27 août 2006

Musica, musica !

Est-ce la chaleur de l’été qui revient ce matin quand le vent a cessé de souffler ? Est-ce cette lumière presque orange qui éclaire le jardin ? Mais j’ai dans la tête un de ces airs italiens qui nous viennent du sud, de Naples ou de Sicile et que les américains ont repris pour les populariser … Vous savez ces airs de Lou Monte, Julius La Rosa, Franck Sinatra ou Jerry Valle ; mandoline, accordéon et guitare et voilà que défilent des images en noir et blanc, celles du cinéma des années 50. 
La fenêtre de la chambre d'Alix à la Toletta ©Tramezzinimag, 2005.
Rien à voir a priori avec Venise me direz-vous. Pourtant, par une grossière simplification venue d’Outre-Atlantique, la musique napolitaine et les promenades en gondole, les dîners romantiques au bord d’un canal et le son de la mandoline sont aujourd’hui mêlés dans l’inconscient collectif universel. Les  asiatiques qui se promènent la nuit en gondole seraient déçus si on ne leur chantait pas "O Sole mio" au clair de lune ! Allons ne faisons pas les difficiles. Certes la musique populaire vénitienne existe, certes elle est parfois très belle mais n’a malheureusement pas cet écho universel de la pauvre musique un rien nostalgique née sur les plages de Sorrente, à Capri ou dans les bouges du port de Palerme. La chaleur, le plaisir que ces airs procurent sont pour moi depuis toujours je l’avoue, l’accompagnement sonore de ma vision de Venise en été.



Imaginez un quartier tranquille. Peu de passants. Le ciel est aussi bleu qu’on puisse l’imaginer, mille parfums différents viennent vous solliciter, une soupe qui cuit, la vase des canaux, le jasmin et les lys d’un jardin, l’eau de Cologne dont s’est aspergé le monsieur qui passe sur le pont à côté son journal à la main… La lumière envahit tout portant chaque couleur à son paradoxe comme à saturation. Jamais le moindre pan de mur, le plus petit reflet argenté sur l’eau d’un canal ne vous paraîtront plus beaux. Vous êtes seul avec vous-même face à tant de beauté et la joie qui vous gagne rejoint cette musique un peu sirupeuse parfois, la voix de Julius la Rosa ou celle de Dean Martin s’incruste dans chaque détail du paysage que vous avez sous les yeux et vous sentez derrière vous le visage extasié de Katherine Hepburn ou le sourire d’Alida Valli. Je pense par exemple à "Come back to Sorrento" devant cette photo…


Comment peut-on se contenter d’assimiler ce délice visuel permanent, même l’hiver quand la lumière se fait froide et noire, à un adagio funèbre de Mahler et au visage d’un adolescent triste et malingre comme le grand art de Visconti nous y avait contraint avec Mort à Venise. C’est bien plus la tarentelle ou des chansons d’amour pour clair de lune qui conviennent pour illustrer Venise dans toute sa beauté. 



Regardez cette vue sans prétention. Aucun monument, rien de particulier. Seulement une "atmosphère". Là aussi j’entends une de ces mélodies comme "O mio babbino caro". Du temps de ma vie d’étudiant, il y avait près du jardin Papadopoli, un petit bar fréquenté par des gondoliers. Un vieillard y jouait de la mandoline. Je me souviens de son visage buriné par les années. Il lui manquait plusieurs dents. Parfois quelqu’un l’accompagnait à l’accordéon. Le soir, ils jouaient sans façon tous ces airs : Santa Lucia, Luna Rosa, Mamma Rosa…


Cette musique générique italienne dans sa capacité à réchauffer les cœurs et à porter la joie et la fête, n’est-elle pas après tout pour notre époque ce que la joyeuse musique de Vivaldi ou de Veracini, Galuppi, Geminiani, les chansons de Monteverdi furent autrefois pour ceux qui les fredonnaient… En tout cas, sans aucune prétention musicologique, quand je suis loin de Venise et que je ferme les yeux, ce que je vois en moi est illustré par cette musique joyeuse ou mélancolique du lointain sud italien revisitée parfois à la sauce yankee

Texte inspiré de la lecture de The saint of lost things, roman de l'écrivain italo-américain Christopher Castellani. L'auteur a écrit son livre en écoutant cette musique des années 50, mélange de chansons populaires italiennes et de rythme américains que les migrants italiens écoutaient en boucle avant d'arriver à New York ou une fois installés...


