11 septembre 2009

Hommage aux victimes du 11 septembre 2001


Le monde entier se souvient de l'horreur. Les images diffusées en direct ont marqué les esprits. Près de 3000 personnes ont été les victimes de ces attentats dont on sait aujourd'hui qu'ils n'ont pas été tout à fait ce que la presse médusée et le gouvernement Bush ont voulu faire croire qu'ils étaient. Mais l'heure n'est pas à la polémique. Nous nous souvenons tous de ce jour de 2001. C'était une belle journée, à Venise, à Bordeaux, comme à New York. Ce que nous faisions au moment où les terribles images sont apparues sur les écrans est marqué à jamais dans nos esprits. J'ai entendu un jour un journaliste dire que tout le monde se souvenait de ce qu'il était en train de faire au moment où on a appris l'assassinat du Président Kennedy. C'est vrai, j'étais un tout petit enfant mais je me souviens exactement de ce moment. Il en est de même pour l'attentat du World Trade Center. L'énormité de la catastrophe filmée en direct et sous tous les angles, comme un spectacle programmé demeure fixée dans l'inconscient de quasiment toute la planète... Ayons une pensée pour ceux qui ont laissé la vie ce jour là, victimes innocentes d'une haine inexplicable et impardonnable. Prions pour qu'une pareille horreur ne se reproduise jamais.

8 commentaires:

VenetiaMicio a dit…

Oui, prions pour qu'une pareille horreur de se reproduise jamais.
Effectivement, comme vous le dites, personnellement je me rappelerai toujours de ce beau début d' après-midi,à Venise où tout est douceur,quand j'ai appris cette monstruosité. Comme je me rappelerai l'assassinat de JFK, ce soir d'hiver, je prenais le métro, à Paris ...

Gérard a dit…

L'Histoire est tragique . C'est sa seule vérité . Je n'sais plus qui disait que l'optimisme c'est le marché aux illusions : c'est pas faux . Vu le reportage tv sur cette journée , en direct . Ai été frappé par deux choses : un , l'hébétude des New-Yorkais et pour certains la lucidité radicale au coeur de l'évènement , en deux l'unité bonhomme de ces gens bien au-delà de leurs différences raciales d'un seul coup toutes oubliées , ou tout simplement absentes , par cette population prise dans l'étau violent de la tragédie et de son héritier immédiat , la panique totale . Cette dernière , en fait , et de visu , n'ayant réellement aucune prise sur le ciment fort de cette population incroyablement diverse , dans les esprits plus profondément rassemblée qu'on nous l'a toujours raconté . C'était visiblement cru . La paix n'est et ne restera qu'un intermède du merveilleux . Bef , un truc toujours fragile .

maite a dit…

Moi aussi je me rappelle l'horreur de cette vision, j'écoutais la radio et j'ai allumé la télé ; j'ai appelé mon fils qui était au port des pêcheurs à Biarritz et mon ami qui était dans son bureau à Bordeaux. De même que pour Kennedy, je me revois petite fille dans ma chambre. Alors que bien des choses qui auraient dû me marquer dans ma vie sont totalement sorties de ma mémoire. Un petit bonheur sur mon site, allez voir ma vidéo de gracieuses jeunes femmes sur la musique de Stefano Landi que vous m'avez fait découvrir et que j'écoute très, très souvent. A presto !

beatrice De a dit…

Et moi donc que je me rappelle. j'étais dans mon atelier, en train de faire un collage et écoutais distraitement la radio que je me suis entendu dire* qu'est -ce que c'est que çà. Ce n'est pourtant pas le 1er avril *! Je n'avais pas encore la télé ! Tellement incroyable que mon cerveau ne pouvait pas l'enregistrer sérieusement.
La mort de J.F. Kennedy, aucun souvenir.Juste le tailleur rose de Jacquie se penchant sur la voiture, dans les photos des journaux. Toujours pas de télé

Par contre la lune foulée par les premiers pas humains, si.
Il y avait une sacrée ambiance à l'hôtel où je travaillais, à Londres. C'était la nuit. Toutes les portes étaient ouvertes.

