15 avril 2010

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 7) : Solution locale pour un désordre global

Tramezzinimag est un lieu virtuel consacré corps et âme à Venise. Mais ce qui concerne la Sérénissime bien souvent implique le reste du monde : la multiplication du nombre de ressortissants africains en situation irrégulière qui proposent à la sauvette de faux sacs de marque, jeunes SDF à l'air égaré par l'abus de drogue accompagnés de nombreux chiens faméliques vautrés sur les ponts, tags et graffitis qui enlaidissent les murs, disparition des petits commerces de proximité et standardisation des produits manufacturés, mais aussi inondations de plus en plus nombreuses, disparition de la faune et de la flore, phénomènes climatiques inquiétants, pollution... Le tableau pourrait paraître terriblement sombre. Il en est de Venise comme du reste du monde, l'homme qui a reçu en naissant une incroyable et merveilleuse richesse s'emploie depuis 500.000 ans à la détruire. Venise a longtemps été un laboratoire d'idées et de pratiques qui ont permis d'élaborer un mode de vie respectueux de la nature. Installés dans un environnement peu propice, les premiers vénitiens ont su faire avec les infrastructures naturelles et ils ont eu le génie d'établir sur cet écosystème une civilisation. Hélas, les hommes sont oublieux et le poids des traditions, les usages, les antiques savoirs ont été dès la fin du XVIIIe siècle malmenés au nom des idées nouvelles. A Venise aussi, il fallait être "moderne" si on ne voulait pas faire ringard. C'est ainsi que la cité des doges, bien davantage que les autres métropoles d'aujourd'hui, en abandonnant les anciens usages, a mis en péril sa vie même. Partout dans le monde, comme à Venise, d'impérieuses nécessités voient le jour qui nous obligent à appréhender d'une manière globale l'état de la planète. Parce que nous sommes enfin conscients que l'avenir de l'humanité est en jeu et que cet avenir nous concernant tous, nous oblige tous à réfléchir et à agir.

On en parle peu, car cela n'est pas médiatique, mais il existe à Venise, et dans différents points de la lagune, des organisations qui travaillent à sauver ce qui peut encore l'être, des associations qui militent pour que revivent les fonds lagunaires, que les espèces de poissons et de mollusques empoisonnées par les phosphates et les nitrates de l'industrie lourde de Marghera, recolonisent l'eau. Ils reconstituent les rizières et les marais salant, replantent et ré-alimentent les terres empoisonnées par 50 ans de fertilisants chimiques, soignent les oiseaux migrateurs décimés par la pollution. Aux projets pharaoniques qui ne font qu'enrichir les gigantesques groupes industriels mondiaux et dont on ne sait toujours pas s'ils apporteront les solutions promises, se créent un peu partout, sans moyen, sans publicité, des mouvements actifs et solidaires, véritables alternatives aux politiques officielles. Depuis trente ans, la lagune est un laboratoire expérimental de sauvegarde de l'environnement. Sans battage, sans militantisme. Pêcheurs et paysans se battent pour sauver ce qui peut l'être. Et il y a danger, nous le savons tous.
 
Quand je vivais à Venise, il y avait au bas de chez moi - je l'ai raconté maintes fois - une petite échoppe. Elle était tenue par un fermier ou son fils, je ne sais plus exactement. Chaque matin, il débarquait ses légumes et ses fruits, il amenait parfois aussi des oeufs, des volailles. On ne trouvait chez lui que des tomates ou des aubergines fraîchement récoltés. Ses salades, ses épinards, pêches comme ses poires étaient vraiment toujours délicieux. Quand la récolte n'était pas bonne, il n'y avait sur ses étals que des pommes de terre, des noix, des amandes des coings et des pommes. Ceux qui ont la chance de fréquenter un AMAP (*) sauront de quoi je parle. Ses terres se trouvaient sur une île du fond de la lagune. Ses bêtes procuraient le fumier qui nourrissait la terre, ses arbres donnaient de magnifiques fruits sans l'aide de Monsanto. Puis les règles ont changé. L'Europe a imposé un cahier des charges insensé. De plusieurs centaines de maraîchers sur la lagune, il n'en reste qu'une petite dizaine. La disparition de la culture vivrière, à Venise comme ailleurs en Occident, est quelque chose de préoccupant quand on sait que l'autonomie alimentaire en Europe est de seulement 20 jours... Quand on se rend compte que partout, l'industrie tue l'agriculture mais tue aussi les usages et les savoir-faires ancestraux.
 
