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18 mai 2024

Quand le respect et la douceur de l'estime ramène le soleil

Dans nos temps où ne se répand presque jamais d'autres informations que violentes, sanguinolentes et malsaines, quand le climat fait du joli mois de mai un novembre décalé et méchant, les ciels bas et partout la grisaille et des pluies torrentielles, un article joyeux et aimant est un vrai baume. Il y a bien le « Fil good » du Monde (*), mais cela ne suffit pas à renverser la tendance. Au diable ce qui ne va pas, il y a aussi de belles choses chaque jour. 

© Veneziablog, 2024. Tous Droits Réservés
 

Ce billet découvert par hasard parmi les sites sur Venise que Tramezzinimag suit, en est un lumineux exemple. Court, simple. Juste une photo et sa légende mâtinée d'une recommandation implicite. Un vieil homme de dos, courbé, qui marche dans une calle, un sac de courses dans chaque main. Il sort du marchand de fruits et légumes comme l'indique l'auteur du billet. Un vieil homme qui fait ses courses comme n'importe quel autre personne de son âge. 

Pourtant, il s'agit d'un artiste célèbre, un des plus grands photographes vénitiens de notre époque : Giovanni Berengo Gardin, qui a 94 ans qui faisait ses courses au Rialto. L'auteur du billet (et de la photo) n'a pas osé l'aborder mais il a pris une photo. En émane du respect et de l'émotion. La manière dont les choses sont énoncées sous l'image est pleine de délicatesse et de respect. Des mots simples qui disent simplement ce qui est. Un petit rien qui fait du bien. Vraiment, un grand merci à Steven Narni. Alias Nonloso (**), cet italo-américain venu de New York s'installer à Venise il y  a quelques années maintenant avec femme et enfants. Il rédige depuis 2011 ses chroniques sur son sympathique Veneziablog, écrit en anglais. Si vous ne le connaissez pas, je vous invite à vite le découvrir.

 

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(*) «Fil Good», nom du supplément public en ligne du journal Le Monde. On peut regretter le titre trop accrocheur qui transcrit bien l'idée d'une opération marketing, une manière de chercher des lecteurs par la séduction. (soit dit en passant, n'auraient-il pas pu se creuser davantage la tête et éviter ce jeu de mot franglais ?)

(**) : Littéralement «je ne sais pas», euphémisme plein d'humour et de modestie quand on lit les qu'écrit ce monsieur articles du signore Narni.

17 avril 2024

Le regard d'Inge Morath sur Venise

Le monde photographie Venise. Depuis le XIXe siècle combien de photographes sont venus tirer le portrait à la Sérénissime. Parmi eux, la grande Inge Morath.

 
















 

26 mars 2024

Quand nous étions confinés...

© Prosper Wanner, 2020
Confiné et pris par des imbéciles, nous n'osions sortir, on parlait de millions de morts à venir et partout, tous autant que nous sommes, nous nous étions soumis à de nouvelles normes, exorbitantes du droit commun, les libertés mises sous clé et la peur quotidiennement étayée par des médias ravis de retrouver un rôle et des millions de lecteurs, pardon de suiveurs. Bref, la belle escroquerie a changé la face du monde. On sait aujourd'hui combien tout cela fut démesuré, absurde. Nos gouvernants firent mieux que Goebbels de sinistre mémoire n'aurait rêvé et Jacques Ellul depuis son paradis a dû sourire de voir ses propos sur la propagande se réaliser, sans que personne ou presque ne rechigne.

Mais foin de polémique. Évoquons plutôt les jolis souvenirs que cette période nous a laissé : les rues vidées de la foule et de la circulation automobiles, le silence absolu, l'air pu, la lumière diaphane et du temps, beaucoup de temps pour soi. Le meilleur endroit pour vivre cette période d'enfermement où tout semblait arrêter de notre vie, de notre quotidien d'avant - en dehors de la campagne et des bords de mer (comble de la bêtise et du ridicule, ils voulaient même nous interdire d'aller sur les plages nous baigner ou sur les routes enneigées pour skier !) - ce fut Venise. !

Cette ville-monde, unique et différente de tout centre urbain parce qu'interdite aux automobiles, aux camions, et à tout autre engin motorisé doté de roue, était enfin rendue à ses habitants, débarrassée du fardeau du tourisme, sans les hordes de barbares qui la souillent et l'étouffent. L'eau de la lagune se retrouva aussi pure qu'à la création du monde. Faune, flore, tout reprenait ses droits.

Tramezzinimag a publié plusieurs billets sur cette période. Je vous invite à relire celui-ci, paru le 22 mars 2021 : «Un dimanche comme les autres mais en plus doux»? Pour le lire : CLIQUER ICI et cet autre publié en avril 2021 : «Aimer Venise avec l’œil et l'esprit", CLIQUER ICI.  

Bonnes lectures et n'hésitez-pas à laisser vos commentaires et Bonne Semaine Sainte !


30 août 2023

Se chiama Venezia e canta bene / Il se nomme Venezia et chante bien !


Les hasards du net. Mon moteur de recherche joue son rôle d'informateur-rabatteur et m'envoie parfois, parmi la foule de choses inutiles que son intelligence (tellement artificielle) pense devoir m'intéresser a eu du nez cette fois. Un lien vers un -à la belle voix de son temps, une musique qui emballerait même les plus réticents, des paroles intelligentes et pratiquement aucune information sur le type. Il se fait appeler Venezia et on trouve sur Spotify deux morceaux. Il apparait aussi, enfin sa voix, dans un titre d'un certain Marco. Pas mal aussi musicalement et tout aussi peu d'information sur l'artiste. Je n'ai guère plus à vous mettre sous la dent. Ces jeunes gens aiment ce qu'ils font mais restent discrets et visiblement loin de toute arrière-pensée commerciale. Nous ne pouvons que les en féliciter à tramezzinimag.

 

Si les éditions Deltæ parvenaient à avoir pignon sur rue à Venise, avec la galerie-librairie Page Blanche - dont il faudrait peut-être traduire le nom sur le principe incontournable du «when in Rome do as the romans do» inventé par les anglais qui ne respectent pas souvent cette règle (*) - nous l'inviterions pour faire connaître sa musique dans nos locaux et s'il a publié des CDs, on les commercialiserait à l'occasion d'une exposition ou d'un évènement. 

Peut-être serait-il invité du coup par ces autres brillants jeunes gens, vénitiens 100% appellation d'origine, d'Indiemoon qui ont lancé il y a quelques années avec l'association Il Caicio, des sessions musicales sur le modèle des Black Cab Session américaines. Mais, au lieu de faire joue des musiciens en direct depuis une limousine dans les rues de New York ils ont eu l'idée de les faire jouer en bateau sur la lagune. Tramezzinimag en a parlé il y a quelques années, à l'époque de l'émission Détours de la RTS réalisée par mon ami Antoine Lalanne-Desmet (ICI).