beatrice De a dit…

Et moi donc que je me rappelle. j'étais dans mon atelier, en train de faire un collage et écoutais distraitement la radio que je me suis entendu dire* qu'est -ce que c'est que çà. Ce n'est pourtant pas le 1er avril *! Je n'avais pas encore la télé ! Tellement incroyable que mon cerveau ne pouvait pas l'enregistrer sérieusement.
La mort de J.F. Kennedy, aucun souvenir.Juste le tailleur rose de Jacquie penchant sur la voiture, dans les photos des journaux. Toujours pas de télé

Par contre la lune foulée par les premiers pas humains, si.
Il y avait une sacrée ambiance à l'hôtel où je travaillais, à Londres. C'était la nuit. Toutes les portes étaient ouvertes.

beatrice De a dit…

Sorry pour le doublont !

Michelaise a dit…

c'est en effet surprenant, nous nous souvenons de ces jours avec une acuité particulière, tant l'assassinat de Kennedy que les tours du 11/09

Hervé a dit…

Ce moment était une barbarie violente et marquante, en espérant qu'on osera plus refaire cela !

N'oublions cependant pas non plus un autre événement malheureux à commémorer un 11 septembre : la mort de Salvador Allende en 1973 qui marque, elle, le début d'une longue période de barbarie au Chili.

Je découvre ce blog avec grand plaisir grâce à un autre italo-français, Valério, et je l'en remercie grandement !

101 cose da fare a Venezia almeno una volta nella vita *

Le voilà enfin ! 
 
Écrit par Gianni Nosenghi, voilà un guide hors-norme qui vient de sortir chez Newton-Compton Edizioni, après Milan, Rome et Naples. Pas encore traduit en français. 
 
Voici le sympathique film de présentation de l'éditeur. 
 
Ce soir à 18 heures, à la librairie Feltrinelli de Venise, pour ceux qui sont à Venise et seraient intéressés : l'auteur présentera et dédicacera son livre. 
 
Compte-rendu de lecture à paraître dans le prochain Coups de Cœur de Tramezzinimag (15/09/09).

5 commentaires:

Marie a dit…

Bonjour, je ne trouve pas cette librairie Feltrinelli à Venise? Pourriez-vous me donner l'adresse car nous y serons bientôt et j'aimerais beaucoup acheter ce guide! merci!

Lorenzo a dit…

Cliquer sur le lien. Elle se trouve à Mestre, mais vous trouverez l'ouvrage dans n'importe quelle librairie de la ville, à la Toletta, à la librairie française, etc. Bon séjour.

Florence a dit…

Oui je l'ai vu dans la librairie française, en vitrine.
Bonne lecture!!

Marie a dit…

Merci à vous! J'espère en trouver encore le 25/09 : jour tant attendu de notre arrivée à Venise.

Lorenzo a dit…

Il y sera ne vous inquiétez-pas : Bon séjour à vous et revenez nous donner vos impressions à chaud !

Venise au quotidien : Un tabacchaio


© Claudio Poggio

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Merci pour votre blogue, découvert il n'y a pas très longtemps. Régal des yeux et voyage des émotions, des souvenirs aussi. J'ai adoré votre précédente page " souvenirs" de votre arrivée...Une écriture qui emporte, merci merci.

Lorenzo a dit…

Bienvenu sur TramezziniMag !

Aldo a dit…

Un tabaccaio comme je les aime !
Comment faut-il interpréter le panneau au dessus de la porte avec l'indication "Acqua alta 1.12.56" ?

venise86 a dit…

Hum, cours d'italien assurés là aussi ? Sourire

Lorenzo a dit…

Mystère. Pas d'alluvione en 56 est-ce un souvenir personnel du marchand. J'irai lui poser la question quand je passerai devant, promis. Si quelqu'un a la réponse qu'il n'hésite pas à nous la communiquer !

10 septembre 2009

Bottega a Chioggia

© Marco Metelli - 2008
  

 



3 commentaires:

Evelyne a dit…

Quel plaisir de lire chaque jour vos billets...merci.

Lorenzo a dit…

Merci Evelyne de me lire !

Anonyme a dit…

Plaisir partagé.
Gabriella

Par une chaude nuit d'été, la lagune... Récit.