posted by lorenzo at 13:04

25 août 2006

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 2) : Alain Crozier


Connaissez-vous Alain Crozier
J'ai découvert son site par hasard. Un personnage ! Il écrit de belles choses et je vous livre ici, en même temps qu'un raccourci vers son site, deux poésies . Sobres. Très pures. Très fortes. Elles sont imprégnées de l'atmosphère de Venise... 
.
Une place vénitienne
.Une place vénitienne,
A l'ombre d'un campanile.
Le temps est tellement beau,
La fin de l'après-midi.
En train de devenir amoureux
Depuis le train,
Ne sachant pas que c'était réciproque.
Une place vénitienne,
Ma future amante à mes côtés.
Je suis loin du monde,
Je suis hors du temps.
Venise est en train de nous appartenir,
Depuis le train,
Les plus beaux jours de ma vie.
Le cerveau déconnecté,
Je ne pense à rien,
Plus à rien.
.
Échos du quai ensoleillé
( publié dans Bastet n°3 - juillet 2004)
.Le jour se lève sur le quai,
Un matin ensoleillé.
Seul sur ce quai,
Je repense à elle,
À Venise et son train.
Au départ ou à l'arrivée
Du voyage fantastique,
C'est ici que tout a commencé.
Suis-je déjà venu ici
Avant de succomber ?
 
.Alain Crozier
.
Tous Droits Réservés

Coup de Coeur : Alain Crozier


Connaissez-vous Alain Crozier ? 
J'ai découvert son site par hasard. Un personnage !
Il écrit de belles choses et je vous livre ici, en même temps qu'un raccourci vers son site, deux poésies . Sobres. Très pures. Très fortes. Elles sont imprégnées de l'atmosphère de Venise...
.
Une place vénitienne
.Une place vénitienne,
A l'ombre d'un campanile.
Le temps est tellement beau,
La fin de l'après-midi.
En train de devenir amoureux
Depuis le train,
Ne sachant pas que c'était réciproque.
Une place vénitienne,
Ma future amante à mes côtés.
Je suis loin du monde,
Je suis hors du temps.
Venise est en train de nous appartenir,
Depuis le train,
Les plus beaux jours de ma vie.
Le cerveau déconnecté,
Je ne pense à rien,
Plus à rien.
.
Échos du quai ensoleillé
( publié dans Bastet n°3 - juillet 2004)
.Le jour se lève sur le quai,
Un matin ensoleillé.
Seul sur ce quai,
Je repense à elle,
À Venise et son train.
Au départ ou à l'arrivée
Du voyage fantastique,
C'est ici que tout a commencé.
Suis-je déjà venu ici
Avant de succomber ?

.© Alain Crozier
Tous Droits Réservés
posted by lorenzo at 16:35

24 août 2006

Dachine Rainer, poète et anarchiste

"La pierre sous l’orme / prend forme maintenant / la pierre se courbe sur son bord / la pierre qui dans l’air prend forme... "

"L’arbre a pénétré dans mes mains, / la sève est montée le long de mes bras / l’arbre dans ma poitrine est devenu grand, / vers le bas, / les branches sont sorties de moi comme des bras / tu es arbre, / tu es mousse, / tu es violette que caresse le vent... / les arbres meurent et le rêve reste. "
Ezra Pound
Canto XC

En 1984, j'ai rencontré entrée par le plus grand des hasards à la galerie Graziussi où je travaillais, une vieille dame anglaise qui se prit pour moi d'amitié. Je me souviens de son allure, petite, un peu ronde, elle portait ces inénarrables jupes de tweed qui font invariablement penser à la Miss Marple des romans d'Agatha Christie. Ses cheveux étaient blancs et assez courts. Elle ne marchait pas mais courrait. 