A vos oreillettes et vous verrez que ces morceaux très contemporains sont de belle qualité. en tout cas ils ont un succès certains chez les jeunes, l'été sur les plages vénitiennes (et d'ailleurs) et le soir dans les bars. Vous nous donnerez votre avis.

Notes

(*) Ces sacrés insulaires qui ont bien des points communs avec les vénitiens - des insulaires aussi qui prétendent pourtant - j'ai toujours soutenu leur position - que «si on démontait le ponte della Libertà, l'Europe deviendrait une île !»

20 juillet 2023

Dix ans après...

Le 20 juillet 2013, la journée avait été belle en dépit d'un temps orageux. C'est du moins ce que j'avais noté dans mon carnet. J'avais fait une longue promenade en barque avec deux amis, je rédigeais mes billets du jour. L'un sur une maison que j'aime beaucoup, située sur le campiello en face de la véritable entrée dessinée par Carlo Scarpa, de ma chère Querini Stampalia. 

L'autre article était consacré aux jardins plus ou moins secrets de Venise (Lien en cliquant ICI)Il faisait chaud cet été-là et je l'évoquais dans le billet sur les jardins. Aujourd'hui aussi il fait chaud, très chaud même. J'expliquais il y a dix ans combien je trouvais difficile de passer des 18 degrés d'une pâtisserie dotée de l'air conditionné aux 32 degrés à l'extérieur. Tout à l'heure, au soleil certes, je notais 40° ! 

A l'évidence, la température monte d'année en année. L'autre jour à la plage, en sortant de l'eau, le sable était brûlant et l'air tellement humide que je mis longtemps à me sécher. et dire qu'il y a encore des obscurantistes pour prétendre que le changement climatique est une invention d'hurluberlus. Un peu comme les gens pensaient que la terre est plate. Il parait qu'il y en a encore qui le pensent. Certainement les mêmes qui nient la montée des températures et le dérèglement du climat. Bon weekend à vous, chers lecteurs !



12 juillet 2023

Le plus important moment de l'été à Venise

Depuis hier vendredi, Venise est entrée dans le temps du Redentore, un des moments festifs les plus attendus par la population et qui est devenue une attraction touristique, depuis peu. Comme la Festa delle Salute, cette manifestation fait depuis toujours partie de la vie des vénitiens pour qui elle reste très importante. A la fois rite religieux historique et occasion de se retrouver.

La Festa del Redentore commémore, pour ceux qui ne le sauraient pas, la fin de l'épidémie de peste, dite Peste di San Carlo qui dévasta la ville entre 1575 et 1577 et entraîna la mort de plus d'un tiers de la population de Venise - véritable pandémie celle-là. Après des mois d'hécatombe (plus de 50.000 victimes, soit le tiers de la population de la ville), et le 4 septembre 1576, quelques jours après la mort du Titien qui affecta beaucoup le Sénat et le doge, il fut décidé que la Sérénissime érigerait une église au nom du Christ Rédempteur, voulant offrir au Christ un gigantesque ex-voto afin d'éloigner l'épidémie de la lagune. La première pierre fut posée le 3 mai 1577 et quelques mois plus tard, le 20 juillet exactement,  un pont de bateaux fut érigé pour atteindre l'île de la Giudecca où commençait de s'élever la nouvelle basilique dessinée par Palladio, et les vénitiens vinrent en procession derrière le doge et le Sénat pour prier. 

Depuis lors, chaque année, ce pont votif est reconstruit pour permettre à la population de se rendre dans l'église. Les méthodes de construction ont changé mais l'emplacement est resté le même. Comme lors de la première procession, la population entière se joint aux autorités politiques, militaires et religieuses. Il y avait autrefois le doge et tout le Sénat, le patriarche de Venise et le légat du pape qui ouvraient la marche. C'est aujourd'hui le maire et son conseil, le patriarche que suivent les fidèles. 

Cette procession demeure encore aujourd'hui dans l'esprit de chacun, un élément fondamental de la fête. Le Redentore est l'une des fêtes populaires les plus chères et les plus attendues par les Vénitiens, où le religieux et le spectaculaire coexistent.

Ce pont votif n'est pas seulement une attraction de plus dans une Venise qui tend à se transformer - au corps défendant des vénitiens - en un vaste parc d'attraction (on y reviendra). Il une signification symbolique importante. Il représente le lien entre la ville et sa foi, la gratitude d'avoir été libérés de la peste et c'est un hommage au Christ Rédempteur.

Comme le souligne un article de veniceboat.com : « C'est un symbole d'unité et de solidarité que ce rassemblement de tous, jeunes et vieux, pauvres et riches, pour traverser ensemble le pont et participer à la procession religieuse en l'honneur du Rédempteur »

Un autre des moments importants de la fête, aura lieu le 15 juillet, à 23 h 30. C'est le très attendu spectacle pyrotechnique sur le Bacino di San Marco, à l'entrée de la Giudecca. Quarante minutes de pure émotion esthétique - et sonore ! Des milliers de lumière et de couleurs qui explosent sur la lagune. La plupart des vénitiens seront sur leurs bateaux, décorés et remplis de victuailles, dont les plats traditionnels qui sont chaque année de la fête : bigoi in salsa, sarde in saor, bovoleti, comme la Castradina l'est pour la Fête de la Salute

Trois jours de fête très prisés dans laquelle les touristes peu à peu se sont infiltrés mais qui restent avant tout des jours pour la population dont on garde toujours un souvenir ému, avec ce sentiment d'appartenance à une communauté pérenne, tellement important , à une histoire dans un monde dans un monde qui se transforme où tout est partout de plus en plus uniforme.

Mais les festivités débutent en réalité le 14 juillet avec, à 20 heures précises, la très attendue ouverture du pont votif. Dès l'inauguration, commencera la procession toujours très fréquentée, joyeuse et recueillie des vénitiens qui vont rendre visite au Saint Rédempteur. Beaucoup de curieux ensuite, souvent surpris et ravis, qui pourront aller et venir jusqu'à minuit dimanche soir. Jour et nuit, le pont reste ouvert, sauf au moment du feu d'artifice.

Dimanche, autre grand moment, lui aussi très attendu : les Regate del Redentore. Ce jour-là, la ville sera littéralement assiégée par les visiteurs, vénitiens des environs mais aussi dizaines de milliers de touristes qui tenteront d'assister aux courses sur le canal de la Giudecca, dès 16 heures :

Ce sera d'abord la régate des giovanissimi (les plus jeunes) sur des pupparini à 2 rames, à 16 heures. Puis viendra le tour à 16h45, de leurs aînés toujours sur pupparini à deux, puis celle à 17h30, des gondoles à 2 rames avec les stars de la regata storica.

