'être enfin - les bienheureux - reliés à Venise, et non le contraire, ce touriste ébahi par la lumière, les campaniles et les immeubles surgis de l'eau, tout à son extase, n'imagine pas qu'on puisse pénétrer certains jours dans la vue de Venise publiée en couleurs un an après la découverte des Nouvelles Indes, qui deviendront bientôt l'Amérique, source de tant de rêves et de cauchemars depuis...
 
 
 
Pourtant ce 'est pas une fantaisie que ces montagnes qui surgissent comme le décor de fond d'un palcoscenico dessiné par le Créateur. Voici quelques photos qui en apportent la preuve. On ne peut que souhaiter aux visiteurs d'être face à ce spectacle incroyable et merveilleux qu'il faudrait applaudir à la façon des japonais (et de ma grand-mère qui ne l'était pas) quand ils assistent à l'éclosion de la première fleur de magnolia ou à un sublime coucher de soleil !
 
 
Imaginez la scène un instant : les touristes comme les vénitiens, alignés sur les Fondamente Nove, aux balcons de certains palais bien orientés, en haut des campaniles et des altane ou sur les quais du Lido qui soudain se mettent à applaudir ensemble devant le spectacle, cette apparition magique des montagnes, parfois enneigées - de moins en moins hélas - qui semblent à portée de nos mains, nettes à les toucher... 
 
Ce serait un grand moment à chaque fois, je puis vous le garantir !



16 juin 2022

Initialement prévue pour juin 2020, la France fêtée par Proloco Lido est enfin une réalité !

Il aura fallu beaucoup de patience et de détermination à tous les organisateurs pour mener à bien cette manifestation longuement concoctée dès 2019 et qui aurait dû se dérouler du printemps à l'automne 2020 si la crise sanitaire n'était pas venue tout bouleverser. Deux ans plus tard, le projet voit le jour et c'est, ce samedi, le moment le plus attendu : la dégustation de vins et de fromages français dans un des plus jolis hôtels du Lido, la Villa Mabapa où règne le fringant Antonio Vianello, dynamique directeur de l'établissement, à la tête d'un personnel sympathique et attentif à rendre aux visiteurs leur séjour le plus agréable possible et à l'avocat Luca Serafini, membres très actifs du mouvement Proloco Lido di Venezia-Pellestrina

Samedi, dès 20 heures une soixantaine de chanceux - ceux qui ont pris soin de prendre assez tôt leur réservation et quelques invités pourront goûter des vins bordelais issus de l'agriculture biologique et des fromages artisanaux amenés par les producteurs qui les feront déguster. Un groupe de musiciens accompagnera la soirée qui se déroulera dans les jardins de la Villa Mabapa, cet hôtel de belle renommée pour son accueil son style et la qualité de sa table. A ce propos, les hôtes ne se contenteront pas de vins et de fromages, mais ils se régaleront de plats traditionnels des provinces de France réinterprétés par le cusuinier et son équipe.

Pour ceux qui sont à Venise ce jour-là, venez ! Il reste encore quelques places.


17 avril 2022

En musique, le vrai retour du printemps !

Près de l'endroit où je vis à Venise, on croise souvent, installé avec son luth, le musicien hongrois Bence Bók, devenu une figure du quotidien vénitien, comme d'autres le furent avant lui. Il joue de son instrument imperturbablement, des airs de la Renaissance, en toute saisons. J'assimile sa silhouette, le ton toujours tranquille de sa voix, à l'hiver. Cela vient de l'époque où nous habitions quasiment sur le campo Sant'Angelo, à l'entrée de la Calle dei Avvocati. Un jour gris de novembre où je réalisais le vide laissé par Mitsou, notre vieux chat orange, mort quelques semaines auparavant, avant de pouvoir revenir à Venise qu'il affectionnait, je regardais le campo dont on devinait à peine les façades. Comme si à sa place, il y avait un vide et que l'espace n'était qu'un épais nuage gris. Quelques lumières apparaissaient comme des étoiles dans un ciel lointain. Le silence était impressionnant. Tristesse et mélancolie donc que le mordant de l'air renforçait. Soudain, le son du luth. Magique. On ne discernait pas d'où la musique provenait. C'était la fin de l'après-midi. A Venise, la nuit tombe vite et les jours de caigo. La mélopée semblait colorer la brume. 

© Larry Mellman - 2009

En cette veille de Pâques, quand le Triduum Pascal arrive à son terme, le printemps s'amplifie. Après la glycine, le lilas et le mimosa, c'est la joie qui fleurit. Le ciel se fait plus beau et l'air plus doux. Les vestes et les manteaux tombent, les jambes des filles se colorent, les garçons les emmènent sur leurs barques fringantes, les merles lancent leurs trilles joyeuses... C'est à tout cela que me fait penser la vidéo, postée il y a quelques années maintenant du groupe vénitien Rumatera invité aux Indiemood sessions que me fit connaître mon ami Antoine Lalanne Desmet. Une musique joyeuse, une compagnie amicale, au fil de l'eau, un jour de grand beau temps, sur le Rio Marin. Les trois musiciens vénitiens sont à bord de la «Sarsegna» un topetto (une embarcation typique à fonds plat de la lagune de Venise qui peut contenir jusqu'à 6 passagers)  rénové  par l'association Il Caicio.

Bonnes Fêtes de Pâques à tous e buona Colomba a tutti !