Un air décidé et sévère tempéré par un sourire moqueur, elle m'expliqua son passé anarchiste, ses déboires en Amérique et au Royaume-Uni avant et pendant la guerre (elle fut emprisonnée aux Etats Unis pour propagande pacifiste). J'étais fasciné par ses aventures. Nous discutions autour d'une tasse de thé dans ce salon de thé aujourd'hui disparu qui était aussi à l'époque le seul restaurant végétarien de Venise, Calle della Mandorla. Je lui faisais visiter les recoins méconnus de la Sétrénissime. Je lui plus et elle fit du jeune homme que j'étais son compagnon de promenade, sorte de secrétaire particulier et de drogman on demand.
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Elle avait loué un tout petit appartement à deux pas de l'église Santa Maria del Giglio, près du Gritti. Cette maisonnée me fascinait. Située au rez de chaussée d'une vieille maison, on y pénétrait par une porte peinte en vert. A gauche du couloir, une salle de bain en marbre rose, puis la cuisine et le living, vaste pièce éclairée par une grande fenêtre ornée d'un rideau de cretonne fleuri, tout cela respirait une atmosphère de campagne anglaise. Toujours Miss Marple... Bien meublé, cet appartement m'attirait. Il était tellement à l'opposé de mon appartement. Puis quelques mois plus tard, elle s'installait à Dorsoduro, dans une maison jouxtant la Guggenheim, tout près de la galerie de Ferruzzi où j'allais travailler les deux dernières années de mon séjour vénitien (devenue aujourd'hui la boutique de la Guggenheim)... Vaste appartement à l'étage, avec deux ou trois chambres dont les fenêtres donnaient sur les jardins du palais. Une merveille. La décoration, les meubles, les tableaux au mur, tout respirait une atmosphère de paix et de raffinement. Je me souviens d'une chambre avec deux lits jumeaux très année 50. La lumière y était très belle. Le calme absolu. 
Je rêvais de m'y installer pour écrire et lire. Je lui proposais à demi-mots d'entrer à son service comme factotum : j'aurai fait les courses, le ménage, la dactylographie de ses travaux et en échange, elle me permettait d'occuper cette chambre, à l'autre bout de la maison, en haut de ces quatre marches de bois qui craquaient délicieusement et sentaient l'encaustique. Elle refusa, prétextant qu'elle avait besoin d'être seule et qu'elle trouvait
"scandaleux de m'employer comme un vulgaire laquais alors que je méritais mieux et qu'il me fallait toujours rester libre et ne pas me vendre pour un lit et un bol de soupe"...
Elle avait certes raison, mais mes vingt ans affamés ne comprirent pas tout de suite ce refus. J'avais déjà lu trop de romans...
 
Dachine s'intéressait aux chats du quartier et aimait m'entendre lui raconter les péripéties de Rosa, ma petite chatte grise. Elle prenait beaucoup de notes et lorsque, après le déjeuner, l'inspiration lui venait elle me chassait, me priant de la laisser vite travailler. Elle venait me chercher à la galerie pour une promenade ou une démarche administrative et souvent, me racontait en s'appuyant sur mon bras, ses péripéties pendant la guerre, quand elle fut internée pour ses opinions libertaires et son opposition violente à la guerre. Lorsqu'elle quitta Venise, elle laissa une assez grosse somme d'argent à la vieille dame de la calle Navarro, tout près de ma nouvelle demeure, qui abritait dans sa grande maison des dizaines de chats. Elle m'écrivit une ou deux fois, m'envoya des extraits de son Giornale di Venezia et d'un texte sur Ezra Pound (elle l'avait bien connu et le considérait - à juste titre - comme un des plus grands auteurs modernes) et Olga Rudge qu'elle rencontra à plusieurs reprises à Venise avec moi.
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Je crois qu'elle se méfiait un peu de moi : j'avais faim, j'étais désargenté et j'étais jeune,
"trop beau et trop jeune, pas assez pauvre et pas assez affamé"
me disait-elle. Elle l'écrivit aussi dans un de ses textes... Elle ne concevait pas que je puisse être autre chose qu'un idéaliste révolutionnaire, anarchiste ou nihiliste... Peut-être craignait-elle que je m'intéresse à elle uniquement parce que j'étais fauché et elle fortunée... C'était une romancière... Elle avait tellement de choses à raconter. Nos journées étaient passionnantes.
Elle aussi avait lu beaucoup de romans et elle s'en faisait un aussi dans sa tête... Quelques années plus tard, retourné en France et jeune marié – elle était repartie dans son manoir écossais – je l'avais invitée à Bordeaux pour faire la connaissance de ma femme et de notre fille qui venait de naitre. Elle hésitait, m'écrivant qu'elle avait besoin d'un lieu paisible pour terminer je ne sais quel ouvrage, qu'elle se sentait toujours poursuivie, harcelée par ses ennemis de toujours... 
Je lui proposais de venir s'installer dans notre chambre d'amis tapissée de livres, tout au fond de notre appartement, éclairée par le plafond comme un atelier d'artiste. Elle y serait vraiment au calme pour écrire. Devenue un tantinet paranoïaque, elle se croyait épiée et menacée par les Services Secrets anglo-saxons, l'idée d'un refuge bordelais lui plût. Ravie de mon invitation, elle hésita cependant. Nous avions convenu d'une date et après quelques arrangements, elle devait prendre l'avion pour Bordeaux sous quelques semaines. Elle ne vint jamais.
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Elle mourut deux ans après, en 2000. Je ne l'ai plus jamais revu. Elle m'a dédicacé un exemplaire du Giornale di Venezia où elle parle quelque part de nos journées, de nos promenades et des lieux que je lui ai fait découvrir, mais je n'ai jamais reçu le colis... Il m'a été adressé par sa fille quelques mois après sa disparition. Je le conserve précieusement avec ses lettres et les pages du tapuscrit qu'elle m'avait envoyée qui concerne nos promenades ainsi qu'un texte où elle parle du jeune érudiant fou que j'étais alors.
Sur sa tombe à Londres, au cimetière de Highgate, non loin de celle de Karl Marx et de Rossetti, il y a pour seule inscription :
"poète et anarchiste"
posted by lorenzo at 21:44