Il faut voir la bénédiction des bateaux et des rameurs par le patriarche, les courses elles-mêmes très soutenues par le public depuis les deux rives. Enfin, pour clôturer, ce sera la grande messe votive, solennité qui débutera à 19 heures, dans une église du Redentore pleine à craquer.

J'évoquais plus haut ce qu'on mange ce jour là. En général, sur les barques comme pour les tablées dressés le long du canal, chacun porte un plat, salé ou sucré et le vin coule à flots. Il y a encore une dizaine d'années, aucun vénitien n'aurait manqué la fête. Il n'était pas question de quitter la ville...

Aujourd'hui, nombreux sont les vénitiens qui restent chez eux ou s'en vont, tant il y a du monde. Et puis nous sommes nombreux à pouvoir voir le feu d'artifice depuis les fenêtres, les terrasses et les altane des maisons. Il manque certes le petit supplément que donne le spectacle depuis l'eau ou des quais, avec les reflets, les remous, l'écho aussi sur l'eau du pétaradant flux de lumières qui fascine.



 Amusant - et émouvant - de se dire que depuis juillet 1578 les vénitiens d'année en année se sont  retrouvés à festeggiare (festoyer) sur le bassin de San Marco et dans les eaux de la Giudecca. A ma connaissance, sans jamais une année d'interruption.

Les jeunes vénitiens qui pavanent sur leurs barques aux moteurs puissants avec des sonos de dingue qui agacent le bourgeois, ont dans les veines le même sang que leurs ancêtres qui savaient chanter à leurs belles des versets du Tasse, du Monteverdi ou le célèbre et émouvant « E mi ne ne so 'ndao»

 

05 juillet 2023

En chemin vers la France, notes retrouvées

Notes du 30/01/2018 retrouvées dans un carnet oublié au fond d'une valise. Amusant de relire un texte jamais retravaillé qui date d'avant le grand bouleversement que nos gouvernements ont imposé au monde, gigantesque escroquerie dont personne ne se remet vraiment. Avant la pseudo-pandémie, il existait un autre monde qui déjà n'était plus que l'ombre de ce qui existait avant, un autre rythme, des espoirs et des joies transmises par ceux d'avant nous... Ces notes en sont imprégnées.

 

Combien j'aime voyager en train et combien j'aime ces longs trajets où l'on avance vers la destination choisie sans pour autant se sentir dans le temps habituel. Les paysages défilent, les gens montent et descendent, on s'assoupit,  on lit, on rêve... Totalement livrés au temps qui passe on est comme préservé de Chronos. Moments privilégiés de retrouvailles avec soi-même.

Lecture de La Natura Esposta, de Erri de Luca. Fascinant récit à la première personne écrit comme l'auteur sait le faire, dans une langue précise et sobre, des phrases ciselées sans rien jamais d'inutile ni de clinquant. Le livre dont j'avais besoin en ce moment. Je n'ai pas beaucoup écrit pendant ces deux semaines vénitiennes. Rien de bon en tout cas. C'est un peut toujours la même chose. Pendant le voyage, la perspective de me retrouver de nouveau à Venise stimule mes neurones. Mes Idées se font claires, des mots me viennent, des idées. Je suis de retour chez moi, là où je me sens le mieux, toujours. Tout autour de moi m'est familier, le chemin de la gare à la maison, les maisons, les vitrines, les gens...

Puis j'arrive et m'installe. Cela prend à chaque fois beaucoup de temps, remettre en place les meubles, redonner à l'appartement un peu de cachet avec ce que j'ai. Tout est enfin disposé pour me permettre de travailler, les dossiers en place, les stylos alignés, la documentation dont j'aurai besoin... Mais les heures passent et je ne parviens pas à aligner plus de dix lignes. Il me faut préparer une tassé de thé, une fringale soudaine m'envahit ou une impérieuse envie de sortir me prend... Procrastination ? Terreur de ne pouvoir écrire ce que je voudrais et comme je le voudrais ? Je n'ai jamais bien saisi pourquoi tout cela était si difficile et l'était si souvent...

Desenzano, bourgade près du lac de Garde. Ciel gris mais le brouillard s'est estompé. La campagne reprend des formes douces et rondes, routes qui se faufilent à travers de molles collines, très vertes, hameaux paisibles et centres commerciaux modernes... L'Italie .... Dans un peu plus de 45 minutes ce sera l'arrivée à Milano Centrale, puis le métro jusqu'à Porta Garibaldi d'où je prendrai le train pour Paris.
 

[...] Voyage sans histoire. Pas de voisin. Le wagon entre Venise et Milan était propre, confortable, presque vide, les journaux offerts et le café macchiato aussi bon que chez Rosa Salva ne coûte qu'1 euro...  Mais l'accident récent dans les environs de Milan nous a retardé de 21 minutes ! Une exception désormais en Italie. Toute le contraire de chez nous... Pourquoi est-ce que je continue de dire chez nous quand je me reconnais de moins en moins dans ce monde post-moderne qui ne fait que reprendre tout ce que du passé nous avons laissé faire de pire mais c'est une autre réflexion qui mènerait trop loin.

Le TGV français qui assure la liaison Milan-Paris n'a rien à voir, hélas même en première classe. La décoration est agréable, un gris cossu, mais tout est démodé en comparaison avec les Frecciarosse italiens. Exemple du dernier TGV pris entre Lyon et la capitale lombarde : porte de liaison de la voiture qui ne se fermait que manuellement avec un mot écrit à la main pour prévenir les voyageurs ; 2,50 € pour un café noisette (infect) dans un gobelet de carton ; toilettes très usées manquant d'eau et de papier - mais pas d'odeur... Tout cela est vieux, dépassé et absolument pas en corrélation par les prix pratiqués. Le charme de l'Italie, du voyage en Italie, se délite au fur et à mesure des kilomètres, hélas... 

Bientôt le retour dans ce pays où je suis né mais qui a perdu tout charme et tout intérêt à mes yeux. 'est un peu triste. Et puis la ville, bruyante, pestilente qui m'attend... Je sais désormais que mon bonheur et ma paix intérieure sont dans une retraite loin des villes en général, au milieu d'une campagne agréable, paisible et soignée - mais cela je le sais depuis ma toute première jeunesse - ou bien à Venise en dépit de ses édiles totalement pervertis par l'ultra-libéralisme démocraticide auxquels ils sont aveuglément soumis - et les hordes de plus en plus nombreuses de touristes vulgaires...