Il y a en ce moment dans les bonnes salles de cinéma un documentaire extrêmement bien fait qui exprime bien que moi toutes ces vérités. Hasard heureux, l'auteur de ce film, Coline Serreau, un lien très fort avec Venise et Tramezzinimag en parlera un jour si j'obtiens son accord. Si vous n'avez pas encore vu ce film, précipitez-vous, c'est revigorant ! En voici la bande-annonce:
 
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(*) : AMAP :
Associations pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne

25 mars 2010

Bonheur tranquille

Réveillé par la jolie petite mésange bleue qui a passé l'hiver dans la cour, je savoure mon builder's tea du matin, avec Mitsou à côté de moi qui ronronne de plaisir devant la nouvelle journée qui s'annonce, une patte nonchalamment posée sur mon épaule. (ce qui signifie : "n'oublies tout de même pas de remplir mon écuelle de lait frais"). Elle sera belle cette journée. Après l'orage d'hier, le ciel est d'un bleu sans nuage et le soleil brille. Comme un vrai matin de printemps. A Venise, le sirocco souffle et il va pleuvoir.


Le temps du Carême s'achève, ce sera bientôt Pâques, moment unique et merveilleux du renouveau, la chance d'un nouveau départ pour nos âmes étouffées par tant d'inutiles préoccupations, joie de la Résurrection dont personne ne parle tant le monde n'a d'yeux que pour le médiatique Ramadan des musulmans. En attendant, l'air a changé. Il s'est fait plus léger, onctueux même, avec des senteurs que l'hiver nous avait fait oublier. Au Jardin, les arbres sont tous en fleurs. Le vieux magnolia nous a donné sa première fleur il y a déjà trois semaines. Les tulipiers sont resplendissants. Le vert des pelouses a quelque chose de lumineux, comme le sourire d'un enfant.

J'aime ces petits moments paisibles qui sont autant de rites pour commencer une nouvelle journée. Que ce soit ici, dans notre maison du Cotentin ou bien à Venise, les premiers geste du matin déterminent la manière d'appréhender les évènements des heures à venir. Le thé brûlant, les biscuits, et l'émission de Chris Evans à la BBC (miraculeux internet !), le chat qui ronronne, une patte posée sur mon épaule (toujours l'écuelle de lait !), le soleil qui fait danser les particules de poussière devant la fenêtre, tout est bonheur. Un de ces petits bonheurs qui n'ont l'air de rien, mais nous aident à survivre, vous ne trouvez-pas ? La pression des images, l'omnipotence des modes, et la tension qui règne dans nos vies d'occidentaux pressés et surmenés, tout concourt à nous éloigner de ces plaisirs simples qui sont pourtant le sel de la vie. Chaque matin après tout, est le premier de nos derniers jours... L'homme moderne a tendance à l'oublier.
Respirer la quintessence des choses, avidement, gaiement, avec tout notre être, n'est pas une attitude d'artiste coupé des réalités, mais la preuve d'une grande solidarité avec le monde et les êtres qui le compose. Le "joie, joie, pleurs de joie" du poète n'est pas un cri d'hystérie, mais l'affirmation que, partie d'un tout, nous nous sentons impliqués dans la marche des choses, le passage des saisons et devons, chacun selon nos talents, contribuer à ce que tout aille pour le mieux. Bonne journée à tous !

4 commentaires:


J F F GrandsLieux a dit…
Oui, l'arrivée du printemps est un vrai miracle. Un appel au plaisir présent.
Bonne journée à vous aussi, Lorenzo !
PS Finalement le chat a-t-il eu sa jatte de lait ?
maite a dit…
Mes journées sont faites de tas de petits bonheurs, ce qui constitue à eux seuls "Le Bonheur" ...A presto !
Anne a dit…
Merci beaucoup pour ce beau texte, Lorenzo. Vous avez raison et j'ajouterai que le soir est important également, en l'envisageant non pas comme la journée qui se termine, mais comme le début d'un nouveau moment à rendre agréable et à apprécier dans sa douceur.
Anne
NicoleA a dit…
Une philosophie de la vie qui est assez proche de la mienne , celle des "petits bonheurs de chaque jour ", comme celui de faire le tour du jardin au printemps pour voir la nature reprendre vie , pouvoir à nouveau déjeuner sur la terrasse ( et l'éte flaner au petit dejeuner ) . Merci aussi de parler du temps du Carême et de Pâques qui le suit ...notre culture européenne enfouie , oubliée , ringardisée !

Bonnes fêtes pascales et bon printemps Lorenzo !Et merci pour la qualté de vos articles !