23 août 2006

L'image du jour

Tous Droits Réservés © Yves Phelippot

Buon Compleanno, Claire !

Qualche candelina in più sulla torta non può far altro che illuminare maggiormente il tuo cammino... I miei più belli auguri  !

posted by lorenzo at 20:01

Quiétude estivale



Je ne sais pas vous, mais moi j'aime particulièrement ces débuts d'après-midi, l'été, quand il fait déjà passablement chaud, que les rues ombragées gardent la fraîcheur du matin et que la plupart des touristes écrasés de soleil et de vin rosé trop frappé paressent aux terrasses des trattorias (trattorie devrait-on écrire). Les chats dorment, les vieilles dames en tablier à fleur épluchent leurs haricots devant leur porte, les enfants font la sieste. Un bateau qui passe en direction du Lido trouble un peu le silence et les remous de l'eau du canal bercent ma rêverie. C'est l'heure où j'aime m'attarder accoudé à ma fenêtre, regardant cet horizon de toitures et de cheminées qui fait mon bonheur depuis plus de vingt ans. Le ciel est d'un bleu vif et les oiseaux qui chantent couvrent presque la radio qui s'échappe d'une fenêtre entrebâillée de l'autre côté de la rue. Un air ancien (1984 !) remplit toute l'atmosphère de la rue, "Hotel California" par Joe Walsh et The Eagles
 
"...Last thing I remember, I was
Running for the door
I had to find the passage back
To the place I was before
Relax, said the night man,
We are programmed to receive.
You can checkout any time you like,
But you can never leave!"...
    
Voilà qui s'applique particulièrement bien à Venise par un bel après-midi d'été. Comme cela s'applique aussi parfaitement au doux farniente qu'il faut savoir y vivre. Bonne fin d'été à tous !
 
posted by lorenzo at 13:52

22 août 2006

Alerte rouge à Santa Maria Zobenigo


La très particulière église Sante Maria del Giglio, en vénitien Zobenigo, située près du Gritti, sur le campo qui porte son nom, entre San Marco et Santo Stefano, fait la une de l'actualité ce matin : son état devient plus qu'alarmant et l'un des principaux autels supportant une des magnifiques peintures du Tintoret menace de s'écrouler... 