De ces barbares, il y en avait très peu finalement pendant ce séjour. Le temps était clément pourtant. Du coup la ville était toute aux vénitiens. Active et silencieuse pourtant.  Les vendeurs de colifichets made in China dont raffolent les touristes, bancarelle et boutiques, restaient fermées pour la plupart. Joie. Des jours paisibles donc où j'ai pu retrouver la ville semblable à elle dans laquelle mon coeur et mon âme ont grandi.

 Transcrit en écoutant "Just a song for you" qu'interprète Luca Stavos à la guitare (pour l'écouter c'est ICI)

12 février 2023

Le Retour...

Mille fois pardon aux lecteurs qui m'écrivent, étonnés de mon silence, inquiets ou mécontents de ne plus retrouver régulièrement leur Tramezzinimag. Certes, entre 2005 qui vit naître le premier blog et 2023, les goûts et les habitudes ont changé. De revue en ligne on m'a conseillé de passer aux « brèves », faciles à lire, ce format ultra-court que les nouvelles générations préfèrent... Un jeune lycéen m'avouait candidement l'autre jour « J'aime beaucoup lire mais les gros livres, les longs textes, ça me fait peur » et la jeune fille qui était avec lui ajoutait « Moi, je cherche tout de suite le résumé ou un abrégé ». Ils ne lisent jamais les journaux, encore moins les revues, mais sont au courant de tout instantanément et en permanence, saturés d'images qui frappent...

Trop sollicités par les réseaux sociaux, sur le fond, nous avons pris l'habitude du drame et attendons chaque jour une nouvelle dose de tragédie universelle. Les images flash et choc ont pris le dessus. L'information immédiate plutôt que la réflexion et le commentaire... Il faut faire avec. L'humain est toujours pressé désormais. On peut dire, avec ce que nous avons fait de la planète, que cette fuite en avant, semble donner raison à ces pessimistes qui voient dans tout cela une sorte de suicide collectif ; la fin autoprogrammée de notre espèce, qui peu à peu laisserait se déliter tout ce qui fait l'humain en poursuivant d'épouvantables chimères baptisées Progrès, Croissance, dans un monde sous l'influence négative de l'information en continu, qui distille jour après jour, la peur et l'angoisse et réduit l'espoir et le bonheur à des chimères...

À Tramezzinimag, point de pessimisme ou de pensées mortifères. A l'image de Venise, - qui comme toujours, montre l'exemple - notre chère Sérénissime, qu'on dit depuis longtemps agonisante, remugle d'une civilisation moribonde, voire déjà en décomposition, regardez-la, en dépit de tout et contre attente, elle paraît plus que jamais ardente, vibrante, rayonnante, attirant toujours autant - hélas - des millions de visiteurs ébahis, mais que sa population native ou d'adoption refuse de laisser considérer comme un musée ou un parc d'attractions. Ne contredit-elle pas, un fois encore, toutes ces idées bien noires évoquées plus haut 

Pour conclure, Tramezzinimag reste ce qu'il a toujours souhaité être, une revue qui met en avant Venise et sa civilisation, la beauté de son quotidien, les merveilles de son histoire, souvent source de leçons pour le monde moderne. 

10 août 2022

La magie de Venise ce sont aussi ses montagnes


Ayant assez de temps cette fois pour ressortir de mes cartons certaines de mes affaires oubliées depuis février 2020, j'ai retrouvé une clé USB dans laquelle j'avais l'intention de collationner toutes les images concernant l'apparition magique des Dolomites depuis le Centro Storico. Malheureusement cette année-là, je n'avais pas eu le temps de tous transposer sur la clé et je m'étais promis de la ramener en France pour y ajouter les centaines de clichés sur le même thème que j'avais sur le disque dur de mon vieux PC. J'avais évidemment oublié la clé à Venise et le premier confinement nous est tombé dessus... Le retour prévu pour lancer la maison d'édition et décider d'un local, était fixé au...15 mars... Il aura fallu plus deux dans avant que de rouvrir cette clé et, entre autres retrouvailles, retrouver ces images de l'ami Claudio Baoretto et celles de Marco Contessa notamment !
 






La célèbre vue de Venise et de sa lagune publiée en 1493 par Hartmann Schedel dans son magnifique ouvrage  Le Cronache di Norimberga montre la cité lacustre comme elle apparaissait aux visiteurs à la fin du XVe siècle, dans ce Moyen-Âge finissant qui s'apprêtait à laisser la place à la somptueuse Renaissance. 
 

Hartmann Schedel. Vue de Venise Die Schedelsche Weltchronik, 1493

On y voit en arrière plan des collines et des monts. Ce sont les Dolomites. Un regard distrait pensera aussitôt aux limites de la connaissance à l'époque de l'allemand. Défaut de perspectives,naïveté des artistes de cette période somme toute considérée comme assez primitive encore. Le touriste lambda qui arrive par le Pont della Libertà édifié au XIXe siècle par l'occupant autrichien et dont on dit ici qu'il a rattaché le monde continental à la république permettant au reste de l'univers d'être enfin - les bienheureux - reliés à Venise, et non le contraire, ce touriste ébahi par la lumière, les campaniles et les immeubles surgis de l'eau, tout à son extase, n'imagine pas qu'on puisse pénétrer certains jours dans la vue de Venise publiée en couleurs un an après la découverte des Nouvelles Indes, qui deviendront bientôt l'Amérique, source de tant de rêves et de cauchemars depuis...
 
 
 
Pourtant ce 'est pas une fantaisie que ces montagnes qui surgissent comme le décor de fond d'un palcoscenico dessiné par le Créateur. Voici quelques photos qui en apportent la preuve. On ne peut que souhaiter aux visiteurs d'être face à ce spectacle incroyable et merveilleux qu'il faudrait applaudir à la façon des japonais (et de ma grand-mère qui ne l'était pas) quand ils assistent à l'éclosion de la première fleur de magnolia ou à un sublime coucher de soleil !
 
 
Imaginez la scène un instant : les touristes comme les vénitiens, alignés sur les Fondamente Nove, aux balcons de certains palais bien orientés, en haut des campaniles et des altane ou sur les quais du Lido qui soudain se mettent à applaudir ensemble devant le spectacle, cette apparition magique des montagnes, parfois enneigées - de moins en moins hélas - qui semblent à portée de nos mains, nettes à les toucher... 
 
Ce serait un grand moment à chaque fois, je puis vous le garantir !