Tribute to Anno Birkin.
.
Il ne parvenait pas à dormir. La chaleur accumulée dans la journée enveloppait la chambre d'une moiteur pesante. Dehors, pas un souffle d'air. Il faisait nuit noire. Les étoiles étaient cachées par une couche épaisse de nuages sombres qui menaçaient mais l'orage ne venait pas. Philippe se rhabilla très vite. Il sortit. Le silence s'était fait sur la ville. Les ombres dans les rues rendaient terriblement mystérieuses les façades des maisons. Philippe mit les écouteurs sur ses oreilles et soudain, avec la musique, il lui sembla soudain qu'une fraîcheur divine se répandait en lui. Le "Gloria" de Vivaldi, son disque préféré illuminait cette nuit lourde et suffocante. Il prit la direction de San Alvise, puis dans le dédale de ruelles de ce quartier retiré, il déboucha sur les Fondamente nuove. Les réverbères éclairaient les berges. La lagune ressemblait à une immense tâche d'huile. Pas un bruit, nul clapotis qui eut pu donner une impression même vague de fraîcheur. Tout était immobile. Il était près de deux heures. Un chien errant passa très vite, frôlant Philippe au passage. Il eut un frisson mais rien qui pu le rafraîchir. Il marchait. Pourtant seulement vêtu d'un jean et d'une chemise au col largement ouvert, il transpirait. Après de longues minutes de marche le long de ce quai un peu pouilleux, passant devant les débarcadères immobiles, les pompes à essence, il arriva au pied de la petite passerelle de métal qui enjambe le canal de l'Arsenal. Il n'avait jamais été au-delà. On disait les terrains vagues situés de l'autre côté de la zone militaire mal fréquentés. Surtout la nuit.

Peu éclairé, le chemin se fit sinueux. Les odeurs changèrent. Après ces parfums caractéristiques de la lagune, mélange d'odeurs de vase et d'herbes pourries, l'air sentait l'herbe coupée et la terre. Comme à la campagne. Un petit vent s'était levé. Moyennement rassuré, Philippe hésitait à poursuivre. Le bruissement des feuilles donnait l'illusion d'un peu de fraîcheur. Les nuages noirs semblaient s'éloigner et un rayon de lune éclaira la berge. Au fond, près d'un entrepôt en ruine, Philippe aperçut soudain un feu. Des silhouettes s'animaient autour. En se rapprochant, il discerna des rires, le son d'une guitare. Un groupe de jeunes s'était réuni là, près du terrain qui servait aux enfants du voisinage pour jouer au ballon. Un chien grogna. Philippe se sentait attiré par le feu. Soudain deux garçons surgirent derrière lui, ils couraient en riant et le bousculèrent. Ils étaient trempés. Ils étaient tous venus se baigner dans cette partie de la lagune toujours plus fraîche qu'ailleurs, parce que moins ensoleillée pendant la journée. Une jeune fille brune - elle se nommait Grazia - l'invita à se joindre à eux. On lui fit une place près du feu. "Salve" répondirent-ils à son salut. Le garçon qui grattait sa guitare se nommait Stefano. Roux, les cheveux frisés, il n'était vêtu que d'un short. On lui offrit du vin. Ce fut sa première rencontre avec des jeunes vénitiens de son âge. Ce fut aussi son premier bain dans la lagune. Nus, ils s'élançaient tous les uns après les autres dans l'eau noire. Toute cette liberté était nouvelle pour le jeune homme.