Des dommages de plus en plus difficilement réparables font de cette très belle petite église, célèbre pour sa façade ornée de bas-reliefs représentant les places-fortes que tenaient Venise en terraferma, mais aussi pour son magnifique Rubens et ses Tintoret, un nouveau lieu de curiosité pour les touristes et les vénitiens effarés par ce qu'ils découvrent en y pénétrant. Le recteur de la paroisse, Monseigneur Gino Bortolan, vient d'ailleurs d'alerter solennellement le surintendant aux Beaux Arts et le monde entier, devant la recrudescence de la "chute des marbres".
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C'est le premier autel de gauche qui a été endommagé, celui-là même qui fut commandé par Francesco Duodo victorieux commandant des galères de la Sérénissime République à la bataille de Lépante. Orné de la célèbre toile représentant le Christ avec Sainte Justine et Saint François de Paul, œuvre importante de l'artiste réalisée en 1592; présente de graves fissures Depuis dimanche les gens défilent dans l'église pour se rendre compte de la situation et certains font même des propositions financières. Mais, il faut maintenant qu'interviennent les services publics afin de déterminer la cause des dommages et les moyens à mettre en œuvre pour sauver cette église presque menacée aujourd'hui d'effondrement.
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Depuis quelques années les paroissiens eux-mêmes, leur curé en tête avaient proposé de financer les travaux de restauration mais les services municipaux avaient décliné l'offre... Sans commentaire ! Après le baptistère quasiment écroulé, s'ajoute donc maintenant l'autel du Tintoret, sans parler des marches et des gradins des autres autels dans un état de consumation avancée. "Église ou cimetière de guerre ?" se demandait ce matin dans le Gazzettino la journaliste Titta Bianchini







 
posted by lorenzo at 12:41

I Sfrattai

A Venise depuis les années 50, le problème du logement est un souci pour un grand nombre (la majorité ?) de vénitiens. Derrière les façades des palais appartenant à de grandes familles à l'Etat italien ou à des entreprises de toutes nationalités, souvent "saucissonnées" en appartements (depuis plusieurs centaines d'années, la plupart du temps), il y a l'habitat urbain moyen.
Immeubles de location, propriétés familiales transmises depuis la nuit des temps, maisonnettes sans autre cachet que la patine des lieux, ces immeubles composent la majorité de l'habitat urbain vénitien. Y faire des travaux n'est pas une sinécure, trouver l'argent pour les financer, une entreprise herculéenne... Alors depuis la fin de la guerre surtout, la plupart des vénitiens ont dùu abandonner leur chez-eux pour aller loger sur la Terre-Ferme, à Mestre, parfois encore plus loin : Mogliano, Conegliano, Padoue... Bon nombre de ces immeubles sont restés à l'abandon, le coût des travaux étant souvent diabolique et les contraintes administratives très lourdes, la plupart des propriétaires n'a pas eu d'autre choix que de laisser en l'état un habitat parfois multi-centenaire. Les difficultés économiques de l'après-guerre avaient aussi amené les différents gouvernements à bloquer les loyers. Ne pouvant pas compter sur des revenus suffisants pour leur permettre de financer la rénovation des appartements, les propriétaires ont souvent préféré perdre leurs locataires et condamner les maisons en attendant un hypothétique changement de politique gouvernementale. 

Quand celui est effectivement arrivé, une libéralisation que l'on croyait rendue nécessaire par l'état préoccupant du parc immobilier, a créé cette nouvelle catégorie de vénitiens : i sfrattai (les expulsés) : les propriétaires pouvaient envisager de percevoir une aide de l’État pour la restauration de leurs biens immobiliers sous certaines conditions. Les prix ont grimpé à une vitesse vertigineuse, le m² à San Marco ou à Dorsoduro devenant aussi cher que le centre de New York, les Champs Élysées ou Hong Kong... Les vénitiens sans grands moyens n'ont pas pu rester locataires devant la libération des loyers, les candidats à la propriété n'ont pas pu acheter leur appartement. Mestre et les banlieues environnantes ont enflé. 
Aujourd'hui, le mal est fait, presque 80% des logements rénovés sont vendus à de riches étrangers, à des entreprises. Beaucoup deviennent des gîtes plus ou moins luxueux loués en permanence et de préférence pour de courtes durées aux touristes du monde entier, des palais entiers deviennent le show-room d'entreprises internationales florissantes en mal de prestige (comme les grandes propriétés du Médoc et de Saint Émile) et Walt Disney comme Las Vegas s'intéressent à ce qui pourrait devenir dans les cinquante ans à venir un eldorado pour milliardaires et incentives où les derniers rescapés de la civilisation vénitienne ne seront que garçons de café ou femmes de chambre. Vous vous souvenez, ces paroles prophétiques de l'Archiduc Otto de Habsbourg (prononcées certes dans un autre contexte - au Parlement européen - mais qu'il aurait pu répéter lors de ses nombreux séjours dans la ville) : 
"si nous ne réagissons pas, nos enfants deviendront les garçons de café des touristes des super-puissances".
Voilà la signification de la légende de ce t-shirt en vente chez mes amis de Venessia.com