21 février 2021

Une époque moderne. Journal, Extraits


4 février.
Qui s'en souvient ? Il y a un an encore, avant que tout ne se précipite et nous bouscule dans notre routine, il semblait possible de pouvoir affirmer que nous avions beaucoup de chance, sans qu'une masse se dresse contre nos propos. On pouvait être comme on est sans s'attirer les foudres de ceux qui ne pensaient pas comme nous. Notre vocabulaire était plus pauvre et notre esprit plus riche. La joie était facile, notre monde s'acheminait vers davantage de justice, de culture, de découvertes heureuses. Il y avait toujours quelque part autour de nous de quoi satisfaire les plus exigeants question qualité de vie, sérénité ou résilience. La nouvelle chasse aux sorcières n'empoisonnait pas encore la communication entre les hommes. Tout n'était pas parfait, il y avait encore beaucoup à faire. Mais les imperfections étaient supportables, parce qu'on les savait corrigeables. Le "bien commun" était la préoccupation majeure de nos gouvernants.

Mais c'était avant. Avant cette "pandémie" qui nous harcèle et occupe tous les esprits. Soudain, le monde s'est réveillé dans un autre monde. Comme s'il se voyait dans un miroir déformant. Ce qui n'était que mauvaise fiction devenait réalité. Triste réalité que d'entendre les chefs d’État et leurs ministres dirent tout et son contraire dans la même journée, des principes et des lois bafoués, le mensonge et le parjure devenus outils de communication et peu à peu le silence de tous, l'effarement, la sidération. L'impression que, sans envisager que tout cela fut pensé et orchestré en amont par des fous furieux multimilliardaires méprisants le commun des mortels comme dans les pire romans d'anticipation ou certaines bandes dessinées. C'est c'est de la vie soudain dont il s'agit et laisser entendre qu'un danger sournois et invisible nous menace tous, faire entendre que notre santé est menacée et pour les plus fragiles d'entre nous, la vie même. L'information soudain n'a plus porté que sur le sujet. Et nous avons tous pris peur. 


5 février.
Depuis près d'un an, nous vivons masqués, à bonne distance de l'autre, méfiants. Porter un bout de tissu sur le visage est devenu une habitude, tant est si bien qu'il nous arrive d'oublier que nous sommes masqués et le rester même seuls chez nous... Curieux, n'est-ce pas comme l'homme s'habitue à tout... Pourtant, notre nature ne peut être longtemps et impunément contrainte. Tous nous ressentons les mêmes besoins. La peur et le doute instrumentalisés ou pas ne peuvent éteindre en nous cette flamme qui nait avec la vie, ce besoin d'aimer et d'être aimé, d'aller vers les autres et de les savoir semblables, avec les mêmes doutes et parfois des peurs semblables. 

Le diable a tellement de tours dans son sac. Bien qu'il ne gagne jamais, que les ténèbres ne l'emportant jamais sur la lumière, il semble plus que jamais à l’œuvre, croyant à chaque fois son triomphe imminent. Il faut dire que nous l'y aidons avec nos prétentions, notre bêtise, notre propension à l'égoïsme et à la jalousie. Le plus souvent, ce manque d'amour n'es rien d'autre qu'un réflexe de défiance envers l'autre, l'étranger, l'inconnu, surtout quand il frappe à nos portes sans arme et sans ornements, nu, fatigué, blessé. Là où l'enfant, l'innocent, le ravi tendent leur main, spontanément, sans crainte ni mépris, trop souvent nous fermons notre cœur. S'ils arrivaient, ces étrangers mal mis, couverts d'oripeaux somptueux, déclamant de beaux discours et les bras chargés d'offrandes, ce ne serait pas pareil. A deux battants, nous ouvririons les portes de nos cœurs et de nos maisons et l'étranger serait présenté à nos enfants et à nos voisins, accueilli, choyé.

Drôle d'époque donc où l'individu ne finit par ne plus vraiment retrouver ses marques, où les images, les paroles sont dures et parfois violentes, où nos routines volent en éclat, laissant les plus fragiles encore plus démunis. J'avoue être de ceux qui sont naturellement portés vers l'idée que ce qu'on ne voit ni n'entend n'existe pas vraiment. Mon métier, mes goûts, ma nature me portent naturellement vers la solitude et l'isolement organisé. Non que je sois un misanthrope, j'aime les gens, j'aime la vie autour de moi mais celle qu'on nous impose depuis un an ne me convient en rien - à qui peut-elle convenir finalement ? - Cette crise inattendue, jamais vécue en temps de paix, nous rapprochent tous de l'essentiel dans nos vies : notre famille et nos amis véritables, ces «Huckleberry friends»(*) qui accompagnent nos rires et nos joies depuis toujours nous sont plus que jamais nécessaires et les savoir au même diapason n'est que joie et félicité. même l'exil forcé loin de Venise semble moins douloureux. J'ai toujours été ébahi par la manière dont ces jeunes africains débarqués par miracle de ces bateaux devenus trop de fois des tombeaux quand ils auraient dû être berceaux. combien d'anonymes leur ont ouverts leurs bras, les ont pris chez eux et les ont installés dans leur vie et dans le paysage. 

L'italien sait bien ce qu'est l'exil, l'émigration contrainte, ce qu'abandonner sa terre, ses frères, ses usages pour l'inconnu, la douleur de l'errance et l'angoisse du vide qui se déploie davantage à chaque pas. Cet accueil spontané, joyeux ou silencieux selon les caractères des lieux de débarquement de ces réfugiés en loque, affamés, fatigués et terrorisés, souvent presqu'encore des enfants, des jeunes gens partis avec l'espoir de revenir un jour, enrichis des savoirs et des rencontres dont ils se seront nourris tout au long de leur chemin. A Venise, sinon quelques esprits chagrins, rances et aigris, adeptes d'un nationalisme si peu italien, ces migrants n'ont jamais été mal traités. La toponymie de la cité des doges a certainement quelque chose à y voir. Les «Vu cumpra» des années 2000, alignés le long des rues passantes et présentant la même camelote Made in China, moqués par les berlusconiens et les néo-fascistes, regardaient la vie se dérouler autour d'eux avec un incroyable sourire et quand ils le pouvaient, ils s'affairaient avec une extrême gentillesse, aidant de vieilles dames à tirer leu caddie ou ramassant le journal qu'un vieillard presque impotent laissait tomber. Ceux qui sont restés, s'expriment en dialecte désormais et beaucoup ont trouvé des petits boulots. Rien de mirifique, trop souvent à la limite de l'acceptable certes. Mais ce qui rend leur quotidien vivable, empêche l'enfer, ce sont les mains tendus des vénitiens, individuellement ou par le biais des associations qui se sont créées ces dernières années. Le discours officiel et l'immobilisme de l'administration contraste avec la réalité du terrain. Je ne sais pas ce qu'il en est à Rome, à Turin ou à Milan. L'italien n'est pas naturellement raciste. Souhaitons qu'il ne le devienne pas...