Ses yeux habitués à l'obscurité discernèrent peu à peu les lieux, les visages, les corps. Il ne regretta pas de n'avoir pas pu dormir cette nuit-là. Ils étaient tellement accueillants. Tous se mouvaient avec une aisance et une simplicités stupéfiantes. Un couple s'était éloigné avec des sacs de couchage, sous les lazzi du groupe. Stefano et Grazia avaient longtemps parlé avec Philippe. La jeune fille s'était finalement endormie entre eux deux, la tête sur les genoux du garçon roux. Il joua longtemps sur sa guitare cet air tellement nostalgique de Bob Dylan, "it's all over now baby blue". Vers six heures, ils étaient encore tous là, endormis, quand des carabiniers accostèrent leur vedette au ponton voisin. Le chien aboya. Les policiers étaient sympathiques. Les jeunes polis. Avant de remonter dans leur bateau, Il fallut montrer les papiers et répondre à quelques questions. "Vous ne vous êtes pas baignés évidemment" dit l'un d'eux, "vous savez bien sûr que c'est interdit et dangereux". "Ah oui, bien sûr, ne vous inquiétez pas Monsieur" répondit Stefano, sans obséquiosité, avec un sourire resplendissant. Les policiers saluèrent et repartirent. Quand la vedette bleue et blanche fut assez loin, Stefano retourna se baigner. Philippe le suivit. L'eau était enfin fraîche. Délicieusement. Les premières lueurs du jour éclairèrent les berges. il ressentit une incroyable sensation de bien-être en nageant, avec autour de lui la lagune, les palli qui marquent les chenaux, les îles au loin. Ce paysage extraordinaire où il avait choisi de vivre.

Un vaporetto passa non loin d'eux. Quand ils revinrent au bord, le jour était complètement levé, des cloches sonnaient. La rumeur de la ville qui se réveillait parvenait jusqu'à eux. Ils rangèrent leurs affaires, se rhabillèrent. Certains repartirent vers San Elena. Stefano et Grazia proposèrent à Philippe de le ramener en barque jusqu'à chez lui. Ce fut sa première promenade en sandolo. Assis au milieu du bateau, il regardait ses deux nouveaux amis ramer. Debout, parfaitement assurés sur leurs jambes écartées, ils enfonçaient leur rame en cadence dans l'eau. Le sandolo avançait sans à-coups. Philippe avait l'impression de glisser sur l'eau. Le temps était plus doux que la veille, le ciel sans nuage. Quand il se quittèrent, Grazia et Stefano l'embrassèrent chacun sur une joue. Il rougit un peu. L'orage s'était éloigné vers les côtes dalmates. Il allait faire beau.

6 commentaires:

VenetiaMicio a dit…

C'est tout simplement beau...
La promenade nocturne, dans une autre Venise, m'a beaucoup plue, je connais ce parcours, pour avoir utilisé, un jour la passerelle qui va jusqu'aux entrepôts de l'arsenale...
merci et bonne journée, pour moi grâce à cette lecture je démarre bien.
Danielle

Anonyme a dit…

Moi aussi, j'ai fait cette promenade, loin de toute agitation, comme dans un autre monde. merci pour le souvenir, Lorenzo
Gabriella

Venise86 a dit…

Encore !!

Michelaise a dit…

C'est imprégné de nostalgie et Philippe a gardé, forcément, de ce moment où tout était neuf, un souvenir chargé de douceur...

Anne a dit…

Une très belle page...J'en espère d'autres.
Anne

Anonyme a dit…

Mais qui est cet Anno Birkin ?

09 septembre 2009

Livraison express


En espérant que ce ne soit pas fragile !
© Marco Metelli - 2009.

2 commentaires:

Michelaise a dit…

et en prime ça a l'air léger... ah, l'éternel problème des livraisons à Venise, cela occupe des heures carrées à regarder comment les vénitiens le résolvent !

Venise86 a dit…

J'adore regarder toute cette vie quotidienne à Venise

Un jour lointain, au bar de l'Arsenal

C'était un jour de septembre comme aujourd'hui. Il faisait très beau mais l'air était frais. Je venais d'arriver à Venise. Enfin. Mes bagages défaits, rangés dans la minuscule chambre que m'avait attribué la Signora Biasin dans son alloggi fantasque, j'avais rendez-vous avec mon destin. C'est du moins ce que mon coeur qui battait la chamade semblait me signifier. Castello, 2423, Fondamenta di Fronte l’Arsenale, Cours d'italien pour les étrangers de la Dante Alighieri. Le rendez-vous avait été pris pour 9 heures.