10 février
Le temps du carnaval est arrivé. Après le brouillard, la froidure, les précipitations et les grandes marées de ces dernières semaines, la neige viendra-t-elle comme elle nous y avait habitué longtemps ? Que de souvenirs, la neve di febbraio... Une année, j'avais invité ma mère à passer quelques jours avec moi à Venise. Je n'y vivais pas encore mais ma décision était prise de quitter Bordeaux et de m'y installer à l'année. L'inviter à voir Venise en hiver, faire avec elle mes promenades préférées m'aiderait à la convaincre de me laisser partir. De la laisser. Lui parler ainsi librement de mon amour pour la cité des doges, sur les lieux mêmes de ma passion me permettrait sûrement de la convaincre plus facilement.

Venise, Lista di Spagna, années 80
Le touriste se faisait rare l'hiver  à cette époque. L'assessorat au tourisme et le syndicat hôtelier venaient de lancer une opération Venezia d'Inverno (Venise en hiver). J'ai retrouvé récemment la brochure de l'Office du Tourisme. L'offre était intéressante. Des palaces de la CIGA, la compagnie qui appartenait à l'Aga Khan qui possédait entre autres le Danieli et le Gritti) aux auberges plus modestes, les hôtels ouverts en hiver proposaient leurs chambres et les services attenants entre 30 et 50% moins chers que pendant la haute-saison. Venezia d'Inverno prévoyait un thé-concert au Palazzo Mocenigo, des entrées dans les principaux musées, et plein de réductions dans les restaurants et les magasins de luxe. Bref, l'idéal pour permettre à un étudiant peu fortuné d'inviter sa mère dans des conditions décentes. 

Quelques années auparavant, nous avions logé au Londra, sur les Schiavoni. Mais les chambres situées face à San Giorgio étaient en rénovation. J'avais choisi le Concordia, parce que quelques unes de leurs chambres avec balcon donnant directement sur la Piazza. L'hôtel était lui aussi en travaux mais on m'avait garanti que tout serait terminé pour son arrivée. Il n'en fut rien et je l'appris en arrivant... L'hôtel était encore fermé et le directeur qui nous attendait, se confondit en excuses et nous expliqua qu'une suite nous était réservée à l'Antica Panada. J'ai retrouvé mes notes dans mon journal de l'époque : 

Coup de théâtre comme accueil. A peine descendus du taxi, la surprise : l'hôtel est fermé pour travaux. Un employé empressé nous présente ses excuses dans un français de comédie. Très goldonien. Deux complices, un type à la peau grise avec une moustache et un garçon de mon âge ou un peu plus jeune s'emparent de nos valises. Nous sommes relogés à deux pas nous dit-il. « Aussi confortable et tranquille, mais sans la vue ». Nous sommes partagés entre l'envie de rire et la la colère. j'avais pensé sauf à tout sauf à ça. L'aléa qui fera l'anecdote. Maman cache sa lassitude par un sourire poli. 

Il s'agit en fait du directeur de l'établissement, très obséquieux, comme dans un film de Visconti. Il aurait ajouté « pour vos excellences » et nous étions dans Mort à Venise. Ce qui, à l'époque, n'était pas pour me déplaire en fait... 

« Les petits-déjeuners vous seront offerts en compensation... et puis il y a Prosecco, panier de fruits et fleurs qui attendent tout pareil à l'Antica Panada »...« Venezia d'inverno, tout pareil, tout pareil !» 

Les deux garçons portant la livrée de l'hôtel nous ont accompagnés jusqu'à la « solution de remplacement qui s'est imposée et qui vous donnera la meilleure satisfaction pour votre séjour ! ». L'Antica Panada est situé une centaine de mètres plus loin sur la Calle dei specchieri. En face du do Forni. Chambres confortables, décoration un peu toc de luxe. Nous passons une agréable nuit. Venise de nouveau et maman contente. 

Je me souviendrai de cette arrivée. Froid intense le matin en ouvrant ma fenêtre, mais froid vénitien.


Petite mésaventure somme toute bien sympathique, Je n'ai jamais pu faire de comparaison entre le Concordia et l'Antica Panada, mais ce fut confortable et les chambres formaient un petit appartement au deuxième étage du palazzo. Les notes de mon journal précisent qu'une fois changés, nos affaires installées, nous sommes allés déjeuner en face, au Do Forni. Une promenade autour de la Piazza, visite de San Marco puis un chocolat chaud au Florian où travaillait certainement mon cousin Sandro dont je ferai quelques mois plus tard la connaissance par le plus grand des hasards, mais y en a-t-il vraiment à Venise ou du moins dans ma vie à Venise ? Mon journal indique que nous sommes ensuite rentrés à l'hôtel pour nous préparer à la passeggiata et nous changer pour dîner. C'était la veille du carnaval balbutiant. Dîner dans une trattoria derrière l'église San Fantin, un restaurant où, quelques années plus tard, je me rendrais souvent, avec le galeriste Giuliano Graziussi, Arbit Blatas, Ludovico de Luigi et d'autres. En sortant, un brouillard très dense avait recouvert la ville. C'était magique. Tout semblait s'atténuer et se fondre dans l'air. Il faisait froid mais nous ne pouvions pas rentrer sans faire une promenade. Je voulais aller jusqu'à la Pointe de la Douane et voir ce que nous pouvions voir malgré cette nebbia intense. La Piazza semblait flotter sur des nuages bas. Le vent était tombé quand nous arrivions au môle, devant les colonnes de la Piazzetta. Il y avait dans l'air des senteurs étrangement envoûtantes. Magiques. La promenade qui longe les jardins royaux était presque vide, quelques couples qui se rendaient au Harry's Bar ou en venaient. Les vitrines donnaient à la rue une éclairage de fête. on aurait dirt qu'entre la lumière et le brouillard, une sorte de lutte était en train de se dérouler. Bien couverts, nous avions les mêmes impressions qui nous gagnent en montagne quand la lumière semble rendre le froid plus intense et que le confort des vêtements chauds et ouatés nous permet de garder à distance. nous avons ainsi marché jusque sur les Zattere. 
 
On marche beaucoup à Venise. J'en avais l'habitude. Pas ma pauvre mère. Après cette longue promenade, elle souffrait terriblement. Son amour pour les élégants escarpins de chez Fendi l'avait empêchée de chausser ses souliers de marche, légers et souples. J'avais insisté pour qu'elle se change après le dîner. « Non non, une autre fois. Nous sommes à Venise tout de même pas dans le Kent. Ces chaussures me rappellent trop ma mère. J'aurai l'air d'une vieille méthodiste anglaise » avait-elle répliqué. Le brouillard était tellement dense que plus un seul vaporetto ne circulait, plus un taxi, encore moins une gondole. Il allait falloir refaire tout le chemin à pied. Nous voilà repartis, après une pause en haut du pont de l'Accademia. Le brouillard était parfois moins dense mais une brise survenait soudain qui le rendait de nouveau très dense. Quand il se dégageait le ciel apparaissait couvert d'étoiles. Le grand canal était silencieux. Partout autour de nous des lumières et leurs reflets. Se promener ainsi dans Venise sous le brouillard et dans la nuit est une expérience unique. J'étais content de la faire partager à ma mère. Une cloche sonna, puis une autre. 
 
Soudain, l'incroyable. En un instant, ce fut le noir complet tout autour de nous. Plus une seule lumière dans la ville...Une gigantesque panne d'électricité priva Venise de lumière au moment où nous arrivions devant le kiosque du fleuriste, devant le Palazzo Franchetti. Quelqu'un venait d'éteindre sans prévenir. Pour un peu on aurait même cru entendre le déclic de l'interrupteur. Rapidement, nos yeux s'habituèrent à l'obscurité et les dalles de pierre d'Istrie guidèrent nos pas. Comme une ligne de veilleuses ou de fanaux indiquant la piste aux avions. Les passants s'interpelaient les uns aux autres, parfois un homme allumait un briquet, on croisait des lampes de poche. Je retrouvais l'atmosphère vécue un soir d'hiver à Londres, quand la ville était encore sujette au Smog, mélange graisseux de brume et de pollution, avec cette odeur inoubliable, mélange de grésil et de tourbe qu'on sent encore dans le métro. Peu à peu, au fur et à mesure que nous avancions vers San Marco, la lueur de bougies apparaissait aux fenêtres ou aux vitrines des restaurants et des bars encore ouverts. Quand nous avons finalement regagné l'hôtel dont le hall était éclairé par des candélabres,  la lumière revint et on entendit partout dans la ville presque endormie comme un soupir de soulagement.
 
 

Pour la petite histoire, une seconde panne eut lieu quelques heures plus tard et le lendemain encore. Les journaux parlèrent du froid qui avait amené les gens à forcer les chaudières mais Venise à l'époque était encore en grande partie chauffée au charbon ou au fuel... Une expérience unique qui nous fit regretter que les codegon n'existent plus, ces guides nocturnes qui louaient leurs services et ceux de leur lanterne - appelée codega - pour accompagner les passants. Jusqu'à la chute de la république, il n'y avait d'éclairage public qu'autour de la Piazza et du palais des doges. Les porteurs de lumière étaient donc très utiles la nuit. Même pour les personnes mal intentionnées. Combien d'histoires sont rapportées de malheureux qu'on attira avec une  de ces lanternes dans un guet-apens, surtout par les nuits sans lune quand la nebbia comme celle que nous avions traversée ma mère et moi se répandait partout dans la ville. Combien se sont noyés après qu'ils aient voulu se rapprocher d'une lanterne qu'ils imaginaient devant eux mais qu'on agitait en fait depuis une barque ou de l'autre côté d'un rio. On allait le lendemain reconnaître le cadavre des infortunés sur la piazzetta des Leoncini où ils étaient exposés. Accident ou meurtre, les enquêteurs de la Magistrature n'aboutissaient quasiment jamais à conclure...

12 février.
L'an dernier à cette date j'avais quitté Venise depuis une semaine. L'étudiant écossais que j'hébergeais dans le cadre de son Erasmus était parti retrouver sa petite amie à Hong Kong où il cherchait un stage. J'avais retrouvé Bordeaux pour quelques semaines avant de retourner sur la lagune lancer la maison d'édition. le nom avait été présenté, l'équipe formée. Je tenais à lancer l'opération de financement participatif pour les premiers titres, depuis la France. Même bilingues, les livres que nous nous apprêtions à publier le seraient toujours en français. Le projet devait être remisé puisque un mois plus tard l'Italie se confinait. Et les semaines puis les mois passèrent. Je suis toujours exilé, passant mes jours entre Bordeaux et la campagne, me rendant parfois auprès de mes enfants. 
 
Nantes, Lyon, Paris. Dans la joie de les voir et de passer du temps avec eux. Mais sans le plaisir ressenti avant à l'idée de voyager, de croiser d'autres voyageurs, d'imaginer leur vie, de partager le temps du trajet quelques réflexions. Le silence et la solitude des voyages en train - mais aussi en bus, délice vécu lors de mes voyages d'étudiant, en Turquie notamment, et depuis l'invention des bus Macron - pendant ces heures tranquilles sur les routes de France. La crise sanitaire aura insufflé dans nos esprits la méfiance voire même de la peur. Les messages répétés dans les trains, sur les affichettes au sujet de la distanciation sociale, de l'hygiène des mains, des masques, ce n'est pas anodin. Les esprits les plus positifs, les plus sereins ne peuvent pas rester étanches à force d'entendre la même propagande. réaction irrationnelle certes mais qui encombre et modifie nos comportements, nous fait hésiter et nous fait craindre quand il y a si peu de risque finalement... Mais à quoi bon lutter contre la peur du plus grand nombre, à quoi bon. Se battre contre des moulins n'a jamais rien amené. Ni pour soi ni pour les autres.
 
La réflexion remonte à loin déjà. En mai dernier, je notais :
D'aucuns dans les milieux de la pensée parlent d'une ère nouvelle. un nouvel âge en train de naître... Nous assistons apparemment au commencement d'un autre monde, « une sorte de siècle épidémiologique », disait sur France Culture il y a quelques mois un historien. Désormais, nous sommes régulièrement confrontés à l'irruption de virus qui assaillent le monde. N'est-ce pas la démonstration que nous sommes entrés dans d'une ère nouvelle, celle de l’anthropocène. Car, c'est directement l’intervention humaine qui ruine la nature, flore et faune sauvage et qui favorise ainsi, la propagation des virus. Qui oserait désormais le nier ? Cette crise inédite, de sanitaire risque de se transformer en crise financière, et cela très rapidement,que les adeptes du jargon post-moderne traduisent par le terme présentiste. 
Il y eut les grandes épidémies de peste, mais peut-on réellement puiser dans le passé des éléments de comparaison et trouver dans le passé de quoi ajuster les réponses à apporter pour conduire les projets collectifs d’avenir. Au début de la crise, au printemps dernier, on m'a plusieurs fois demander d'écrire sur l'exemple des pandémies qui touchèrent Venise et amenèrent à l'invention de la quarantaine, l'édification des lazarets, etc. L'historien a toujours le réflexe - souvent salutaire - de regarder dans le passé des sociétés des idées pour nos temps. Mais en 2021, beaucoup de questions se posent, mais peu de réponses sont évidentes. Bien qu'utile, la comparaison avec les crises précédentes n'apporte aucune véritable solution, si ce  la terrible grippe espagnole au début du XXe siècle.