Je pris le vaporetto. C'était alors la ligne 5, la plus longue qui partait de la Piazzale Roma et allait jusqu'à Murano en passant par le bassin de San Marco, l'Arsenale et les Fondamente Nuove. L'air marin, les senteurs si pures de la lagune au lever du jour me comblèrent de joie. Après des mois difficiles, la mort de mon père, le départ de la grande maison, tous les changements qui marquèrent, sans que je m'en rende compte alors, le terrible passage entre l'enfance et l'âge adulte, j'étais de nouveau dans la joie. La lagune était magnifique ce matin-là, la lumière diaphane pleine encore des teintes de l'aube... J'arrivais avec beaucoup d'avance. Assez pour m'arrêter au petit café de l'Arsenal. Celui qu'on voit sur cette photographie dénichée sur le site d'un autre fou de Venise, bordelais lui aussi. Le patron s'affairait derrière son comptoir. Il préparait des tramezzinis. Une grande planche en bois, un énorme pot de mayonnaise, un saladier avec du thon haché... Le voir faire me fascina, sa dextérité, la beauté des sandwiches une fois terminés qu'il alignait sur de grands plats de céramique blanche, avant de les recouvrir d'un torchon humide... J'ignorais encore que nous deviendrions des amis et que ma passion pour les tramezzinis déboucherait un jour, presque trente ans plus tard sur ce site où j'écris mes souvenirs.

Le cappuccino que je dégustais ce matin-là, avec un croissant fourré encore tiède, assis à l'une des tables de la petite terrasse (en ce temps-là, le bar peu fréquenté par les touristes bien moins nombreux qu'aujourd'hui, ne disposait que de trois ou quatre tables sur le campo). C'était un jour sans école, car des enfants jouaient devant l'entrée de l'Arsenal. Un marin au regard triste était en faction en haut des marches. On aurait dit un enfant puni. Peut-être enviait-il ces gens qui pouvaient aller et venir librement quand lui, engoncé dans son uniforme, devait monter la garde. Peu à peu la vie s'insuffla sous mes yeux et la place devint une sorte de scène de théâtre. Un palcoscenico pour la comédie humaine qui pendant des années et aujourd’hui encore fait mon régal à Venise et me fascine. Des ouvriers débarquaient d'une barge bleue des barres de métal destinées à un échafaudage, un peintre chantonnait en peignant des volets dans ce vert si caractéristique qu'on retrouve partout ici. Un groupe de religieuses toutes de blanc vêtues, traversaient en diagonale, des ménagères bavardaient, leur panier sous le bras, un chien reniflait le bas d'un poteau... Je savourais toutes ces images mises en valeur par un éclairage parfait. Le soleil était déjà haut, le ciel presque sans nuage. Le bonheur. 
 
Peu à peu, le bar se remplissait. Les gens allaient et venaient. Un vieux prêtre lisait le journal au coin du comptoir. Je surveillais les abords de la Dante, située de l'autre côté d'un petit pont qui menait directement à la porte d'entrée. Des gens y pénétraient. Certainement le personnel administratif. Il n'était pas encore neuf heures. C'est alors que je les vis. Quatre silhouettes d'abord sombres qui arrivaient du côté de San Martino, la belle petite église du quartier. Trois filles et un garçon. Ils venaient au cours, c'était évident. Le garçon, grand, mince, les cheveux blonds se dirigea vers le pont quand une des filles l'arrêta en lui montrant le café. Ils vinrent dans ma direction. Annette, Anna, Christine et David s'installèrent à la table en face de moi. L'une était rousse avec un visage très fin et les yeux verts, l'autre était brune avec une peau très blanche, presque maladive. Son sourire était très doux. La troisième était anglaise, cela était certain. Les tâches de rousseur, la moue, les attitudes. Quant au garçon, il devait être anglais lui aussi à cause de ses manières un peu ampoulées comme on en attrape dans les bons collèges d'Albion.

J'étais à Venise pour six semaines avec pour seul objectif de savoir l'italien que je m'étais toujours bêtement refusé d'apprendre. Une sorte de réaction épidermique d'adolescent contre mon père et notre famille... Mais ma passion pour Venise, cette obsession qui me tiraillait sans cesse, rendait obligatoire la pratique de l'italien. Avant sa mort, mon père aurait voulu m'envoyer à Florence, la ville de sa jeunesse. Je ne voulais entendre parler de rien d'autre que de Venise. Je ne connaissais encore personne en dehors de la matrone qui me logeait sur la fondamenta delle Guglie, son fils le ténébreux Federico et Gabriele, le garçon de Mogliano Veneto qui servait d'homme à tout faire dans la pension. Les vieilles parents de mon père étaient en villégiature quelque part dans le Haut-Tyrol et ne reviendraient à Venise que bien après mon départ. Cela m’avait rassuré, je n’avais aucunement envie d’aller faire bonne figure auprès de vieilles dames sévères que je ne connaissais pas.

J'observais ce petit groupe et je redoutais de n'être pas à la hauteur. Ils parlaient apparemment tous l'italien puisque c'est dans cette langue qu'ils discutaient entre eux. J'allais être ridicule avec mon sabir encore mêlé d'espagnol. L'heure arriva. La directrice de l'école nous accueillit avec gentillesse. Une fois les formalités remplies, nous étions tous réunis dans une grande salle dont les hautes fenêtres donnaient sur la fondamenta. Le soleil éclairait les murs blancs et donnait à la salle un petit air de fête. J'étais assis entre Anna l’allemande de Stuutgart et David, le jeune anglais. La première matinée passa, puis les jours. Nous devinrent des amis. Chaque jour nous nous retrouvions de bonne heure au petit café de l’arsenal pour un cappuccino et un croissant. Tous les clients nous saluaient comme de vieilles connaissances. Nous n’étions plus des étrangers...A la fin du stage, David et sa cousine Christine repartirent en Angleterre. Nous avons entretenu une correspondance un temps puis nous nous sommes perdus de vue. Anna et Annette, en revanche, restèrent à Venise. L'une était inscrite à l'université et l'autre avait été engagée comme nanny dans la famille d'un magistrat près de l'Accademia. La date fixée pour mon départ approchait et cela m'était un déchirement. J'allais devoir quitter Venise et mes nouveaux amis. Il me faudrait repartir et commencer en France une vie nouvelle, sans mon père, sans la grande maison, sans l'insouciance d'avant...

Quelques jours avant mon départ, je croisais la signora Biasin sur le pont des Guglie. Elle revenait de je ne sais où et sa silhouette me faisait toujours sourire. Son sac plaqué contre elle, la tête un peu penchée en avant, le buste recourbé comme quelqu'un qui va se mettre à courir, elle semblait toujours di fretta. Je pensais au Shylock de la comédie de Shakespeare, ou à une sorcière de contes pour enfants. "Ah vous voilà" me cria-t-elle essoufflée, «je suis ravie de vous voir. Justement je voulais vous parler. J'ai une proposition à vous faire». Gabriele ne pouvait s'occuper de tout et le jeune étudiant colombien qu'elle employait clandestinement préférait souvent faire la sieste dans une des chambres plutôt que s'affairer à repeindre les volets ou déboucher les canalisations. «Vous parlez l'anglais, l'espagnol, et le français. Vous apprenez l'italien. C'est tout à fait ce qu'il me faut. Si vous voulez, je vous propose de travailler pour moi en échange du gîte et du couvert». 
 
Cette offre me fit bondir de joie. Non seulement je pourrais rester à Venise, mais j'aurai un appartement à moi. Je ne songeais pas aux à-côtés qu'il faudrait résoudre tôt ou tard : le permis de séjour, la rémunération, l'avenir. Je ne voyais qu'une chose, j'allais m'installer à Venise. Je me précipitais chez Anna et Annette vint nous rejoindre. Le juge et son épouse furent sollicités. Pouvais-je accepter ? Devant mon enthousiasme et après s'être renseigné sur la dame-aubergiste, il ne trouva pas d'inconvénient majeur à ce que je fasse un essai jusqu'à Noël, prenant certainement mon enthousiasme pour une foucade d'adolescent. J'écrivis à ma mère pour l'informer de ma décision. Elle m'invita sagement à réfléchir et à rentrer quelques jours pour rassembler mes affaires et prendre un peu d'argent. C'est ainsi que, mal logé, sans un sou, parlant mal l'italien mais heureux comme un pape, je devins vénitien...