La nature exceptionnelle de cette pandémie, son universalité(puisque là non plus le virus ne respecta aucune frontière, aucun peuple, aucun régime, aucune organisation sociale) fait qu’elle fut le révélateur de dysfonctionnements, d’interrogations et en même temps d’espoirs. Comme la grippe espagnole, le covid ne peut pas être qu’un moment. On voit collectivement une aspiration à quelque chose d’autre pour l’avenir. L'Histoire est là pour nous l'enseigner : Le monde d’après 1918 n’était soudain plus le même, des empires se sont écroulés, des peuples se sont réveillés, les mentalités changèrent, les aspirations aussi, y compris sur le plan psychologique, . La grippe espagnole vint achever l'ancien monde à cause des traumatismes de la guerre. De même, « au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception collective que l’on se faisait de la démocratie n’a plus été la même. On avait besoin de beaucoup plus d’intervention, de protection, d’égalité ». Étant donné l'importance et l’universalité de la crise que nous vivons aujourd’hui, il est évident qu'elle ne peut pas être qu’une transition, encore moins une parenthèse. Cet électrochoc sera peut-être salutaire. Ou pas...

Je lis déjà les commentaires de certains lecteurs : «mais et Venise sans tout cela ? Pourquoi nous rappeler ce que nous vivons tous les jours depuis près d'un an ? Ce blog est-il un forum complotiste ou sanitarien (encore le jargon actuel !)»...

C'est que tout ce qu'il nous est donné de vivre avec la crise sanitaire procède d'une mise en question de notre modèle social, politique et économique. Les gouvernants tâtonnent mais ils cherchent, les peuples murmurent mais ils se soumettent, certains se servent des évènements pour faire avancer leurs idées voire leurs ambitions, rien que de très humain là-dedans. Et bien, en partant du principe défendu dans ces colonnes depuis toujours, que Venise est, a été et peut redevenir un modèle pour la société contemporaine, tout ce qui se passe dans cette petite lagune avec ses minuscules îlots n'abritant plus qu'un dixième de sa population d'autrefois (aux alentours de 56.000 aujourd'hui, près de 500.000 dès le XVIe siècle pour la même superficie), la gestion des évènements naturels provoqués par l'ineptie des appétits humains, celle du tourisme, la résilience si particulière aux vénitiens, l'omniprésence de l'histoire et de ses trésors se mêlant à une énergie créatrice qui n'a pas son pareil dans les mégalopoles, font bien que le sujet est en adéquation avec Venise.

14/02/2021

Je découvre dans ma boîte mail le message d'un ami avec.  qui je corresponds depuis mon retour de Venise. Vénitien, il vient enfin de rentrer chez lui après un séjour forcé en Australie. Bloqué comme tant d'autres par la pandémie, il effectuait un stage de bénévolat pour une ONG australienne dans je ne sais plus quel territoire voisin de la grande île. Si le surf et la nature avaient surtout motivé son choix il y a deux ans, ce qu'il a vécu là-bas a transformé son regard d'européen. 
Par ses commentaires passionnants, il m'a éclairé dans bien des domaines où mon point de vue demeurait somme toute assez figé. Lorsque mon fils séjourna à Vancouver après une année passée à Montréal, il en fut de même. Mon ami vénitien a seulement deux ans de plus que mon fils. Est-ce alors une question de génération ? Il sait que je finirai par évoquer nos échanges et le mentionner dans ces colonnes. Aussi lui ai-je promis de ne pas citer son véritable nom. Considérons qu'il s'appelle Carlo.
 
Carlo m'a envoyé le lien vers un article paru dans Linkiesta, ce (multi)média italien publié en ligne depuis sa création en 2011.  Outre le contenu éditorial de belle tenue, de couleur gauche progressiste - si je puis m'exprimer ainsi pour traduire l'orientation générale de la rédaction dans un pays où on ne sait plus très bien qui est où et défend quoi...-, c'est sur son design qu'il voulait attirer mon attention. Car Linkiesta et ses suppléments forment un beau journal. Format, typo, couleurs, mise en page. Tout est splendide, efficace mais joli, fonctionnel mais esthétique. Couleurs et formes rafraîchissent après l'inondation des motifs et modèles Canva ! On est loin de la ringardise des studios de publicité de l'hexagone où les questions qu'on se pose encore concernant les préférences présumées du public entre le jaune et l'orangé, l'horreur absolue du violet et la puissance indétrônable du rouge royal... Chez Linkiesta, on vole plus haut. Et c'est beau. Carlo a raison ! 
 
Comme toujours, je suis aller farfouiller dans leurs archives pour vérifier que le contenu était aussi beau que le contenant, en cherchant tout ce qui a pu paraître ces derniers mois sur Venise. J'en ai trouvé plusieurs, liés à la politique nationale italienne, à la gastronomie ou au tourisme. Le plus récent en date susceptible d'intéresser les lecteurs de Tramezzinimag concerne la décision - inique - de Luigi Brugnaro, le maire réélu, de ne pas rouvrir les musées de la ville (voir l'article dans Le Figaro qui relate parfaitement la situation citée par le magazine italien : ICI). Le maire resté enfermé dans un modèle dépassé qui favorise la terre ferme parce que c'est sur la terraferma que sont la majorité de ses électeurs de Mestre et de Marghera au détriment des résidents du site historique - la seule et vraie Venise - et montre combien dans ses choix, même s'il jure le contraire, il considère le centro storico comme une sorte de parc d'attraction faisant rentrer les devises qui permettront de financer des projets de Marghera. 
 
L'électoralisme de la giunta au pouvoir n'échappe à personne. Seulement, il ne s'agit pas de n'importe quelle bourgade mais d'un des hauts-lieux culturels du monde et ce n'est pas n'est pas un Disneyland. Les vénitiens ont aussi soif de culture et les musées sont - je dirai même avant tout - pour eux. Sans oublier les milliers d'étudiants qui ont besoin de nourrir leur culture avec ces biens culturels appartenant à tous et gratuits. Un sondage avait réuni plus de 6000 signatures. Pour ceux qui lisent l'italien : le lien vers l'article cité ICI).
 
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(*) : in-Breakfast at Tiffany's avec la merveilleuse Audrey Hepburn. Expression difficile à traduire provenant de la chanson Moon River de Henri Mancini, mais qui sert à désigner, selon le Urban Dictionary de la langue anglaise, « au singulier, un très bon ami qui fait partie de notre vie depuis des années, généralement depuis notre jeunesse», quelqu'un de très spécial donc. Mes lecteurs savent combien l'amitié est un sentiment important pour l'auteur de ce blog depuis sa plus tendre enfance.