13 commentaires:

Agnès a dit…

Il faut savoir saisir la chance qui ne repasse que rarement.
Ce texte est très doux, j'en ai même le goût du croissant !
Et cet endroit si bien décrit ... merci, je prends mon café à Venise ce matin !

vdh24 a dit…

La Biasin, des souvenirs pour moi aussi. Très particulière, intéressante. Elle m'a donné aussi la chance de fréquenter Venise plus que prévu. Elle m'a permis de dormir dans drôles de conditions mais j'ai pu jouer les prolongations. Lorenzo je te remercie de nous plonger dans ton univers. Ton récit est un vrai régal.

Les Idées Heureuses a dit…

Jeunesse éprouvante, jeunesse émouvante, les épreuves forgent et donnent souvent l'ouverture à des voies insoupçonnées.
Pouvoir apprendre une nouvelle langue, trouver une nouvelle vie dans un pays de cœur qui va se faire connaitre au fil du temps, façonner son avenir au bord de la lagune, voilà ce qui a transformé notre ami Lorenzo, n'est-ce-pas?
Un bien joli texte à lire en ce début de journée "sclossienne".
-"Un caffé, un cornetto con marmelade, prego!"

maite a dit…

C'est toujours un plaisir de vous lire (et toujours cette pointe de nostalgie...) - Une autre Bordelaise !

VenetiaMicio a dit…

Merci Lorenzo, j'étais avec vous ce matin, à Venise, devant mon cappucino. Merci de me faire rêver !
Je connais le petit café de l'Arsenale et je m'imagine parfaitement notre jeune Laurent
qui attend ...
Parfois, il faut avoir des coups de tête et saisir vite sa chance.
Surtout ne jamais regretter ce qu'on a fait...j'ai lu quelque part,"chaque chose qu'on apprend doit se rattacher à quelque chose qu'on sait déjà"...
Bonne journée

Lorenzo a dit…

Bonne journée à vous tous.

Michelaise a dit…

Une succession de chances, saisies à point nommé, qui vous ont permis d'être celui que vous êtes, heureux qui plus est ! belle histoire...

Anne a dit…

Comme vous racontez bien les charmants épisodes de votre vie vénitienne! Nous voulons en lire d'autres!
Anne

Anonyme a dit…

Un "Henri de Regnier" du 21e siècle ! Bravo, cela fait vibrer l'imagination et nous transporte "là haut" !
J@M

Lorenzo a dit…

J@M, comme tout le monde je suis sensible aux attentions, mais ne puis accepter la comparaison... Trop flatteuse. Sauf si elle se lit au second degré. Et puis si j'étais celui que vous décrivez, j'aurai la clé d'un palais Renaissance sur le Canalazzo et nous y deviserions le soir tous ensemble sur l'altana... Merci de votre fidélité !

Enitram a dit…

Quelle belle entrée dans la vie et si bien racontée, bravissimo e prego !

Micha Venaille a dit…

Je suis émue de voir "ma" place de l'Arsenal et une des fenêtres (2 étage)de l'appartement que nous louons depuis une quinzaine d'années, en novembre, pratiquement tout le mois de janvier (le café est fermé nous n'avons jamais pu le faire ouvrir rien que pour nous!)et à d'autres occasions. Nous voyons le personnel rentrer dans l'Arsenal le matin, des officiers posant solennellement sur les marches pour une photo de classe, et, ce qui me ravit, le dimanche matin, l'hymne national et le lever de drapeau.La façade reste éclairée toute la nuit, le buste de Dante, les vers du XXIIIe chant de l'Enfer, les lions restent visibles, nous ne fermons pas les volets.

Lorenzo a dit…

Je suis toujours ravi de lire ce que mes lecteurs vivent et de me rendre compte que finalement, ce terme de Fous de Venise, s'applique bien. Nous avons chacun nos rites, nos madeleines, nos joies, nos souvenirs ou nos regrets, et Venise quelque soit son avenir, vit en nous.
Nous nous sommes certainement croisés sur ce campo que vous décrivez parfaitement Micha. Nous nous y rencontrerons certainement aussi un jour prochain. Novembre et janvier sont deux mois merveilleux pour qui aime Venise retournée à sa vraie vie, avec moins de touristes et un climat qui efface tous les artifices qu'amène la belle saison...